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Full text of "La rage & St. Hubert"

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COLUMBIA  LIBRARIES  OFFSITE 

HEALTH  SCIENCES  STANDARD 


RECAP 

^BCroTHECA       f^YTHICA 


HX641 26420 
RC1 48  .G1 2  1 887   La  rage  &  St.  Hubert 


Henri  Gaidoz 


La  Kage  &  SM~lubert 


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TA%1S 

ALPHONSE  PICARD,  ÉDITEUR,  RUE  BONAPARTE,  82 

M.D.CCC.LXXXVII 


CoIumWa  ®nttîers^itp 

CoUege  of  ^Jbpsîitians!  anb  ê>urgeong 
Hiijrarp 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  with  funding  from 

Open  Knowledge  Gommons 


http://www.archive.org/details/laragesthubertOOgaid 


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MfVJIII  or  SOIOQL  <^ 


BIBLIOTHECA    MYTHICA 

(Histoire  des  Religions,  Mythologie,  Traditions  et  Littérature  populaire) 
.     PUBLIÉE    SOUS    LA    DIRECTION 

DE 

M.    HENRI    GAIDOZ 
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Tous  droits  réservés. 


ANGERS.  —  Imprimerie  BURDIN  et  C'%  rue  Garnier  4. 


JlBLIOTHECA       f'iYTHICA 


Henri  Gaidoz 


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La   Kage  &  S^Hubert 


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TAT{1S 
ALPHONSE  PICARD,  ÉDITEUR,  RUE  BONAPARTE,  82 

M.D.CCC.LXXXVII 


INTRODUCTION 


S'il  est  «  un  mal  qui  répand  la  terreur  »,  c'est  bien  la 
maladie,  d'origine  encore  inconnue,  qui  rend  le  chien  fou  \ 
c'est  bien  celte  démence,  étrang-ement  contagieuse  par  la 
salive.  Les  découvertes  de  M.  Pasteur  ont  ajouté  un  remède 
certain  et  bénin  au  remède  héroïque  de  la  cautérisation  au 
fer  rouge,  trop  souvent  impraticable  parce  qu'il  doit  être  im- 
médiat. Un  mal  aussi  répandu  et  aussi  désespéré  que 
la  rage  a  donné  lieu  à  bien  des  croyances  et  à  bien  des  pra- 
tiques, et  comme  ce  mal  était  jusqu'à  M.  Pasteur  resté  à 
peu  près  en  dehors  de  la  médecine,  puisque  celle-ci  était 
impuissante,  ces  croyances  et  ces  pratiques  se  sont  con- 
servées jusque  sous  nos  yeux  mêmes,  tandis  que  pour  les 
autres  maladies,  le  médecin  a,  peu  à  peu,  remplacé 
«  l'homme  à  secrets  »,  le  sorcier,  le  thaumaturge. 

La  médecine  est  sortie  de  la  sorcellerie,  comme  la  science 
est  sortie  de  l'empirisme  :  les  hasards  de  l'observation,  les 
tâtonnements  dans  l'essai  des  vertus  des  plantes  et  des  mi- 
néraux, les  théories  philosophiques  sur  la  sympathie  et  les 

1.  Dans  plusieurs  provinces,  pour«  chien  enragé  »,  on  dit  «  chien 
fou  »  et  quelquefois  «  chien  malade.  »  (E.  Rolland,  Faune  populaire  de 
la  France,  t.  IV,  p.  74.)  De  même  en  anglais  et  en  allemand. 

LA  RiVGE.  1 


2  INTRODUCTION 

rapports  mystérieux  des  choses  et  des  êtres,  avaient  sus- 
cité une  foule  de  remèdes  et  de  pratiques  qui  furent  la  pre- 
mière pharmacopée  et  la  première  thérapeutique.  Mais 
comme  l'homme  vivait  dans  le  surnaturel  et  par  le  surna- 
turel, qu'il  ne  voyait  dans  les  êtres  et  dans  les  forces  de  la 
nature  que  des  personnalités  et  des  volontés  semblables  à 
la  sienne,  comme  il  projetait  son  imag-ination  sur  la  nature 
et  qu'une  observation  restreinte  ne  faisait  qu^augmenter 
ses  illusions,  il  joignait  à  ces  premiers  remèdes  des  rites 
propitiatoires,  des  paroles  mystérieuses,  des  cérémonies 
qui  devaient  conjurer  les  mauvais  esprits  et  requérir  les 
esprits  secourables.  Ce  qui  inspirait  confiance,  ce  qui  sem- 
blait guérir,  c'était  justement  l'élément  mystérieux,  surna-  | 
turel,  relisfieux  du  traitement  :  c'était  encore  la  sorcellerie 
instinctive  des  peuples  non  civilisés,  ce  n'était  pas  encore 
la  médecine.  Puis,  quand  la  médecine  est  née,  les  vieilles 
pratiques  se  sont  conservées  et  continuées,  par  une  tra- 
dition non  interrompue,  dans  les  couches  profondes  des 
sociétés  qui  sont  civilisées  à  leur  niveau  supérieur  et  moyen. 
Les  croyances,  les  pratiques  et  les  superstitions  du  peuple 
ont  été  la  science  des  âges  précédents  ;  c'est  là  leur  intérêt 
pour  l'histoire  de  l'humanité  ;  c'est  aussi  la  raison  d'être 
d'études  où  l'on  s'occupe  de  détails  vulgaires,  d'apparence 
futile  ou  ridicule. 


CHAPITRE  PREMIER 

LA  RAGE  DANS  L'ANTIQUITÉ  CLASSIQUE;  SES  CAUSES; 
SURVIVANCES  THÉRAPEUTIQUES 


§  L  Causes  de  la  rage.  —  §2.  Remèdes  sympathiques. — §3.  Croyances 
diverses.  —  §  4.  Fontaine;  terre  sacrée;  temple  d'Artémis.  — 
§  5.  L'àne  est-il  enragé  ?  —  §  6.  La  mer  et  la  rage.  —  §  7.  La  cauté- 
risation. 


CHAPITRE  PREMIER 

LA    RAGE  DANS  L^ANTIQUITÉ  CLASSIQUE  ;    SES  CAUSES  ; 
SURVIVANCES    THÉRAPEUTIQUES 


La  rage  doit,  comme  la  plupart  des  maladies,  être  aussi 
vieille  que  la  création.  Aussi  est-elle  mentionnée  dès  l'au- 
rore de  l'histoire.  Dans  l'Iliade  un  guerrier  grec  compare 
Hector  à  un  chien  enragée  Ce  n'est  pourtant  qu^assez  tard 
que  les  écrivains  grecs  s'occupent  de  la  maladie,  et  Hippo- 
crate  n'en  a  point  parlé.  Aristote,  qui  pourtant  avait  ob- 
servé tant  de  choses,  fait,  à  propos  de  la  rage,  une  obser- 
vation qui  nous  étonne:  «  Ce  mal,  dit-il,  cause  la  mort, 
non  pas  seulement  des  chiens,  mais  de  tous  les  êtres  qu'ils 
mordent,  ïhomme  excepté^- .  »  Cette  étrange  assertion  dé- 
tonne dans  la  littérature  classique,  car  le  virus  de  la  rage 
passait  pour  si  funeste  que  si  seulement  la  salive  du  chien 
enragé  touchait  le  corps  de  l'homme,  celui-ci,  disait-on, 
devenait  enragée  Une  pierre  mordue  par  un  chien  enragé 
n'était  guère  moins  funeste  que  le  chien  lui-même  :  «  Une 
pierre  mordue  par  un  chien  »  était  un  proverbe  de  dis- 
corde* ;  et,  selon  Elien,  une  semblable  pierre,  mise  dans  le 
vin  du  banquet,  suffisait  pour  rendre  tous  les  convives  fu- 
rieux ^ 


1.  llkiàe,  VIII,  299. 

2.  ArisloLe,  Animaux,  VIII,  22. 

3.  Galien,  Œuvres,  éd.  Kuhn,  t.  VIII,  p.  423. 

4.  Pline,  HisL  Nat.,  XXIX,  32. 

5.  Élipn,  Animaux,  I,  38. 


CHAPITRE  PREMIER 


§    1.    CAUSES  DE  LA  RAGE 

Comment  s'imaginer  l'origine  de  la  rage  chez  le  chien? 
Les  savants  cherchent  encore,  car  aucune  des  hypothèses 
mises  en  avant  n'a  pu  être  constatée  ni  établie.  Mais  si  les 
hommes  qui  savent  et  qui  raisonnent  sont  les  derniers  à  se 
prononcer  sur  la  question  des  causes  premières,  il  n'en  est 
pas  de  même  de  la  masse  de  l'humanité.  Celle-ci  ne  sera 
jamais  agnostique,  et  elle  ne  dort  tranquille  que  si  une 
hypothèse,  bonne  ou  mauvaise,  satisfait  son  désir  de  sa- 
voir et  surtout  son  besoin  de  croire. 

Dans  les  croyances  populaires,  les  maladies  se  ramènent 
d'ordinaire  à  trois  causes  :  la  rjrésence  d'un  mauvais  es- 
prit  dans  le  corps  ;  un  sort  jeté  par  un  ennemi  ;  et  enfin 
des  vers.  Au  lieu  de  vers  le  peuple  aurait  dit  des  mi- 
crobes, s'il  avait  connu  le  mot;  et  il  peut,  dans  quelques 
cas,  avoir  instinctivement  trouvé  juste,  par  exemple  pour 
les  maux  de  dents.  C'est  une  croyance  universelle  qui  les 
attribue  à  la  présence  de  vers  dans  la  bouche  ;  or  la  carie 
dentaire  paraît  aujourd'hui  résulter  d'un  être  microsco- 
pique, champignon  ou  microbe,  qui  se  développe  et  se 
propage  sur  les  gencives.  La  croyance  au  ver  se  rencontre 
dans  bien  d'autres  cas  encore.  C'est  «  pour  tuer  le  ver  » 
que  l'ouvrier  de  Paris  prend  le  matin  à  jeun  un  petit  verre 
de  vin  blanc.  C'est  encore  un  usage  très  répandu  de  couper 
le  bout  de  la  queue  aux  jeunes  chats  à  cause  du  ver  qui 
s'y  trouve  et  qui  les  ferait  périr  ou  les  rendrait  chétifs 
toute  leur  vie. 

C'était  là,  dans  l'antiquité,  une  des  explications  de  la 
rage  :  mais  où  était  le  ver?  Pour  les  uns  il  était  dans  la 
queue  :  «  Columelle,  dit  Pline,  prétend  que  si  quarante 
jours  après  la  naissance  des  chiens  on  leur  coupe  la  queue 
avec  les  dents,  et  qu'on  enlève  la  dernière  articulation  avec 
le  nerf  qui  y  est  attenant,  la  queue  ne  croît  plus,  et  les 


LA  RAGE  DANS  L'ANTIQUITÉ  CLASSIQUE  7 

chiens  ne  deviennent  pas  enragés ^  »  Selon  d'autres,  le  ver 
était  à  la  langue  :  «  Les  chiens,  dit  encore  Pline,  ont  à  la 
langue  un  petit  ver  appelé  par  les  Grecs  Lytta  (rage); 
quand  on  l'ôte  aux  jeunes  chiens,  ils  ne  deviennent  point 
enragés  et  ne  perdent  jamais  l'appétit.  Ce  même  ver  porté 
trois  fois  autour  du  feu  se  donne  aux  individus  mordus  par 
un  chien  enragé,  pour  prévenir  la  rage^..  »  Gratins  Fa- 
liscus,  dans  son  Cynégétique,  rapporte  la  même  explication 
sous  une  forme  plus  scientifique  :  «  L'affreux  et  cruel  fléau 
se  manifeste  à  l'endroit  où  la  langue  est  adhérente  au  gosier 
par  une  membrane  qu'on  appelle  le  petit  ver'^ .  »  L'opération 
que  l'on  croyait  préservatrice  s'est  continuée  jusqu'à  notre 
époque  sous  le  nom  à' évercment  ou  éverration  :  le  verbe 
éverrer,  avec  ce  sens  et  cette  intention^  est  dans  le  diction- 
naire de  Littré.  En  1864,  un  des  collaborateurs  du  Bulletin 
de  la  Société  protectrice  des  animaux^  crut  encore  utile 
d'écrire  contre  «  l'extraction  d'un  prétendu  ver  à  la  langue 
et  à  la  queue  des  chiens*.  »  Pourtant  au  commencement  du 
siècle  dernier,  un  grand  médecin,  Morgagni,  avait  démontré 
que  ce  qu'on  prenait  pour  un  ver  était  simplement  un  cordon 
blanchâtre.  Morgagni  croyait  aussi  devoir  réfuter  l'opinion 
qui  expliquait  la  rage  par  un  ver  né  dans  le  cerveau  du 
chien  ;  et  il  ajoutait,  en  médecinpeu  porté  àla  théorie  micro- 
bienne :  sœpe  e?ii?n  vermes  facile  creduniur  qui  non  siint'\ 
On  trouve  encore  d'autres  explications  de  la  rage.  D'a- 
près Elien,  elle  provient  de  l'excès  de  bile  ^  et  une  théorie 
analogue  est  encore  courante  chez  les  chasseurs  de  Saint- 
Brieuc'.  Dans  une  autre  opinion  que  rapporte  Pline,  les 

1.  Pline,  Hist.  Nat.,  VIII,  63,  et  Columelle,  De  re  rustica,  VIT,  12. 

2.  Pline,  Hist.  Nat.,  XXIX,  32. 

3.  Gratius  Faliscus,  Cyneget., 386. 

4.  Numéro  de  janvier  1864. 

5.  Morgagni,  Opéra  (Ed.  de  Paris,  1820-22),  t.  I,  p.  449-450. 
5.  Élien,  Animaux,  VIII,  9. 

7.  «  J'ai  entendu  il  y  a  longtemps,   m'écrit  M.  E.  Ernaiilt,  un  vieux 
chasseur  de  Saint-Brieuc,  qui  était  passé  maître  en  son   art,  raconter 


8  CHAPITRE  PREMIER 

chiens  deviendraient  enragés  quand  ils  auraient  goûté  du 
sang- de  femme,  à  de  certains  moments*;  ce  sang  passait 
en  effet  chez  les  anciens  pour  avoir  des  vertus  merveilleuses 
et  terribles,  et  l'on  s'en  servait  dans  certains  sortilèges. 
Dans  le  nord  de  l'Allemagne,  en  Oldenbourg,  c'est  quand 
les  chiens  ont  mangé  l'arrière-faix  d'une  jument  ^  En 
Arabie,  raconte  M.  Burton,  c'est  quand  les  chiens  ont 
mangé  des  morceaux  de  chair  qui  tombent  du  cier.  Cette 
explication  se  rattache  sans  doute  à  l'histoire  de  la  «  chasse 
sauvage  »  (en  allemand  Wilde  Jagd),  car  on  croit  dans 
nos  pays  d'Europe  qu'elle  sème  sur  son  chemin  des  membres 
sanglants  et  des  morceaux  de  chair.  Sur  la  côte  de  la 
Manche,  on  croit  que  lorsque  les  chiens  boivent  l'écume 
dont  la  mer  se  couvre  au  moment  du  flux,  ils  prennent  la 
rage  avec  cette  écume.  Chez  les  Anciens,  la  rage  parait 
aussi  avoir  été  mise  en  rapport  avec  les  jours  caniculaires, 
mais  on  ne  trouve  rien  de  précis  à  cet  égard  et  peut-être 
est-ce  un  simple  jeu  de  mots*. 

§  2.  —  REMÈDES  SYMPATHIQUES 

Un  grand  nombre  de  remèdes  de  la  médecine  populaire, 
qui  n'est  en  somme  que  l'ancienne  médecine,  repose  sur  la 
théorie  de  la  sympathie,  c'est-à-dire  d'une  correspondance 
mystérieuse  entre  la  cause  (vraie  ou  supposée)  du  mal  et 

qu'il  connaissait  un  moyen  de  préserver  ses  chiens  de  la  rage.  C'était 
une  recette  connue  parmi  les  chasseurs.  Ce  moyen  consistait  à  saisir  et 
à  presser  avec  les  doigts  les  chairs  de  l'anus  du  chien.  Joignant  la  dé- 
monstration à  la  théorie,  il  fit  devant  moi  cette  opération  à  un  de  ses 
chiens...  il  fit  ainsi  sortir  sous  sa  main  une  sorte  de  mucosité,  en  petite 
quantité.. ,  » 

1.  Pline,  Jfisf.  nat.,\\.\,  13. 

2.  Wuttke,  Der  deutsche  Volksaberç/laube,  2"  édit.,  p.  407. 

3.  R.  Burton,  A  pilgrimage  to  Mecca,  1.  II,  ch.  iv. 

4.  Voir  Preller,  Griechische   Mythologie,  2"  édit.,  t.   I,  p.  356,  n.,  et 
Pline,  lUst.  Nat.,  Vill,  63. 


LA  RAGE  DANS  L'ANTIQUITÉ  CLASSIQUE  9 

le  patient,  ou  entre  le  patient  et  tel  être,  tel  objet  dans 
lequel  on  fera  passer  le  mal.  A  cette  doctrine  se  rattache 
celle  dont  une  école  médicale  a  fait  un  principe  en  disant  : 
similia  similibus  ciirantur,  «  les  semblables  se  guérissent 
parles  semblables,  »  Et  cette  doctrine,  par  une  rencontre 
curieuse,  s'est  trouvée  vérifiée  par  la  découverte  de  la 
vaccine,  il  faut  dire  aujourd'hui  des  vaccines.  L'application 
do  ces  idées  à  la  g-uérison  de  la  rage  se  rencontre  sous  de 
nombreuses  formes.  La  plus  usuelle  est  celle  qu'exprime 
un  de  nos  dictons  du  xvi°  siècle  : 

Contre  morsure  de  chien  de  nuit 

Le  mesme  poil  très  bien  y  duit  (convient). 

C'est-à-dire  qu'on  prend  du  poil  du  chien  qui  vous  a 
mordu  et  qu'on  l'applique  sur  la  blessure  ;  le  mal  est  ainsi 
guéri.  La  pratique  est,  on  peutdire,  universelle  :  nous  l'avons 
constatée  dans  toute  l'Europe,  dans  l'Inde  et  en  Chine'. 
Dans  quelques  cas  on  procède  un  peu  différemment  :  on 
brûle  les  poils  et  on  en  mêle  la  cendre  à  du  vin  qu'avale  le 
mordue  Pline  recommandait  de  mettre  sur  la  plaie  la  cendre 
d'une  tête  de  chien'.  Autre  recette  sympathique  :  on  mange 
la  chair  du  chien  qui  a  mordue  Le  plus  souvent  c'est  le 
foie  :  le  traitement  est  déjà  signalé  par  le  médecin  grec 


1.  Rolland,  Faune  populaire,  t.  IV,  p.  59  ;  Liebreclit,  Zur  Volkskunde , 
p.  353;  Notes  and  Queries,  l""®  sér.,  t.  VI,  p.  316  et  365;  2«  série,  t.  II, 
p.  239,  279;  3'^  sér.,  t.  VII,  p.  276,  etc.  ;  Tylor,  Primitive  Culture,  t.  I, 
p.  84;  Eddrt  (Havamal  138);  Dyer,  Engllsh  Folk-Lore,  p.  144;  Stra- 
kerjan,  Aherglauhen,  etc.,  aus  Oldenburg,  t.  I,  p  81  ;  Wuttke,  op.  cit., 
p.  301-302  ;  Petrowitsch,  Die  Volksmedicin  bel  den  Serben,  dans  le  Glo- 
bus,  t.  XXXIII,  p.  348;  Black,  Folk-Medicine,  p.  50  ;  Rossi,  Supersti- 
zioni,  p.  398  ;  Bernoni,  Tradizioni  popolari  Veneziane,  p.  177;  Folk- 
Lore  Journal,  t.  I,  p.  373;  Dennys,  Folk-Lore  of  China,  p.  52;  Ger- 
mania,  t.  XXVII,  p.  376. 

2.  De  Gubernatis,  Zoological  Mythology,  t.  II,  p.  39;  De  Chesnel, 
Dictionnaire  des  superstitions,  col.  977. 

3.  Pline,  Hist.  nat.,  XXIX,  32. 

4.  Pline,  ibid.,  et  Andry,  Recherches  sur  la  rage  (Paris,  1780),  p.  327. 


10  CHAPITRE  PREMIER 

Dioscoride*  ;  il  est  encore  ordonné  par  un  médecin  du 
xvu®  siècle,  La  Mardnière,  «  médecin  et  opérateur  ordinaire 
du  Roi^  »,  et  de  notre  temps  le  peuple  l'applique  encore  en 
différents  pays.  D'autres  fois  c'est  le  cœur  que  l'on  fait 
cuire  et  que  l'on  mange,  d'autres  fois  la  tête'.  On  atta- 
chait aussi  au  blessé,  dit  Pline,  un  ver  pris  sur  le  cadavre 
du  chien*  ;  c'était  sans  doute  le  fameux  ver  de  la  langue  qui 
était  censé  donner  la  rage.  La  dent  du  chien  qui  avait 
mordu  mise  dans  une  petite  vessie,  dit  Dioscoride,  et  portée 
au  bras  comme  une  amulette,  était  un  autre  remède^ 

C'est  à  cette  même  croyance  de  la  sympathie  et  de  l'in- 
fluence des  noms  qu'il  faut  rapporter  l'emploi  de  deux 
plantes  qui  ont  du  chien  dans  leur  nom.  «  Le  seul  remède 
contre  la  morsure  du  chien  enragé,  dit  Pline,  a  été  indiqué 
récemment  comme  par  un  oracle,  c'est  la  racine  de  rosier 
sauvage  qu'on  appelle  cynorrhodon,  littéralement  «  rose  de 
chien ^  »  :  c'est  aussi  un  des  noms  populaires  en  France 
et  en  Angleterre  [dog-?'ose)  du  rosier  sauvage  ou  églantier, 
parce  que  c'est  une  plante  sans  parfum  et  sans  valeur  à 
côté  du  véritable  rosier  ;  et  Pline,  avec  sa  crédulité  ordi- 


1.  Dioscoride,  Mat.  mcd.  II,  49;  Pline,  Hist.  Nat.,  XXIX,  32;  Blaclc, 
op.  cit.,  p.  119;  Dyer,  op.  cit.,  p.  143;  Stralîcrjan,  op.  cit.,  t.  I,  p. 
81  ;  Andry,  op.  cit.,  p.  61  et  327;  Brouardel,  art.  Rage  {Bict.  encycl. 
des  sciences  médic,  3^  série,  t.  II,  (1874),  p.  189;  Alemannia,  t.  V,  p. 62. 

2.  Voir  Andry,  Recherches  sur  tarage,  Paris,  1780,  p.  327.  «  Dans  le 
même  chapitre,  noire  auteur  (La  Martinière)  prétend  avoir  préservé  de 
la  rage  plusieurs  personnes  mordues  par  un  loup  enragé,  en  leur  faisant 
manger  de  la  chair  de  ce  loup  et  en  mettant  de  cette  chair  sur  leur  plaie 
pendant  vingt-quatre  heures;  puis  faisant  panser  les  plaies  avec  son  em- 
plâtre angélique  ou  onguent  royal.  «Andry  remarque,  du  reste,  pour  son 
propre  compte  (p.  61)  à  propos  du  foie  du  chien  enragé,  «  que  ce  remède 
désagréable  ne  mérite  aucune  attention  et  qu'il  doit  être  proscrit  ». 

3.  Gregor,  Folk-Lore  of  N .  E.  of  Scotland,  p.  127,  et  ouvrages  cités 
plus  haut. 

4.  Pline,  Hist.  Nat.,  XXIX,  32. 

5.  Dioscoride,  Mat.  Med.,  II,  49. 

6.  Pline,  Hist.  Nat.,  VIII,  63. 


LA  RAGE  DANS  L'ANTIQUITÉ  CLASSIQUE  11 

nairo,  raconte  une  historiette,  évidemment  inventée  après 
coup  pour  expliquer  l'emploi  de  la  «  rose  de  chien  »  :  «  Ré- 
cemment la  mère  d'un  garde  prétorien  reçut  en  songe  l'avis 
d'envoyer  à  son  fils  la  racine  du  rosier  sauvage  nommé 
cynorrhodon^  dont  la  vue  l'avait  frappée  agréablement  la 
veille  dans  un  taillis,  et  de  lui  en  faire  boire  le  suc.  Ceci 
se  passait  dans  la  Lacétanie,  partie  de  l'Espagne  la  plus 
proche  de  nous.  Le  hasard  fît  que  le  soldat  mordu  par  un 
chien  reçut  la  lettre  où  sa  mère  le  priait  de  suivre  cet  avis 
divin,  alors  qu'il  commençait  à  éprouver  de  l'horreur  pour 
l'eau  :  il  obéit  et  fut  sauvé  contre  toute  espérance,  ainsi 
que  l'ont  été  depuis  tous  ceux  qui  ont  essayé  du  même  re- 
mède ^  »  C'est  sans  doute  la  plante  dont  Galien  parle  sous  le 
nom  à'Alyssos,  litt.  antirage".  Au  siècle  dernier,  la  même 
plante  figure  encore  dans  une  «  omelette  antihydropho- 
bique\  »  Par  la  même  influence  mystérieuse  qui  est  dans 
les  noms,  on  croit  en  Allemagne  (et  sans  doute  aussi 
ailleurs)  à  la  vertu  spéciale  d'une  plante  que  la  forme  par- 
ticulière de  ses  feuilles  a  fait  appeler  «  langue  de  chien  » 
(en  allemand  Himdsziinge,  en  anglais  Hound' s  longue ^  c'est 
le  cyjioglossum  officinale  de  Linné).  On  croit  que  cette 
plante  exerce  une  influence  magique  sur  les  chiens,  et  que 


1.  VY\nQ,ibid.,  XXV,  6. 

2.  Galien,  Œuvres,  éd.  Kuhn,  t.  VI,  p.   823. 

3.  En  voici  la  recette  comme  curiosité  de  Thistoire  de  la  médecine  : 

((  Prenez  de  la  racine  de  rosier  sauvage,  tirée  de  la  terre  avant  le  lever 
du  soleil,  lavez-la,  faites-la  sécher  et  râpez,  sans  enlever  fécorce  ;  pre- 
nez ensuite  trois  jaunes  d'œufs  frais,  battez  pendant  un  peu  de  temps 
dans  trois  onces  d'huile  de  noix,  et  mèlez-y  quarante  grains  de  la 
poudre  mentionnée;  faites  rougir  une  poêle  et  y  jetez  peu  à  peu  ce  mé- 
lange, remuant  le  tout  avec  une  spatule  de  bois  jusqu'à  ce  que  l'ome- 
lette soit  faite.  Donnez-la  à  manger  au  malade  le  matin  à  jeun,  ayant 
attention  qu'il  soit  deux  heures  sans  rien  prendre.  M.  Housset,  méde- 
cin d'Auxerre,  et  l'un  de  nos  correspondants,  assure  que  ce  remède, 
tout  simple  qu'il  est,  a  paru  réussir  constamment.  »  Andry,  Recherches 
sur  la  rage,  Paris,  1780,  p.  333. 


12 


CHAPITRE  PREMIER 


si  on  en  porte  sous  les  orteils,  on  n'est  ni  attaqué  ni  pour- 
suivi parles  chiens ^ 

§    3.    CROYANCES    DIVERSES 

Les  procédés  prophylactiques  et  l'assurance  contre  la 
rage,  si  l'on  peut  ainsi  parler,  reposent  sur  ces  mêmes  prin- 
cipes de  thérapeutique  qui  pour  nous  sont  aujourd'hui 
puérils.  (■<■  Les  chiens,  dit  Pline,  fuient  un  individu  portant 
sur  soi  le  cœur  d'un  chien  ;  ils  n'aboient  pas  si  l'on  porte  dans 
un  soulier,  sous  le  gros  orteil,  une  langue  de  chien,  ou  la 
queue  d'une  belette  qu'on  a  laissée  aller  après  l'opéra- 
tion ^  »  Lace  langue  de  chien,  »  dont  parle  Pline,  est- 
elle  à  prendre  au  propre  ou  au  figuré,  c'est-à-dire  comme 
plante?  Il  est  difficile  de  le  dire.  Des  phylactères  analogues 
sont  la  peau  d'un  loup  (car  le  loup  enrage  comme  le  chien 
et  il  est  plus  dangereux  encore),  la  dent  d'un  chien  noir 
(Bohême)  ^  ou  encore  quand  on  voit  un  chien  enragé,  de 
se  mordre  le  pouce  de  la  main  droite  (Bohême)  \  Par  le 
même  effet  de  la  sympathie,  si  on  est  mordu  sans  que  le 
chien  soit  enragé,  mais  qu'il  le  devienne  plus  tard,  on  le 
sera  soi-même.  C'est  pour  cette  raison  que  dans  plusieurs 
pays  (notamment  en  Ecosse)  on  abat  le  chien  qui  vous  a 
mordu  lors  même  qu'il  n'est  pas  enragé  °. 

Le  nombre  des  remèdes  imaginés  contre  la  rage  est  im- 
mense ,  et  dès  Tantiquité  même  ;  on  peut  voir  dans  le 
médecin  grec  Galien  la  longue  liste  des  infusions,  des  cata- 
plasmes et  surtout  des  «  bols  »  recommandés  par  les  prati- 
ciens del'antiquité  ".  Pour  un  grandnombre  de  ces  remèdes, 


1.  Friedreich,  Symbolik  und  Mythologie  der  Natw.,  p.  283. 

2.  Pline,  Hist.  Nat.,  XXIX,  32. 

3.  Grohmann,   Aberglaiiben,  etc.,  ans  Bœhmen,  p.  54. 

4.  Wultke,  op.  cit.,  p.  287. 

5.  Rolland,  op.  cit.,  t,  IV,  p.  75;  et  Gregor.,  op.  cit.,  p. 127. 
G.  Galien,  CEt<Dres,  éd.  Kiihn,  t.  XIV,  p.  168. 


LA  RAGE  DANS  L'ANTIQUITÉ  CLASSIQUE  13 

la  recette  et  l'usage  s'en  sontconservés  clans  la  pratique  mé- 
dicale presque  jusqu'à  notre  temps,  comme  on  peut  voirpar le 
curieux  livre  d'Anclry,  si récentparla  date  (1780),  si  arriéré 
par  l'esprit.  La  médecine  est  en  effet  une  série  de  tâtonne- 
ments et  d'essais  sur  les  propriétés  des  substances  naturelles  : 
à  cet  ég-ard  même,  il  est  difficile  de  faire  le  départ  entre  le 
remède  superstitieux  et  le  remède  naturel.  Nous  nous  bor- 
nons ici  aux  remèdes  de  la  rage  qui  n'ont  pas,  poumons  du 
moin^,  leur  explication  et  leur  raison  d'être  dans  des  proprié- 
tés naturelles,  mais  bien  dans  une  influence  mystérieuse  (on 
dit  aujourd'hui  superstitieuse),  ou  dans  l'intervention  d'une 
puissance  surnaturelle.  Mais  ce  qui  est  la  superstition 
d'une  époque  est  la  science  d'une  époque  antérieure.  Les 
«  cures  sympathiques  »  sont  simplement  l'application  de 
principes  philosophiques,  —  principes  à  priori,  principes 
métaphysiques  —  qui  étaient  la  «  science  »  des  anciennes 
générations,  aussi  indiscutable  pour  elles  que  le  sont  pour 
nous  aujourd'hui  les  principes  de  la  chimie  et  de  la  phy- 
sique. 

Achevons  rapidement  notre  revue  de  la  thérapeutique 
superstitieuse  de  la  rage  dans  l'antiquité.  Pline  va  nous 
montrer  comme  elle  se  mêle  aux  recettes  qui  pourraient 
avoir  leur  valeur  par  les  propriétés  des  substances  em- 
ployées. Pline  vient  de  parler  du  ver  de  la  rage  que  les  chiens 
portent  à  la  langue. 

Ce  même  ver  porté  trois  fois  autour  du  feu  se  donne  aux 
individus  mordus  par  un  chien  enragé,  pour  prévenir  la  rage  :  on 
la  prévient  encore  avec  la  cervelle  du  coq;  mais  cette  substance, 
prise  à  l'intérieur,  ne  garantit  que  pour  l'année  courante.  On  dit 
que  la  crête  de  coq  broyée,  ou  la  graisse  d'oie  avec  du  miel,  est  un 
topique  efficace.  On  sale  la  chair  des  chiens  enragés  et  on  la  fait 
manger  contre  la  rage.  Bien  plus,  on  noie  immédiatement  dans 
l'eau  de  petits  chiens  du  sexe  de  l'animal  qui  a  mordu,  et  l'on 
en  fait  manger  par  l'individu  mordu  le  foie  cru.  La  fienle  de  coq, 
pourvu  qu'elle  soit  rousse,  est  utile  ;  on  l'applique  avec  du  vinaigre, 
ainsi   que  la  cendre  de  la  queue  de  musaraigne,  pourvu  qu'on 


14  CHAPITRE  PREMIER 

laisse  aller  vivant  l'animal  mutilé;  un  morceau  de  nid  d'hirondelle 
appliqué  avec  du  vinaigre,  des  petits  d'hirondelles  incinérés,  la 
vieille  peau  dont  un  serpent  s'est  dépouillé  au  printemps,  broyée 
avec  une  écrevisse  mâle  dans  du  vin...  Telle  est  la  force  de  la  rage 
qu'on  ne  marche  point  impunément  sur  l'urine  d'un  chien  enragé, 
surtout  si  Ton  a  quelque  ulcère  ;  le  remède  alors  est  d'appliquer  du 
crottin  de  cheval  humecté  de  vinaigre  et  chaufFé,  dans  une  figue. 
On  s'étonnera  moins  de  ces  effets  violents  si  l'on  songe  qu'une 
pierre  mordue  par  un  chien  est  passée  en  proverbe  pour  exprimer 
les  querelles.  Celui  qui  urine  sur  de  l'urine  de  chien  éprouve, 
dit-on,  de  l'engourdissement  dans  les  reins*. 

Gratius  Faliscus,  dans  son  poème  sur  la  chasse,  que  nous 
avons  déjà  cité,  mentionne  des  amulettes  destinées  à  préser- 
ver du  mauvais  œil  autant  que  de  la  rage,  des  touff(3S  de 
poils  de  blaireau  attachés  au  collier,  des  colliers  de  coquil- 
lages réputés  pour  leur  vertu,  de  la  pyrite,  des  coraux  de 
Malte,  des  plantes  sur  lesquelles  on  a  prononcé  des  paroles 
magiques  ^ 

§  4.  —  fontaine;  terre  sacrée;  temple  d'artémis 

Le  culte  des  fontaines,  qui  joue  un  si  grand  rôle  dans  les 
croyances  religieuses  —  et  là  encore  un  fait  de  thérapeu- 
tique naturelle  se  mêle  à  une  idée  d'intervention  surnatu- 

1.  Pline,  Hist.  Nat.,  XXIX,  32  (traduction  de  M.  Littré)  ;  cf. 
XXVIII,  43. 

2,  Quid  priscas  artes  inventaque  simplicis  œvi  {var.  anni). 
Si  referam?  non  illa  metus  solatia  falsi 

Tara  longam  traxere  fidem  :  collaribus  ergo 
Sunt  qui  lucifugee  cristas  inducere  melis 
Jussere,  aut  sacris  conserta  monilia  conchis. 
Et  vivum  lapidera,  et  circa  melitensia  nectunt 
Curalia,  et  magicis  adjutas  cantibus  herbas. 
Ac  sic  olïectus,  oculiqae  venena  maligni 
Vicit  tutela  pax  impetrata  deorum. 
Grati)  Falisci  Cynegeticon,  v.  399-407.  —  Cf.  la  note  de  Wernsdorf 
sur  le  vers  402.  {Poetae  Latini  Minores,  éd.  Leraaire,  t.  I,  p.  66  et  90.) 


LA  RAGE  DANS  L'ANTIQUITÉ  CLASSIQUE  15 

relie  et  de  vertu  mystérieuse  —  a  du  également  être  repré- 
senté chez  les  anciens  dans  le  traitement  de  tarage.  Nous 
n'en  connaissons  pourtant  qu'un  exemple  dans  l'antiquité. 
Chez  un  peuple  de  l'Arcadie,  les  Cyncethéens  —  et  ce  nom, 
qui  parait  dériver  du  nom  grec  du  chien,  donnait  peut-être 
à  cette  pratique  son  origine  et  sa  signification  —  il  y  avait, 
dit  Pausanias,  une  fontaine  que  l'on  appelait  Alyssos,  litté- 
ralement (d'antirage.  »  Elle  devait  son  nom  à  ses  propriétés 
curatives.  «  Tout  homme  qui,  mordu  par  un  chien,   est 
possédé  de  la  rage  ou  se  trouve  attaqué  soit  par  un  ulcère, 
soit  par  quelque  autre  mal,  se  guérit  en  buvant  l'eau  de 
cette  fontaine  ^  »  La  terre  de  Lemnos,  dissoute  dans  du  vin 
avec  du  genièvre,  est  un  remède  que  recommande  Galien'^; 
sans  doute  parce  que  la  terre  de  Lemnos  était  sacrée.  De 
même  notre  Grégoire  de  Tours  raconte  que  de  la  terre  de 
Jérusalem  on  faisait  de  petites  pâtes  qu'on  envoyait  dans  les 
diverses  parties  du  monde,  et  qui  guérissaient  très  souvent 
les  malades  ^  Artémis  (Diane),  la  déesse  de  la  chasse,  devait 
tout  naturellement  être  invoquée  dans  les  cas  de  rage.  Nous 
n'avons  pourtant  qu'un  exemple  du  fait  :   à  Rocca,   dans 
l'île  de  Crète,  elle  avait  un  temple  où  l'on  menait  les  chiens 
enragés  ;  un  auteur  assure  môme  que  les  chiens  qui  ne 
pouvaient  se  guérir  s^y  jetaient  d'eux-mêmes  dans  la  mer, 
du  haut  d'un  promontoire  \ 


1.  Pausanias,  Description  de  la  Grèce,  VIII,  19,  3. 

2.  Galien,  op.  cit.,  t.  XII,  p.   174. 

3.  Greg.  Tur.,  De  gloria  martyrum,  I,  7.  Des  pratiques  analogues  se 
rencontraient  encore  dans  les  derniers  siècles.  Ainsi  de  plusieurs  pa- 
roisses suisses,  notamment  de  Morlon  (canton  de  Fribourg),  on  venait 
tous  les  deux  ans  à  Aoste  (en  Piémont)  chercher  de  la  terre  bénite  le 
jour  où  l'on  célébrait  la  fête  de  la  translation  de  saint  Grat.  Une  des 
spéciaUtés  de  ce  saint  est  de  protéger  les  biens  de  la  terre  des  insectes 
nuisibles,  et  la  terre  qu'on  venait  chercher  près  de  son  tombeau  portait 
avec  elle  cette  vertu.  Abbé  Bethaz,  Vie  de  saint  Gtrat  (Aoste,  18Si), 
p.  192. 

4.  Élien,  A?zimfmx,    XII,  22. 


CHAPITRE  PREMIER 


§0.  —  l'ane  est-il  enragé  ? 

Pendant  que  nous  sommes  dans  l'antiquité,  citons  un 
amusant  tableau  de  mœurs  que  nous  fournissent  les  Méta- 
morphoses  d'Apulée.  Le  héros  de  l'histoire  a  eu  la  male- 
chance  d'être  changé  en  âne,  tout  en  gardant  son  moi  hu- 
main, et  c'est  lui-même  qui  raconte  ses  mésaventures.  Il 
vient  de  faire  une  sottise  ;  il  s'est  jeté  comme  furieux  dans 
la  maison,  brisant  et  renversant  tout  sur  son  passage. 

Un  petit  domestique,  le  visage  bouleversé  et  plein  d'effroi,  entre, 
brusquement  et  hors  de  lui  dans  la  salle  du  festin  pendant  que 
les  convives  chuchotaient  familièrement  ensemble;  et  il  annonce 
à  son  maître  que  de  la  rue  voisine  un  chien  enragé  vient  d'entrer 
par  la  porte  de  derrière  avec  une  rapidité  sans  égale;  que  dans 
son  ardente  fureur  il  s'est  jeté  sur  les  chiens  de  chasse,  qu'il  a  1 
gagné  ensuite  l'écurie  prochaine,  et  que  là  il  s'est  élancé  sur  la 
plupart  des  bêtes  de  somme  avec  un  pareil  acharnement;  qu'il  a 
fini  par  ne  pas  même  épargner  les  hommes  :  Myrtile  le  muletier, 
Héphestion  le  cusinier,  Hypatavius  le  valet  de  chambre,  Apollonius 
le  médecin,  et  encore  plusieurs  autres  des  gens  ont  essayé  de  le 
mettre  en  fuite;  il  les  a  déchirés  tous  de  différentes  manières, 
mais  ce  qui  est  positif,  c'est  que  les  morsures  empoisonnées  qu'il 
a  faites  aux  bêtes  ont  communiqué  à  quelques-unes  d'entre  elles 
le  transport  de  la  même  rage. 

Cette  nouvelle  frappe  aussitôt  tous  les  esprits.  Persuadés  que 
c'était  également  la  contagion  de  ce  mal  qui  m'avait  rendu  furieux, 
ils  saisirent  les  premières  armes  venues,  et  s'exhortant  les  uns 
les  autres  à  prévenir  un  trépas  commun,  ils  se  mettent  à  ma 
poursuite,  bien  plutôt  enragés  que  moi.  Sans  aucun  doute  avec  les 
dards,  avec  les  épieux,  surtout  avec  les  haches  que  les  domestiques 
fournissaient  facilement,  ils  m'auraient  mis  en  menus  morceaux, 
si  à  la  vue  d'un  orage  aussi  terrible  et  aussi  périlleux  je  ne  me 
fusse  promptement  jeté  dans  la  chambre  où  avaient  été  logés  mes 
maîtres.  Au  même  instant  on  ferme,  on  barricade  les  portes  sur 
moi,  on  fait  le  blocus  de  la  place;  et  l'on  se  dispose  à  attendre 
que,  sans  nul  danger  pour  les  assiégeants,  les  ravages  mortels  de 


LA  RAGE  DAiNS  L'ANTIQUITÉ  CLASSIQUE  17 

cette  rage  opiniâtre  aient  épuisé  mes  forces  et  causé  ma  mort. 
Mais  de  cette  manière  je  possédais  enfin  ma  liberté;  et  profitant 
de  l'heureux  avantage  d'être  seul,  je  me  jetai  sur  un  lit  tout  fait 
où  je  me  reposai  comme  dorment  les  humains,  douceur  dont 
j'étais  privé  depuis  si  longtemps. 

Il  était  déjà  grand  jour  lorsque,  délassé  de  mes  fatigues  par  la 
mollesse  de  ma  couche,  je  me  relevai  plein  de  vigueur.  On  avait 
passé  la  nuit  en  faction  pour  me  garder,  et  je  les  entendis  qui 
discutaient  ainsi  sur  mon  compte  :  «  Pouvons-nous  croire  que  ce  mi- 
sérable baudet  soit  encore  en  proie  aux  transports  de  la  rage?  Le 
venin,  parvenu  à  sa  plus  grande  intensité,  ne  se  sera-t-il  pas  plutôt 
tout  à  fait  amorti  ?  »  Les  opinions  étant  partagées,  on  conclut  à  l'ex- 
plication du  fait;  et  regardant  au  travers  d'une  fente,  ils  voient  que 
je  suis  tranquillement  en  place  sans  donner  le  moindre  signe  de  ma- 
ladie ou  d'extravagance.  Ils  s'empressent  bientôt  d'ouvrir  la  porte, 
et  veulent  s'assurer  plus  complètement  que  je  suis  enfin  adouci. 

Mais  un  d'eux,  vrai  sauveur  que  m'envoyait  le  ciel,  indique  aux 
autres  le  moyen  suivant  pour  reconnaître  si  je  me  porte  bien  : 
((  Présentons  lui  à  boire  un  seau  d'eau  fraîche;  s'il  ne  frissonne 
pas,  s'il  le  prend  comme  à  l'ordinaire,  et  si  cette  eau  lui  fait  plaisir, 
vous  saurez,  dit-il,  qu'il  est  sain  et  délivré  de  tout  mal  ;  si  au 
contraire,  la  vue,  le  contact  du  liquide  lui  inspirent  de  la  répu- 
gnance et  de  l'effroi,  regardez  comme  certain  qu'une  rage  redou- 
table le  possède  encore  opiniâtrement.  C'est  une  expérience  indiquée 
par  les  anciens  auteurs  et  une  observation  habituelle.  »  Son  avis 
ay^nt  été  goûté,  on  va  quérir  aussitôt  un  grand  vase,  que  l'on 
remplit  d'une  eau  bien  claire  à  la  fontaine  la  plus  voisine  ;  et  non  sans 
trembler  encore,  ils  me  la  présentent.  Mais  moi,  loin  d'hésiter 
un  instant,  je  m'avance,  je  cours  même  au  devant  d'eux,  car 
j'avais  une  soif  ardente  ;  et  plongeant  la  tête  tout  entière,  j'avale 
à  longs  traits  cette  eau  bienfaisante  sans  laquelle  j'allais  vraiment 
périr.  Bientôt  on  me  frappa  doucement  avec  la  main,  on  me  secoua 
les  oreilles,  on  me  prit  par  mon  licou,  on  m'éprouva  de  toutes  les 
façons;  et  je  me  montrai  si  patient  que,  revenus  de  leur  absurde 
présomption,  tous  me  reconnaissent  clairement  pour  un  person- 
nage des  plus  pacifiques  * . 

1.  Apulée,  Métamorphoses,  livre  IX.  —  Nous  citons  Apulée  dans  la 
traduction  de  M.  V.  Bétolaud. 

LA   RAGE.  2 


18  CHAPITRE  PREMIER 


§    6.    —   LA    MER    ET    LA 


RAGE 


Bien  que  nous  nous  abstenions  de  donner  ici  les  remèdes 
de  l'antiquité  qui  présentent  un  substratum  discutable  mais 
d'ordre  rationel,  nous  ferons  exception  pour  deux  d'entre 
eux.  Le  premier  se  rencontre  dans  une  anecdote  où  l'on 
voit  différents  traitements  en  présence.  Sur  la  côte  de  Crète, 
à  Methymna,  des  enfants  viennent  d'être  mordus  par  un 
chien.  Que  faire?  Parmi  les  spectateurs,  les  avis  sont  par- 
tagés. Les  uns  veulent  faire  manger  aux  enfants  le  foie  du 
chien  qui  les  a  mordus  ;  les  autres  veulent  les  mener  à  la 
déesse  Artémis  de  Rocca.  Mais  un  vieux  pêcheur  qui  reve- 
nait de  la  pêche  est  d'un  autre  avis  ;  il  vante  la  vertu  du 
poisson  qu'on  nomme  hippocampe  (c'est  le  syngnathus  hip- 
pocampus des  naturalistes).  On  l'écoute,  on  le  croit.  Il  prend 
dans  sa  barque  un  hippocampe,  lui  ouvre  le  ventre,  en 
arrache  les  entrailles.  Une  partie  de  ces  entrailles,  il  la 
donne  à  manger  aux  enfants  ;  de  l'autre,  avec  du  vinaigre 
et  du  miel,  il  fait  un  cataplasme  qu'il  pose  sur  les  plaies.  Et 
les  enfants  guérirent^  ditElien'. 

Un  autre  traitement  s'est  conservé  de  l'antiquité  jusqu'aux 
temps  modernes  comme  croyance  et  comme  pratique,  c'est  le 
traitement  par  les  bains,  soit  dans  une  piscine,  soit  de  préfé- 
rence dans  la  mer.  «  La  mer,  dit  Iphigénie  dans  Euripide, 
lave  tous  les  maux  des  hommes^  ».  Suivantquelques-uns,  dit 
le  médecin  latin  Gelse,il  faut  mettre  le  mordu  dans  un  bain 
et  le  faire  suer;  et  laver  la  plaie  à  découvert,  afin  de  faciliter 
la  sortie  du  virus  ;  si  le  patient  a  la  frayeur  de  l'eau,  on  le 
jettera  à  l'improviste  dans  une  piscine  qu'il  n'aura  pas  vue  "\ 

1.  Élien,  Animaux,  XIV,  20. 

2.  Euripide,  Iphigénie  en  Tauride,  1193. 

3.  Celse,  Be  meclic,  V,  27.  Cette  ruse  se  trouve  encore  dans  un  petit 
livre  du  colportage  qui  a  conservé  jusqu'à  notre  époque  la  tradition 
médicale  de  l'antiquité.  La  médecine  et  la  chirurgie  despauvres,  12*  éd., 
Avignon,  1868,  p.  285. 


LA  RAGE  DANS  LXNTIQUITÉ  CLASSIQUE  19 

C'était  une  croyance  autrefois  répandue  en  France, 

et  peut-être  la  retrouverait-on  encore  chez  les  riverains  de 
la  mer  —  qu'on  guérissait  une  personne  mordue  en  la  plon- 
geant dans  la  mer.  Un  ouvrage  français  du  xiv"  siècle  sur 
la  chasse  fait  mention  du  remède,  sans  y  croire  beaucoup. 
«  Aucuns  en  vont  à  la  mer,  qui  est  un  bien  petit  re- 
mède' ».  «Les  autres  asseuroyent,  dit  Guillaume  Bouchet 
dans  ses  Serées  (1583),  que  l'eau  de  la  mer  guerissoit 
les  enragez,  si  on  les  jette  dedans;  et  de  faict  on  les  mené 
maintenant  à  la  mer,  comme  le  plus  asseuré  remède.  » 
Le  nombre  de  plongeons  était  marqué  :  c'était  le  nombre 
sacramentel  trois  ;  tejma  in  mare  immersio ,  est-il  dit  au 
commencement  du  xvm^  siècle,  chez  Morgagni -.  Andry 
mentionne  parmi  les  remèdes  moyens^  «  les  bains  de  mer, 
d'eau  salée,  les  bains  froids  et  l'immersion  dans  ces  diffé- 
rents bains  »  ;  il  donne  plusieurs  exemples  de  ce  traite- 
ment, les  uns  malheureux,  les  autres  suivis  de  succès  \ 

Cette  croyance  était,  du  reste,  générale,  et  le  remède 
recommandé  sans  conteste,  à  la  cour  comme  à  la  ville. 
Mme  de  Sévigné  écrivait  à  sa  fille,  Mme  de  Grignan,  en 
1671  :  «  Au  reste,  si  vous  croyez  les  filles  de  la  Reine 
enragées  [il  s'agit  de  ses  dames  d'honneur],  vous  croi- 
rez bien.  Il  y  a  huit  jours  que  Mme  de  Ludres,  Goëtlogon 
et  la  petite  de  Rouvroy  furent  mordues  d'une  petite  chienne, 
qui  était  à  Théobon.  Cette  petite  chienne  est  morte  enragée  ; 
de  sorte  que  Ludres,  Goëtlogon  et  Rouvroy  sont  parties  ce 
matin  pour  aller  à  Dieppe,  et  se  faire  jeter  trois  fois  dans  la 
mer.  Ce  voyage  est  triste  ;  Benserade  enétoit  au  désespoir. 
Théobon  n'a  pas  voulu  y  aller,  quoiqu'elle  ait  été  mordillée. 
La  Reine  ne  veut  pas  qu'elle  la  serve,  qu'on  ne  sache  ce  qui 
arrivera  de  toute  cette  aventure.  Ne  trouvez-vous  point,  ma 
bonne,  que  Ludres  ressemble  à  Andromède  ?  Pour  moi,  je 

1.  Le  livre  du  roy  Modus  et  de  la  royne  Racio,  éd.  Elzéar  Blaze  (Paris, 
1839),  feuillet  XLV,  recto. 

2.  Morgagni,  op.  cit.,i.  I,  p.  420. 

3.  Andry,  op.  cit.,  p,  63. 


20  CHAPITRE  PREMIER 

la  vois  attachée  au  rocher,  et  Tréville  [le  comte  de  Tré- 
ville,  célèbre  par  son  esprit  et  sa  galanterie]  sur  un 
cheval  ailé  qui  tue  le  monstre...'  »  Et  Mme  de  Sévigné 
termine  par  une  comparaison  gaillarde  qui  ne  touche  pas 
à  notre  sujet. 

La  comédie  s'est  même  emparée  de  ces  pratiques,  une 
fois  au  moins  : 

Une  petite  pièce  jouée  à  Paris  sur  le  Théàt  re  de  la  Foire,  en  1725, 
roule  précisément  sur  ce  sujet.  La  scène  se  passe  à  Dieppe,  où 
Angélique,  qui  aime  Glitandre,  s'est  fait  conduire  par  son  père, 
sous  prétexte  de  morsure  de  chien  enragé.  Le  médecin,  qui  est 
dans  la  confidence,  déclare  au  père  qu'il  est  absolument  néces- 
saire de  joindre  à  l'efficacité  des  bains  de  mer  celle  du  mariage, 
et,  après  diverses  péripéties  causées  par  la  terreur  qu'inspire 
à  Pierrot  et  à  Arlequin  la  redoutable  maladie  qui  est  en  jeu,  le 
mariage  se  conclut.  On  peut  croire  qu'il  y  avait  dès  lors  une  cer- 
taine affluence  aux  bains  de  Dieppe,  car  le  médecin  des  bains  est 
ainsi  célébré  : 

A  ses  secrets  admirables 
On  accourt  de  tous  côtés. 


Enfin  ce  docteur  guérit 
Rage  de  corps  et  d'esprit-. 


On  appliquait  le  même  traitement  aux  chiens,  car,  au 
xvi'  siècle,  Jacques  du  Fouilloux,  dans  sa  Vénerie,  recom- 
mande un  bain  d'eau  salée  pour  les  chiens  mordus,  afin  de 
les  ((  empêcher  d'enrager.  »  On  les  y  plongeait  neuf  fois, 
c'est-à-dire  trois  fois  trois. 


§  7.   LA  CAUTÉRISATION 

La  cautérisation   au  fer  rouge  ne  figure  point  dans  la 

l.Sévigné,  Lettres,  éd.  Monmerqué,  t.  II,  p.  t05. 
2,  Origine  des  bains  de  mer  (Dieppe),  article  du  Magasin  Pittoresque, 
t.  XXV  (1857),  p.  214-215.  L'auteur  de  cet  article  cite  aussi  (d'après 


LA  RAGE  DANS  L'ANTIQUITÉ  CLASSIQUE  21 

médication  de  la  rage  chez  les  anciens.  Celse  mentionne 
seulement  la  cautérisation  en  passant,  mais  il  n'indique  pas 
le  genre  de  cautère  :  «  C'est  principalement,  dit-il,  quand 
la  morsure  provient  d'un  chien  enragé  qu'ilfaat,à  l'aide  de 
ventouses,  en  extraire  le  virus  ;  après  cette  opération  il 
faut  brûler  la  plaie  \  »  Ce  silence  a  lieu  de  nous  étonner, 
car  le  fer  rougi  au  feu  est  le  cautère  «  actuel,  »  comme 
disent  les  médecins,  le  plus  anciennement  connu.  «  Dans 
une  première  période  qui  commence  avec  Hippocrate,  que 
l'on  pourrait,  au  reste,  faire  remonter  plus  haut,  le  feu 
sous  ses  différentes  formes  régna  sans  contrôle  ;  le  fer  rouge 
était  le  remède  suprême  :  lorsqu'il  échouait,  le  malade  était 
déclaré  incurable...  Les  successeurs  d'Hippocrate  suivirent 
sa  pratique-...  »  Le  premier  qui  appliqua  le  fer  rougi  au 
feu  à  la  morsure  faite  par  le  chien  ou  le  loup  enragé,  fut 
un  bienfaiteur  de  l'humanité,  un  Pasteur  préhistorique  ; 
mais  qui  sait  son  nom,  et  même  son  époque  ?  Il  est  con- 
fondu avec  tous  les  grands  inventeurs  des  âges  obscurs  de 
l'humanité,  dont  les  découvertes  successives  ont  créé  peu  à 
peu  la  civilisation,  troupe  de  pâles  ombres  dissimulées  dans 
la  nuit  et  dont  nous  ne  pouvons  même  pas  évoquer  les  sou- 
venirs !  «  Il  y  a  eu  bien  des  hommes  vaillants  avant  Agamem- 
non,  a  dit  le  poète  latin  :  mais  tous  sont  accablés  sous  une 
longue  nuit,  sans  qu'on  les  pleure,  sans  qu'on  les  connaisse, 
car  il  leur  a  manqué  la  parole  inspirée  d'un  poète  !  »  La 
cautérisation  par  le  fer  rouge  ne  paraît  que  très  tard  dans 
des  pratiques  consacrées  par   la  religion  chrétienne  ;  elle 
leur  est  sans  doute  antérieure  ;  mais,  faute  de  documents, 
on  ne  peut  rien  affirmer. 

Van  Helmonl)  l'histoire  d'un  homme  attaché  par  des  cordes  aux  vergues 
d'un  navire,  et  que  de  temps  en  temps,  on  descendait  pour  lui  faire 
faire  un  plongeon.  Il  avait  été  mordu  par  un  chien  enragé. 

1.  Celse,  lac.  cit. 

2.  Dictionnaire  de  médecine  du  Dr  Dechambre,  t.  XIII  p.  405.  (Art. 
Cautère.) 


CHAPITRE  DEUXIEME 

SAINT    HUBERT    ET    SA    LÉGENDE 


§  1.   La  Légende.  —  §   2.  L'histoire.  —  ^3.    Le  mythe.   —  §  4.  Le 

miracle  du  cerf. 


CHAPITRE   DEUXIEME 


SATNT    HUBERT    ET    SA    LÉGENDE 


Parmi  les  saints  sous  rinvocation  desquels  on  traite  la 
rage ,  paraît  au  premier  rang  saint  Hubert  «  le  grand 
thaumaturge  de  l'Ardenne,  »  comme  on  l'a  souvent  appelé, 
((  le  patron  des  chasseurs  »  comme  on  l'appellera  longtemps 
encore. 

§  1 .  LA  LÉGENDE 

La  vie  de  saint  Hubert  est  différente  suivant  qu'on  la 
raconte  d'après  la  légende ,  ou  d'après  les  documents 
anciens.  Nous  allons  la  raconter  d'abord  d'après  la  légende, 
car  ici,  c'est  la  légende  qui  est  vraiment  la  réalité.  C'est  en 
effet  la  légende  qui  a  vécu,  qui  a  traversé  les  âges,  qui  a 
exercé  et  qui  exerce  encore  un  empire  accepté  par  les 
âmes  :  le  saint  Hubert  prosaïque  de  l'histoire  lui  a  prêté 
un  nom  et  un  corps,  mais  il  n'a  guère  fait  davantage. 

Nous  prendrons  la  légende  dans  les  petits  livres  pieux  qui 
ont fixéles traits  du  saint, popularisé  son  culte  etsa  spécialité 
antirabique.  De  petits  livres  de  ce  genre  s'impriment  encore 
pour  le  colportage,  par  exemple  à  Epinal  ;  mais  remontons 
plus  haut  et  prenons  l'Abrégé  de  la  ine  et  miracles  de  saint 
Hubert  ^«^ro?i  des  Ar demies,  -par  un  religieux  de  V Ahaye 
dudit  Saint-Hubert.  A  Luxembourg ,  chez  G.-B.  Ferry,  im- 
primeur et  marchand-libraire  ^  1734,  avec  permission  des 
S>upérieurs.  35  p.  in-18  (avec  quelques  pages  non  numé- 


26  CHAPITRE  DEUXIÈME 

rotées).  Une  gravure  représente  la  scène  traditionnelle  : 
saint  Hubert,  descendu  de  cheval  et  agenouillé  devant  le 
cerf  miraculeux  qui  porte  un  crucifix  entre  ses  bois. 
Au-dessus  onlit  l'inscription  S.  HUBERT.  MAGN'THAV- 
MATVRG.,  cest-k-àire  Sa7ictt(s  Hîfbef'tiis,  Magmis  Thau- 
maturgus. 

Hubert  était  fils  de  Bertrand,  duc  d'Aquitaine  ;  il  descen- 
dait en  droite  ligne  «  du  célèbre  Pharamond  premier  roy 
des  François,  et  parut  au  monde  Tan  656;  »  il  fut  envoyé 
par  son  père  à  la  cour  du  roi  Thierry  I  ;  mais  à  la  suite  de 
désaccords  avec  le  maire  du  palais  Ebroïn,  il  se  retira  en 
Austrasie  chez  le  duc  Pépin  d'Héristal  son  parent  et  là  il 
épousa  Floribane ,  fille  de  Dag'obert,  comte  de  Louvain. 
Alors  arriva  le  miracle  célèbre,  tant  de  fois  reproduit  par 
l'art  religieux,  vulgarisé  par  l'art  populaire  —  c'est  encore 
un  des  sujets  favoris  de  l'imag'erie  d'Epinal,  de  Metz  et  de 
Wissembourg-,  pour  ne  parler  que  de  la  France  —  si  bien 
qu'il  serait  aujourd'hui  difficile  de  représenter  saint 
Hubert  autrement  que  dans  cette  scène  traditionnelle. 

«  Tandis  que  Pépin  travailloit  à  s'attacher  plus  étroite- 
ment son  cher  Hubert^  Notre  Seig-neur  en  voulant  faire  une 
des  plus  brillantes  lumières  de  son  Ég'lise,  le  retira  des 
embarras  du  siècle  d'une  manière  fort  extraordinaire,  lui 
apparoissant  crucifié  entre  les  bois  d'  un  cerf^  lorqu'il  se 
divertissoit  à  la  chasse  dans  les  forêts  d'Ardenne,  et  lui 
adressant  ces  paroles  :  Hubert,  Hubert,  jusqu'à  quand 
poursuivrez-vous  les  bêtes  des  forêts,  et  vous  amuserez- 
vous  aux  vanitez  du  monde?  A  qui  il  répondit  comme  un 
autre  Apôtre  :  Seig-neur,  que  vous  plaît-il  que  je  fasse? 
—  Allez,  dit  le  Sauveur,  chez  mon  serviteur  Lambert  à 
Mastreich,  il  vous  dira  ce  que  vous  devez  faire...  » 

La  scène,  comme  on  peut  le  penser,  a  été  enjolivée  par  la 
légende,  et  l'apparition  expliquée  par  ce  fait  qu'Hubert, 
sans  souci  des  devoirs  de  la  religion  ,  et  poussé  par  la 
passion  de  la  chasse,  aurait  osé  chasser  un  vendredi  saint, 
à  l'heure  oii  les  fidèles  priaient.  —  D'après  un  autre  récit 


SAl.XT  HL'BKRÏ  ET  SA  Ll'jlEXDE  27 

encore,  toujours  inspiré  parle  besoin  de  ;/?o/?ir;' le  miracle, 
c'était  le  jour  de  Noël.  Un  cerf  d'une  grandeur  extraor- 
dinaire se  leva  dans  la  forêt,  et  Hubert  se  jeta  sur  sa  trace. 
«  Arrivé  à  un  site  qui  est  maintenant  le  lieu  des  guérisons  , 
l'animal  poursuivi  s'arrêta,  les  cbiens  n'osèrent  avancer,  el 
le  Crucifié  dont  Hubert  désertait  le  souvenir  lui  apparut 
rayonnant  entre  les  bois  du  cerf  ^   •■' 

Hubert,  suivant  cet  ordre  du  Sauveur,  se  rend  chez  «  le 
grand  saint  Lambert  )>  :  celui-ci  le  catéchise,  l'engage  «  à  se 
retirer  des  amusements  et  vanitez  du  monde.  »  Juste  à  ce 
moment  son  épouse  Floribane  meurt  en  couches,  en  met- 
tant] au  jourun  fils,  Floribert.  Hubert,  après  avoir  pourvu 
à  l'éducation  de  ce  fils,  se  retire  à  l'abbaye  de  Stavelot 
«  sous  la  discipline  de  saint  Remacle  ;  »  d'après  d'autres 
Vies,  Hubert  <(  se  retira  dans  la  grande  solitude  des  Ar- 
dennes,  et,  pour  être  plus  familier  aux  Anges,  il  abandonna 
la  pratique  des  hommes.  ^■< 

Quoi  qu'il  en  soit,  et  qu'il  ait  été  moine  ou  ermite,  au 
bout  d'un  certain  nombre  d'années,  un  ange  lui  apparut 
et  lui  enjoignit  d'aller  à  Rome.  Pendant  qu'il  faisait  ce 
pèlerinage  ,  l'évêque  saint  Lambert  fut  assassiné.  «  Ce 
que  Dieu  révéla  au  saint  pape  Serge  par  un  ange  qui  lui 
ordonna  de  sacrer  Evêque  son  disciple  nommé  Hubert  pour 
remplir  sa  place,  lequel  il  trouveroit  le  matin  au  pied  du 
tombeau  de  saint  Pierre  ;  et  pour  lui  ôter  tout  sujet  de 
douter  de  la  volonté  de  Dieu,  l'Ange  mit  à  son  chevet  le 
Bâton  pastoral  de  l'Évêque  martyrisé.  Le  papes'éveillant  en 
sursaut,  et  voyant  une  Crosse  d'ivoire  qui  se  garde  encore 
aujourd'hui  au  Monastère  de  Saint-Hubert,  ne  tarda  pas  à 
se  rendre  dans  l'église  de  Saint-Pierre,  où  il  trouva  Hubert 
en  prière...  » 

Hubert,  avec  une  modestie  et  une  humilité  qui  caracté- 


1.  LePèlerhi,  1"  nov  .1879,  p.  702.  On  montre,  à  Saint-Hubert  d'Ar 
denne,  dans  une  ferme  dite  de  la  Converserie,  le  lieu  de  Tapparition 
miraculeuse  du  cerf. 


28  CHAPITRE  DEUXIÈME 

risent  les  saints,  refuse  énergiquement  cet  honneur,  mais 
il  est  forcé  de  céder.  En  ce  temps-là,  en  effet,  on  ne  devenait 
évêque  que  malgré  soi,  et  parce  que  Dieu  le  voulait,  et 
qu'il  montrait  sa  volonté  par  des  miracles.  C'est  ainsi  qu'on 
va  voir  apporter  du  ciel  l'étole  miraculeuse  qui  depuis  de 
longs  siècles  guérit  de  la  rage  ceux  qui  ont  foi  en  saint 
Hubert. 

Ce  fut  ici  que  son  liumilité  plaida  sa  cause  d'une  manière 
capable  d'attirer  les  Anges  du  Ciel,  puisque  pendant  son  discours 
ils  parurent  en  l'air  au  milieu  de  l'église,  avec  les  habits  pontifi- 
caux de  saint  Lambert  pour  convaincre  l'assemblée  de  l'ordre  du 
Ciel  et  en  persuader  saint  Hubert,  lequel  ne  pouvant  plus  s'opposer 
à  des  marques  si  visibles,  se  soumit  en  tremblant  à  cette  élection 
si  miraculeuse,  et  le  saint  Pape  se  mit  en  devoir  de  lui  conférer 
les  Ordres  sacrez  avec  les  cérémonies  accoutumées,  pendant  les- 
quelles un  Ange  aporta  du  Ciel  une  très  belle  Etole,  disant  au 
saint  Evêque  :  Hubert,  la  Vierge  vous  envoie  cette  Étole,  elle 
vous  sera  un  signe  que  vôtre  prière  a  été  exaucée,  et  un  signe 
perpétuel  de  ce  qu'elle  ne  défaudra  jamais;  vous  aurez  une  par- 
faite science  de  tout  ce  qui  regarde  la  fonction  de  vôtre  Ministère. 
Cela  dit,  l'Ange  disparut.  Le  Prince  des  Apôtres  saint  Pierre, 
voulut  aussi  donner  une  marque  singulière  de  la  part  des  autres 
Citoyens  célestes  que  tous  les  Bien-heureux  se  réjouissoient  de 
l'élévation  du  nouvel  Évêque,  comme  d'une  brillante  lumière  sur 
le  chandelier,  lui  apportant  une  Clef  d'or  pendant  qu'il  célébroit 
la  Messe  de  son  Sacre,  l'assurant  que  Dieu  le  favoriseroit  d'un  pou- 
voir spécial  contre  les  esprits  malins  et  les  effets  de  leur  haine 
irréconciliable  contre  les  hommes  et  les  autres  créatures.  Voilà 
l'origine  des  merveilles  que  cet  admirable  Taumaturge  a  con- 
tinué d'opérer  jusqu'à  présent,  non  seulement  en  préservant,  mais 
aussi  en  guérissant  du  mal  de  rage,  tant  les  hommes  que  toute 
sorte  d'animaux. 

Voilà  les  trois  miracles  qui  forment  le  fond  de  la  lé- 
gende de  saint  Hubert  :  l'apparition  du  cerf  au  crucifix,  — 
l'étole  apportée  par  un  ange  de  la  part  de  la  Vierge  —  la 
clef  d'or  donnée  par  saint  Pierre  lui-même.  Des  autres  mi- 


SAINT  HUBERT  ET  SA  LÉGENDE  29 

racles  attribués  à  saint  Hubert  pour  édifier  les  fidèles  et 
pour  montrer  la  puissance  du  saint,  il  est  inutile  de  parler 
ici,  car  ils  n'ont  rien  de  caractéristique.  Au  surplus,  les 
miracles  d'un  saint  lui  sont  rarement  particuliers  :  les 
mêmes  miracles  sont  attribués  d'ordinaire  à  une  multitude 
de  saints.  Le  nombre  des  miracles  est  assez  limité,  quoi- 
qu'ils proviennent  de  diverses  sources,  et  le  jour  où  un 
érudit  patient  compilera  un  dictionnaire  du  merveilleux 
hagiographique,  on  verra  que  si  les  articles  de  ce  diction- 
naire sont  souvent  longs,  par  contre  ils  seront  peu  nom- 
breux. De  ces  miracles,  les  uns  sont  une  imitation  des 
miracles  de  Jésus-Christ,  de  Moïse  et  des  autres  person- 
nages de  la  Bible  ;  d'autres  sont  sortis  de  l'air  ambiant  des 
premiers  siècles  du  christianisme  et  d'un  état  mental  qui 
attribuait  des  causes  surnaturelles  à  tous  les  événements  ; 
quelques  autres  enfin  sont  antérieurs  au  christianisme  :  ce 
sont  des  miracles  attribués  aux  dieux  du  paganisme  et  qui 
naturellement  ont  été  transportés  aux  saints,  quand  ceux- 
ci  ont  pris  la  place  de  ceux-là  dans  le  culte  populaire,  dans 
les  dévotions  des  simples  et  des  ignorants.  Les  légendes 
qui  étaient  dans  l'air  se  sont  cristallisées  autour  de  nou- 
veaux noms. 

Nous  laissons  donc  les  miracles  de  saint  Hubert  qui  ne 
sont  pas  caractéristiques  de  sa  légende  comme  patron  des 
chasseurs  et  guérisseur  de  la  rage,  et  nous  achevons  son 
histoire  sous  la  conduite  du  religieux  de  son  abbaye. 

Hubert  revient  de  Rome  et  rentre  dans  son  diocèse  sans 
encombre  malgré  les  embûches  des  meurtriers  de  son  pré- 
décesseur. Il  transporte  de  Maestricht  à  Liège  le  corps  de 
saint  Lambert  :  il  y  transporte  en  même  temps  le  siège 
épiscopal  et  devient  premier  évêque  de  Liège.  Il  mourut  au 
retour  d'un  voyage  en  727,  à  l'âge  de  soixante  et  onze  ans. 
Enseveli  à  Liège,  son  corps  fut  transporté  en  825  à  l'abbaye 
d'Andage  ou  Andain,  aujourd'hui  Saint-Hubert  d'Ardenne. 


30  CHAPITRE  DEUXIEME 


§2.  —  l'histoire 


Vires  acquirit  eimdo!  Ce  que  Yirgile  a  dit  de  la  Renom- 
mée s'applique  aussi  bien  à  la  Légende  qui  n'en  est  qu'une 
des  formes,  surtout  à  la  légende  hagiographique.  Lorsque 
sur  la  vie  et  l'œuvre  d'un  saint  on  n'a  qu'un  document 
unique  où  tout  est  mis  sur  le  même  plan,  il  est  difficile  de 
suivre  révolution  de  la  croyance  populaire.  Mais  lorsqu'on 
a  des  documents  d'âges  différents,  on  peut  voir  comment 
par  des  additions  successives,  par  l'imagination  féconde  de 
la  crédulité  populaire,  et  surtout  par  la  cristallisation  des 
épisodes  merveilleux  qui  voltigent  dans  l'air,  une  légende 
se  forme,  luxuriante,  grandiose,  puissante^  autour  d'un 
noyau  petit  et  sans  caractère  distinctif  :  l'arbuste  original 
disparaît  dans  l'arbre  dont  il  a  reçu  la  greffe.  C'est  le  cas 
de  la  légende  de  saint  Hubert,  surtout  depuis  qu'on  a  dé- 
couvert une  vie  du  saint,  paraissant  émaner  d'un  contem- 
porain et  conservée  dans  un  manuscrit  du  ix''  siècle  \  Un 
écrivain  belge,  M.  Joseph  Demarteau,  en  a  pris  occasion 
pour  soumettre  la  légende  de  saint  Hubert  à  la  discussion 
de  la  critique  historique,  et  si  bon  catholique  qu'il  soit  — 
la  façon  dont  il  parle  des  miracles  de  la  taille  et  du  répit, 
et  des  mérites  du  pontife  fondateur  et  patron  de  Liège,  le 
montre  suffisamment  —  l'histoire  authentique  de  saint 
Hubert  se  réduit  à  peu  de  chose  après  Texamen  qu'il  a  fait 
des  textes'.  Nous  allons  en  résumer  le  résultat  et  essayer 
ensuite  de  remonter  plus  haut  que  ne  l'a  fait  l'érudit  belge. 


d .  Elle  a  été  publiée  en  Allemagne  par  M.  W.  Arndt,  Kleine  Denkmœ- 
leraus  der  Meroivinger  Zeit,  Hannover,  1874,  p.  48  et  suiv.,  et  en  Bel- 
gique par  le  R.  P.  Ch.  de  Smedt  dans  les  Bulletins  de  la  Commission 
royale  d'histoire,  4^  série,  n"  3,  Bruxelles,  1878. 

2.  Joseph  Demarteau,  Saint  Hubert,  sa  légende,  son  histoire,  Liège, 
1877.  —  Du  même,  Saint  Hubert  d'après  son  plus  ancien  biographe, 
Liège,  1882  ;  deux  brochures  in-8. 


SAINT  HUBERT  ET  SA  LÉGENDE  31 

«  Cette  œuvre,  dit  M.  Demarteau  —  il  s'agit  de  la  vie  du 
ix''  siècle,  que  M.  Demarteau  considère  comme  émanant 
d"un  contemporain  de  saint  Hubert,  —  ne  nous  apprend 
absolument  rien  de  la  patrie,  des  ancêtres,  de  la  naissance, 
de  la  jeunesse  du  saint;  nous  y  voyons  seulement  qu'il 
fut  le  disciple  de  son  prédécesseur  saint  Lambert.  Elle  dé- 
bute par  nous  raconter  l'avènement  d'Hubert  au  pontificat, 
puis  par  un  éloge  général  de  ses  vertus,  de  sa  charité  ;  elle 
nous  peint  les  regrets  qu'il  éprouvait  de  n'avoir  pu  parta- 
ger le  glorieux  trépas  de  son  prédécesseur,  puis  les  préli- 
minaires de  Y  élévation  des  reliques  de  celui-ci,  le  zèle 
apostolique  de  l'évêque,  les  conversions  qu'il  opèreoo,  » 
Ensuite,  après  le  récit  de  divers  miracles,  viennent  le3 
événements  de  sa  maladie,  de  sa  mort,  de  ses  funérailles, 
et,  seize  ans  après  sa  mort,  la  translation  de  ses  reliques. 
Or  les  miracles  dont  il  est  question  ici  ne  sont  aucunement 
les  trois  miracles  caractéristiques  que  nous  avons  rap- 
portés :  ce  sont  des  miracles  d'ordre  banal,  comme  on  en 
rencontre  si  souvent  dans  les  vies  des  saints  :  une  femme 
qui  a  les  mains  paralysées  pour  avoir  travaillé  le  dimanche 
est  guérie  par  saint  Hubert  ;  le  saint  fait  pleuvoir  par  un 
temps  de  sécheresse  ;  il  chasse  le  démon  du  corps  d'une 
possédée  ;  il  arrête  un  incendie  par  le  signe  de  la  croix,  etc. 
La  plupart  de  ces  miracles  sont  ce  qu'on  peut  appeler  des 
miracles  «  de  style  »,  car  on  en  raconte  autant  de  la  plu- 
part des  saints.  Et  quand  le  populaire  ne  réunissait  pas 
autour  d'un  nom  vénéré  tous  les  miracles  qu'il  connaissait 
ou  qui  se  présentaient  à  son  esprit,  l'hagiographe  qui  vou- 
lait faire  honneur  au  saint  dont  il  écrivait  l'histoire,  ne 
manquait  pas  de  dépouiller  à  l'occasion  les  autres  saints 
de  leur  merveilleux  :  la  «  fin  »  de  l'édification  justifiait  les 
moyens. 

Aussi  l'étonnement  de  M.  Demarteau  nous  étonne-t-il  un 
peu,  quand  il  constate  le  plagiat  commis  par  cet  auteur 
anonyme.  «  Qu'onjuge  du  désappointement  qui  nous  saisit, 
quand,  rapprochant  un  jour  son  texte  de  celui  d'une  rédac- 


32  CHAPITRE  DEUXIÈME 

lion  antérieure  de  la  vie  de  saint  Arnould,  évêque  de  Metz, 
je  dus  reconnaître  qu'en  de  nombreux  passages,  le  bio- 
graphe du  pontife  liégeois  avait  littéralement  copié  celui 
du  prélat  messin,  »  Et  il  ne  s'agit  pas  seulement  d'imitation 
de  style,  d'adaptation  de  phrases.  «  Nous  allons  entendre 
attribuer  à  saint  Hubert  les  mêmes  miracles  antérieurement 
rapportés  de  saint  Arnould.  )>  Pour  montrer  que  le  second 
narrateur  s'est  rendu  coupable  d'un  «  plagiat  frauduleux  », 
M.  Demarteau  met  en  colonnes  parallèles  les  chapitres 
semblables  des  deux  Vies.  Il  nous  explique  bien  que  «  ce 
procédé  de  calque  »  montre  surtout  le  manque  d'habitude 
d'écrire  et  l'inexpérience  chez  les  biographes  des  saints,  et 
que  du  reste  ceux-ci  «  ne  se  proposaient,  en  retraçant 
d'une  plume  inhabile  l'histoire  de  leurs  héros,  qu'un  but 
d'édification  religieuse  »  ;  le  résultat  de  la  découverte  de 
cette  vie  du  ix^  siècle  n'en  est  pas  moins  ceci  :  l'histoire 
authentique  de  saint  Hubert  se  réduit  à  ces  simples  faits 
qu'il  a  été  disciple  de  saint  Lambert,  qu'il  lui  a  succédé 
comme  évêque,  qu'il  a  transporté  le  siège  épiscopal  de 
Maestricht  à  Liège  et  qu^il  est  mort  de  maladie.  Le  reste  est 
fioriture  et  produit  de  la  légende. 

La  légende  des  saints  sort  de  deux  sources,  l'imagination 
du  peuple  et  l'amplification  des  biographes.  Nous  allons 
voir,  par  l'exemple  de  saint  Hubert,  comment  d'un  mo- 
deste embryon  naît  une  création  grandiose.  Au  ix=  siècle, 
on  ne  parle  ni  de  son  origine  ni  de  sa  famille.  Au  xn^  siècle, 
les  biographes  racontent  le  petit  roman  que  nous  avons  ré- 
sumé. Il  faut  remarquer  que  pour  les  saints  des  époques 
sans  histoire  et  dont  la  vie  n'est  transmise  que  par  la  lé- 
gende, les  saints  ont  généralement  une  origine  ou  très 
illustre,  ou  très  humble,  pour  ne  pas  dire  coupable  (et  cou-H 
pable  souvent  jusqu'à  l'inceste).  Il  faut  à  l'imagination  po- 
pulaire quelque  chose  qui  la  frappe,  l'éblouisse  et  mette  le 
saint  en  lumière^  dès  sa  naissance,  par  un  excès  d'honneur 
ou  par  un  excès  d'indignité.  Voilà  donc  saint  Hubert  ano- 
bli; on  en  fait  le  fils  d'un  duc  d'x4.quitaine  ^  Plus  tard  on 


SAINT  HUBERT  ET  SA  LEGENDE  33 

ajoute  descoaclant  de  Pharamond,  par  celte  tendance  ins- 
tinctive à  l'exagération  qu'on  rencontre  si  souvent  chez  les 
g-ens  qui  écrivent,  autrefois  les  hagiographes,  aujourd'hui 
les  journalistes.  On  en  fait  un  parent  de  sainte  Ode;  on  le 
fait  comte  du  palais  des  rois  mérovingiens;  le  nom  d'Hu- 
bert étant  fréquent  à  cette  époque,  une  confusion  de  nom 
servit  sans  doute  de  fondation  à  ces  récits.  C'était  la  cri- 
tique historique  de  l'époque,  et  depuis  que  l'histoire  a  la 
prétention  d'être  devenue  une  science,  des  historiens  accré- 
dités ne  raisonnent  souvent  pas  autrement  quand  ils  recons- 
truisent la  vie  des  personnag'es  anciens  ou  la  migration  des 
races  :  on  met  en  rapport  des  témoig'uag'es  isolés  dont  on 
ignore  les  tenants  et  les  aboutissants;  le  reste,  le  mirag-e, 
est  fourni  par  une  imag'ination  dont  l'auteur  est  le  premier 
la  dupe.  On  marie  Ilabcrt,  et  on  lui  donne  pour  épouse  une 
Floribane  dont  le  nom  paraît  pour  la  première  fois  «.  sept 
cents  ans  après  le  temps  où  elle  aurait  vécu  »  ;  et  on  la  fait 
fille  d'un  comte  de  Louvain,  «  deux  siècles  avant  qu'un 
comte  de  Louvain  apparut  dans  l'histoire  ». 

Ce  nom  de  Floribane  paraît  formé  sur  celui  de  Floribert  : 
La  mère  imaginaire  est  nommée  d'après  son  fils.  En  effet, 
la  Vie  du  ix*"  siècle  parle,  en  passant,  de  Floribert,  fils 
d'Hubert;  mais  rien  de  plus.  Or,  dans  la  langue  de  cette 
époque  /îlius  a  ég'alement,  outre  le  sens  de  «  fils  »  celui  de 
filleul,  et,  quand  il  s'agit  d'ecclésiastiques,  de  disciple.  Or 
Floribert  ayant  succédé  à  saint  Hubert,  comme  évêque  de 


1.  «  On  aura  remarqué  que  noti'e  biographe  primitif  ne  rappoi'te  rien 
de  l'origine  ni  des  ancêtres  de  notre  saint  ;  en  voyant  avec  quel  soin  les 
auteurs  du  temps,  d'avant  et  d'après  encore,  s'attachent  à  relever  l'illus- 
tration de  la  naissance  de  leurs  héros,  à  noter  ou  qu'ils  appartiennent  à 
de  nobles  familles,  ou  tout  au  moins  que  la  distinction  de  leurs  vertus 
l'emportait  encore  sur  celle  de  leur  sang,  il  est  permis  de  croire  que  si 
rien  de  pareil  n'est  dit  de  saint  Hubert,  c'est  qu'il  était  sorti  plutôt  des 
rangs  populaires  que  de  l'aristocratie.  »  (Demarteau,  Saint  Hubert  d'iqwcs 
son  plus  ancien  biographe,  p.  26.) 

LA   HACK.  3 


34  CHAPITRE  DEUXIÈME 

Liège,  n'était  vraisemblablement  que  son  disciple  et  élève, 
son  fils  spirituel^.  . 

L'histoire  du  voyage  de  saint  Hubert  à  Rome  est  égale- 
ment sortie  de  la  supposition  qu'un  aussi  grand  saint  a  du 
faire  le  voyage  de  Rome.  D'après  M.  Demarteau,  il  y  aurait 
encore  ici  transport  des  gestes  d'un  saint  à  un  autre.  «  En 
fait,  toutefois,  il  est  prouvé  qu'ici  encore  on  a  simplement 
attribué  à  saint  Hubert  un  épisode  de  l'histoire  d'un 
apôtre  son  contemporain,  évèque  du  diocèse  voisin,  saint 
Willibrord^  ». 

Il  faut  dire  à  l'honneur  de  la  théologie  française  qu'au 
siècle  dernier  un  prêtre  de  l'Oratoire,  le  R.  P.  Pierre  Le 
Brun  avait  démontré  que  la  chronologie  s'opposait  au 
voyage  de  saint  Hubert  à  Rome  ,  et  il  ajoutait  :  «  Cela  fait 
voir  qu'on  a  imaginé  insensiblement  toute  cette  histoire.  Il 
est  probable  que  l'on  a  commencé  à  tailler  les  hommes 
mordus  par  des  chiens  enragés,  c^est-à-dire  à  leur  faire  une 
petite  incision  au  front  pour  enfermer  sous  la  peau  et  dans 
la  chair  un  brin  de  l'étole  de  saint  Hubert  dont  ce  saint  se 
servoit  ordinairement  et  que,  pour  la  rendre  plus  respectable, 
on  a  feint  qu'elle  avoit  été  apportée  par  un  ange.  Mais  l'au- 
teur de  cette  pieuse  supercherie,  étant  un  très  mauvais  chro- 
nologiste^  n'a  pas  sçû  arranger  sa  fiction.  On  ne  peut 
douter  cependant  que  cet  usage  de  tailler  ne  soit  très 
ancien,  puisque  l'Anonyme  qui  a  écrit  vers  la  fin  du  xi« 
siècle  /es  Miracles  arrivez  à  la  Translation  du  corps  de  saint 
Hubert  faite  en  825,  parle  d'un  homme  et  d'une  femme 
qui  avoiont  été  taillés.  Il  faut  pourtant  remarquer  que 
Jonas,  évêque  d'Orléans,  auteur  contemporain,  qui  a  écrit 
rhistoire  de  cette  translation,  ne  dit  rien  ni  de  l'étole,  ni  de 

1.  C'était  déjà  l'opinion  d'Anselme,  chanoine  à  Saint-Lambert  de 
Liège,  qui  écrivant  vers  l'an  1056  l'histoire  des  évêques  de  Maestricht 
et  de  Liège  et  arrivant  à  saint  Floribert,  déclare  qu'il  ignore  si  ce  saint 
fut  l'enfant  véritable  ou  simplement  le  fils  adoptif,  le  filleul  de  saint  Hu- 
bert. 

2.  Demarteau,  Sixiat  Hubert  d'après  son  plus  ancien  biographe,  p.  8. 


SAINT  HUBERT  ET  SA  LÉGENDE  35 

l'usage  de    taiJler  ceux  qui  avoient  été  mordus  par  des 
chiens  enragés  ^  » 

A  l'occasion  de  saint  Lambert,  prédécesseur  de  saint 
Hubert,  rappelons  qu'il  en  existe  trois  tètes,  une  à  Liège, 
une  à  Fribourg-en-Brisgau,  et  la  troisième  à  Berbourg, 
village  du  grand-duché  de  Luxembourg.  On  a  assuré  aussi 
qu'il  s'en  trouve  un  morceau  dans  la  sacristie  de  Saint- 
Pierre  du  Vatican  à  Rome.  Chacune  de  ces  églises  prétend 
avoir  la  bonne  tête  du  saint.  Un  jésuite,  le  P.  Goffinet, 
qui  a  étudié  cetle  question  sans  pouvoir  l'éclaircir,  termine 
par  cette  conclusion  qui  rappelle  la  parabole  des  trois 
anneaux  : 

<■<■  Bien  que  les  trois  chefs,  dits  de  saint  Lambert,  soient 
à  n'en  pas  douter  des  reliques  de  saints,  dignes  par  consé- 
quent des  honneurs  qu'on  leur  rend,  on  obtiendrait  sans 
contredit  un  plus  haut  degré  de  certitude,  si  chacune  des 
trois  églises  précitées  consentait  à  échanger  avec  les  deux 
autres  une  parcelle  convenable  de  son  pieux  trésor.  Chaque 
relique  principale  serait  alors  accompagnée  de  deux  reliques 
moindres.  De  cette  façon,  chacune  des  trois  églises  garde- 
rait sa  conviction  particulière,  et  se  rendrait  témoignage 
non  seulement  d'avoir  acquis  toutes  les  garanties  possibles, 
mais  aussi  de  les  avoir  procurées  à  ses  deux  sœurs  ^ 
dévouées  comme  elles  au  culte  de  saint  Lambert".  » 

§   3.   LE  MYTHE 

Mais  la  Vie  du  ix^  siècle  contient  des  indices  importants 
pour  l'histoire  et  le  mythe  ;  c'est  quand  elle  parle  du  zèle 
apostolique  de  saint  Hubert,  des  conversions  qu'il  opère,  des 
superstitions  qu'il  détruit  dans  l'Ardenne,  laToxandrie  et  le 
Brabant,   surtout  dans  l'i^rdenne.  Cette  région  forestière, 

1.  P.  Le  Brun,  Histoire  critique  des  pratiques  superstitieuses,  etc., 
2"  édit.,   t.  II,  (Paris,  1742),  p.  8.  —  Le  P.  Le  Bran  est  mort  en  1729. 

2.  Publ.  de  la  section.  Hist.  de  l'Institut  royal  Grand-Ducal  de  Luxem^ 
hvurg,  l.  XXIX  (1874),  p.  258. 


36  CHAPITRE  DEUXIEME 

donlle  nom,  d'origine  probablement  celtique,  paraît  signifier 
«  le  haut  pays  »  était,  parla  nature  même,  peu  accessible  ; 
les  relations  avec  le  dehors  étaient  plus  difficiles  et  plus 
rares  que  dans  les  pays  voisins  de  plaines.  Les  forêts  ont 
toujours  été  des  lieux  consacrés  par  la  piété  des  époques 
primitives.  «  L'effroi  qu'inspire  l'ombre  de  ces  vieilles 
futaies,  écrivait  Sénèque,  fait  naître  la  foi  à  la  divinité.  » 
Les  forêts  furent  peut-être  les  premiers  temples  ;  en  tout  cas, 
le  culte  des  arbres  et  des  génies  des  forêts  fut  un 
des  plus  vivaces  et  des  plus  tenaces  :  les  prescriptions  des 
conciles  et  les  croyances  populaires  de  notre  temps  le 
montrent  assez.  L'Ardenne  païenne  apparaît  divinisée  à 
l'époque  romaine,  de  même  aussi  que  la  montagne  des 
Vosges;  des  inscriptions  témoignent  de  cette  personnifica- 
ticn  de  Diane  dans  l'Ardenne.  Plus  tard  et  malgré  de  nom- 
breux défrichements,  les  solitudes  de  la  forêt  d'Ardenne 
restèrent  en  dehors  du  mouvement  d'idées  que  créait  la  vie 
urbaine,  et,  à  l'époque  tardive  où  paraît  saint  flubert,  une 
grande  partie  de  la  région  était  encore  païenne,  ou  peu 
s'en  faut.  Le  mérite  du  saint  dans  Thistoire  est  du  reste  de 
l'avoir  convertie.  Et  pendant  tout  le  moyen  âge,  l'Ardenne 
resta,  dans  les  récits  de  nos  trouvères,  un  pays  étrange  et 
d'accès  redoutable  '. 

Nous  employons  aujourd'hui  les  mois pcajens,  paganisme, 
sans  nous  rendre  bien  compte  de  leur  sens,  et  nous  commet- 
tons un  grossier  anachronisme  quand  nous  les  transportons 
dans  l'antiquité.  Le  mot  paraît  dans  l'histoire  quand  la 
révolution  chrétienne  est  victorieuse,  qu'elle  a  pour  elle  la 
majorité  de  la  population  des  villes  et  les  classes  élevées 
de  la  société,  tandis  que  les  habitants  de  la  campagne,  du 
pagus,  en  retard  sur  le  mouvement  des  idées,  tiennent 
encore  aux  vieux  dieux,  au  vieux  culte,  aux  vieilles  pra- 
tiques. Le  paganisme  est  la  croyance  des  pagani,  et  les 
pagani  (c'est  l'origine  de  notre  mot  français  payens),  ce 

1.  Voiries  textes  cités  dans  A.  Maury,  Les  forêts  de  la  Gaule,  p.  62. 


SAINT  HUBERT  ET  SA  LÉGENDE  37 

sont  liLléralemcnt  ce  qu'on  appellerait  aujourd'hui  «  les 
ruraux.  » 

C'est  surtout  l'Ardenne  qui  fut  le  théâtre  de  l'activité 
apostolique  du  saint,  et  c'est  peut-être  pour  y  combattre  le 
paganisme  de  plus  près  qu'il  transporta  le  siège  épiscopal 
à  Liège,  lieu  inconnu  jusque-là,  et  où  l'on  ne  trouve  aucune 
trace  gallo-romaine.  L'immense  forêt  d'Ardenne,  qui  for- 
mait comme  une  province,  était  un  grand  pays  de  chasse  ; 
elle  l'est  restée  jusque  dans  le  moyen  âge.  Qui  dit  pays  de 
chasse  dit  pays  de  légendes  ;  et,  si  petite  qu'elle  soit  en 
proportion  de  l'Ardenne,  notre  forêt  de  Fontainebleau  n'a- 
t-elle  pas  eu  jusque  dans  ces  derniers  siècles  son  «  Grand- 
Veneur  »  fantastique,  qui  apparaissait  encore  au  temps 
d'Henri  IV?  La  religion  naturiste  des  païens  de  l'Ardenne^ 
peuple  chasseur,  devait  donner  une  grande  place  aux  divi- 
nités de  la  chasse,  à  des  pratiques,  à  des  dévotions  parti- 
culières. 

On  a  déjà  remarqué  que  le  culte  de  Diane  s'est  conservé 
fort  tard,  et  M.  Beugnot  ajoute  que  «  cette  divinité  paraît 
avoir  été  la  dernière  dont  le  nom  fut  prononcé  dans  l'Occi- 
dent' ».  Cela  s'explique  parle  fait  que  son  culte  était  moins 
un  culte  de  ville  qu'un  culte  de  campagne  et  de  forêt.  Le 
nom  de  Diane  s'est  même  étendu  à  un  dieu  masculin  que 
nous  fait  connaître  une  vie  de  saint  :  dœmoniimi  quodrus- 
tici  Dianum  vacant  -.  En  effet,  il  a  dû  y  avoir  fusion  du  culte 
gallo-romain  de  Diane  avec  celui  des  dieux  apportés  par 
les  Francs  des  forêts  de  la  Germanie.  Les  écrivains  chré- 
tiens parlent,  naturellement  avec  haine  et  mépris,  des  dia- 
7iatici,  prêtres  ou  ermites  de  Diane  qui  paraissent  avoir  été 
des  sortes  de  «  flagellants  »,  exerçant  sur  eux-mêmes  des 
mortifications  sanglantes  qu'ils  croyaient  agréables  à  leur 
divinité.  Les  sorties  violentes  des  écrivains  chrétiens,  les 

i.  Beugnot,  Histoire  de  la  desLruction  du  paganisme  en  Occident, 
t.  IL  p.  316.  (Cf.  ibid.,  p.  259.) 

2.  Vie  de  saint  Césaire,  évéque  d'Arles,  citée  dans  Beugnot,  t.  II, 
p.  310  et  dans  Ducange,  Glossaire  s.  v.  Dianum. 


38  CHAPITRE  DEUXIÈME 

mesures  de  proscription  prises  par  l'autorité  civile  devenue 
chrétienne,  montrent  la  persistance  avec  laquelle  ce  culte  et 
ses  pratiques,  à  nous  inconnues,  se  perpétuèrent  dans  les  cam-  I 
pagnes,  et  cela  sous  le  règne  des  premiers  successeurs  de 
Charlemag-ne.  Il  semble  même,  par  un  capitulaire  de  Louis 
le  Débonnaire,  que  les  réunions  nocturnes  en  l'honneur  de 
Diane  aient  été  le  prototype  du  sabbat  du  moyen  âge  ^  J 

Quel  était  le  dieu  indigène  de  l'Ardenne  au  temps  de 
saint  Hubert?  Etait-ce  Diane  ou  Dianus?  quel  était  son 
culte?  quels  étaient  les  rites  et  les  usages  de  ce  culte?  Il 
est  difficile  de  le  dire  d'une  façon  précise,  carie  biographe 
de  saint  Hubert  se  borne  à  une  phrase  banale  sur  les  idoles 
détruites  par  le  saint.  Mais  comme  cette  région  était  depuis 
longtemps  germanisée,  et  que  le  culte  local  a  été  trans- 
porté à  un  saint  et  non  à  une  sainte,  on  peut  présumer  que 
ce  dernier  était  masculin,  probablement  le  Wodan  (Odin) 
de  la  mythologie  germanique.  La  mythologie  préhistorique 
est  un  monde  si  vaporeux  que  nous  n'osons  guère  nous 
laisser  attirer  par  ses  fantômes  ;  pourtant  on  ne  peut  s'em- 
pêcher de  trouver  un  fonds  semblable  dans  de  nombreuses 
légendes  allemandes  qui  expliquent  l'origine  de  la  «  chasse 
sauvage  »  ou  «  fantastique.  »  La  «  chasse  sauvage,  »  c'est 
le  tourbillon  qui  passe  à  l'horizon  ou  au-dessus  de  nos 
têtes  avec  des  bruits  étranges  :  on  l'attribue  à  un  être  sur- 
naturel qui  chasse  avec  sa  meute  dans  les  nuées.  Ce 
«  chasseur  noir  »  est  maudit  :  et  il  doit  chasser  de  toute 
éternité  en  punition  de  quelque  crime  ;  suivant  certaines 
légendes,  c'est  pour  avoir  chassé  un  jour  de  grande  fête,  ou 
le  dimanche  à  l'heure  de  l'office  ;  suivant  d'autres,  c'est 
pour  s'être  obstiné  à  chasser  un  cerf  qui  portait  un  crucifix 
entre  ses  bois  et  qui  était  le  Christ.  «  Et  le  Christ  dit  au 
comte  :  Maintenant  tu  chasseras  jusqu'au  jugement  der- 
nier. C'est  ce  qui  est  arrivé,  et  voilà  l'origine  du  chasseur 
sauvage.  » 

1.  Beugnot;  op.  cit.,  t,  II,  p.  339. 


SAINT  HUBERT  ET  SA  LÉGENDE  39 

Il  est  aisé  de  voir  que  la  légende  païenne  a  subi  l'in- 
fluence de  la  légende  chrétienne,  que  celle-ci  soit  venue 
de  saint  Eustache  ou  de  saint  Hubert*. 

Les  mythologues  allemands  identifient  le  chasseur  sau- 
vage de  leur  légende  au  dieu  Wodan  (Odin)  de  leurs 
ancêtres,  et  l'un  semble  en  efîet  parent  de  l'autre.  On  peut 
donc  conclure  à  l'existence  d'un  dieu  germain  qui  mène  sa 
meute  dans  l'atmosphère  et  dans  les  profondeurs  des  forêts? 
et  dont  les  pays  de  chasse  et  les  chasseurs  invoquaient  natu- 
rellement la  protection  plus  que  toute  autre.  C'est  un  souve- 
nir instinctif  de  ce  culte  qui,  en  quelques  endroits,  a  fait 
donner  à  «  la  chasse  fantastique  »  le  nom  de  «  chasse  de 
saint  Hubert  ».  Saint  Hubert  remontait  ainsi  au  ciel,  d'où 
il  était  descendu.  En  effet,  «  chasse  Saint-Hubert  »  est  un 
des  nombreux  noms  qu'on  donne  en  France'  au  tourbillon 
farouche  de  la  nuit  que  les  Allemands  appellent  la  «  chasse 
sauvage  »  et  qui  paraît  bien  en  efTet  être  le  bruit  d'un 
chasseur  surnaturel  passant  dans  les  airs  avec  une  meute 
invisible. 

Le  nom  de  saint  Hubert  s'est  trouvé  appliqué  à  cette 
chasse  en  sa  qualité  de  patron  des  chasseurs  et,  par  suite, 
de  chasseur  par  excellence.  Puis,  par  une  autre  consé- 
quence, on  a  identifié  saint  Hubert  avec  le  chasseur  sau- 
vage et  damné,  et,  au  moins  dans  les  environs  de  Châ- 
teaudun  (Eure-et-Loir),  on  raconte  que  saint  Hubert  est 
condamné  à  chasser  jusqu'au  jugement  dernier,  pour  s'être 
trop  adonné  à  la  chasse  dans  sa  vie^  Une  autre  légende, 
belge  celle-là,  a  un  caractère  plus  chrétien.  «  Si  l'on  en 
croit  une  vieille  légende,  c'est  grâce  à  l'intervention  mira- 

1.  Une  seule  de  ces  légendes  a  un  caractère  pré-chrélien  :  elle  est 
danoise  et  représente  le  roi  Odhin  à  la  poursuite  d'un  cerf  qui  porte  des 
anneaux  d'or  dans  ses  bois  et  qui  l'entraîne  dans  l'empire  de  Holda.  — 
Holda,  litt.  «  la  bonne  dame  »  est  le  plus  souvent  divinité  du  ciel  chiez 
les  Germains. 

2.  A.  Bosquet,  La  Normandie  romanesque  et  merveilleuse,  p.  68. 

3.  Communication  de  M.  E.  Rolland. 


40  CHAPITRE  DEUXIÈME 

culeiise  de  sainl  Hubert  que  la  sécurité  la  plus  parfaite  a 
toujours  régné  dans  les  environs  de  Tervueren  (localité  oi^i 
le  saint  est  mort).  Un  meurtre  allait  s'y  commettre^  un 
malheureux  voyageur  était  au  moment  d'y  périr  sous  les 
coups  d'un  assassin,  lorsqu'une  formidable  sonnerie  de 
trompe  se  fit  entendre  et  le  patron  des  chasseurs  apparut,  à 
cheval,  accompagné  de  sa  meute.  Le  brigand  terrifié  s'en- 
fuit et  renonça  à  la  vie  coupable  qu'il  menait,  et,  depuis 
lors,  aucun  crime  ne  souilla  plus  la  forêt  qui  semblait  pro- 
tégée tout  spécialement  par  saint  Hubert  \  »  Ici  la  chasse  et 
le  chasseur  sont  descendus  du  ciel  sur  la  terre. 

Ce  serait  une  grande  erreur  de  croire  que  tout  a  recom- 
mencé avec  le  moyen  âge  ;  à  bien  des  égards  celui-ci  n'est 
que  la  continuation  des  époques  antérieures.  Cela  est  sur- 
tout vrai  au  point  de  vue  de  la  religion.  Nous  ne  parlons 
pas  de  la  religion  qui  se  définissait  dans  les  conciles,  qui 
se  prêchait  dans  la  chaire  chrétienne;  nous  parlons  de  la 
religion  du  peuple,  de  ces  milles  rites,  pratiques,  usages, 
croyances  particulières  que  l'Église  a  essayé  en  vain  de 
déraciner,  qu'elle  a  combattus  par  ses  prédications,  condam- 
nés par  les  anathèmes  de  ses  conciles,  et  qui  pourtant  se 
sont  conservés  soit  en  dehors  de  l'Eglise,  soit  dans  l'Eglise 
même,  en  se  couvrant  du  nom  d'un  saint,  en  prenant  une 
étiquette  nouvelle.  La  dévotion  païenne  était  ainsi  devenue 
une  dévotion  chrétienne  (par  exemple,  les  fontaines  consa- 
crées aux  saints,  etc.,  etc.).  L'Église  a  tacitement  mis  en 
pratique  cette  grande  maxime  politique,  dont  les  politi- 
ciens paraissent  si  rarement  se  douter,  qu'on  ne  détruit 
que  ce  qu'on  remplace.  Dans  cette  grande  évolution  men- 
tale, on  n'a  pas  cessé  de  croire  aux  légendes  racontées 
autrefois  des  dieux,  car  le  moule  de  la  pensée  humaine 
n'était  pas  transformé  par  l'avènement  d'une  nouvelle  re- 
ligion, et  le  surnaturel  gardait  le   même  empire,   sur  la 

1.  Heinsberg  Duringsfeld,  Traditions  et  légendes  de  la  Belgique,  t.  II, 
p.  243. 


SAINT  HUBERT  ET  SA  LÉGENDE         •  41 

plupart  du  moins;  ces  légendes,  comme  des  âmes  errantes 
à  la  recherche  de  corps,  se  sont  souvent  personnifiées  dans 
ceux  qui  avaient  tué  les  dieux,  dans  les  saints  ou  dans  les 
missionnaires  des  premiers  temps.  Leur  activité  avait  laissé 
des  traces  profondes  dans  l'esprit  des  populations;  et  la 
conscience  encore  obscure  et  mythologique  des  néophytes 
mêlait  à  l'image  des  saints  l'image  des  anciens  dieux,  si 
bien  que  l'une  se  superposait  à  l'autre.  «  Faisons-le  César!  » 
dit  le  peuple  de  Shakespeare,  en  acclamant  Brutus...  Saint 
Hubert,  apôtre  de  l'Ardenne,  prend  la  place  de  Wodan,  il 
devient  le  patron  de  l'Ardenne,  le  patron  des  chasseurs. 
L'histoire  l'a  connu  évêque  et  missionnaire;  la  légende  le 
fait  chasseur. 

L'auteur  anonyme  de  l'histoire  des  Miracles  de  Saint 
Hubert  (écrite  entre  1087  et  1106),  mentionne  le  premier 
le  saint  avec  ce  caractère  et  recevant  comme  un  dieu  chré- 
tien de  la  chasse  les  offrandes  des  chasseurs  :  «  Celait 
depuis  longtemps,  dit-il,  l'usage  des  grands  de  l'Ardenne 
entière  d'offrir  au  bienheureux  Hubert,  et  les  prémices  de 
la  chasse  de  chaque  année  et  la  dîme  de  toute  espèce  do 
gibier  ;  la  raison  en  était  que  le  saint,  avant  de  déposer 
l'habit  séculier  pour  embrasser  un  élat  plus  parfait,  aurait 
été  grand  amateur  de  vénerie.  Do  l'Ardenne  cet  usage  passa 
aux  nobles  des  pays  voisins,  lesquels  le  gardèrent  avec  le 
même  respect.  »  Du  moment  que  saint  Hubert  est  le  patron 
des  chasseurs,  il  les  protège  contre  les  dangers  de  leur  vie, 
et  quel  danger  plus  grand  que  celui  de  la  rage  peuvent-ils 
courir,  eux  et  leurs  chiens?  Et  le  dieu  païen  que  saint 
Hubert  a  remplacé  et  continué  ne  devait-il  pas  déjà  être 
invoqué  contre  la  rage,  comme  Artémis  (Diane)  l'élait  chez 
les  Grecs? 

Le  premier  exemple  de  rage  guérie  par  saint  Hubert  est 
rapporté  par  l'auteur  dos  Miracles;  il  vaut  la  peine  d'être 
rapporté  après  lui  : 

Le  liameau  de  Luisceie  est  assez  proche  du  monastère  :  un  pro- 


42  CHAPITRE  DEUXIÈME 

cureur  de  cette  localité  fut  mordu  par  un  loup  enragé  :  se  sentant 
en  danger  de  mort,  il  eut  recours  au  saint,  et,  pour  s'assurer  plus 
certainement  sa  protection,  fit  vœu  de  lui  donner  [c'est-à-dire  de 
donner  au  monastère]  le  cheval  dont  il  usait  dans  ses  courses.  Dans 
ce  lieu  se  trouve,  en  eflfet,  un  remède  absolument  efficace  contre 
cette  horrible  maladie,  pourvu  que  le  malade  ait  une  foi  véritable 
et  observe  les  conditions  prescrites  pour  recouvrer  la  santé.  Un  fil 
d'or  de  l'étole  très  sacrée  fut  donc,  suivant  l'usage,  inséré  dans  le 
front  du  blessé  et,  ayant  reçu  l'indication  des  prescriptions  à  suivre 
il  retourna  chez  lui.  A  mesure  que  le  temps  s'écoulait,  il  avait 
moins  de  crainte  et  il  était  plus  sûr  de  guérir  ;  il  ne  voulait  plus 
exécuter  son  vœu  ;  il  prétendait  même  n'en  avoir  pas  fait.  Un  jour 
pourtant,  il  se  trouva  avoir  à  passer  par  le  monastère.  Il  attache 
son  cheval  à  quelque  distance  et  va  prier  devant  la  porte  de  l'église. 
Sa  prière  faite,  il  voit  avec  étonnement  son  cheval  à  côté  de  lui. 
Il  le  monte  et  veut  partir,  mais  le  cheval  ne  bouge.  Les  passants 
s'assemblent  et  se  moquent  de  lui  ;  mais  plus  il  excite  son  cheval, 
plus  celui-ci  s'attache  à  l'église.  Sacristains  et  moines  arrivent 
et  sont  témoins  du  même  spectacle.  On  comprend  qu'il  en  va  ainsi 
parce  que  le  vœu  n'a  pas  été  tenu.  Instruit  par  ce  miracle,  le  pro- 
cureur laisse  son  cheval  au  monastère  et  s'en  retourne  à  pied  ^ 

§    4.    LE    -AIIRACLE   DU    CERF 

Le  peuple^  et,  d'une  façon  générale,  les  hommes, 
éprouvent  un  tel  besoin  de  motiver  les  événements,  d'at- 
tribuer à  tout  usage  une  cause  visible  et  en  quelque  sorte 
tangible,  qu'il  éclôt  de  tout  temps  ce  qu'on  peut  appeler 
des  «  histoires  pour  expliquer  ».  Puis  plus  tard,  des  histo- 
riens et  des  mythologues  naïfs  voient  dans  l'historiette 
l'origine  du  fait  ou  de  l'usage  ;  mais  l'historiette  est  effet,  et 
non  cause.  Tel  est  le  rôle  que  joue  l'apparition  du  cerf  dans 
la  légende  de  saint  Hubert  ;  M.  Dcmarteau  n'a  pu  s'em- 
pêcher de  le  remarquer  :  «  Loin  donc  que  l'histoire  de  l'ap- 
parition du  cerf  ait  valu  à  saint  Hubert  l'honneur  de  deve- 
nir le  patron  des  chasseurs,  et  le  grand  secours  des  mal- 

1.  Mabillon,  Ada  SS.  ord.  S.  Bened.,  iv^^  siècle.  V"  partie,  p.  301. 


SAINT  HUBERT  ET  SA  LÉGENDE  43 

heureux  menacés  d'hydrophobie,  cette  histoire  est  plulôt 
une  fleur  poétique  issue  de  ces  vieilles  dévotions.  » 

Ce  n'est  que  dans  la  seconde  moitié  du  xv"  siècle  que  le 
miracle  du  cerf  crucifère  s'introduit  dans  la  légende  de 
saint  Hubert.  «  A  la  fm  duxiv*  siècle,  Jean  d'Outre-Meuse, 
le  mieux  fourni  de  nos  collectionneurs  delégendes,  n'en  con- 
naissait pas  le  premier  mot.  Avant  lui,  au  xm®  siècle,  Gilles 
d'Orval,  son  devancier,  n'en  savait  pas  davantage  ;  rien 
n'en  avait  été  soupçonné  dans  les  siècles  antérieurs  ;  les 
plus  anciennes  images  du  saint  se  contentent  de  nous  le 
représenter  en  pontife.  »  Cherchons  les  antécédents  de  ce 
miracle. 

Au  xii"  siècle  Jean  de  Matha,  dont  l'Eglise  a  fait  un  saint 
et  qui  fut  le  fondateur  de  l'ordre  des  Trinitaires,  s'était 
retiré  dans  une  forêt  du  pays  de  Meaux  avec  son  ami  Félix 
de  Valois.  Souvent,  comme  ils  étaient  assis  près  d'une 
source,  à  discourir  des  choses  divines,  ils  voyaient  un  cerf 
d'une  blancheur  éclatante  venir  les  considérer  et  boire 
devant  eux  à  la  source.  Un  jour  le  cerf,  en  relevant  la  tète, 
leur  montra  une  croix  lumineuse  aux  couleurs  bleue  et 
rouge  encadrée  dans  ses  bois,  et  l'apparition  se  renouvela 
chaque  fois  à  la  rencontre  du  cerf.  Ils  comprirent  que  c'é- 
tait un  signe  de  Dieu  et  ils  partirent  pour  Rome'.  Là  Jean 
de  Matha  fonda  l'ordre  de  la  Sainte-Trinité  et  les  nouveaux 
religieux  portèrent  la  robe  blanche  avec  une  croix  rouge  et 
bleue  sur  la  poitrine,  en  souvenir  de  l'apparition  du  cerf, 
veut  une  légende  ^  Mais  ici  évidemment  la  légende  encore 
est  venue,  après  coup,  expliquer  un  fait,  l'origine  de  la 
croix  rouge  et  bleue  sur  le  costume  des  Trinitaires.  Puis 
Jean  de  Matha  fonda  un  couvent  au  lieu  de  l'apparition  à 
Cerfroid,  cervus  frigidus^  ainsi  nommé  du  cerf  miraculeux 

1.  D'après  une  autre  légende,  le  cerf  aurait  apparu  seulement  à  Félix 
de  Valois,  que  Jean  de  Matha  serait  ensuite  venu  rejoindre  dans  sa  soli- 
tude. 

2.  Ajoutons  que  deux  cerfs  blancs  servent  de  support  à  Técusson  des 
Trinitaires. 


44  CHAPITRE  DEUXIÈME 

qui  venait  se  rafraîchir  àla  source  ^  !  Le  calembour  naïf  sur 
ce  nom  de  lieu  —  c'est  ce  que  les  linguistes  appellent  une 
«  étymologie  populaire  »  —  est  peut-être  ce  qui  a  fait  at- 
tribuer à  Jean  de  Matha  et  à  Félix  de  Valois  le  miracle  du 
cerf  au  crucifix.  Remontons  plus  haut  encore. 

Au  vnf  siècle  vivait,  au  couvent  de  Saint-Sabas  à  Jéru- 
salem, un  écrivain  ecclésiastique  grec,  saint  Jean  de  Damas 
(ou  Damascène).  Parmi  ses  ouvrag'es,  se  trouve  un  traité 
((  sur  le  culte  dos  images  w.  Pour  justifier  ce  culte,  et  sur- 
tout la  vénération  dont  le  crucifix  est  l'objet,  l'écrivain  grec 
rapporte  un  miracle  dont  a  été  témoin  Placidas.  Placidas 
élaitun  officier  païen  du  ii°  siècle,  honnête  et  bienfaisant; 
il  avait  trop  de  vertu  pour  n'êlre  pas  chrétien  ;  et  Dieu  fit 
un  miracle  pour  le  retirer  de  l'erreur. 

Un  jour  que,  suivant  sa  coutume,  Placidas  était  parti  avec  une 
brillante  escorte  pour  cliasser  dans  les  montagnes,  il  fit  soudain 
rencontre  d'un  troupeau  de  cerfs  quj,  paissaient  ;  disposant 
aussitôt  sa  troupe,  comme  il  est  d'usage,  il  se  mit  en  devoir  de  les 
poursuivre.  Déjà  tous  ses  gens  n'étaient  plus  occupés  que  du  soin 
de  leur  donner  la  chasse  quand  un  de  ces  animaux,  d'une  taille 
extraordinaire  et  d'une  beauté  remarquable,  se  détacha  de  la 
bande,  pour  gagner  à  l'écart  des  lieux  plus  escarpés.  Placidas  s'aper- 
çut de  cette  fuite  et,  brûlant  du  désir  de  s'emparer  du  fugitif,  aban- 
donna, lui  aussi,  ses  compagnons,  pour  se  précipiter  à  la  poursuite 
de  ranimai,  suivi  seulement  de  quelques  uns  de  ses  veneurs.  Vain- 
cus par  la  fatigue,  ceux-ci  durent  s'arrêter  tour  à  tour.  Placidas  seul 
s'obstina  dans  sa  cliasse  et  grâce  à  la  Providence,  ni  son  coursier 
ne  lléchit  sous  la  fatigue,  ni  lui-même  ne  se  laissa  arrêter  par  les 
difficultés  du  chemin.  Dans  cette  poursuite  ardente,  il  finit  par  se 
trouver  isolé  de  ses  compagnons  ;  le  cerf  alors,  gagnant  le  sommet 
d'un  rocher,  s'y  arrêta  immobile.  Arrivé  devant  cet  obstacle, 
Placidas  s'arrêta  de  même,  cherchant  des  yeux  autour  de  lui  un 
chemin  pour  arriver  à  s'emparer  de  l'animal. 

1.  Cerfroid,  commune  de  Brumetz,  département  de  l'Aisne.  On  peut 
voir  sur  ce  nom  l'observation  assez  naïve  du  R.  P.  Calixte  dans  sa 
Yie  de  saint  Félix  de  Valois  (Paris,  1839),  p.  279  et  suiv. 


SAINT  HUBERT  ET  SA  LEGENDE  4F) 

Mais  le  Dieu  de  sagesse  et  de  miséricorde,  qui  sait  faire  aboutir 
toute  voie  au  salut  de  l'homme,  donnait  lui-même  la  chasse  au 
chasseur.  Tandis  que  Placidas  restait  là,  debout,  considérant  le 
cerf,  admirant  son  port  majestueux,  et  ne  trouvant  nul  moyen 
de  s'en  rendre  maître,  le  Seigneur  qui  avait  accordé  jadis  la  parole 
à  l'ànesse  de  Balaam  pour  reprocher  sa  folie  au  prophète,  le 
Soigneur  fit  apparaître  entre  les  bois  du  cerf  une  image  de  la 
saints  Croix,  resplendissant  d'un  éclat  plus  brillant  que  celui  du 
soleil,  et,  au  milieu,  le  visage  sacré  de  Jésus-Christ.  Prêtant  au 
cerf  une  voix  humaine,  il  interpella  Placidas  : 

c(  0  Placidas,  dit-il,  pourquoi  me  poursuis-tu  de  la  sorte  ?  Voici 
que  pour  foffrir  ma  grâce,  j'arrive  et  me  révèle  à  toi  par  cet 
animal.  Je  suis  le  Christ  que,  sans  l'avoir  pu  connaître  jusqu'à 
cette  heure,  tu  sers  en  faisant  le  bien.  Mais  les  aumônes  que  tu 
prodigues  aux  indigents  sont  arrivées  jusqu'à  moi;  et  je  viens  en 
retour  me  montrer  à  toi,  te  poursuivre,  ô  chasseur,  et  te  saisir 
dans  les  rets  de  ma  miséricorde.  Car  il  n'est  pas  juste  que  celui 
que  j'aime  pour  ses  bonnes  œuvres,  reste  attaché  au  culte  immonde 
de  Satan,  à  des  idoles  sans  vie  et  sans  cœur.  Me  voici  donc,  tel 
que  j'ai  apparu  ici-bas  pour  sauver  le  genre  humain  \  » 

Placidas  se  prosterne  en  s'écriant  :  «  Je  crois  I  —  Si  lu 
crois,  reprend  le  Seigneur,  reg'agne  la  cité  la  plus  proche, 
va  trouver  le  pontife  chrétien  et  sollicite  de  lui  la  grâce  du 
baptême.  »  Placidas  obéit  à  cet  ordre,  se  fait  baptiser  avec 
sa  femme  et  ses  enfants,  prend  au  baptême  le  nom  d'Eus- 
tache  —  c'est  désormais  saint  Eustache  —  et  reçoit  le  mar- 
tyre sous  l'empereur  Adrien.  Naturellement,  ce  miracle  fit 
dès  lors  partie  de  la  légende  de  saint  Eustache. 

1.  Nous  citons  Jean  Damasoène  Jans  la  traduction  de  M.  Demarteau, 
Saint  Hubert,  sa  légende,  son  histoire,  p.  14.  —  a  Ce  récit,  dit  M.  De- 
marteau  dans  son  autre  dissertation  (p.  7,  n.),  n'était  pas  encore  connu 
dans  nos  régions  cent  ans  plus  tard  (après  Jean  Damascène),  ce  semble, 
car  le  premier  reviseur  de  notre  biographie  de  saint  Hubert,  l'évèque 
d'Orléans  Jouas  (■[■  843)  n'y  fait  allusion  ni  dans  son  livre  de  Institutions 
dericcdi,  où  cependant  un  chapitre  spécial  est  consacré  aux  abus  de  la 
chasse,  ni  dans  un  autre  ouvrage  sur  le  sujet  même  traité  par  Jean  de 
Damas  :  de  Cultu  imaginum,  et  où  Jonas  rapporte  de  nombreuses  appa- 
ritions de  croix.  » 


46  CHAPITRE  DEUXIEME 

Comment  expliquer  le  miracle  du  cerf  crucifère  que  rap- 
porte saint  Jean  Damascène?  Pour  nous,  il  parait  sortir 
d'un  mélang-e  du  symbolisme  chrétien  avec  des  traditions 
populaires.  Le  cerf  était  un  des  types  les  plus  aimés  du 
symbolisme  des  premiers  chrétiens.  Il  était  regardé  comme 
le  symbole  de  Jésus-Christ,  des  apôtres,  des  saints.  La 
rapidité  de  sa  course  représentait  la  crainte  et  la  fuite  de 
l'âme  chrétienne  à  l'approche  du  danger.  Comme  le  cerf 
passait  pour  être  l'ennemi  des  serpents,  c'était  l'image  du 
Christ  qui  écrase  la  tète  du  démon  sous  la  forme  de  serpent  ; 
le  cerf  se  désaltérant  à  une  source  était  l'image  de  l'âme 
altérée  soupirant   après  le  baptême,  etc.*. 

«  Le  cerf  est  l'emblème  de  Jésus- Christ,  »  avait  dit  saint  Eucher, 
deux  siècles  auparavant,  cervus  Christi,  à  propos  du  sens  ana- 
logique de  divers  textes  des  saintes  Ecritures  {de  formula  sjjiri- 
tuali).  «Le  cerf  de  l'amitié,  ajoute-t-il  ailleurs,  c'est  encore  le  Christ, 
ce  maître  de  toute  dilection  et  de  charité.  »  {De  qusest.  diff.  Vet. 
Test.) 

Combien  de  réminiscences  de  ce  même  rapport  mystique  entre 
le  cerf  et  Jésus-Christ,  netrouve-t-on  pas  dans  diverses  légendes  ! 

Il  n'est  pas  rare  d'y  voir  des  transformations  merveilleuses  de 
Jésus-Christ  en  cerf  courant,  et  des  cerfs  qui  reçoivent  tout  à  coup 
la  faculté  de  la  parole.  C'est  ainsi,  par  exemple,  qu'un  cerf  d'une 
taille  extraordinaire,  lancé  par  saint  Julien,  se  retourna  subite- 
ment, reprocha  au  jeune  chasseur  son  acharnement  à  le  pour- 
suivre, il  lui  prédit  qu'un  jour  viendrait  où  il  ferait  périr  son 
père  et  sa  mère.  {Legenda  Aurea,  cap.  x) '. 

Le  cerf  joue  aussi  un  grand  rôle  dans  les  légendes  des 
saints  du  moyen  âge.  «  Cet  animal,  dit  M.  Alfred  Maury, 
était  regardé  comme  étant  doué  d'une  certaine  vertu  pro- 
phétique, et  dans  maintes  et  maintes  circonstances,  nous  le 
voyons  indiquer  l'existence  de  reliques  demeurées  enseve- 
lies dans  un  lieu  inconnu,  révéler  la  présence  de  certains 

1.  Abbé  Martigny,  Bictîonnœire  des  Antiquités  chrétiennes,  éd.  de 
1877,  p.  158. 

2.  Abbé  Canéto,  dans  la  Revue  de  Gascognej  t.  VI  (1865)^  p.  235. 


SAINT  HUBERT  ET  SA  LEGENDE  47 

objets  que  les  hommes  s'étaient  efforcés  vainement  de 
découvrir,  ou  amener  un  païen,  un  pécheur,  en  quelque 
occurrence  qui  devait  déterminer  sa  conversion  i.  » 

Les  croyances  populaires  parlent  d'animaux  fantastiques, 
«  fées  »  ou  «  sorciers,  »  comme  on  les  appelle,  que  les 
chasseurs  poursuivent  toujours  vainement,  sans  jamais  pou- 
voir les  atteindre.  On  se  rappelle  la  fable  de  La  Fontaine, 
Le  jardinier  et  son  seigneur .  Il  s'agit  d'un  lièvre  : 

Ce  maudit  animal  vient  prendre  sa  goulée 
Soir  et  matin,  dit-il,  et  du  piège  se  rit  ; 
Les  pierres,  les  bâtons  y  perdent  leur  crédit; 
Il  est  sorcier,  je  crois. ... 

Ainsi,  en  Bretagne,  on  croit  à  Texistence  de  la  biche 
blanche  de  sainte  Nennoch  :  les  balles  ne  peuvent  la  toucher, 
ni  les  chiens  l'atteindre.  Dans  le  Lai  de  Guigemar  (par  Ma- 
rie de  France)  Guigemar  blesse,  sans  le  savoir,  une  fée  mé- 
tamorphosée en  biche.  Il  y  a  en  Allemagne  des  légendes 
analogues.  De  même  que  les  hommes,  il  y  a  nombre  d'ani- 
maux qui  «  reviennent,  »  et  la  liste  serait  longue  des  ani- 
maux fantastiques  qui,  à  la  tombée  de  la  nuit,  courent  les 
champs  et  les  bois.  Le  cerf,  dans  l'antiquité,  était  l'animal 
d'Artémis-Diane  ;  nous  aurions  pensé  trouver  quelque  his- 
toire analogue  aux  nôtres,  mais  bien  peu  ont  survécu  des 
légendes  de  l'antiquité.  Ce  que  nous  trouvons  de  plus 
approchant,  c'est  l'histoire  de  Saron  qui  tombe  dans  la  mer 
et  se  noie  en  poursuivant  un  cerf,  dans  le  voisinage  d'un 
temple  d'Artémis. 

Peut-être  conviendrait-il  de  citer  ici  la  biche  de  Sertorius  ; 
c'est  tout  le  contraire  d'un  animal  fantastique,  mais  la  cré- 
dulité qui  la  faisait  prendre  pour  un  animal  sacré,  messager 
et  représentant  de  la  divinité,  montre  quelle  place  les  ani- 
maux tenaient  dans  les  croyances  populaires.  Sertorius,  en 
Espagne,  avait  apprivoisé  unejeune  biche  blanche,  au  point 
qu'elle  le  suivait  partout  sans  la  moindre  crainte,  «  Il  en 

1.  A,  Maury,  Légendes  pieuses  du  moyen  âge,  p.  169. 


48  CHAPITRE  DEUXIEME 

vint  peu  à  peu  à  la  diviniser,  pour  ainsi  dire,  raconte  Plu- 
tarquc-,  il  débita  que  cette  biche  était  un  présent  de  Diane, 
et,  connaissant  l'empire  de  la  superstition  sur  les  Barbares, 
il  leur  fit  accroire  que  cet  animal  lui  découvrait  bien  des 
choses  cachées.  »  On  peut  lire  dans  Plutarque^  les  amusants 
artifices  par  lesquels  Sertorius  corrobora  cette  croyance 
chez  les  Espagnols  et  les  faux  miracles  où  le  gentil  animal 
joua  un  rôle. 

Quoiqu'il  en  soit  de  notre  explication,  le  souvenir  du  mi- 
racle a  traversé  les  siècles,  et  c'est  saint  Eustache  qui  en  a 
eu  le  premier  l'honneur.  11  ne  l'a  pas  perdu  pour  l'avoir 
partagé  avec  saint  Hubert.  A  Yulturella,  en  Italie,  le  pèle- 
rin va  encore  prier  saint  Eustache  sur  la  roche  escarpée  sur 
le  sommet  de  laquelle  le  cerf  parut  avec  le  crucifix.  Et 
tandis  que  dans  les  plus  anciennes  statues  saint  Hubert  est 
figuré  en  évêque  scms  le  cerf^  le  cerf  paraît  toujours  dans 
les  anciennes  images  de  saint  Eustache.  M.  Demarteau 
pense  qu'une  coïncidence  de  dates  a  aidé  à  la  confusion  des 
deux  légendes.  «  Ce  qui  achève  d'expliquer  la  confusion  de 
la  conversion  de  l'officier  païen  avec  celle  que  l'on  prête  à 
saint  Hubert,  c'est  que  dans  notre  pays  —  les  vieux  calen- 
driers de  Stavelot  et  de  Tournai  en  font  foi,  comme  ceux 
d'Angleterre,  les  martyrologes  d'Usuard,  d'Adon,  et  nos 
plus  anciens  bréviaires,  —  la  fêtedesaintEustache  se  célébra 
longtemps  le  V,  le  2,  le  4  ou  le  3  novembre,  à  la  même 
date  que  celle  de  saint  Hubert.  »  Dans  l'iconographie  chré- 
tienne, le  cerf  crucifère  est  l'attribut  de  quatre  saints,  saint 
Eustache^  saint  Jean  de  Matha,  saint  Félix  de  Yalois,  et 
saint  Hubert  d'Ardenne^. 

1.  Yie  de  Sertorius,  ch.  xii  etxxii. 

2.  Sujet  traité  par  Albeit  Durer.  Notons  au   passage  qu'à  l'église 
Saint-Eustache,  à  Paris,  une  tête   de  cerf  portant  un  crucifix  est  sculp- 
tée sur  le  fronton  de  l'extrémité  méridionale  du  transept,  et  que  l'appa- 
rition du  cerf  à  saint  Eustache   est  représentée  sur  un  A'itrail  du  xvn°j 
siècle. 

3.  Sujet  traité  encore  tout  récemment  par  Paul  Bauc'ry  pour  décorer! 
une  salle  du  château  de  Chantillv. 


CHAPITRE  TROISIÈME 

SAINT   HUBERT    GUÉRISSEUR  DE   LA   RAGE  ; 
SON    PÈLERINAGE    ET    SON    CULTE 


1.  L'abbaye  et  le  village.  —  §  2.  Le  corps  du  saint.  —  §  3.  Les  reliques, 
la  Sainle-Étole.  —  §  4.  La  taille  et  le  répit.  —  §  5.  Le  point  de  vue 
religieux;  opinion  de  docteurs  graves;  que  faut-il  penser  de  ces  pratiques 
et  de  leur  efficacité  au  point  de  vue  religieux?  —  §  6.  Le  point  de  vue 
humain.  —  §  7.  L'imagination  et  la  rage  ;  les  aboyeuses  de  Josselin. 
§  8.  Les  Chevaliers  de  Saint-Hubert.  —  §  9.  Les  colporteurs  de  Saint- 
Hubert.  —  §  10.  Les  clefs  ou  cornets  de  saint  Hubert.  —  §  11.  La 
véritable  clef  de  saint  Hubert.  —  §  12.  Excommunication  des  ennemis 
de  saint  Hubert  et  de  son  monastère.  —  §  13.  La  confrérie  de  Saint- 
Hubert.  —  §  13  fjis.  Le  pèlerinage  de  Saint-Hubert.  —  §  14.  La  fête  de 
saint  Hubert  et  la  messe  des  chiens.  —  §  15.  Le  culte  de  saint  Hubert.  — 
§  16.  Les  ordres  et  confréries  de  Saint-Hubert. 


CHAPITRE  TROISIEME 

SAINT    HUBERT    GUÉRISSEUR    DE    LA    «AGE  ;    SON   PÈLERINAGE 
ET    SON    CULTE 


§    1 .   —  l'aI3BAYE  ET  LE  VILLAGE 

La  petite  ville  de  Saint-Hubert,  qui  compte  environ  deux 
nille  cinq  cents  âmes,  est  située  dans  une  des  parties  les 
)lus  boisées  et  les  plus  pittoresques  de  l'Ardenne  belge. 
)n  y  arrive  aujourd'hui  de  Poix  (station  de  la  ligne  Namur- 
uxembourg)  par  une  agréable  route  qui  monte  légèrement 
)endant  sept  kilomètres;  le  nombre  de  voyageurs  est  assez 
;Tand  pour  qu'on  ait  récemment  établi  un  tramway.  La 
'ille  n''a  rien  de  remarquable  en  dehors  de  son  église  abba- 
iale  :  son  seul  monument  civil  est  un  buste  de  Redouté  (le 
■,élèbre  peintre  de  fleurs,  natif  de  l'endroit),  établi  au-dessus 
l'une  fontaine  devant  l'hôtel  de  ville.  Il  y  a  deux  hôtels 
m  auberges;  suivant  l'usage  belge,  l'un  est  libéral  (c'est 
'Hôtel  du  Luxembourg),  Vdiuire  catholique  [V Hôtel  du  Che- 
nin  de  fer)  :  le  premier  doit  faire  peu  d'affaires  dans  un 
ndroit  de  pèlerinage  et  de  sainteté. 

La  ville  s'est  formée  autour  de  l'abbaye  qui  lui  a  donné 
on  nom  :  la  localité  s'appelait  autrefois  Andage  ou  Andain. 
j'est  en  825  qu'on  y  transporta  le  corps  de  saint  Hubert  ^ 
je  monastère  y  existait  déjà  et  l'on  explique  son  origine 
[>ar  un  miracle  analogue  à  ceux  que  nous  avons  déjà  relatés. 

i.  Demarleau,  Saint-Hubert,  1877,  p.  48;  Abbé  C.-J. Bertrand,  Pèle- 
inage  de  Suint-Hubert,  Namur,  1855,  p.  55  et  suiv. 


52  CHAPITRE  TROISIÈME 

Pendant  un  de  ses  voyages,   Plectrude,  femme  de  Pépin 
d'Héristal,  avait  fait  halte  en  cet  endroit. 

«  En  ce  moment  elle  vit  tomber  du  ciel  un  billet  écrit  en  lettres 
d'or'.  Elle  le  ramassa  tout  effrayée;  ayant  éveillé  ses  gens,  et, 
sans  confier  son  secret  à  personne,  elle  ordonna  de  rebrousser 
chemin.  Rentrée  en  son  palais,  elle  remit  le  billet  à  son  mari,  en 
lui  rapportant  la  circonstance  de  cet  événement  merveilleux.  Pépin 
étonné  chargea  Bérégise,  son  aumônier,  de  lui  expliquer  le  sens 
de  ce  billet.  L'homme  de  Dieu  répondit  que  le  lieu  où  ce  billet 
était  tombé  avait  été  choisi  de  Dieu  pour  le  salut  d'un  grand 
peuple,  et  que  beaucoup  d'âmes  y  passeraient  de  la  terre  au  ciel. 
Il  ajouta  que,  décidé  depuis  longtemps  à  quitter  le  monde,  il  était 
prêt  à  aller  habiter  cette  solitude  et  à  y  élever  un  monastère  afin 
de  mieux  répondre  aux  desseins  de  la  Providence  sur  ce  lieu,  si 
son  maître  voulait  le  lui  permettre.  Cette  proposition  plut  à  Pépin, 
et  malgré  le  chagrin  de  devoir  se  séparer  de  l'homme  qu'il  aimait 
le  plus,  il  se  rendit  en  ce  lieu  avec  une  suite  nombreuse  de  seigneurs 
de  sa  cour,  et  là,  par  une  donation  en  due  forme  et  approuvée  en 
présence  des  officiers  de  sa  suite,  il  abandonna  à  Bérégise  une 

1.  Les  lettres  qui  viennent  du  ciel  sont  généralement  écrites  en  lettres 
d "or.  En  voici  un  exemple  contemporain  : 

Une  religieuse  carmélite  «  très  familière  avec  la  Vierge  )>,  est  saisie  unj 
jour  de  l'appréhension  qu'elle  pouvait  n'être  pas  comme  les  autres  soeurs," 
la  fille  de  Marie,  «  à  cause  qu'elle  n'était  pas  pénitente  comme  elles  «.i 
Brûlant  d'être  fixée  sur  un  point  aussi  grave,  elle  écrivit  de  son  sang 
une  leltre  qu'elle  posa  sur  l'autel  après  s'être  mise  en  prière  quelque 
temps.  Après,  elle  reprit  ce  papier  où  elle  trouva,  au  bas,  écrit  en  lettres 
d'or  :  Je  te  reçois  pour  ma  fille.  {La  dévotion  à  Marie  en  exemples,  par 
le  R.  P.  Huguet,  Paris,  1868,  t.  II,  p.  372.  —  Cité  dans  Paul  Parfait, 
l'Arsenal  de  la  dévotion,  p.  323.) 

Quant  au  fait  de  lettres  venues  du  ciel,  la  chose  paraissait  tellement 
admissible,  pour  ne  pas  dire  naturelle,  que  le  trait  se  rencontre  comme 
ficelle  dans  les  fabliaux.  Dans  l'un  d'eux,  «  à  la  communion,  tout  à 
coup  une  colombe  blanche  descendit  du  ciel,  et  laissa  sur  l'autel  ur 
billet  qu'elle  portait  dans  son  bec.  Ce  billet  était  envoyé  par  Madame  saintf 
Marie....  »  Ailleurs,  une  colombe  descend  du  ciel  et  pose  sur  la  têt( 
d'un  condamné  qu'on  va  exécuter  un  billet  qui  expose  son  innocence 
Legrand  d'Aussy,  Anciens  Fabliaux,  éd.  de  1829,  t.  V,  p.  59  et  156.) 


SAINT  HUBERT  GUÉRISSEUR  DE  LA  RAGE  53 

wrtion  de   terrain  de  plus  de    deux  lieues  carrées,  dont  il  fixa 
'étendue  en  plaçant  des  bornes  ' .  » 

Cela  se  passait  à  la  fin  du  vii^  siècle,  et  Bérégise  fut  le 
premier  abbé  du  monastère  d'Andage.  Après  diverses  vicis- 
situdes, Fabbaye  devenue  abbaye  de  Saint-Hubert,  vit  s'a- 
grandir ses  domaines  et  son  influence  ;  les  abbés  de  Saint- 
Hubert  devinrent  les  seigneurs  d'un  véritable  petit  État 
:éodaI-. 

Les  revenus  de  l'abbaye  s'augmentaient  encore  de  tributs 
/olontaires  que  des  paroisses  et  des  familles  éloignées  en- 
voyaient régulièrement  chaque  année  pour  être  placées  sous 
a  protection  du  sainte  Le  Saint-Siège  témoignait  à 
'abbaye  une  faveur  particulière  :   «  On  compte  quatorze 

■iouverains  pontifes,  dit  l'abbé  Bertrand,  depuis  saint  Gré- 

f^-oire  YII  (1073)  jusqu'à  Urbain  VIII  (1623)  qui  donnèrent 
les  bulles  ou  des  rescrits  en  faveur  de  l'abbaye  de  Saint- 

:3ubert,  lui  accordèrent  de  nombreux  privilèges  et  qui  lan- 
èrent   un   anathème  éternel  contre   quiconque   porterait 

atteinte  aux  biens  meubles  ou  immeubles  qu'elle  possédait 
)u  acquerrait  à  l'avenir.  Une  de  ces  bulles  accordait  aux 

|ibbés  de  Saint-Hubert  le  droit  de  porter  les  ornements 
ipiscopaux  dans  les  cérémonies;  plus  tard  on  voit  les  abbés 
le  Saint-Hubert  siéger  aux  conciles  et  admis  aux  Etats  du 

'luché  de  Luxembourg.  » 

1.  Abbé  C.-J,  Bertrand,  Pèlerinage   de  Saint-Hubert,  Namur,  1855, 
..  16. 

I  2.  Voir  Bertrand,  op.  cit.,  p.  65  et  suiv. 

'  3.  Ce  n'était  pas  là  une  pratique  isolée,  et  nombre  d'autres  cou- 
•  ents  se  faisaient  un  revenu  de  redevances  qu'ils  reconnaissaient  par  des 
lervices  spirituels  et  pour  lesquels  ils  délivraient  des  «  brevets  ».  «  C'é- 
ait  autrefois  un  pieux  usage  de  la  part  des  communautés  religieuses, 
le  délivrer  aux  personnes  généreuses,  qui  les  favorisaient  de  leur  ar- 
gent ou  de  leur  crédit,  des  billets  ou  brefs  d'association  spirituelle,  don- 
lant  participation  au  mérite  de  toutes  les  bonnes  œuvres  qui  se  fai- 
iaient  dans  ces  communautés.  Les  prières  des  religieux  suivaient  leurs 
nenfaiteurs,  même  au  delà  du  tombeau.  »  (R.  P.  Calixte,  Vie  de  saint 
?élix  de  Valois,  Paris,  1869,  p.  299.) 


54  CHAPITRE  TROISIÈME 

11  y  avait  près  du  monastère  un  hôpital  où  logeaient  les 
malades  qui  venaient  chercher  le  remède  de  la  rage.  Car 
on  venait  à  Saint-Hubert  de  fort  loin,  et  souvent  par  bandes, 
quand  un  chien  ou  un  loup  enragé  avait  dans  le  même  accès 
blessé  un  grand  nombre  de  personnes.  Au  commencement 
du  xvm^  siècle,  lorsque  deux  bénédictins  qui  allaient  étu- 
dier les  manuscrits  conservés  dans  les  cloîtres  arrivèrent  à 
Saint-Hubert,  il  y  arriva  peu  après  une  bande  de  malheu- 
reux de  ce  genre.  «  Lorsque  nous  étions  dans  son  monas- 
tère, disent-ils,  il  y  arriva  dix  personnes  du  diocèse  de 
Langres  qui  avoient  été  mordues  par  un  chien  enragé*.  « 
A  cette  époque,  aller  de  Langres  à  Saint-Hubert  était  un 
voyage  plus  long  et  plus  difficile  qu'il  ne  l'est  aujourd'hui 
de  venir  de  Smolensk  au  laboratoire  de  M.  Pasteur. 

L'église  abbatiale,  qui  subsiste  encore,  a  été  commencée 
au  xvi^  siècle  après  un  incendie  qui  détruisit  l'ancienne. 
La  construction  ne  s'en  continua  que  lentement  :  c'est 
une  grande  et  belle  église^  appartenant  au  style  gothique 
tertiaire  et  dont  la  façade  est  flanquée  de  deux  tours  puis- 
santes. Malheureusement  la  façade  s'étant  écroulée  à  la 
suite  d'un  incendie,  on  la  reconstruisit  au  xvni^  siècle  dans 
le  lourd  style  du  temps. 

L'abbaye  fut  supprimée  par  la  Révolution  française,,  ses 
biens  confisqués  et  vendus.  En  1807,  l'église  allait  être 
démolie  quand  quelques  pieux  fidèles,  aidés  par  Févèque 
de  Namur,  la  rachetèrent  et  la  rendirent  au  culte.  Quant 
aux  bâtiments  attenants  et  qui  formaient  l'abbaye,  ils  eurent 
une  autre  destinée,  et  après  avoir  appartenu  à  divers  parti- 
culiers, ils  furent  acquis  par  le  gouvernement  belge  qui  en 
a  fait  une  maison  de  correction  pour  les  jeunes  détenus. 
L^ancienne  et  puissante  abbaye  n'a  donclaissé  d'autre  sou- 
venir que  cette  église,  aujourd'hui  desservie  par  le  clergé 
paroissial  de  l'autre  église,   l'ancienne   église  paroissiale. 

1.  Voyage  littéraire  de  deux  religieux  bénédictins,  II«  partie,  Paris, 
1724,  p.  145-147. 


SAINT  HUBERT  GUÉRISSEUR  DE  LA  RAGE  55 

La  ville  de  Saint-Hubert  a  donc  aujourd'hui  deux  églises 
tout  en  formant  une  seule  paroisse  :  et  ce  sont  les  prêtres 
de  la  paroisse  qui  jouent  aujourd'hui  le  rôle  d'aumôniers  de 
Saint-Hubert. 

Lors  de  la  suppression  de  l'abbaye,  en  1796,  plusieurs  reli- 
gieux restèrent  à  Saint-Hubert  et  cachèrent  la  Sainte-Étole.  Le 
moine  Dom  Isidore  Bauwens,  chargé  du  service  de  la  Trésorerie, 
continua  ses  fonctions  d'aumônier  jusqu'au  jour  de  sa  mort, 
arrivée  le  1-6  septembre  1813.  Ce  fut  alors  que  Mgr  Pisani  de  la 
Gaude,  évêque  de  Namur,  autorisa  le  clergé  séculier  de  la  ville  de 
Saint-Hubert  à  continuer  la  pratique  de  la  Taille. 

Quatre  années  auparavant,  l'illustre  prélat  avait  érigé  l'église 
de  l'abbaye  en  église  paroissiale.  A  cette  occasion  il  s'était  rendu 
à  Saint-Hubert,  et  avait  transféré  lui-même,  avec  grande  solen- 
nité, le  Très-Saint-Sacrement  de  l'ancienne  église  paroissiale  à  la 
basilique. 

Les  illustres  successeurs  de  Mgr  Pisani,  Mgr  Dehesselle, 
Mgr  Dechamps,  Mgr  Gravez,  notre  Révérendissime  Évêque  actuel, 
ainsi  que  nos  seigneurs  les  Évêques  de  Liège,  de  Gand  et  de 
Tournai  ont  voulu  faire  le  célèbre  pèlerinage  de  Saint-Hubert- 
Nous  avons  vu  ces  prélats  distingués  visiter  et  honorer  les  reliques 
du  glorieux  saint  par  les  mérites  duquel  -Dieu  se  plaît  à  opérer 
tant  de  guérisons  merveilleuses  *  . 

C'est  dans  l'ancienne  église  abbatiale  que  se  concentre  le 
culte  du  saint.  A  une  lieue  au  nord-est  se  trouve  la  ferme 
de  la  Converserie,  ainsi  nommée  parce  que  c'est  dans 
le  bois  voisin  que  saint  Hubert  s'est  conversé,  c'est-à- 
dire  converti  ;  il  y  avait  là  autrefois  une  chapelle  en  sou- 
venir de  l'apparition  miraculeuse  du  cerf.  En  effet,  du 
moment  que  le  culte  de  saint  Hubert  avait  son  centre  dans 
l'abbaye,  il  semblait  naturel  à  l'âme  populaire  et  synthé- 
tique que  le  miracle  ait  eu  lieu  en  cet  endroit  même^.  Dans 

1.  Hallet,  p.  96. 

2.  Demarteau,  Saint  Hubert,  1882,  p.  43;  Bertrand,  Pèlerinage, 
p.  73. 


56  CHAPITRE  TROISIÈME 

le  parc  qui  touche  à  l'ég-lise  se  trouve  une  fontaine  :  d'a- 
près la  tradition  populaire,  c'est  saint  Hubert  qui  l'aurait 
fait  jaillir  miraculeusement  en  frappant  le  solde  son  bâton. 
C'est  là,  en  effet,  l'origine  de  la  plupart  des  fontaines  mira- 
culeuses depuis  le  temps  de  Moïse  et  peut-être  plus  ancien- 
nement encore.  Pourtant  ni  la  ferme  de  la  Co)iverserie,  ni 
la  fontaine  ne  paraissent  être  aujourd'hui  l'objet  d'aucun 
culte.  La  piété  populaire  a  un  caractère  utilitaire;  comme 
c'est  dans  l'église  que  l'on  guérit  de  la  rage  et  par  un  rite 
qui  exige  l'intervention  du  prêtre,  c'est  à  l'église  que  vont 
]es  pèlerins,  sans  se  soucier  ni  de  la  ferme  de  la  Conver- 
serie,  ni  de  la  fontaine  miraculeuse. 


§    2.    LE    CORPS   DU   SAINT 

Une  des  particularités  du  culte  de  saint  Hubert  est  que 
ses  reliques  proprement  dites  n'y  jouent  et  ne  paraissent  y 
avoir  jamais  joué  aucun  rôle  :  tous  les  miracles  proviennent 
de  l'Etole.  Le  corps  même  de  saint  Hubert  ne  paraît  pas 
avoir  été  dépecé  sui.vant  l'usage  qui  faisait  partager  le  corps 
des  saints  pour  que  de  nombreuses  églises  en  eussent 
leur  part.  Lorsqu'il  fut  transporté,  en  82o,  dans  l'abbaye 
d'Andage,  à  laquelle  il  devait  donner  son  nom,  on  ouvrit  le 
cercueil  et  on  s'assura  que  le  corps  était  dans  son  intégrité. 
Le  corps  fut  alors  renfermé  dans  une  châsse  d'argent.  Au 
xn*  siècle,  il  faillit  être  enlevé  dans  une  surprise  par  Otbert, 
prince  évêque  de  Liège  ;  mais  les  religieux  réussirent  à 
rester  en  possession  de  leur  trésor.  «  En  1515,  dit  Tabbé  Ber- 
trand, Léon  X  donna  une  bulle  dans  laquelle  il  déclare  qu'il 
résulte  d'une  pétition  adressée  au  Saint-Siège,  par  l'abbé  et 
les  religieux  d'Andage,  que  le  corps  de  saint  Hubert,  entier 
et  exempt  de  corruption,  est  conservé  dans  l'église  de  ce 
monastère.  Et,  persuadé  de  son  intégrité,  par  le  rapport  de 
ses  commissaires,  le  pape  défend,  sous  peine  d'excommu- 
nication, à  tout  monastère,  à  toute  église,  chapelle,  etc  ,  de 


SAINT  HUBERT  GUÉRISSEUR  DE  LA  RAGE  57 

dire  qu'ils  en  possèdent  une  partie  quelconque  \  »  Viennent 
les  troubles  de  la  Réforme  ;  on  n'expose  plus  les  châsses  ; 
on  cache  les  corps  saints,  pour  les  mettre  à  l'abri  des  in- 
sultes et  de  l'incendie  des  gueux.  Que  devint  le  corps  de 
saint  Hubert  dans  cette  circonstance?  fut-il  brûlé  lors  du 
pillage  et  de  l'incendie  de  l'abbaye  par  les  huguenots,  en 
I068?  fut-il  caché  par  les  moines?  on  n'en  sait  rien.  S'il  a 
été  caché,  la  cachette  a  été  si  bien  choisie^  que,  malgré  les 
recherches  et  les  sondages  dans  le  sol  de  l'église,  on  n'a  pu 
le  retrouver  depuis.  L'opinion  reçue  parmi  le  clergé  de  Saint- 
Hubert  et  les  pieux  écrivains  qui  se  sont  occupés  de  cette 
question  est  pourtant  que  le  corps  n'est  pas  détruit,  et  qu'il  se 
trouve  encore  caché  quelque  part,  dans  un  caveau  inconnu  de 
l'église.  En  attendant,  on  prie  pour  que  la  Providence  per- 
mette de  retrouver  le  chemin  de  ce  caveau  mystérieux.  On 
a  imprimé  en  français  et  en  flamand  (la  seconde  langue  de 
la  Belgique)  un  Appel  à  la  prière  pour  retrouver  le  corps  de 
saint  Hubert.  Bien  plus,  sur  la  demande  de  l'évêque  de 
Namur,  le  pape  Pie  IX  «  a  accordé  dans  toute  l'effusion  de 
son  c\me  la  bénédiction  apostolique  aux  personnes  qui, 
réunies  en  pieuses  associations,  se  proposent  d'adresser  au 
Très-Haut  de  ferventes  prières  pour  la  découverte  du  corps 
du  glorieux  saint  Hubert'.  »  L'abbé  Hallet,  ancien  aumônier 
de  Saint-Hubert,  auquel  nous  empruntons  ce  texte,  invite 
aussi  «  les  fidèles  de  tous  les  diocèses  »  à  se  rendre  à  cet 
appel  pour  découvrir  cette  cachette  qui  «  est  jusqu'ici  le 
secret  de  Dieu.  »  «  A  cet  effet,  dit-il,  ils  pourront  réciter  les 
Litanies  de  saint  Hubert,  et  ajouter  la  prière  à  saint  Antoine 
de  Padoue,  invoqué  spécialement  pour  retrouver  les  objets 
perdus.  » 

Le  corps  de  saint  Hubert  est  perdu,  et  il  ne  paraît  pas 
qu'il  ait  jamais  été  partagé;  pourtant,  il  y  a  de  par  le 


1.  Bertrand,  op.  cit.,  p.  197. 

2.  F.  Hallet,  La  rage  conjurée  par  l'œuvre  de  saint  Hubert,  2'=  éclit., 
Paris  et  Bruxelles,  p.  207. 


58  CHAPITRE  TROISIÈME 

monde  des  reliques  qu'on  prétend  en  provenir.  M.  l'abbé 
Corblet,  dans  son  Hagiographie  du  diocèse  d Amiens,  dit  en 
termes  exprès  (t.  lY,  p.  320)  :  «  M.  l'abbé  Macquet,  qui 
mourut  aumônier  de  Thospice  de  Saint -Riquier,  avait, 
pendant  la  Révolution,  émigré  à  Hambourg-;  il  rapporta  du 
trésor  de  la  cathédrale  de  Liège  un  ossement  de  saint  Hu- 
bert qu'il  donna  à  l'église  de  Maison-Roland,  son  pays 
natal.  »  Pour  avoir  des  renseignements  plus  précis,  nous 
avons  écrit  à  M.  le  curé  de  cette  paroisse  ;  sa  lettre  nous  a 
confirmé  le  fait,  mais  sans  nous  communiquer  le  texte  de 
Vauthentique  que  nous  aurions  voulu  connaître  et  qui  se 
trouve  scellé  dans  le  reliquaire  ^ 

Mais  c'est  un  privilège  fréquent  aux  saints  délaisser  plus 
de  reliques  que  n'en  laissent  le  corps  des  autres  hommes  ; 
on  a  vu  plus  haut  qu'il  reste  trois  têtes  de  saint  Lambert. 

Autrey,  autrefois  abbaye  de  chanoines  réguliers  et  présente-  ' 
ment  petit  séminaire  du  diocèse  de  Saint-Dié,  possède  un  os  du 
pied  ou  de  la  main,  attribué  à  Saint-Hubert.   Cette  relique  fut 
l'objet  d'un  pèlerinage  considérable...  En  1495,  les  religieux  de 

1.  «  J'ai  su  par  les  habitants  de  Maison-Roland,  que  M.  l'abbé  Hu- 
bert Macquet  avait  fait  présent  à  la  fabrique  de  l'église  de  Maison-Ro- 
land d'un  ornement  en  velours  de  soie  rouge,  naais  on  ne  m'a  pas  dit 
d'où  venait  cet  ornement.  Dans  les  registres  de  mon  prédécesseur, 
M.  l'abbé  Gorin,  j'ai  trouvé  une  lettre  signée  L.-V.Cauchy,  dans  laquelle 
M.  le  curé  de  Saint-Sépulcre  annonce  qu'il  lui  envoie  deux  reli- 
quaires dans  l'un  desquels  sont  renfermées  des  reliques  de  saint  Mau- 
rice, patron  de  la  paroisse  de  Maison-Roland,  et  dans  le  second  plu- 
sieurs reliques,  dont  la  principale,  de  saint  Hubert,  est  un  os  d'un  déci- 
mètre de  longueur,  grosseur  d'un  doigt,  avec  les  authentiques  enfermés 
dans  les  reliquaires  cachetés  et  revêtus  du  sceau  de  l'évèché  de  Liège. 
Je  n'ai  pas  pu  lire  ces  authentiques  ;  pour  cela,  il  aurait  fallu  briser  les 
sceaux,  ce  qui  ne  m'était  pas  permis.  Quant  à  la  relique  de  saint  Hu- 
bert, personne  ne  vient  dans  l'église  où  elle  est  exposée  pour  prier,  afin 
d'être  préservé  de  la  rage.  Voilà  tout  ce  que  j'ai  appris  au  sujet  des 
reliques  que  possède  l'église  de  Maison-Roland.  « 

«  Toutes  les  reliques  de  Maison-Roland  ont  été  obtenues  par  l'entre- 
mise de  feu  M.  l'abbé  Hubert  Macquet,  » 


SAINT  HUBERT  GUÉRISSEUR  DE  LA  RAGE  59 

Saint-Hubert  en  Ardennes  attaquèrent  la  vérité  de  la  relique 
d'Autrey,  alléguant  que  le  corps  du  saint  évèque  de  Tongres  repo- 
sait entier  dans  leur  monastère.  La  cause  fut  plaidée  devant 
l'évéque  de  Bâle,  puis,  en  1513 ,  devant  l'évêque  de  Toul  ;  quelques 
années  plus  tard ,  elle  fut  portée  en  cour  de  Rome  :  elle  ne  fut 
point  jugée  quant  au  fond.  En  effet,  de  telles  questions  ne 
peuvent  être  tranchées  par  une  sentence  d'autorité.  La  relique 
d'Autrey,  qui  a  une  possession  nombre  de  fois  séculaire,  ne  peut 
être  dépossédée  que  par  l'exhibition  du  corps  de  saint  Hubert 
entier,  et  sans  aucune  altération  dans  aucun  de  ses  membres;  or, 
à  Saint-Hubert  des  Ardennes,  on  n'est  point  en  mesure  de  fournir 
la  preuve  de  cette  affirmation  avancée  il  y  a  près  de  quatre  siècles. 
Depuis  1792,  la  relique  d'Autrey  se  conserve  dans  l'église  parois- 
siale de  Rambervilliers  * . 

Limé,  dans  le  canton  de  Braisne  (Aisne),  possède  aussi 
une  relique  de  saint  Hubert  qui,  depuis  bien  des  siècles, 
attire  nombre  de  pèlerins.  «  Ces  saintes  reliques,  dit  un 
ancien  procès-verbal,  rédigé  en  1735,  par  l'ordre  de  l'évêque 
de  Soissons,  ont  été  de  temps  immémorial  révérées  des 
peuples^  sous  l'invocation  de  saint  Hubert,  notamment  de 
ceux  qui  avaient  eu  le  malheur  d'être  mordus  par  des  bêtes 
enragées,  lesquels  ont  souvent  ressenti  la  protection  de  ce 
grand  saint,  n'ayant  encouru  aucun  dommage  de  leurs 
blessures;  faits  qu'il  est  aisé  de  prouver  par  les  sujets 
encore  existants,  qui  ne  cessent  de  le  publier,  en  se  rendant 
assidûment  chaque  année,  par  reconnaissance,  au  dit  Limé, 
lieu  de  son  culte,  etc.  »  On  assure  encore  aujourd'hui  qu'au- 
cune bête  enragée  n'a  jamais  commis  de  ravage  sur  le 
territoire  de  Limé  '. 

§  3.  LES   RELIQUES  :  LA  SAINTE-ÉTOLE 

'(  Quel  que  soit  d'ailleurs  le  sort  du  corps  de  saint  Hubert, 
nous  dit  l'abbé  Bertrand,  il  n'est  pour  rien  dans  l'efficacité 

1.  P.  Guérin,  Petits  Bollandistes,  XIII,  139. 

2.  P.  Guérin,  ibid. 


60  CHAPITRE  TROISIEME 

du  pëlerinag'e  qui  se  fait  continuellement  à  son  église.  Sous 
ce  rapport,  le  corps  n'est  pas,  à  nos  yeux,  la  relique  prin- 
cipale. La  relique  principale,  selon  nous,  c'est  la  Sainte- 
Etole.  Voilà  ce  don  précieux  que  le  Seigneur  a  fait  à  l'hu- 
manité souffrante  ;  voilà  le  premier  objet  de  la  vénération 
du  pieux  pèlerin  ;  voilà  ce  à  quoi  la  ville  de  Saint- Hubert 
doit  son  origine,  ses  ressources  et  ses  communications  ; 
voilà  ce  qui  attire  dans  ses  murs  et  sous  son  ciel  glacé  les 
étrangers  de  tous  les  pays.  C'est  à  la  Sainte-Etole  à  qui 
tant  de  malheureux  doivent  leur  conservation  ;  c'est  à  elle 
que  nous  devons  notre  respect  et  notre  vénération  ^  » 

Il  est,  en  effet,  digne  de  remarque  que  ce  n'est  pas  le 
corps^  ce  ne  sont  pas  les  reliques  directes  de  saint  Hubert 
qui  produisent  le  miracle  séculaire,  c'est  l'étole  du  saint. 
Le  lecteur  sait  qu'on  nomme  étole  un  ornement  sacerdotal 
formé  d'une  bande  d'étoffe  qui  descend  du  cou  jusqu'aux 
pieds.  Pour  une  relique  aussi  importante,  puisqu'un  ange 
l'aurait  apportée  directement  du  ciel  en  cadeau  de  la  vierge 
Marie,  on  peut  s'étonner  qu'elle  ne  figure  pas  dans  la  vie 
primitive  du  saint.  Cette  vie  nous  apprend  seulement  que 
le  saint  fut  enseveli  avec  ses  ornements  sacerdotaux,  et 
que  seize  ans  après  cette  inhumation  ils  furent  retrouvés 
aussi  intacts  que  le  corps  même  de  l'évêque.  La  légende 
elle-même  n'est  pas  ancienne  et  l'impitoyable  M.  Demar- 
teau  se  demande  «  si  cet  incident  merveilleux  n'est  pas, 
comme  celui  du  cerf,  une  plante  parasite  ^  »  Ici  encore  la 
légende  paraît  avoir  été  empruntée  à  la  légende  d'un  autre 
sainL,  selon  le  principe  instinctif  des  hagiographes  qui  les 
porte  à  bourrer  de  tous  les  miracles  à  eux  connus  la  vie  du 
saint  qu'ils  célèbrent.  «  Peut-être,  dit  M.  Demarteau,  fau- 
drait-il faire  honneur  de  cette  légende,  si  honneur  il  y  a, 
au  génie  inventif  de  notre  bon  Jean  d'Outre-Meuse.  Cons- 
tatant à  la  fin  du  xiv^  siècle,  après  bien  d'autres  déjà,  les 


1.  Bertrand,  op.  cit.,  p.  203. 

2.  Dissertation  de  1882,  p.  54. 


SAINT  HUBERT  GUÉRISSEUR  DE  LA  RAGE  61 

prodig-es  opérés  par  cet^ornement  sacré,  il  aura  voulu  sans 
doute  les  expliquer  en  le  faisant  venir  directement  du  ciel, 
et  il  aura  appliqué  encore  une  fois  au  saint  liégeois  une 
histoire  racontée  précédemment^  soit  de  saint  Bonnet, 
évêque  de  Glermont  en  Auvergne  au  temps  de  saint  Hu- 
bert, soit  de  saint  Ildephonse,  archevêque  de  Tolède  au 
vn'^  siècle  :  on  prétend,  en  effet,  que  chacun  de  ces  deux 
prélats  aurait  reçu  de  la  Yierge  elle-même  une  chasuble 
pour  célébrer  le  saint  sacrifice  \  » 

Pourquoi  la  relique  d'où  dérive  la  guérison  de  la  rage 
est-elle  une  étole  plutôt  que  toute  autre  relique?  L'étole  a 
toujours  joué  un  rôle  dans  Le  rite  par  lequel  l'église  exorci- 
sait les  possédés  ou  démoniaques,  c'est-à-dire  les  fous,  car 
on  sait  que  la  folie  était  expliquée  par  la  possession  ou  la 
présence  d'un  démon;  chasser  le  démon,  c'était  guérir  le 
malade.  L'imposition  de  l'étole,  c'est-à-dire  le  fait  de  passer 
l'étole  sacerdotale,  objet  bénit  s'il  en  fût,  au  cou  du  possédé, 
forçait  le  démon  à  sortir  de  ce  corps  malheureux,  car  il  ne 
pouvait  supporter  le  contact  d'un  objet  bénit.  De  même 
dans  un  grand  nombre  de  légendes  oii  un  saint  délivre 
un  pays  infesté  par  un  dragon  redoutable,  le  dragon  devient 
doux  comme  un  mouton  dès  que  le  prêtre  lui  a  passé  l'étole 
au  cou,  et  il  va  docilement  se  noyer  dans  la  rivière  ou  le 
lac  que  le  saint  lui  indique.  Or  les  enragés  étaient  confon- 
dus avec  les  possédés  et  les  démoniaques;  cette  confusion 
existe  encore  aujourd'hui  à  Constantinople,  nous  dit  le 
P.  Victor  de  Buck^  D'après  une  lettre  du  pape  Léon  X,  ci- 
tée plus  loin  (p.  76)  on  traitait  encore  à  Saint-Hubert  les 
possédés  et  les  «  hérétiques  »,  tout  autant  que  les  gens 
mordus,  et  cela  au  xvi^  siècle. 

Un  chapitre  des  Miracles  met  cette  confusion  en  pleine 
lumière,  et  montre  que,  si  l'insertion  d'une  parcelle  de  l'é- 

1.  Rappelons  aussi  que  la  Sainte-Chandelle  d'Arras  a  été  apportée  par 
la  sainte  Vierge  elle-même  au  commencement  du  xu"  siècle,  dans  la  ca- 
thédrale de  cette  ville. 

2.  Cité  dans  Hallet,  op.  cit.,  p.  19. 


62  CHAPITRE  TROISIÈME 

tole  est  devenue  l'unique  remède,  il  n'en  était  pas  de  même 
autrefois.  On  traitait  aussi  les  enragés  comme  simplement 
possédés  ou  démoniaques. 

Un  gentilhomme  du  nom  de  Josbert,  de  Marie,  près 
Laon,  ayant  été  mordu,  fit  le  pèlerinage  de  Saint-Hubert, 
reçut  la  taille  et  l'instruction  pour  la  neuvaine.  Il  revient 
tranquillement  chez  lui  ;  mais  comme  il  néglige  d'accomplir 
les  prescriptions  de  la  neuvaine,  il  retombe  malade  et  on 
est  forcé  de  le  ramener  de  nouveau  à  Saint-Hubert.  Cette 
fois,  pour  exprimer  sa  reconnaissance  au  saint,  il  donne  à 
l'abbaye  le  tiers  de  son  bien  d'Evergnicourt.  Au  bout  d'un 
certain  temps,  il  s'avise  malheureusement  que  ses  revenus 
vont  se  trouver  diminués,  et  à  l'instigation  du  démon,  il 
revient  sur  sa  donation.  Désormais  en  proie  à  l'esprit 
immonde,  il  se  jette  sur  sa  femme,  lui  déchire  et  lui  arrache 
le  visage  avec  ses  dents  et  lui  donne  la  rage.  On  le  saisit, 
on  le  lie  et  on  le  mène  malgré  lui  à  Saint-Hubert.  Là, 
après  une  accalmie  et  un  nouvel  accès,  on  le  porte  attaché 
dans  l'église.  Pendant  trois  jours,  on  essaie  en  vain  de 
lui  faire  prendre  de  la  poussière  dii  tombeau  du  saint ^  ;  on 
le  met  alors  dans  un  tonneau  d'eau  froide  avec  des  exor- 
cismes  et  on  y  ajoute  de  cette  même  poussière.  Mais  le 
malin  ne  peut  résister  à  ces  signes  de  la  puissance  divine; 
il  sort  du  corps  de  celui  qu'il  possédait;  il  sort  par  le  che- 
min qu'il  prend  le  plus  souvent  en  pareil  cas  ;  aussi  s'ex- 
plique-t-on  aisément  l'odeur  fétide  que  le  démon  laisse 
d'ordinaire  dernière  lui  quand  il  sort  du  corps  d'un  possédé. 
Dans  le  cas  de  Josbert,  le...  bruit  fut  si  fort  que  le  tonneau 
en  éclata.  On  accourt  au  bruit;  on  trouve  Josbert  évanoui; 
mais  bientôt  il  revient  à  lui;  il  est  guéri.  Il  rend  grâce  à 
Dieu  et  au  saint,  et  il  reste  un  mois  à  Saint-Hubert,  où  sa 
femme  est  taillée,  fait  la  neuvaine  et  est  également  guérie. 
Après  avoir  renouvelé  sa  donation  il  rentre  chez  lui,  et 


1.  Sur  cet  usage  de  thérapeutique  sacrée,  voir  notre  Appendice. 


SAINT  HUBERT  GUÉRISSEUR  DE  LA  RAGE  63 

demeure,  pour  Je  reste  de  ses  jours,  dévot  à  saint  Hubert^ 
Quoiqu'il  en  soit,  la  pratique  particulière  de  l'étole  a  peu 
à  peu  supplanté  toute  autre.  A  une  date  que  nous  ne  pou- 
vons connaître,  on  aura  cru  rendre  le  traitement  plus  effi- 
cace et  plus  permanent  en  insérant  dans  le  corps  même 
du  mordu  un  fragment  de  l'objet  sacré.  C'est  au  front, 
comme  on  va  voir,  que  se  fait  cette  inoculation  :  peut-être 
est-ce  parce  que  l'imposition  des  cendres  se  fait  au  même 
endroit,  dans  la  cérémonie  bien  connue  du  premier  mer- 
credi de  carême. 

Si  la  légende  de  l'origine  surnaturelle  de  l'étole  est  rela- 
tivement moderne^  son  emploi  médical  est  beaucoup  plus 
ancien,  et  la  taille  est  mentionnée  dans  la  Yie  de  la  fin 
du  xf  siècle  {auro  sacrât  as  stolae  capiti  periditantis  de  more 
insito). 

La  Sainte  Etole  est,  nous  dit  M.  Demarteau,  «  un  bandeau 
de  soie  mêlée  d'or,  d'une  long-ueur  d'un  mètre  environ  sur 
quatre  centimètres  et  demi  de  largeur  ;  »  et  il  émet  le  vœu 
qu'elle  soit  soumise  à  l'examen  «  d'archéologues  experts 
en  l'art  de  reconnaître  les  étoffes  antiques  ^  »  Mais  un  exa- 
men de  ce  genre  aurait  déjà  eu  lieu,  à  entendre  la  protes- 
tation de  l'abbé  Bertrand,  k  Des  antiquaires  habiles  qui  ont 
examiné  cette  relique  nous  ont  souvent  dit  que  l'on  ne 
travaillait  pas  ainsi  la  soie  avant  le  xi°  siècle.  Nous  dé- 
montrerons pourtant  que  cette  étole  a  été  portée  par 
saint  Hubert,  et  que  par  conséquent  son  origine  remonte 
au  vm*"  siècle  ;  ce  qui  favorise  l'opinion,  qui  la  fait  descendre 
du  ciels.  »  La  démonstration  de  M.  l'abbé  Bertrand  repose 
seulement  sur  les  vies  modeimes  d'après  lesquelles  on  aurait 
retiré  l'étole  du  cercueil  lors  de  la  translation  du  corps  à 
Andage  en  825.  Mais  ces  textes  modernes  sont  sans  auto- 
rité en  présence  du  silence  des  anciennes  Vies, 

1.  Acta  SS.  ordinis  S.  BenedicH,  ive  siècle,  I''^  partie,  p.  303  (éd.  de 
Paris). 

2.  Dissert.  de  1882,  p.  54. 

1    3.  Bertrand,  op.  c/^.,  p.  104. 


64  CHAPITRE  TROISIEME 

M.  l'abbé  Bertrand,  et  après  lui  M.  l'abbé  Hallet  dis- 
tinguent^ du  reste,  les  deux  questions  de  l'origine  céleste  et  ■ 
do  la  vertu  miraculeuse  de  l'Étole. 

L'Étole  conservée  à  la  Trésorerie,  dit  M.  Bertrand,  est  celle- 
là  même  que  la  sainte  Vierge  fit  remettre  à  saint  Hubert  par  le 
ministère  d'un  ange,  au  moment  de  sa  consécration  comme  évêque 
de  Tongres.  Les  principaux  auteurs  qui  ont  écrit  sur  la  vie  de 
saint  Hubert,  tels  que  Happart,  R..  Hancar,  Fisen,  le  savant  R.o- 
berti,  Bertholet,  etc.,  ne  doutent  nullement  que  l'origine  de  cette 
Étole  soit  céleste.  Cependant  ce  n'est  pas  un  point  de  foi  aux 
yeux  de  l'Église,  c'est  seulement  un  sentiment  qu'il  est  libre  à 
tout  catholique  d'embrasser.  «  Ce  serait  peu  connaître  le  catho- 
licisme si  l'on  pensait  qu'il  est  défendu  aux  catholiques  de  croire 
ce  qu'ils  veulent  au  sujet  de  la  sainte  Étole  de  saint  Hubert.  » 
Ce  sont  les  paroles  du  savant  et  célèbre  auteur  de  La  sainte 
Etole  vengée...  11  est  évident  que  l'Église  ne  transforme  pas  en 
point  de  foi  proprement  dit  et  obligatoire  les  pieuses  croyances 
qu'elle  permet  et  doit  permettre  d'embrasser  ou  de  rejeter  libre- 
ment, puisqu'elles  n'ont  rien  de  répréhensible  et  qu'elles  ne 
manquent  pas  d'ailleurs  de  fondement  suffisant  pour  donner  lieu 
à  une  croyance  raisonnable.  Quelle  que  soit  l'origine  de  la  Sainte- 
Étole,  il  est  certain  qu'elle  a  appartenu  à  saint  Hubert;  on  l'ôta 
de  son  corps,  lors  de  sa  translation  à  Andage  (825),  comme  l'at- 
testent Happart,  Hancar  et  le  P.  R.oberti.  Elle  ne  tarda  pas  à  ac- 
quérir une  grande  réputation  miraculeuse.  Les  auteurs  catho- 
liques qui  ne  croient  pas  à  sa  descente  du  ciel,  reconnaissent  son 
authenticité  et  sa  vertu  miraculeuse.  La  tradition  ne  fait  pas  déri- 
ver sa  vertu  miraculeuse  de  son  origine  céleste,  mais  de  ce  qu'elle 
a  appartenu  à  saint  Hubert.  «  Pour  être  miraculeuse,  il  ne  faut 
pas  que  la  Sainte-Étole  soit  venue  du  ciel.  »  On  ne  défendra  pas 
à  Dieu  de  glorifier  des  reliques,  quoiqu'elles  ne  soient  pas  venues 
du  ciel.  Les  linges  de  samt  Paul,  dont  parle  l'Écriture  sainte, 
guérissaient  les  malades  sans  être  descendus  du  Ciel.  Il  faut  en 
dire  autant  de  l'ombre  de  saint  Pierre  que  je  ne  sache  pas  nor 
plus  être  descendue  du  Ciel.  Les  prodiges  de  protection  que  Diei 
multiplie  en  faveur  de  ceux  qui  honorent  saint  Hubert  dans  ceth 
précieuse  relique,  ne  dépendent  ni  en  réalité,  ni  dans  le  senti 
ment  des  fidèles,  de  l'opinion  qui  la  fait  descendre  du  ciel,  mai 


SALNT  HUBERT  GUERISSEUR  DE  LA, RAGE  65 

de  cette  vérité  qu'elle  a  été  portée  par  saint  Hubert.  Et  c'est  sur 
ce  double  fondement  de  son  authenticité  et  de  sa  vertu  miracu- 
leuse qu'a  toujours  été  fondé  l'usage  salutaire  qu'on  en  a  fait 
pour  guérir  de  l'hydrophobie^. 

La  vertu  de  l'étole  opère  par  les  parcelles  qui  en  sont 
détachées.  «  Depuis  plus  de  mille  ans,  dit  M.  l'abbé  Hallet, 
on  détache  de  temps  en  temps  des  parcelles  de  la  Sainte 
Etole,  pour  deux  fins,  savoir  :  i°  pour  toucher  les  objets 
bénits,  tels  que  chapelets,  médailles,  bagues,  cornets, 
clefs,  etc;  2°  pour  l'opération  de  la  taille.  Dans  le  premier 
cas,  on  coupe  un  petit  morceau  de  la  Sainte-Étole,  que  l'on 
applique  sur  une  pelote  et  que  l'on  remplace  quand  il  est 
entièrement  usé.  Dans  le  second  cas,  on  détache  des  fils 
que  l'on  réduit  ensuite  en  parcelles".  » 

Malgré  le  fréquent  enlèvement  de  ces  parcelles,  l'étole 
n'a  pas  sensiblement  diminué. 

Le  Père  Roberti  avait  fait,  en  '1621,  le  calcul  des  parcelles 
qu'on  pouvait  avoir  détachées  de  l'Étole  pendant  huit  cents  ans, 
c'est-à  dire  depuis  l'époque  de  la  translation  du  corps  de  saint 
Hubert,  et  il  trouva  que  ces  parcelles  réunies  formeraient  une 
étendue  de  dix-sept  pieds  et  demi  d'étoffe,  ayant  la  même  lon- 
gueur que  l'Étole  de  la  Trésorerie.  Si  à  cette  longueur  on  ajoute 
la  longueur  dans  laquelle  se  trouve  actuellement  l'Etole  de  saint 
Hubert,  on  aura,  dit-il,  une  longueur  totale  de  plus  de  vingt  pieds. 
Cependant  l'étole  ecclésiastique  la  plus  longue  a  à  peine  dix  pieds. 
Ce  calcul  du  savant  jésuite  ne  lui  fait  pas  dire,  ce  qu'aucun  au- 
teur catholique  ne  dit,  à  savoir,  que  l'Étole  de  saint  Hubert  ne 
diminue  pas,  il  avoue  même  qu'au  temps  où  il  écrivait,  elle  était 
diminuée.  Mais  si  l'on  considère  :  1"  le  grand  nombre  de  parcelles 
qu'on  en  détache  depuis  tant  de  siècles  ;  2°  que  plusieurs  églises 
3t  même  plusieurs  particuliers  en  ont  des  morceaux  considérables 
2n  leur  possession,  on  sera  étonné,  ou  plutôt  on  ne  comprendra 
pas  comment  elle  a  conservé  l'étendue  qu'elle  a  encore  aujourd'hui. 

1.  Bertrand,  p.  143-145;  cl'.  Hallet,  p.  54. 

2.  Hallet,  op.  cit.,  p.  -56. 

I,A    RAGF.  5 


66  CHAPITRE  TROISIEME 

On  ne  sera  pas  moins  surpris  qu'elle  ait  conservé  son  intégrité 
essentielle,  malgré  l'action  de  l'air  et  de  l'humidité,  malgré  le 
contact  et  les  déplacements  continuels  qu'elle  a  subis.  Mais  Celui 
qui  au  temps  d'Élie  et  d'Elisée,  n'a  pas  laissé  diminuer  la  farine 
et  l'huile  de  deux  pauvres  veuves,  et  qui  a  nourri  lui-même  quatre 
mille  hommes  avec  sept  pains,  peut  taire  et  fait  encore  tous  les 
jours  des  merveilles  qu'il  serait  aussi  ridicule  à  l'homme  de  vou- 
loir comprendre  qu'empêcher  K 

On  conserve  encore  d'autres  reliques  du  saint  dans  le 
trésor  de  l'église  abbatiale,  reliques  qui  auraient  également 
été  retirées  de  son  cercueil  en  823  :  un  fragment  de  peigne 
en  ivoire  ;  «  une  crosse  d'ivoire  d'un  travail  très  soigné,  peut- 
êlre  trop  pour  l'époque  à  laquelle  on  la  fait  remonter'  » ,  le 
cor  de  chasse  du  saint,  puisqu'il  est  le  patron  des  chasseurs  : 
c'est  une  trompe  d'ivoire  de  cinquante-trois  centimètres  de 
longueur,  garnie  de  larges  plaques  de  cuivre".  «  La  Trésore- 
rie contient  aussi  une  chasuble  donnée  aux  moines  d'An- 
dage,  dit  M.  l'abbé  Bertrand,  par  Louis  le  Débonnaire.  Une 
anecdote  montrera  comme  tout  grandit  dans  l'imagination 
populaire,  ou  plutôt  comme  tout,  dans  l'obscur  travail 
mental  des  masses,  se  groupe  autour  d'une  idée  unique 
et  vient  s'y  rattacher  :  un  marchand  d'objets  de  piété  à 
Saint-Hubert,  nous  parlant  des  reliques  de  saint  Hubert 
conservées  dans  l'église,  mettait  dans  son  énumératiou  «  le 
manteau  donné  par  Charlemagne  à  saint  Hubert  î  » 

1.  Bertrand,  p.  105. 

2.  Bertrand,  op.  cit.,  p.  106. 

3.  Cet  olifant,  ou  cor  de  chasse  de  saint  Hubert,  n'est  pas  seul  de  sor 
espèce.  On  en  conserve  un  autre  au  musée  de  la  ville  du  Puy-en-Velay.| 
D'après  une  tradition  locale,  cet  olifant  aurait  appartenu  à  saint  Hubert' 
et  à  ce  titre  il  était  conservé  depuis  une  époque  très  reculée  dans  h 
trésor  de  la  cathérale  du  Puy.  Au  moment  de  la  Révolution,  il  fut  sauv( 
par  un  chanoine  de  cette  cathédrale,  ]\I.  d'Authier  de  Saint-Sauveur, 
qui  plus  lard  en  fit  don  au  musée  de  la  ville. 


SAI.XT  HUBERT  GUERISSEUR  DE  LA  RAGE  67 

§  4.  LA  TAILLE  ET  LE  RÉPIT 

Une  anecdote  rapportée  par  M.  l'abbé  Hallet  met  bien  en 
Jumière  l'intercession  spéciale  de  saint  Hubert  dans  les  cas 
de  rag^e.  Vouloir  s'adresser  à  d'autres  qu'à  lui,  même  à  de 
plus  grands  que  lui,  serait  perdre  sa  dévotion  et  sa  peine, 
s"il  faut  croire  les  apolog'istes  et  aumôniers  de  saint  Hubert. 

Le  père  Pvoberti,  dans  son  Historia  sancti  Huberti  (1620), 
raconte  le  trait  suivant  arrivé  à  Durbuy  (Luxembourg)  et  dont  il 
assure  avoir  eu  lui-même  sous  les  yeux  le  témoignage  écrit  e 
signé  par  les  autorités  locales. 

Une  femme  fut  attaquée  dans  les  champs  par  un  loup  enragé. 
Elle  se  défendit  comme  elle  put  contre  le  terrible  animal,  qui  lui 
lit  plusieurs  blessures.  Tantôt  elle  cria  au  secours,  tantôt  elle  in- 
voqua les  saints  noms  de  Jésus  et  de  Marie,  mais  inutilement, 
lorsqu'il  lui  vint  à  l'esprit  d'invoquer  aussi  le  nom  de  notre 
grand  Saint,  le  Patron  spécial  contre  la  rage.  A  peine  eut-elle 
prononcé  le  nom  de  saint  Hubert,  que  l'animal  lâcha  prise  et  s'en- 
fuit dans  le  bois. 

Le  nom  de  saint  Hubert  était-il  donc  plus  puissant  auprès  de 
Dieu  que  les  saints  noms  de  Jésus  et  de  Marie  ?  Nullement,  mais 
ce  fait  dénote  simplement  que  le  Seigneur,  en  vue  du  2Jouvoir 
spécial  qu'il  a  accordé  à  saint  Hubert  contre  la  rage,  veut  le  voir 
honorer  d'une  manière  spéciale  en  tout  danger  de  la  terrible  ma- 
ladie '. 

1.  Hallet,  p.  155.  —  Dom  Guéranger  rapporte  une  anecdote  de  ce 
^enre,  à  cela  près  qu'il  y  est  question  de  saint  Benoît.  Un  esprit  frap- 
peur, évoqué  dans  une  table  tournante,  déclare  que  la  médaille  de  saint 
Benoît  l'avait  précédemment  empêché  de  se  manifester,  mais  que  la 
médaille  de  la  sainte  Vierge  n'aurait  pas  eu  ce  pouvoir.  «  Quelques 
personnes,  ajoute  Dom  Guéranger,  ont  paru  étonnées  de  ce  que,  dans  la 
circonstance  que  nous  racontons.  Dieu  ait  voulu  agir  par  le  moyen  de 
la  médaille  de  saint  Benoît,  plutôt  que  par  celle  de  la  sainte  Vierge. 
Elles  n'ont  pas  réfléchi  que  ce  raisonnement  irait  à  anéantir  le  recours 
aux  saints,  puisque  la  sainte  Vierge  exerce  un  pouvoir  incontestable- 
ment plus  étendu  que  celui  de  tous  les  saints  ensemble.  Il  serait  à  pro- 
pos que  ces  personnes  comprennent  que  Dieu  lui-même  nous  accordant 


68  CHAPITRE  TROISIÈME 

Après  ce  témoignage  du  P.  Roberti,  nous  pouvons  croire 
au  propos  répété  par  Henri  Estienne  «  que  si  le  Saint-Es- 
prit estoit  mors  (mordu)  d'un  chien  enragé,  encore  faudroit- 
il  qu'il  vînt  à  saint  Hubert  s'il  vouloit  être  guari.  Ce  qui 
fut  dict  par  un  porteur  de  rogatons  ayant  des  reliques  du 
dict  saint  Hubert*.  » 

11  y  a  deux  opérations  curatives  de  la  rage  :  la  taille  et 
le  répit. 

La  personne  qui  doit  être  taillée  a,  le  matin,  entendu  la 
messe  et  communié,  car  elle  doit  être  en  état  de  grâce. 
Elle  est  introduite  dans  la  Trésorerie;  c'est  une  sorte  de 
sacristie  où  sont  conservées  les  reliques  et  le  trésor  de  l'é- 
glise. La  pièce  est  petite  :  au  fond  les  armoires  contenant 
le  «  trésor  »  ;  une  barrière  en  bois,  formant  prie-Dieu  sur 
son  côté  extérieur,  est  placée  en  avant  des  armoires.  Le 
prêtre  s'assied  derrière  la  barrière,  après  avoir  passé  à  son 
cou  une  étole  verte.  Le  pénitent  (on  peut  donner  ce  nom  à 
la  personne  mordue)  s'agenouille  devant  lui.  Le  prêtre 
récite  les  formules  rituelles,  et  fait  dire  au  pénitent  une 
courte  prière  à  saint  Hubert.  Cela  fait,  le  pénitent  s'assied 
dans  un  fauteuil  et  renverse  la  tête  en  arrière;  le  prêtre, 
avec  un  canif,  lui  fait  au  front  une  incision  perpendiculaire 
d'environ  deux  centimètres  de  long  :  on  voit  se  dessinerl 
une  ligne  sanglante.  L'incision  faite^  le  prêtre  soulève  lé-i 
gèrement  l'épiderme  avec  un  poinçon  et  y  introduit  «  une 
très  petite  parcelle  d'un  filament  détaché  de  la  Sainte-; 
Etole.  »  Pour  éviter  que  la  relique  ne  s'échappe  et  ne  se^ 
perde,  car  l'opération  perdrait  son  efficacité  et  la  relique, 
serait  profanée,  le  prêtre  recouvre  aussitôt  l'incision  d'unl| 

souvent  par  Marie  des  faveurs  que  nous  lui  avions  demandées  sans 
être  exaucés,  Marie  daigne  aussi  trouver  bon  que  nous  obtenions  patj 
les  saints  des  secours  qu'il  ne  dépendrait  que  d'elle  de  nous  accorder.  )!J 
(Dom  Guéranger,  Essai  sur  l'origine,  la  signification  et  les  privilèges  d(| 
la  médaille  ou  croix  de  saint  Benoît,  9"  édit.  (1885),  p.  72.) 
1.  Henri  Estienne,  Apologie  pour  Hérodote,  eh.  xxxix. 


SAINT  HUBERT  GUÉRISSEUR  DE  LA  RAGE  69 

bandeau  noir  qui  fait  le  tour  de  la  tête  et  que  la  personne 
taillée  doit  garder  pendant  neuf  jours.  Le  remède,  comme 
on  voit,  résulte  de  l'introduction  d'une  relique  dans  le 
corps.  C'est  l'application  d'un  principe  de  thérapeutique 
religieuse  dont  il  y  a  nombre  d'exemples  et  dont  nous  par- 
Ions  dans  notre  appendice. 

L'opération  est  achevée  :  le  prêtre  inscrit  dans  un  registre 
le  nom  et  l'adresse  de  la  personne  taillée,  et  il  remet  à 
celle-ci,  avec  une  attestation,  le  texte  des  prescriptions  de 
la  neuvaine  qu'elle  doit  suivre  après  l'opération.  Le  voici  : 

1°  Elle  doit  se  confesser  et  communier  sous  la  conduite  et 
le  bon  avis  d'un  sage  et  prudent  confesseur  qui  peut  en  dispen- 
ser *. 

2°  Elle  doit  coucher  seule,  en  draps  blancs  et  nets,  ou  bien 
toute  vêtue  lorsque  les  draps  ne  sont  pas  blancs. 

?P  Elle  doit  boire  dans  un  verre  ou  autre  vase  particulier  ;  elle 
ne  doit  point  baisser  la  tête  pour  boire  aux  fontaines  ou  rivières, 
sans  cependant  s'inquiéter,  si  elle  regardait  ou  se  voyait  dans  les 
rivières  ou  miroirs. 

4°  Elle  peut  boire  du  vin  rouge,  clairet  et  blanc  mêlé  avec  de 
l'eau,  ou  boire  de  Teau  pure. 

5°  Elle  peut  manger  du  pain  blanc  ou  autre,  de  la  chair  d'un 
porc  mâle  d'un  an  ou  plus,  des  chapons  ou  poules  aussi  d'un  an  ou 
plus,  des  poissons  portant  écailles  comme  harengs,  saurets, 
carpes,  etc.,  des  œufs  cuits  durs;  toutes  ces  choses  doivent  être 
manges  froides;   le  sel  n'est  point  défendu. 

6°  Elle  peut  se  laver  les  mains  et  se  frotter  le  visage  avec  un 
linge  frais;  l'usage  est  de  ne  pas  se  faire  la  barbe  pendant  les 
neuf  jours. 

7°  Il  ne  faut  pas  peigner  ses  cheveux  pendant  quarante  jours, 
la  neuvaine  y  comprise. 

8"  Le  dixième  jour  il  faut  faire  délier  son  bandeau  par  un 
(Jiètre,  le  faire  brûler  et  en  mettre  les  cendres  dans  la  piscine. 

*.)"  Il  faut  garder  tous  les  ans  la  fête  de  saint  Hubert,  qui  est 
le  troisième  jour  de  novembre. 

1.  Autrefois  on  prescrivait  aux  personnes  taillées  la  confession  et  la 
communion  pendant  neuf  jours  consécutifs,  avec  le  consentement  du 
confesseur. 


70  CHAPITRE  TROISIÈME 

10°  Et  si  la  personne  recevait  de  quelques  animaux  enragés  la 
blessure  ou  morsure  qui  allât  jusqu'au  sang,  elle  devrait  faire  la 
même  abstinence  l'espace  de  trois  jours  \  sans  qu'il  soit  besoin  de 
revenir  à  Saint-Hubert. 

11°  Elle  pourra  enfin  donner  répit  ou  délai  de  quarante  jours 
à  toutes  personnes  blessées  ou  mordues  à  sang  ou  autrement 
infectées  par  quelques  animaux  enragés  '.  » 

Ces  prescriptions  sont  d'ordre  divers  :  les  unes,  et  ce 
sont  celles  qu'on  indique  comme  les  plus  importantes,  ont 
pour  but  de  «  purifier  l'àme  et  le  corps,  par  la  grâce 
annexée  aux  sacrements  de  Pénitence  et  d'Eucharistie.  » 
En  effet,  comme  l'a  écrit  le  P.  Roberti,  on  doit  recon- 
naître «  qu'il  a  été  très  saintement  ordonné  que  celui  qui 
veut  obtenir  de  Dieu  la  santé  corporelle,  travaille  premiè- 
rement à  guérir  les  maladies  de  son  âme;  celles-ci  étant 
parfois  la  cause  d'infirmités,  corporelles,  selon  les  paroles 
de  Notre-Seig-neur  au  malade  guéri,  en  saint  Jean,  cha- 
pitre v,  V.  14  :  Vous  voilà  guéri  :  ne  péchez  plus  à  r ave- 
nir, de  peur  quil  ne  vous  arrive  quelque  chose  de  pis^.  » 

Les  autres  prescriptions  sont  d'ordre  naturel,  ce  sont  des 
précautions  hygiéniques,  dont  quelques-unes  font  aujour- 
d'hui sourire,  mais  elles  remontent  à  une  époque  oh  la  ' 
médecine  comptait  par  centaines  les  recettes  pour  nous 
naïves  ou  ridicules.  Ces  prescriptions  recommandent  un 
régime  modéré  et  frugal,  propre  à  ne  pas  réveiller  ou 
aviver  le  mal.  Lorsqu'on  demande  une  faveur  à  un  saint, 
on  ne  doit  rien  faire  de  contraire  à  la  faveur  que  Ton  de- 
mande^  C'est  dans  cet  esprit  qu'on  explique  les  prescriptions 
de  la  neuvaine  qui  ont  une  apparence  bizarre,  par  exemple 

1.  Faire  la  même  abstinence,  c'est-à-dire  observer  les  articles  de  la 
Neuvaine  pendant  trois  jours. 

2.  Hallet,  p.  72-74. 

3.  Cité  dans  Hallet,  p.  81. 

4.  «  Attendre  de  Dieu  une  guérison  de  ce  genre  en  faisant  des  choses 
contraires  à  cette  guérison,  c'est  ne  pas  montrer  de  la  conflance,  c'est 
tenter  Dieu,  c'est  se  moquer.  »  Bertrand,  p.  153. 


SAINT  HUBERT  GUERISSEUR  DE  LA  RAGE  71 

les  mesures  de  propreté  des  articles  2  et  3.  C'est  par  esprit 
de  pénitence  et  d'abstinence  qu'on  s'abstiendra  de  divers 
mets.  C'est  pour  éviter  de  laisser  sortir  du  front  la  parcelle 
de  la  Sainte-Etole  que  l'on  ne  devra  point  se  baisser  pour 
boire  aux  fontaines  et  aux  rivières,  et  aussi  s'abstenir  du 
peigne  et  du  rasoir'. 

La  taille  ne  se  donne  qu'aux  personnes  qui  ont  été  mor- 
dues à  sang  et  quand  on  a  lieu  de  croire  que  le  chien  ou 
tout  autre  animal  qui  a  mordu  était  réellement  enragé.  Ce 
serait  abuser  des  saintes  reliques  que  s'en  servir  sans  raison 
suffisante.  «  La  taille  est  regardée  comme  une  faveur, 
qu'on  ne  peut  accorder  distinctement  à  toutes  les  personnes 
qui  la  désirent,  mais  seulement  à  celles  qui  sont  censées 
avoir  contracté  le  principe  de  la  rage.  La  personne  qui  a 
été  taillée  doit  faire  une  neuvaine  conformément  à  un 
agenda  qui  lui  est  remis".  »  Elle  ne  se  donne  aussi  qu'aux 
personnes  ayant  atteint  l'âge  de  discrétion  :  les  enfants  qui 
n'ont  pas  encore  fait  leur  première  communion  ne  sont  pas 
admis  à  être  taillés. 

Le  répit ^  dont  le  nom  indique  la  signification,  n'implique 
aucune  opération.  Il  se  donne  soit  aux  enfants  qui  ont  été 
mordus  à  saiig,  soit  aux  grandes  personnes  chez  lesquelles 
la  morsure  n'a  pas  pénétré  jusqu'à  la  chair  vive,  ni  produit 
de  contusion. 

Aux  enfants  mordus  à  sang^  on  donne  ce  qu'on  appelle 
le  répit  à  terme  de  quinze  à  trente  ans  suivant  les  circons- 
tances. L'enfant  est  assuré  contre  la  rage  pendant  ce  délai. 
Il  s'agenouille  devant  le  prêtre  selon  le  rite  décrit  plus 
haut  et  celui-ci  lui  touche  le  front  avec  la  pelote-reliquaire 

1.  «  La  guérison  de  la  rage  par  la  Taille  est  aussi  surnaturelle  [que 
plusieurs  guérisons  miraculeuses  rapportées  dans  la  Bible].  Dieu  pour- 
rait aussi  l'opérer  sans  exiger  la  pratique  des  prescriptions  de  la  Neu- 
vaine ;  néanmoins,  il  veut  qu'on  observe  ces  prescriptions  qui  ont 
quelque  rapport  avec  la  guérison  produite  par  sa  puissance.  «  Bertrand, 
p.  166. 

2.  Hallet,  p.  58. 


72  CHAPITRE  TROISIÈME 

recouverte  d'un  fragment  de  la  Sainte-Étole.  Les  parents 
doivent  au  nom  de  l'enfant,  faire  une  neuvaine  de  prières 
en  l'honneur  de  saint  Hubert.  L'enfant  lui-même,  devra, 
après  sa  première  communion,  ou  plus  tard,  devenu 
homme,  mais  avant  le  terme  de  son  répit,  retourner  à  saint 
Hubert  pour  le  faire  renouveler. 

Une  seconde  sorte  de  répit  est  le  répit  à  vie,  qui  se  donne 
pour  99  ans. 

On  accorde  le  répit  de  99  ans  à  trois  classes  de  personnes  : 

a)  A  celles  qui  ont  été  mordues  jusqu'au  sang  par  un  animal 
qui  ne  présentait  que  des  indices  douteux  de  rage; 

h)  Aux  personnes  qui  ont  été  mordues  par  un  animal  enragé 
si  la  morsure  n'a  pas  pénétré  jusqu'à  la  chair  vive,  ni  produit 
de  contusion,  dit  l'auteur  de  la  Vie  et  miracles  ; 

c)  Aux  personnes  qui,  bien  qu'elles  n'aient  éprouvé  aucune 
lésion  provenant  d'un  animal  enragé,  se  croient  infectées  du  venin 
de  la  rage  ou  craignent  que  ce  malheur  ne  leur  arrive  par  suite 
de  la  frayeur  ou  pour  quelque  autre  causée 

Ces  personnes  doivent  faire  une  neuvaine  en  l'honneur  < 
de  saint  Hubert.  Les  prières  à  réciter,  chaque  jour  de  la  i 
neuvaine,   sont  cinq  Pater  et  cinq  Ave  avec  l'invocation 
suivante  :  Saint  Hiiberft,  p)riez  pour  moi,  afin  que  je  sois 
préservé  de  ce  mal.  Les  aumôniers  «  prescrivent  également    , 
ou  imposent,  s'ils  le  jugent  nécessaire,  de  faire  une  bonne  \ 
confession  et  une  sainte  communion,  afin  d'obtenir  plus 
sûrement,  par  ce  double  moyen,  la  faveur  qu'on  sollicite.  » 

Les  aumôniers  de  Saint-Hubert  remarquent,  du  reste, 
dans  leurs  écrits^,  qu'à  côté  de  la  rage,  il  y  a  aussi  la  ma- 
ladie de  la  peur  (souvent  aussi  dangereuse  que  la  rage  i 
elle-même)  chez  les  personnes  où  la  morsure  n'a  fait  qu'ef-  ' 
fleurer  la  peau  ou  bien  qui  ont  été  souillées  par  la  bave  ou 
la  salive  du  chien.  «  Par  le  répit,  ces  pauvres  malades  re- 


1.  Hallet.p.  102. 

2.  Bertrand,  op.  cit.,  p.  170,  et  Hallet,  op.  cit.,  p.  104. 


SAINT  HUBERT  GUÉRISSEUR  DE  LA  RAGE  73 

trouvent  la  tranquillité  morale  et  conséquemment  la  santé 
du  corps.  » 

Seuls  les  aumôniers  de  Saint-Hubert  en  Ardenne  ont  le 
pouvoir  de  donner  le  répit  à  terme  et  le  répit  à  vie.  Quant 
au  répit  de  40  jours  qui  en  est  la  troisième  forme,  toutes 
les  personnes  qui  ont  subi  l'opération  de  la  taille  peuvent 
le  donner. 

La  manière  de  prendre  le  répit  de  40  jours,  selon  l'auteur  du 
livre  Vie  et  Miracles  de  Saint-Hubert,  c'est  d'aller  trouver  ou  de 
faire  venir  chez  soi  une  personne,  soit  homme,  soit  femme, 
autrefois  taillée  de  la  Sainte-Étole.  Il  faut  se  mettre  à  genoux 
devant  cette  personne  comme  représentant  saint  Hubert  en  cette 
occasion,  et  lui  dire  :  Je  voies  demande  Répit  au  nom  de  Bieu, 
de  la  bienheureuse  Vierge  Marie  et  du  glorieux  saint  Hubert. 
La  personne  autrefois  taillée  accorde  la  grâce  demandée  en  ré- 
pondant :  Je  vous  donne  Répit  pour  40  jours,  au  nom  de 
Dieu,  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie  et  du  glorieux  saint 
Hubert,  aii  nom  du  Père  et  du  Fils  et  du  Saint-Esprit.  Ainsi 
soit-il. 

En  disant  ces  dernières  paroles  elle  fait  le  signe  de  la  croix, 
en  forme  de  bénédiction,  sur  celui  à  qui  elle  vient  de  donner 
Répit. 

Si  la  personne  dont  il  s'agit  n'était  pas  en  état  de  pouvoir  de- 
mander elle-même  le  Piépit  de  40  jours,  une  autre  personne  devrait 
en  faire  la  demande  à  sa  place,  et  en  sa  présence  ^ 

On  fait  renouveler  ce  répit  de  quarante  en  quarante  jours 
jusqu'à  ce  qu'on  soit  en  état  de  faire  le  pèlerinage  de  Saint- 
Hubert. 

Comme  on  l'a  déjà  remarqué,  le  pouvoir  de  donner  le 
répit  est  \e  pouvoir  de  faire  un  miracle'^ ^  et  ce  pouvoir  est 
délég-ué  aux  personnes  taillées  parce  qu'elles  portent  en 
elles-mêmes,  sur  le  front,  un  fragment  de  la  Sainte-Étole. 

El  même  encore,   si  l'on  ne  connaît   aucune   personne 


1.  Hallet,  p.  116. 

2.  Hallet,  p.  98. 


74  CHAPITRE  TROISIÈME 

taillée  et  qu'on  ne  puisse  se  rendre  à  Saint-Hubert,  on  a 
encore  la  ressource  de  la  correspondance,  à  ce  que  nous 
apprend  M.  l'abbé  Hallet. 

i 

Quant  aux  personnes  qui  habitent  les  pays  étrangers  et  pour  " 
lesquelles  le  voyage  de  Saint-Hubert  serait  momentanément  fort 
difficile  à  effectuer,  nous  leur  conseillons  de  s'adresser  par  lettre  à 
M.  le  Curé-Doyen  de  Saint-Hubert  qui  pourra  leur  faire  parvenir 
dans  une  enveloppe,  l'un  ou  l'autre  objet  bénit  ayant  touché  à  la 
Sainte-Étole,  que  ces  personnes  devront  porter  sur  elles  pendant  la 
neuvaine  à  faire. 

C'est  ainsi  qu'en  1877  un  prêtre  anglais  mordu  par  un  chien  et 
sentant  déjà  les  atteintes  du  terrible  mal,  a  été  guéri  et  en  recon- 
naissance de  sa  guérison  a  fait  le  pèlerinage  des  Ardennes  * . 

Le  reg-istre  tenu  par  les  aumôniers  de  Saint-Hubert  per- 
met de  dresser  une  statistique  de  la  taille  et  en  juin  1845, 
le  curé-doyen  de  Saint-Hubert  écrivait  à  ce  sujet  :  «  Depuis 
le  12  octobre  1806  jusqu'au  1"  janvier  1835,  on  en  tailla 
plus  de  quatre  mille  huit  cents.  Depuis  cette  époque  on 
taille  annuellement  cent  trente  à  cent  quarante  personnes 
mordues  à  sang'.  «S'il  faut  en  croire  les  pieux  écrivains 
que  nous  mettons  à  contribution,  «  les  Annales  de  l'abbaye 
rapportent  que  vers  1561  le  fameux  réformateur  Jean  Cal- 
vin aurait  envoyé  à  Saint-Hubert  un  de  ses  fils  mordu  par 
un  chien  enragé;  après  avoir  abjuré  les  principes  religieux 
de  son  pèrC;,  ce  jeune  homme  aurait  été  taillé  et  préservé - 
de  la  rage  ^,  »  " 

Les  pèlerins  sont  invités  à  donner  les  renseignements 
les  plus  circonstanciés  sur  leur  morsure,  et  autant  que 


1.  HalIet,  p.  121. 

2.  Bertrand,  p.  161 . 

3.  Bertrand,  p.  178,  et  Hallet,  p.  89,  n.  Le  voyage  du  fils  de  Calvin 
est  raconté  par  le  jésuite  Prola  dans  son  livre  de  Novendialibus  suppli- 
cationibus,  Rome,  1714,  p.  230.  Ajoutons  en  passant  que  cet  auteur, 
pas  plus  quela plupart  des  auteurs  anciens,  ne  met  en  doute  les  miracles 
de  l'étole  et  de  la  clef  miraculeusement  apportées  à  saint  Hubert. 


SAINT  HUBERT  GUERISSEUR  DE  LA  RAGE  75 

possible  des  attestations  de  leur  curé  et  de  l'autorité  muni- 
cipale. Les  aumôniers  jug-ent  alors  s'ils  doivent  donner  la 
taille  ou  le  répit.  Il  ne  manque  pas  en  effet  d'exemples 
mémorables  de  pèlerins  qui  ont  succombé  après  avoir  reçu 
le  répit;  mais  c'était  leur  faute,  et  on  nous  assure  qu'ils 
avaient  refusé  de  se  laisser  tailler. 

«  Une  personne  riche  et  instruite  (habitant  la  Belgique) 
qui  avait  persisté  dans  son  refus  de  subir  l'opération  de  la 
taille,  rendue  nécessaire  par  la  morsure  qu'elle  avait  reçue 
d'un  chien,  est  morte  dans  la  rag-e,  six  semaines  après  son 
passage  par  Saint-Hubert,  où  on  lui  avait  clairement  et 
itérativement  expliqué  que  le  répit  de  99  ans,  qu'elle  ré- 
clamait et  qu'elle  se  fit  donner  pour  ne  pas  être  taillée,  était 
pour  elle  insuffisant. 

«  Deux  autres  personnes  habitant  la  France  (Pas-de-Ga- 
îlais)  se  trouvant  dans  les  mêmes  circonstances  que  la  pré- 
icédente,  ont  eu  le  même  malheureux  sort\  » 


Avant  de  terminer  ce  chapitre,  reproduisons  la  mention 
de  succursales  qu'aurait  eues  l'abbaye  de  Saint-Hubert.  «  A 
Lattrey  et  à  Nonweilles,  dit  Andry,  églises  où  sont  des  re- 
liques de  saint  Hubert,  on  fait  le  même  régime  et  le  même 
^traitement  qu'à  l'abbaye  de  Saint-Hubert'.  » 

Le  P.  Prola  parle  d'une  chapelle  de  saint  Hubert  in 
arce  Moriacourt  in  Artesiœ  confîniis.  Les  gens  mordus  s'y 
rendaient  et  se  guérissaient  en  y  faisant  une  neuvaine  :  les 
miracles  ont  été  constatés  par  un  prêtre  de  Thérouanne  et 
par  l'évêque  de  Boulogne  ^ 

1.  Hallet,  p.  111. 

2.  Andry,  op.  cit.,  p,  325.  Nous  n'avons  point  trouvé  trace  de  ces 
iocalités  ni  de  ce  culte.  Mais  Lattrey  serait-il  une  faute  pour  Autrey  ? 
On  a  vu  plus  haut  (p .  58)  que  cette  localité  prétendait  posséder  une 
relique  de  saint  Hubert. 

3.  Prola,  de  Novendialibus  supplicationibus,  p.  231. 


76  CHAPITRE  TROISIÈME 

§  5.  —  LE  POINT  DE  VUE  RELIGIEUX  ;  OPINIONS  DE  DOCTEURS 
graves;  QUE  FAUT-IL  PENSER  DE  CES  PRATIQUES  ET  DE  LEUR 
EFFICACITÉ  AU  POINT    DE  VUE  RELIGIEUX  ? 

Elles  paraissent  entourées  de  toutes  les  recommanda- 
tions de  l'Eg-lise,  et  dès  les  premières  pages  du  Manuel  du 
Pèlerin  de  Saint-Eiihert.  de  M.  l'abbé  Hallet,  on  lit  les 
«  approbations  »  de  l'archevêque  de  Malines  et  des  évêques 
de  Namur,  de  Liège  et  de  Gand,  approbation  où  ces  prélats 
expriment  la  confiance  qu'ils  ont  «  dans  la  puissante  inter- 
cession du  glorieux  saint  Hubert  »,  «  le  Thaumaturge  de 
nos  Ardennes.  »  Des  papes  même  se  sont  exprimés  dans 
le  même  sens  dans  des  bulles  en  faveur  de  l'abbaye  ou  de 
l'œuvre  de  Saint-Hubert.  Yoici  par  exemple,  un  passage 
d'une  lettre  du  pape  Léon  X,  en  date  du  4  septembre  1515. 

«  Suivant  une  pieuse  croyance,  de  nombreux  prodiges  se 
font  par  les  mérites  et  par  l'intercession  de  saint  Hubert,, 
en  faveur  des  fidèles  qui  vont  implorer  son  secours  avec 
confiance  dans  le  sanctuaire  qui  lui  est  consacré,  en  se  dé- 
vouant à  son  service.  C'est  ainsi  qu'après  une  neuvaine  et 
sans  plus  long  délai,  les  possédés  y  trouvent  une  entière 
délivrance,  les  malheureux  infectés  du  venin  de  la  rage  ou 
mordus  par  des  chiens  enragés  obtiennent  leur  guérison, 
les  frénétiques  de  toutes  sortes  sont  rendus  à  la  santé; 
enfin  le  Seigneur  daigne  y  faire  éclater  sa  puissance  par  un 
grand  nombre  d'autres  miracles  opérés  par  la  vertu  de  son 
serviteur'.  » 


Pourtant,  quoique  d'aussi  grandes  autorités  doivent  ins- 
pirer confiance  aux  fidèles,  et  quoique  un  vieux  proverbe 
juridique  dise  donner  et  retenir  ne  vaut,  l'Église,  en  tant 
qu'Eglise,  ne  s'est  pas  prononcée  sur  les  miracles  attri- 
bués à  saint  Hubert.  Le  cardinal  archevêque  de  Malines. 

1.  Cité  dans  Hallet,  p.  97. 


SAINT  HUBERT  GUÉRISSEUR  Dl  LA  RAGE  77 

Mgr  Dechamps  (mort  en  1883),  lorsqu'il  n'était  encore  que 
simple  prêtre,  a  écrit,  sur  la  question  qui  nous  occupe, 
un  livre  dont  le  titre  seul,  la  Samte-Étole  vengée^  indique 
la  nature  et  l'esprit.  Cependant  il  y  déclare  formelle- 
ment que  si  l'Eglise  approuve  et  encourage  le  culte  de 
saint  Hubert,  elle  n'impose  à  aucun  fidèle  l'obligation  de 
croire  à  son  efficacité  :  «  Ce  sont  là,  écrit-il,  des  croyances 
libres  et  non  des  dogmes  de  foi*.  »  Et  M.  l'abbé  Bertrand 
dit  de  son  côté  : 

Les  guérisons  obtenues  à  Saint-Hubert  au  moyen  de  la  Sainte- 
Étole  sont  des  guérisons  surnaturelles.  Nous  n'en  faisons  pas  un 
article  de  foi,  mais  nous  avons  de  très  fortes  raisons  de  le  croire 
prudemment  et  pieusement.  Nous  ne  disons  pas  que  ce  sont  des 
miracles  de  premier  ordre,  mais  nous  y  reconnaissons  des  grâces 
singulières,  des  bienfaits  signalés,  des  phénomènes  surnaturels, 
où  se  montre  une  intervention  particulière  et  sensible  de  la  Pro- 
vidence, une  influence  de  la  Toute-puissance  divine  et  une  con- 
duite extraordinaire  de  l'Auteur  de  la  nature,  qui  se  plaît  ainsi  à 
honorer  et  à  récompenser  tout  à  la  fois  les  vertus  de  saint  Hubert 
et  à  bénir  ceux  qui  se  confient  à  son  intercession  '. 

Et  ailleurs  encore  dans  ce  passage  où  l'auteur  donne  et 
retient  tout  à  la  fois  : 

Nous  avons  aussi  l'autorité  de  l'Eglise  qui  a  donné  son  appro- 
bation à  la  pratique  de  la  Taille  et  de  la  Neuvaine  de  saint  Hubert, 
non  en  ce  sens  que  l'Eglise  l'ait  défini  comme  un  dogme  et  qu'elle 
faisse  un  devoir  aux  fidèles  d'y  recourir;  elle  approuve  seulement 
la  piété  de  ceux  qui  recourent  à  Jésus-Christ  par  l'intercession  de 
saint  Hubert  en  vénérant  ses  reliques  par  la  Taille  et  la  Neu- 
vaine ". 

Telle  est  aujourd'hui  l'opinion  de  l'Église  en  cette  ques- 

1.  OEuvres  complètes  de  S.  E.  le  cardinal  Dechamps,  t.  VIII  (la  Sainte- 
Étole  vengée),  p.  350,  cité  dans  Demarteau,  dissert,  de  1882,  p.  51, 

2.  Bertrand,  p.  171. 

3.  Bertrand,  p.  157.  Voir  aussi  Hallet,  p.  58  et  72. 


78  CHAPITRE  TROISIEME 

tion,  de  FÉg-lise  belge  pourrait-on  dire,  car  le  pèlerinage  de 
Saint-Hubert  où  l'on  venait  autrefois  de  si  loin,  est  aujour- 
d'hui à  peu  près  limité  à  la  Belgique  et  aux  pays  voisins*, 
et  ce  culte  n'est  plus  blâmé  ni  condamné  par  aucun  théo- 
logien. Mais  il  n'en  a  pas  été  toujours  ainsi  et  les  théolo- 

1.  Le  pieux  journal  de  Paris,  le  Pèlerin,  a  pourtant,  à  plusieurs  re- 
prises, fait  de  la  propagande  en  faveur  du  pèlerinage  de  Saint-Hubert. 
Voir  notamment  ses  n°^  du  i^'^  et  8  novembre  1879,  du  2  avril  1881,  et 
son  Almanach  de  1880.  Cette  propagande  a  provoqué  plusieurs  voyages 
de  personnes  mordues,  si  nous  en  jugeons  par  le  passage  suivant  (n°  du 
8  novembre  1879,  p.  719)  : 

«  Il  y  a  quelques  mois,  un  homme  de  bonnes  œuvres  de  Brest  écrivait 
au  Pèlerin  :  «  Un  de  nos  pauvres  ouvriers,  père  de  famille,  vient  d'être 
«  mordu  à  la  jambe  par  un  chien  enragé,  nous  sommes  dans  une  immense 
<(  inquiétude;  vous  nous  avez  dit  que  le  salut  serait  pour  lui  au  tombeau 
«  de  saint  Hubert;  mais  que  faire?  car  il  n'a  aucun  moyen  d'accomplir  un 
«  aussi  long  voyage. 

«  Nous  répondîmes  aussitôt  par  télégraphe  :  «  Faites-le  partir  sans 
«  hésiter,  Dieu  pourvoira  à  la  dépense.  » 

«  L'homme  d'oeuvre  n'hésita  point;  il  prit  sa  bourse,  la  confia  au 
voyageur  et  lui  dit  :  «  Allez  au  plus  vite  à  Saint-Hubert.  Dieu  pourvoira 
(c  pour  le  remboursement.  » 

«  Le  malade  souffrait  alors;  il  souffrit  pendant  le  voyage  et  il  craignait 
que,  le  temps  d'incubation  achevé,  le  mal  ne  se  déclarât  avec  ses  crises 
redoutables.  A 

('  En  arrivant,  il  alla  trouver  de  suite  M.  Thill,  l'aumônier  de  Saint-" 
Hubert,  reçut  le  répit  avec  les  prières  ordinaires.  M.  l'aumônier  l'engagea 
à  prier  lui-même  et  jugea  que  la  cicatrice  n'était  pas  assez  profonde  pour 
lui  imposer  la  taille,  qu'on  réserve  à  ceux  qui  sont  mordus  avec  blessure 
plus  grave. 

«  Le  soir  même,  Pérès  se  mit  en  route  et  revint;  non  seulement  le 
malaise  inquiétant  avait  cessé,  mais  la  plaie  se  ferma  tout  à  fait. 

(c  II  a  repris  son  service,  nul  accident  ne  s'est  manifesté,  et  l'on  nous 
écrivait  bientôt  :  «...  II  devra  une  grande  reconnaissance  au  Pèlerin, 
«  d'abord  pour  l'aide  que  vous  voulez  bien  lui  donner,  et  aussi  parce  que 
(C  c'est  au  Pèlerin  que  nous  devons  de  connaître  le  pèlerinage  de  Saint- 
(c  Hubert...  » 

Du  moment  que  l'aumônier  a  jugé  utile  de  ne  donner  que  le  répit^ 
c'est  que  la  blessure  n'était  pas  «  à  sang  ».  L'homme  n'était  donc  ma^ 
lade  que  de  la  peur.  Le  Pèlerin  aurait  pu  mieux  choisir  son  exemple. 


SALNT  HUBZRT  GUÉRISSEUR  DE  LA  RAGE  79 

giens  français  des  siècles  passés  n^ont  pas  été  indulgents 
pour  le  saint  belge  de  la  rage. 

Au  xy"  siècle,  nous  trouvons  le  célèbre  docteur  Gerson, 
curé  de  Saint- Jean  en  Grève,  chanoine  de  Notre-Dame  et 
chancelier  de  l'Université  de  Paris.  Il  ne  parle  de  saint 
Hubert  qu'incidemment  et  comme  exemple  de  vaine  obser- 
vance, mais  il  nous  parait  intéressant  de  citer  le  passage 
tout  entier.  On  y  verra  la  condamnation,  par  un  de  nos 
plus  grands  théologiens,  de  pratiques  qui,  dans  l'Eglise 
même,  ont  été  souvent  désapprouvées,  mais  qui  pourtant  se 
sont  maintenues  et  souvent  avec  une  telle  force  qu'on 
aurait  pu  les  croire  des  cérémonies  essentielles  de  la  reli- 
gion catholique.  Ce  serait  une  erreur  au  point  de  vue  his- 
torique, de  regarder  la  religion  comme  formée  par  l'ensei- 
gnement de  ses  docteurs  et  de  ses  ministres  et  limitée  à 
cela  seul.  Il  y  a  les  croyances  populaires  qui  font  irruption 
dans  l'Eglise,  qui  s'imposent  à  elle,  qui,  aux  rites  sacrés 
mêlent  leurs  propres  rites  traditionnels  et  les  fantaisies 
d'une  dévotion  matérialiste  et  fétichiste.  Tout  cela  se  pé- 
nètre si  bien  qu'il  devient  difficile  de  distinguer  la  religion 
de  la  superstition,  tant  la  première  est  embarrassée  de  pra- 
tiques grossières,  tant  la  seconde,  par  la  force  de  la  tradi- 
tion et  de  la  foi  qu'elle  inspire,  arrive  à  être  considérée 
comme  l'essence  de  la  pratique  religieuse.  Les  théologiens 
augmentent  cette  confusion.  Ce  qui  pour  les  uns  est  une 
«  vaine  observance  »  est  pour  les  autres,  pour  le  plus  grand 
nombre  «  une  pieuse  pratique  »  qu'ils  n'approuvent  pas 
absolument,  mais  qu'ils  ne  condamnent  pas,  et  qu'ils  pu- 
rifient théoriquement  par  une  direction  d'intention.  Cette 
direction  d'intention,  le  peuple  ne  la  comprendrait  guère,  lui 
dont  les  idées  sont  restées  en  grande  partie  fétichistes,  et 
dont  les  conceptions  religieuses  ont  une  forme  matérialiste. 
Le  culte  des  images,  des  objets  matériels  et  des  saints  lo- 
caux, a  toujours  (dans  l'Église  catholique)  reposé  sur  une 
équivoque;  car  le  peuple  croit  différemment  que  les  doc- 
teurs, et  ceux-ci  légitiment  ce  culte  par  des  distinctions 


80  CHAPITRE  TROISIÈME 


i 


scolastiques  que  le  peuple  serait  incapable  de  saisir.  Les 
théologiens  disent  bien  que  l'effet  obtenu  par  telle  ou  telle 
pratique  de  dévotion  résulte,  non  pas  ex  opère  operato, 
c'est-à-dire  de  l'acte  matériel,  mais  bien  ea;o/?ere  operantis, 
c'est-à-dire  de  la  foi,  de  la  contrition  et  des  dispositions 
morales  de  celui  qui  prie  et  demande  une  grâce  au  ciel. 
Mais  fera-t-on  comprendre  cette  distinction  aux  âmes 
simples  et  souvent  grossières,  qui  forment  la  masse  popu- 
laire ?  Pour  celles-là,  il  n'y  a  que  Vopus  operatum,  l'acte 
matériel,  et  l'incantation  qu'il  exprime. 

En  somme,  la  religion  catholique  (nous  parlons  au  point 
de  vue  historique,  au  point  de  vue  de  la  vie  morale  et  intel- 
lectuelle du  moyen  âge,  au  point  de  vue  des  croyances  po- 
pulaires des  campagnes  de  notre  temps  et  de  ces  couches 
profondes  de  nos  sociétés  modernes  qui  gardent  le  genre 
de  foi  matérialiste  du  moyen  âge),  la  religion  catholique,  à 
ce  point  de  vue,  a  été  un  compromis  entre  le  christianisme 
théorique  (c'est-à-dire  la  religion  enseignée  dans  le  caté- 
chisme et  prêchée  dans  la  chaire),  et  les  traditions,  les 
pratiques,  les  croyances  et  l'état  mental  de  la  foule.  Et 
peut-être  pour  la  plupart  y  avait-il  plus  de  ceci  que  de 
cela. 

Voyons  maintenant  comment  un  théologien  philosophe 
va  distinguer  la  superstition  de  la  religion  et  réduire  au 
minimum  l'emploi  des  symboles  matériels  nécessaires  pour 
faire  comprendre  à  l'homme  les  choses  surnaturelles.  Nous 
prenons  le  traité  de  Gerson,  De  directione  seu  rectitudine  \ 
cordis,  : 


Voyons  d'abord  quelle  doit  être  la  direction  du  cœur  dans 
l'adoration  des  images  dont  l'abus  paraît  être  très  grand  chez  les 
laïques  et  les  hommes  du  siècle,  et  même  aussi  quelquefois  chez  les 
clercs  et  les  religieux  qui  adorent  une  image  plutôt  qu'une  autre, 
et  cela  seulement  parce  qu'elle  est  plus  agréable,  ou  plus  belle  ou 
plus  ornée;  et  ils  parlent  à  cette  image,  comme  si  elle  comprenait. 
Il  faut  veiller  à  la  direction  du  but  et  la  faire  souvent   pénétrer 


SAINT  HUBERT  GUÉRISSEUR  DE  LA  RAGE  81 

dans  l'esprit,  et  la  rappeler  par  la  prédication  dans  les  cas  de  ce 
genre  et  dans  beaucoup  d'autres  '.., 

Passons  maintenant  à  d'autres  cultes  de  saints  qui  paraissent 
avoir  beaucoup  de  superstition  ;  ainsi  quand  on  leur  fait  une  neu- 
vaine,  et  non  une  semaine  ou  une  quintaine;  quand  on  leur  fait 
telle  ou  telle  offrande,  par  exemple  à  saint  Christophe  ou  à  saint 
Jean-Baptiste  un  coq  pour  les  garçons,  et  une  poule  pour  les 
filles;  quand  à  saint  Hubert  on  fait  pour  la  morsure  d'un  chien 
enragé  d'innombrables  pratiques  particulières  qui  ne  paraissent 
avoir  aucune  raison  d'être  -.  Et  de  pareils  rites  passent  en  une 
superstition  qui  n'est  rien  qu'une  vaine  religion.  Nous  disons  vaine 
parce  qu'elle  manque  de  raison  et  d'effet.  Il  en  est  de  même  de 
ceci  que  saint  Antoine  a,  dit-on,  plus  de  pouvoir  que  les  autres 
saints  à  guérir  le  feu  sacré  ".  Il  en  est  de  même  encore  de  croire 
que  dans  une  église  consacrée  à  la  Très  Sainte  Vierge,  son  pouvou' 
est  plus  grand  que  dans  une  autre  pour  faire  des  miracles,  pour 
■secourir  ceux  qui  l'invoquent,  et  cela  surtout  à  cause  de  telle  de 
ses  images  ou  à  cause  de  tel  pèlerinage  traditionnel.  Il  en  est  de 
même  encore  dans  des  cas  innombrables. 

Il  faut  considérer  que  très  peu  de  personnes  sont  en  état  de 
:^'élever  jusqu'aux  choses  divines  si  ce  n'est  par  l'intermédiaire 
des  choses  matérielles.  Un  grand  nombre  ne  peut  avoir  facilement 
confiance  en  Dieu  et  dans  les  saints  que  par  une  pratique  particu- 
lière qui  s'adresse  souvent  à  ses  sens  ou  à  son  imagination.  Une 
semblable  imagination,  forte  et  confiante  dans  le  secours  divin,  est 
permise  et  méritoire,  quoiqu'elle  se  dirige  par  des  objets  intermé- 
diaires ou  des  applications  matérielles,  et  par  des  actes  étrangers 
qui  émeuvent,  aident  et  fortifient  l'imagination  vers  l'espérance, 
vers  la  confiance  à  obtenir  le  salut,  comme  les  médecins  aussi  disent 
qu'une  imagination   forte  peut  donner  le  mal  ou  la   guérison  *. 

1.  Direclio  flnalis  consulenda  et  saepius  inculcanda,  atque  praedicanda 
ta'.ibus  in  his  et  in  pluribus  aliis,  etc. 

2.  Quod  ad  sanctum  Hubertum  pro  morsu  caais  rabidi  fiant  innumerae 
particulares  observantiae,  qufe  nullam  videntur  habere  rationem  institu- 
■.ionis. 

3.  C'est  une  maladie  de  peau  qu'on  appelait  souvent  aussi  le  Feu 
"Saint-Antoine,  ou  encore  le  Mal  des  Ardents. 

i.  Gersonii  Opéra,  Ed.  du  Pin  (Anvers,  1706),  t.   III,  col.   iTl--472. 


1.A  r.Aot:.  Q 


82  CHAPITRE  TROISIEME 

Il  nous  faut  maintenant  du  xy<^  siècle  passer  au  xvn® , 
époque  oùla  Sorbonne,  c'est-à-dire  la  Faculté  de  Théologie 
de  Paris,  fut  consultée  sur  l'efficacité  de  la  neuvaine  de 
Saint-Hubert. 

Jacques  de  Sainte-Beuve  (mort  en  1677)  «  docteur  de  la 
maison  et  société  de  Sorbonne,  professeur  du  roy  en  théo- 
logie, »  dans  son  grand  ouvrage,  Résolutions  de  plusieurs  cas 
de  conscience  touchant  la  morale  et  la  discipline  de  l'Église.  | 
(Paris,  1692),  intitule  son  GXIIP  cas:  Pratique  supersti^ 
tieuse  pour  se  préserver  de  la  rage^.  De  Sainte-Beuve  re- 
produit la  formule  de  la  neuvaine,  avec  le  certificat  qui  la 
terminait  dans  l'exemplaire  qui  lui  fut  soumis  :  «  Le  sous- 
signé. Religieux^,  certifie  avoir  taillé  Jacques  Lypos  de 
Fresne,  proche  Péronne,  évêché  de  Noyon,  le  vingt-trois 
janvier  1671.  D.  Alexis  Golart,  trésorier.  » 

De  Sainte-Beuve  fait  suivre  ce  document  de  la  consul- 
tation suivante  : 

Messieurs  les  docteurs  sont  suppliés  de  donner  leur  avis  sur 
cette  pratique,  et  si  elle  peut  être  tolérée,  ou  si  elle  ne  doit  paSi 
être  retranchée.  î 

Les  docteurs  en  théologie  soussignez,  déclarent  avoir  plusieurs 
fois  répondu  :  que  cette  pratique  est  blâmable  et  superstitieuse, 
qu'elle  ne  peut  être  tolérée,  mais  qu'elle  doit  être  retranchée, 
laquelle  réponse  a  été  faite  après  avoir  vu  l'avis  des  docteurs  de  la 
Faculté  de  médecine  de  Paris,  parmi  lesquels  étaient  MM.  Brayer 
et  Dodart,  qui  l'ont  condamnée  en  ce  qui  regarde  le  coucher,  la 
nourriture  et  autres  choses  qui  appartiennent  à  leur  profession  ; 
comme  les  soussignez  l'ont  condamnée  en  ce  qui  regarde  les  neufi 
confessions  et  communions  en  neuf  jours  consécutifs;  le  délie- 
ment  du  bandeau  par  un  prêtre  ;  l'obligation  de  faire  la  fête  de 
saint  Hubert;  le  pouvoir  de  donner  répit  de  quarante  jours,  le 
tout  étant  superstitieux.  En  foi  de  quoi  ils  ont  signé  cejourd'huy 
10  juin  1671. 

Il  n'est  point  question  ici  de  l'invocation  à  saint  Hubertj 
(la  consultation  est  muette  sur  ce  point)  mais  seulement 

1.  Op.  cit.,  t.  II,  p,  627. 


SAINT  HUBERT  GUÉRISSEUR  DE  LA  RAGE  83 

ie  la  neiivaine.  Néanmoins,  venant  d'une  autorité  aussi 
grande  que  celle  de  la  Sorbonne,  cette  consultation  fit  du 
Druil,  et  les  religieux,  atteints  dans  leurs  plus  chers  intérêts, 
ugèrent  nécessaire  de  se  défendre  et  de  répondre.  Leur 
iaint  étant  une  gloire  locale,  ils  ne  pouvaient  manquer 
l'avoir  pour  eux  les  théologiens  et  les  autorités  ecclésias- 
iques  de  leur  pays.  A  cet  effet,  ils  s'adressèrent  aux  doc- 
eurs  de  Louvain.  Les  docteurs  en  théologie  garantirent 
a  vertu  surnaturelle  de  l'ancien  usage;  leur  opinion  fut 
ipprouvée  par  un  «  jugement  des  examinateurs  synodaux 
le  l'évèché  de  Liège.  »  et  ce  jugement  fut  confirmé  par  un 
jugement  de  l'évêque  de  Liège»,  déclarant  que  «ladite 
leuvaine  se  peut  observer  et  pratiquer  en  toute  sûreté  et 
ans  aucune  superstition.  »  Après  cela,  les  docteurs  en 
inlecine  déclarèrent  que  les  articles  de  la  neuvaine  ((  ne 
ont  aucunement  superstitieux,  ains  (mais)  conformes  aux 
ègles  et  principes  de  la  médecine.  » 

La  polémique  théologique  n'était  pourtant  pas  terminée, 
1 1  l'autorité  de  la  Sorbonne  encourageait  les  théologiens 
[igoristes. 

I  Le  curé  Thiers  (mort  en  1703),  docteur  en  théologie, 

lui  fut  d'abord  professeur  au  collège  de  Plessis,  puis  curé 

.e  Champrond  dans  le  pays  chartrain,  et  ensuite  de  Vibraye 

|ans  le  Maine,  était  un  grand  ennemi  des  «  vaines  obser- 

mces  »  et  ses  écrits  montrent  une  solide  érudition  en  ma- 

èrede  discipline  ecclésiastique.  Dans  son  Traité  des  supers- 

tions  publié  avec  une  «  Approbation  des  Docteurs  en  théo- 

gie  de  la  Faculté  de  Paris  »,  le  curé  Thiers  (t.  I,  liv.  VI, 

1.  iv)  s'occupe  des  pèlerinages  qui  se  font  au  monastère 

i  Saint-Hubert  dans  la  forêt  des  Ardennes  pour  y  recevoir 

taille.  Il  condamne  d'abord  le  répit  donné,  soit  par  les 
lovaliers  de  Saint-IIubert  (on  verra  plus  loin  ce  que  ce 

ot  signifie),  soit  par  les  personnes  taillées. 

1.  Tous  ces  documents  qui  sont  dcalés  de  1690  et  1091,  sont  repro- 
ils  par  M.  l'abbé  Hallet,  p.  91  et  suiv. 


84  CHAPITRE  TROISIÈME 

Mais  qu'en  celte  considération,  les  parents  de  saint  Hubert  et 
ceux  qui  ont  été  taillez  de  son  étole,  guérissent  les  malades  du 
même  mal  pour  lequel  il  est  réclamé,  ou  leur  donnent  répit  ou 
relâche,  comme  l'on  parle  d'ordinaire,  et  empêchent  quelque] 
temps  qu'ils  ne  deviennent  enragés,  c'est  sur  quoi  l'Église  ne  s'est 
point  encore  expliquée  jusqu'à  présent  dans  ses  Conciles.  Quand 
elle  aura  prononcé  sur  ce  fait,  et  qu'elle  aura  approuvé  authenti- 
quement  ces  personnes-là,  et  toutes  les  choses  qu'elles  pratiquent 
pour  procurer  aux  malades  la  guérison  de  leurs  maux,  on  pourra 
sans  craindre  de  tomber  dans  la  superstition  leur  donner  quelque 
confiance,  et  ajouter  foi  à  leurs  bénédictions,  à  leurs  oraisons,  et 
à  tout  ce  qu'ils  prescrivent.  Mais  tant  qu'elle  ne  se  déclarera 
point  en  leur  faveur,  je  pense  qu'on  doit  plutôt  avoir  recours  aux 
remèdes  que  l'Église  et  la  médecine  nous  présentent,  que  de  se 
servir  de  leur  ministère  ^ 

Le  curé  Thiers  fait  ensuite  deux  observations,  dont  Tune 
repose  sur  le  cas  d'un  de  ses  paroissiens. 

La  première,  que  ce  n'est  pas  un  remède  fort  sur  pour  la  rage 
que  d'être  taillé  de  Tétole  de  saint  Hubert,  quoi  qu'en  dise  1|| 
placard  des  Quêteurs  de  la  Confrérie  de  Saint-Hubert  en  ce| 
mots... 

En  1687,  au  mois  de  mars,  j'assistai  à  la  mort  un  de  mes  pa 
roissiens  de  Champrond  nommé  Damien  Montandouin,  qij 
aiant  été  mordu  d'un  chien  enragé,  mourut  de  la  rage,  ou  commfl 
parlent  les  médecins,  de  l'hydrophobie.  Cependant  il  avoit  fait 
voiage  de  Saint-Hubert,  il  avoit  observé  fort  exactement  tout  Cn 
qui  est  prescrit  pour  la  neuvaine  de  saint  Hubert  :  enfin  il  avo| 
été  taillé  de  l'Étole  de  ce  saint  Evêque,  ainsi  qu'il  me  l'assuï 
lui-même,  et  que  je  le  reconnus  tant  par  la  cicatrice  encore  tou| 
fraîche  qu'il  avait  au  front ,  que  par  l'attestation  authentique 
D.  Luc  Crahea,  trésorier  de  l'abbaye  de  Saint-Hubert,  qui  Tavc 
taillé.  Cette  attestation  m'est  demeurée  entre  les  mains  et  je 
rapporterai  tout  à  l'heure. 

La  deuxième  chose  qui  est  à  remarquer,  c'est  que  la  plups 
des  pratiques  que  l'on  fait  observer  à  ceux  qui  sont  taillez  de  l'^l 

jL 

1.  T.  I,  liv.  VI,  ch.  IV.  (Ed.  de  1712,  t.  I,  p.  512  ;   éd.  de  1777,  1.^ 
p.  443.) 


SAINT  HUBERT  GUÉRISSEUR  DE  LA  RAGE  85 

tôle  de  saint  Hubert,  sont  superstitieuses.  Elles  sont  spécifiées 
dans  la  feuille  qu'on  donne  aux  Pèlerins,  et  qui  contient  ce  qui 
jsuit. 

i  [Suivent  les  prescriptions  delà  neuvaine,  qui  diffèrent  peu  du 
[texte  moderne  donné  plus  haut.  Le  premier  article  est  pourtant 
jbeaucoup  plus  strict.  Elle  doit  se  confesser  et  communier  neuf 
■.jours  consécutifs.  Le  tout  se  termine  par  le  certificat  suivant  :] 
I  Je  soussigné,  religieux  de  Saint-Hubert,  certifie  d'avoir  taillé 
iDamien  Montandouin,  demeurant  à  Champrond,  évêché  de 
Chartres. 
Fait  à  Saint-Hubert  ce  10  février  1687. 

D.  Luc  Crahea, 
Trésorier  de  Saint-Hubert. 

Nous  pourrions  encore  allonger  ce  dossier,  par  exemple 
avec  la  dissertation  ou  lettre  de  Germain  Gillot,  docteur  de 
Sorbonne  et  chanoine  de  la  métropole  de  Reims,  qui  déclara 
superstitieuse,  lui  aussi,  la  pratique  de  la  neuvaine'.  Le 
H.  P.  Le  Brun,  prêtre  de  l'Oratoire  (mort  en  1729)  condam- 
nait aussi  la  neuvaine  el  le  répit  donné  par  les  personnes 
taillées,  mais  il  ne  paraît  pas  condamner  la  taille.  Son  cha- 
ipitre  est  intitulé  :  Comment  on  doit  recourir  à  saint  Hubert 
^ans  superstition.  Il  mérite  d'être  cité  : 

La  conséquence  que  l'on  doit  tirer  de  cette  résolution  [celle  des 
lecteurs  en  théologie  de  la  Sorbonne],  c'est  qu'il  faut  désabuser 
<■  Peuple  de  ces  usages,  et  faire  en  sorte,  s'il  se  peut,  qu'on  ne 
i'oie  plus  de  personnes  courir  les  villes  et  les  villages ,  pour  toucher 
■;eux  qui  ont  été  mordus,  et  leur  donner  Répi^  comme  on  le  fait 
d  communément  dans  toute  la  Picardie.  Il  faut  qu'on  se  réduise 
,\  implorer  l'intercession  de  saint  Hubert,  avec  soumission  à  la 
;olonté  de  Dieu.  On  approuvera  toujours  qu'on  recoure  dévote- 
nent  aux  Reliques  de  saint  Hubert,  qu'on  reçoive  même  un  petit 
irin  de  l'Étole  de  ce  saint,  dans  l'espérance  d'être  préservé  de  la 

1.  Elle  est  réimprimée  dans  P.  Le  Brun,  Histoire  critique  des  pra- 
'i'jues  superstitieuses,  2»  éd.  (Paris,  1742),  t.  II,  p.  24-56.  Le  P.  Le 
Firun  a  réimprimé,  à  la  suite  (p.  58-99),  une  réponse  par  un  religieux  du 
monastère  de  Saint-Hubert. 


86  CHAPITRE  TROISIÈME 

rage.  On  sait  que  Dieu  relève  la  gloire  de  ses  saints  par  les  mi- 
racles que  leurs  reliques  produisent.  Les  mouchoirs  et  les  cein- 
tures, ou  les  autres  linges  qui  avoient  touché  le  corps  de  saint 
Paul,  guérissoient  les  malades  et  faisoient  sortir  les  esprits  malins 
du  corps  des  possédés.  On  a  vu  dans  tous  les  siècles  de  semblables 
effets  des  reliques  des  Saints  ;  et  l'on  voit  encore  tous  les  jours  à 
Riom  en  Auvergne,  ce  que  Grégoire  de  Tours  avoit  appris  et  vu 
même,  que  les  Energumènes  étoient  délivrez,  que  ceux  qui  sont 
piquez  par  des  serpents  sont  infailliblement  guéris,  dès  qu'on  leur 
fait  toucher  la  dent  de  saint  Amable.  La  cérémonie  se  fait  au  son 
de  cloche,  pour  avertir  le  peuple  de  se  rendre  à  l'Église,  où  l'on 
fait  quelques  prières,  sans  aucune  observation  superstitieuse  et  sans 
employer  aucun  remède  ^ 

On  voit  que  les  théologiens  hostiles  ne  motivaient  pas 
tous  de  même  leur  condamnation.  Le  curé  Thiers  et, 
semble-t-il,  Gerson  condamnaient  à  la  fois  le  pèlerinage 
à  Saint-Hubert  et  la  taille.  Les  docteurs  de  la  Sorbonne, 
de  Sainte-Beuve,  et  après  eux  le  P.  Le  Brun,  paraissent  n'a- 
voir condamné  que  la  neuvaine.  Ils  ne  disent  pas  leurs 
motifs  :  peut-être  était-ce  sous  une  influence  janséniste,  et 
les  neuf  communions  pendant  neuf  jours  consécutifs  leur 
paraissaient-elles  un  excès  et  un  abus  (cet  article  de  la  neu- 
vaine a  été  modifié  depuis  et  on  n'exige  plus  que  le  main- 
tien de  l'état  de  grâce)  ;  peut-être  les  pratiques  d'ordre  natu- 
rel leur  déplaisaient-elles  justement  parce  qu'elles  étaient 
d'ordre  naturel  et  semblaient  concourir  à  une  guérison  qu'on 
devait  demander  seulement  aune  intercession  surnaturelle. 
On  voit  en  effet  que  le  P.  Le  Brun  ne  trouve  rien  à  redire  è 
ce  qui  se  fait  à  Riom  (toucher  avec  la  dent  de  saint  Amablt 
les  personnes  piquées  des  serpents)  parce  que  cela  se  pra 
tique  «  sans  aucune  observation  superstitieuse  et  sans  em 
ployer  aucun  remède.  » 

1.  P.  Le  Brun,  op.  cit.,  t.  II,  p.  12-13. 


SAINT  HUBERT  GUÉRISSEUR  DE  LA  RAGE 


§  6.  LE  POINT  DE  VUE  HUMAIN 

Le  lecteur  n'attend  pas  de  nous  que  nous  fassions  la  sta- 
tistique des  guéris  et  des  non-guéris  parmi  ceux  qui  ont 
obtenu  la  taille  ou  le  répit.  Nous  n'en  avons  pas  les  élé- 
ments. Nous  pouvons  seulement  remarquer,  à  propos  de 
la  mort  du  paroissien  de  Champrond.  mort  de  la  rage  quoi- 
qu'il eût  été  taillé  selon  les  règles  et,  qu'il  eût  accompli 
les  prescriptions  de  la  neuvaine,  que  s'il  n'avait  pas  eu 
pour  curé  justement  un  théologien  qui  écrivait  sur  les 
«  vaines  observances  »,  sa  mort  eût  passé  inaperçue  et  n'eût 
affaibli  en  rien  la  foi  en  saint  Hubert.  Quand  un  malade  va 
chercher  la  santé  près  d'un  sanctuaire  célèbre  et  qu'il  ne 
l'obtient  pas,  on  explique  le  fait  en  disant  qu'il  n'était  pas 
«  en  état  de  grâce  »  ou  qu'il  n'a  pas  suivi  exactement  le 
régime  sacré.  Et  s'il  meurt  au  lieu  même  du  pèlerinage, 
oh!  alors,  cette  mort  inattendue  est  regardée  comme  la 
plus  grande  des  grâces!  Comme  on  Ta  plus  d'une  fois  dit  : 
«  Le  ciel  sait  bien  mieux  que  nous  ce  qu'il  nous  faut.  » 

Combien  sont  morts  malgré  la  taille,  une  fois  rentrés 
chez  eux,  comme  le  paroissien  du  curé  Thiers?  Ce  sont 

choses  qu'on  ne  peut  savoir Involontairement,  nous 

nous  rappelons  les  réflexions  d'un  esprit-fort  de  la  Grèce, 
Diagoras.  «  Diagoras,  «  l'athée  »  comme  on  l'avait  sur- 
nommé, était  venu  à  Samothrace.  Un  de  ses  amis  lui  dit  : 
Eh  bien!  toi  qui  crois  que  les  dieux  ne  s'occupent  pas  des 
choses  humaines,  ne  vois-tu  pas  par  tous  ces  tableaux,  par 
tous  ces  ex-voto,  combien  d'hommes  ont  dû  à  leurs  vœux 
d'échapper  à  la  tempête  et  d'arriver  sains  et  saufs  au  port? 
—  Oui  bien!  répondit-il;  mais  on  n'a  pas  mis  en  peinture 
ceux  qui  ont  fait  naufrage  et  qui  ont  trouvé  la  mort  dans 
la  mer  M  » 

i.  Cicéron,  De  natura  cleorum,  III,  37. 


88  CHAPITRE  TROISIEME 

Nous  nous  bornons  donc  à  citer  ce  que  disent  les  anciens 
aumôniers  de  Saint-Hubert,  M!\l.  Bertrand  et  Ilallet,  dans 
les  livres  que  nous  avons  cités.  «  Depuis  dix  ans,  écrivait  | 
en  1845  le  curé-doyen  de  Saint-Hubert,  dix  personnes  seu- 
lement sont  mortes  après  avoir  été  taillées^  parce  qu'elles 
n'ont  pas  observé  la  neuvaine  et  n'avaient  pas  de  confiance 
en  saint  Hubert,  comme  l'ont  attesté  leurs  propres  parents  ' 
et  curés  respectifs*.  »  Ainsi,  c'est  leur  faute;  mais  si  elles 
n'avaient  pas  eu  confiance  en  saint  Hubert,  pourquoi  se- 
raient-elles venues  se  faire  tailler?  Et  M.  Hallet  cite  de  son 
côté  l'histoire  suivante,  comme  exemple  des  funestes  effets 
du  manquement  à  la  neuvaine  : 

Qui  n'a  entendu  parler,  il  y  a  quelques  années,  d'un  infortuné 
jeune  homme,  dont  le  Irisle  sort  a  eu  un  si  grand  ralentissement  ? 
Après 'avoir  fait  le  pèlerinage  de  Saint-Hubert  et  subi  l'opération 
de  la  taille,  il  s'avisa,  avant  l'expiration  de  la  neuvaine,  de  prendre 
part  à  un  bal  qui  se  donnait  à  l'occasion  de  la  kermesse  du  village, 
et  c'est  dans  la  salle  même  où  le  bal  avait  lieu,  que  la  rage  le  sur" 
prit,  en  présence  d'un  grand  nombre  de  personnes  qui,  saisies  de 
frayeur,  s'empressèrent  de  faire  le  voyage  de  Saint-Hubert,  à  Teffet 
de  s'assurer  contre  la  terrible  maladie,  en  implorant  le  répit  de 
99  ans. 

Ce  qui  rend  ce  fait  plus  frappant,  c'est  qu'un  autre  jeune  homme 
de  la  même  localité,  mordu  dans  le  même  temps,  par  le  même 
animal,  et  taillé  le  même  jour  que  celui  dont  nous  venons  de  parler, 
ayant  accompli  fidèlement  les  prescriptions  de  la  neuvaine,  n'é- 
prouva aucun  dommage  de  l'accident  dont  il  avait  été  victime. 

Quant  aux  répits  donnés  par  les  personnes  taillées,  ou  à 
l'usage  «  des  objets  bénits  en  Thonneur  du  grand  saint  », 
s'ils  ne  sont  pas  toujours  efficaces  pour  la  santé  du  corps, 
ils  le  sont  au  moins  pour  la  santé  de  l'âme.  On  peut  en  effet, 
par  ces  moyens,  obtenir  «  quelque  intervalle  de  calme,  de 
repos  et  de  lucidité  pour  se  confesser  et  mourir  paisible- 
ment. » 

1.  Bertrand,  p.  162,  et  Hallet,  p.  66. 


SAINT  HUBERT  GUÉRISSEUR  DE  LA  RAGE  89 

Entre  autres  exemples  cités  par  M.  l'abbé  Hallet,  nous 
citons  le  plus  court  : 

L'expérience  constate  que  les  personnes  qui  ont  été  taillées  ou 
qui  portent  sur  elles  une  parcelle  de  la  Sainte-Étole,  peuvent 
calmer,  du  moins  pour  un  temps,  les  accès  de  fureur  causés  par  la 
rage.  Voici  à  ce  sujet  un  fait  arrivé  il  y  a  environ  cinquante  ans 
et  qu'un  témoin  oculaire,  médecin  et  bourgmestre  de  la  ville  de 
Saint-Hubert,  m'a  raconté  : 

Une  femme  atteinte  de  la  rage  fut  transportée  à  Saint-Hubert. 
Les  accès  de  la  fièvre  furent  tellement  violents,  que  six  hommes 
avaient  de  la  peine  à  maintenir  la  pauvre  malade  au  lit.  On  fit 
venir  un  homme  portant  au  front  un  fragment  de  la  Sainte-Etole. 
Il  commanda  à  la  malade  au  nom  du  grand  saint  Hubert  d'être 
tranquille.  L'accès  de  la  fureur  s'apaisa  incontinent  pour  reprendre 
ensuite  avec  intensité.  Un  nouvel  ordre  fut  donné  au  nom  du 
grand  saint  Hubert  et  l'accès  de  la  rage  cessa  de  nouveau  et  ne 
reparut  plus.  La  femme  put  recevoir  les  sacrements  des  mourants 
et  décéda  peu  après  dans  un  calme  qui  étonna  les  assistants.  Procès- 
verbal  fut  dressé  et  signé  par  tous  les  témoins*. 

Quant  à  l'efficacité  de  la  taille,  on  l'établit,  après  les  mo- 
tifs d'ordre  surnaturel,  par  le  récit  d'événements  où  sur  un 
certain  nombre  de  personnes  mordues  parle  même  animal, 
les  unes  se  font  tailler,  les  autres  non.  Les  premières  qui 
ont  «  la  foi  des  miracles  »  guérissent;  les  autres  meurent. 

M.  l'abbé  Hallet  donne,  page  61,  trois  cas  de  ce  genre  :  il 
en  donne  deux  d'après  le  livre  du  R.  P.  Dechamps  (plus 
tard  Mgr  Dechamps,  archevêque  de  Malines),  la  Sainte- 
Etole  vengée.  Il  s'agit  de  cas  oii  plusieurs  personnes  sont 
mordues  à  la  fois  par  le  môme  animal.  Les  unes  vont  à 
Saint-Hubert  demander  la  taille  ou  le  répit  et  guérissent; 
les  autres  ne  font  rien,  ou  se  soignent  par  les  procédés 
humains;  ils  meurent. 

Deux  des  cas  cités  ici  se  sont  passés  en  Belgique;  nous 
ne  nous  en  occupons  pas,  c'est  affaire  aux  Belges  de  con- 

1.  Hallet,  p.  154. 


90  CHAPITRE  TROISIÈME 

trôler  Texactitude  du  récit.   Mais  un  autre  s'est  passé  en 
France,  et  nous  avons  eu  la  curiosité  de  faire  une  enquête    | 
sur  l'exactitude  des  faits. 

Voici  d'abord,  dans  les  paroles  même  de  M.  l'abbé  Hal- 
let,  la  version  de  Saint-Hubert. 

Nous  pourrions  citer  un  grand  nombre  de  faits  analogues  à  ceux 
que  l'auteur  du  Cantatorium  rapporte  ici.  Nous  nous  bornerons 
aux  trois  suivants. 

Le  premier  fait  se  trouve  consigné  dans  le  registre  des  personnes 
taillées,  conservé  à  la  Trésorerie  de  l'église  de  Saint-Hubert.  Il 
est  arrivé  en  1812,  à  Bar  le-Duc  (France),  où  trente-trois  personnes 
furent  mordues  par  un  loup  enragé.  De  ces  trente-trois  personnes 
trois  seulement  firent  le  pèlerinage  de  Saint- Hubert,  et  furent 
guéries.  Les  trente  autres  moururent  dans  la  rage. 

Le  nommé  Victor  Raulx  de  Villotte,  département  de  la  Meuse, 
arrondissement  de  Commercy,  nn  des  trois  guéris  susmentionnés, 
fit  en  1841  de  nouveau  le  pèlerinage  en  actions  de  grâces,  et  pour 
l'honneur  du  glorieux  saint  Hubert,  signa  l'attestation  de  sa  gué- 
rison,  le  11  du  mois  d'août  de  l'année  susdite.  {La  Sainte-Etole 
vengée,  p.  171.  Lettre  de  M.  le  curé-doyen  de  Saint-Hubert  au 
R.  P.  Dechamps.) 

Voyons  maintenant  la  version  de  Bar-le-Duc. 

On  parle  peu  des  loups  aujourd'hui,  car  l'espèce  en  est 
a  peu  près  perdue  en  France,  et  ses  rares  survivants  vivent 
cachés  au  fond  des  bois  ;  à  peine  la  faim  les  en  fait-elle  sortir 
l'hiver.  Mais  dans  les  derniers  siècles  encore,  ils  étaient 
nombreux  en  France,  et  ils  y  faisaient  presque  autant  de 
ravages  que  les  tigres  en  font  aujourd'hui  dans  l'Inde.  Cest 
comme  la  survivance,  très  atténuée,  des  siècles  éloi- 
gnés 011  l'homme,  presque  sans  armes,  devait  «  lutter  pour 
l'existence  »  avec  des  animaux  plus  carnivores  et  plus  forts 
que  lui.  Quelques-uns  même  de  ces  loups,  plus  grands,  plus 
forts,  plus  hardis,  jetaient  une  telle  consternation  dans  le 
pays,  que  l'imagination  populaire  en  faisait  des  monstres, 
des  bêles  fantastiques  que  les  balles  ne  pouvaient  blesser  : 
tel  est  le  cas  de  la  fameuse  «  bête  du  Gévaudan  »,  qui  en 


SAINT  HUBERT  GUÉRISSEUR  DE  LA  RAGE  91 

1765  ravagea  le  Gévaudan  et  la  partie  limitrophe  de  l'Au- 
vergne. De  même  à  la  fin  du  siècle  dernier,  dans  le  Barrois, 
on  parla  quelque  temps  de  la  «  bête  de  Lauzières  »  qu'on 
estimait  «  moitié  plus  forte  que  celle  du  Gévaudan  »  \ 

Les  loups  avaient  souvent  la  hardiesse  de  pénétrer  la 
nuit  dans  les  villes  :  tel  est  le  cas  de  celui  qui  ravagea  Bar- 
sur-Ornain  (aujourd'hui  Bar-le-Duc)  dans  la  nuit  du  16 
au  17  octobre  1812,  de  trois  heures  du  matin  au  jour.  —  On 
peut  juger  du  grand  nombre  de  loups  en  ce  temps  par 
l'entrefilet  suivant  du  Narrateur  de  la  Meuse  (journal  de 
Gommercy)  dans  son  n°  du  23  décembre  1812  :  «  Depuis 
l'irruption  faite  par  un  loup  dans  la  ville  chef-lieu  de  la 
Meuse,  à  la  fin  d'octobre,  jusqu'aux  dernières  neiges  exclu- 
sivement, on  a  tué  dans  notre  département  79  de  ces 
animaux  féroces.  Le  nombre  de  ceux  détruits  depuis  huit 
ou  dix  jours  est  considérable;  la  neige  favorisait  les  bat- 
tues. »  —  Déjà  au  mois  de  juillet  176S,  un  loup  furieux 
avait  rôdé  autour  delà  ville  de  Bar,  mordu  vingt  à  vingt-cinq 
personnes  et  dévoré  plusieurs  enfants  ^ 

Dans  son  n°  du  23  octobre  1812,  le  Narrateur  de  la  Meuse 
annonçait  ainsi  la  catastrophe  du  17  : 

Nous  sommes  informés  que,  dans  la  nuit  du  16  au  17  du  courant, 
des  loups  se  sont  introduits  dans  la  ville  de  Bar,  où  ils  ont  exercé 
de  cruels  ravages.  Nombre  de  personnes  qui  étaient  sur  pied,  occu- 
pées de  travaux  relatifs  aux  vendanges,  ont  été  mutilées.  Ces  ani- 
maux féroces  ont  parcouru  une  grande  partie  des  rues  de  la  ville, 
depuis  trois  heures  du  matin  jusqu'au  jour.  L'un  d'eux,  poursuivi 
avec  courage  et  agilité,  a  été  tué  tant  à  coups  de  fusil  que  de  hache 

1 .  «  Le  nommé  Robert,  chasseur  de  confiance  de  M .  le  comte  d'Ambly, 
atteste  sur  son  honneur  et  par  écrit  avoir  fait  faux  feu  sur  elle,  arrêtée 
en  plaine  à  dix  pas,  et  qu'elle  est  haute  comme  un  baudet;  ceux  qui 
l'ont  tiré  sous  bois,  l'assurent  grosse  comme  un  cheval...  «  Pari  d'un 
veneur  patriote,  feuille  volante  de  4  p.,  imprimée  à  Saint-Mihiel  en  dé- 
cembre 1786.  (Communiqué  par  M.  L.  Maxe-Werly  ) 

2.  On  peut  lire  plusieurs  histoires  de  ce  genre  dans  les  observations 
rapportées  par  Andrv. 


92  CHAPITRE  TROISIEME 

dans  la  rue  de  Véel,  à  la  sortie  de  Bar,  route  de  cette  ville  à  Paris. 
Les  vainqueurs  l'ont  promené  en  triomphe  dans  la  ville;  il  a  été 
ouvert  et  examiné  par  les  officiers  de  santé,  qui  ont  reconnu  qu'il 
n'était  point  gâté.  Ce  rapport  satisfaisant  a  été  publié  par  M.  le 
Maire  pour  la  tranquillité  des  personnes  blessés...  Le  loup  tué  à 
Bar  même  était  fort  long,  poil  roux,  grosses  pattes  et  haut  monté. 

Malheureusement  les  prévisions  tirées  de  l'aulopsie  du 
loup  par  les  médecins  ne  se  réalisèrent  pas.  Le  septième 
jour  une  de  ses  victimes  mourut  de  la  rage,  le  loup  était 
donc  enragé  ! 

Interrogeons  maintenant  la  Relation  historique  et  mé- 
dicale des  accidents  causés  par  un  loup  enragé  dans  la  ville 
de  Bar-sur-Ornain,  par  H.  Champion,  chirurgien  en  chef 
du  dépôt  de  mendicité  de  la  Meuse,  etc.,  présentée  et  lue  à 
l'Institut  de  France  le  6  septembre  181.3,  »  et  d'autres  do- 
cuments locaux  ^  En  somme,  il  n'y  avait  qu'un  loup  :  c'est 
la  rapidité  de  sa  course  et  l'alarme  générale  qui  firont 
croire  à  une  invasion  de  plusieurs  loups.  Dix-neuf  personnes 
avaient  été  grièvement  blessées  :  sur  ce  nombre  onze  pé- 
rirent dans  les  convulsions  de  la  rage  à  des  intervalles  de 
sept  à  soixante-douze  jours.  «  Le  ministre  de  l'intérieur 
mit  à  la  disposition  du  préfet  une  somme  de  3,000  fr.  à 
titre  d'indemnité  àrépar  tir  entre  les  victimes  et  leurs  familles, 
d'après  un  état  rédigé  en  mairie  le  19  octobre  1812,  lequel 
indiquait  les  noms  des  blessés,  leurs  professions,  la  nature 
de  leurs  blessures  et  leur  situation  de  fortune  ^ 

1.  Paris,  ^813,  43  p.  in-8.  (Extrait  du  Journal  de  Médecine,  chirurgie 
et  pharmacie,  etc.,  par  MM.  Corvisart,  Leroux  et  Boyer.)  —  Un  journalde 
Bar-Ie-Duc,  V Indépendance  de  l'Est,  dans  son  n°  du  17  octobre  1880. 
sous  la  rubrique  :  «  Ephémérides  barisiennes  »,  a  publié  un  récit  circons- 
tancié de  la  catastrophe,  en  partie  d'après  la  Relation  du  D''  Champion, 
en  partie  d'après  d'anciens  documents. 

Nous  devons  la  communication  de  tous  ces  documents  locaux  à  Tobli- 
geanle  érudition  de  M.  Maxe-Werly,  qui  est  l'histoire  personnifiée  du 
Barrois. 

2.  L'Indépendance  de  l'Est  (loc.  cit.)  reproduit  ce  tableau,  en  disant 
après  le  nom  de  chaque  blessé  s'il  a  survécu  ou  s'il  est  mort. 


SAINT  HUBERT  GUERISSEUR  DE  LA  RAGE  93 

Le  D'^  Champion  a  décrit  les  souffrances  de  ces  malheu- 
reux '  el  saint  Hubert  figure,  impuissant,  clans  l'agonie  de 
l'un  d'eux.  On  l'avait  attaché.  «  Cependant,  dans  un  instant 
de  calme,  il  remercia  son  père  de  celte  précaution,  en  lui 
avouant  qu'il  s'était  proposé  de  mordre  sa  mère,  une  de 
ses  sœurs  et  l'un  de  ses  anciens  camarades.  Dans  un  autre 
moment  oii  une  crise  allait  lui  prendre,  il  jeta  au  loin  une 
bague,  dite  de  Saint-Hubert,  qu'il  portait  à  son  doigt,  et  qui 
devait  le  préserver  d'accidents,  jurant  contre  le  pouvoir  du 
saint  et  en  blasphémant  le  nom-.  »  La  garantie  du  saint 
ayant  été  illusoire,  le  malheureux  qui  se  sentait  mourir 
avait  plus  que  le  droit  de  se  plaindre  :  en  j^romissa  fides  ! 

Parmi  les  survivants,  deux  seuls  «  virent  périr  leurs  com- 
pagnons d'infortune,  de  sang-froid  et  sans  craindre  pour 
leur  compte  particulier;  il  n'en  fut  pas  de  même  des  autres, 
et  il  me  serait  bien  difficile  de  retracer  ici  le  trouble  de  leur 
esprit,  et  les  agitations  auxquelles  ils  furent  en  proie... 
L'un  était  affecté  d'une  diarrhée  opiniâtre,  l'autre  d'un 
désordre  manifeste  des  fonctions  de  l'entendement,  etc.  » 
Les  tentatives  pour  les  calmer  furent  vaines.  «  Dans  cette 
occurrence,  nous  jugeâmes  convenable  de  leur  faire  faire 
le  voyage  de  Saint-Hubert  dans  les  Ardennes,  où  leur  in- 
clination les  portait.  »  (La  mésaventure  de  la  bague  d'un 
de  leurs  compagnons  dinfortune  n'avait,  comme  on  voit, 
en  rien  diminué  leur  confiance.  Quant  la  foi  est  forte,  les 
témoignages  contraires  sont  comme  n'existant  pas).  «  Ce 
pèlerinage  réussit  au-delà  de  nos  espérances  :  ceux  de  nos 
malades  qui  l'entreprirent,  soutenus  par  la  foi,  eurent  à 
peine  été  soumis  au  cérémonial,  après  avoir  satisfait  aux 
épreuves  religieuses,  que  leur  anxiété  se  calma,  la  séré- 
nité se  rétablit  dans  leurs  âmes,  et  ils  revinrent  avec  la 
confiance  qu'ils  n'avaient  non  seulement  rien  à  redouter  du 

1.  Le  D^  Champion  avait  lavé  et  douché  les  blessures  avec  de  l'urine 
et  de  la  lessive  tiède  qui  se  trouvaient  sous  sa  main,  puis  cautérisé  avec 
du  muriale  d'antimoine,  et  prescrit  des  boissons  délayantes. 

2.  D'"  Champion,  op.  cit.,  p.  24. 


9i  CHAPITRE  TROISIÈME 

présent  ni  de  l'avenir,  pour  ce  qui  les  concernait^,  mais 
qu'ils  étaient  même  en  possession  d'accorder  un  répit  de 
quarante  jours  à  quiconque  aurait  été  exposé  aux  mêmes 
accidents  qu'eux,  etc.  '.  » 

On  voit  par  ce  récit ,  tait  sans  l'intention  de  prouver 
aucune  thèse,  qu'une  partie  seulement  de  ceux  qui  ont  sur- 
vécu a  fait  le  voyage  de  Saint-Hubert,  et  cela  à  un  mo- 
ment où  le  venin  de  la  rage  les  aurait  déjà  frappés  s'il  avait 
dû  le  faire  et  où  ils  n'étaient  plus  malades  que  d'imagina- 
tion. Ils  firent  ce  voyage  chacun  de  son  côté  quand  leur 
état  le  leur  permit.  Quant  à  Victor  Raulx,  seul  nommé 
dans  le  livre  de  M.  l'abbé  Hallet,  comme  ses  blessures 
l'avaient  rendu  incapable  de  marcher  ^,  ce  ne  fut  que  six 
mois  après  son  accident  qu'il  put  se  rendre  à  Saint-Hubert, 
accompagné  de  sa  mère.  C'est  ce  que  son  fils,  M.  Raulx, 
employé  à  Bar,  a  appris  à  M.  Maxe-Werly.  M.  l'abbé 
Hellet  a  aussi  commis  une  erreur  que  nous  regrettons 
d'avoir  à  relever,  car  cette  rectification  diminue  encore  la 
poésie  dramatique  de  la  légende.  Victor  Raulx  ne  revint 
pas  en  1841  ;  c'est  un  de  ses  fils,  alors  séminariste  et  au- 
jourd'hui curé  à  Yaucouleurs,  qui  fit  ce  pèlerinage  pour 
remercier  Dieu  de  la  guérison  miraculeuse  de  son  père  \ 

Par  cet  exemple,  où  nous  avons  pu  contrôler  la  légende 
pieuse  par  l'histoire  authentique^  on  peut  juger  de  la 
valeur  des  témoignages  accumulés  depuis  des  siècles  pour 

1.  D"-  Champion,  op.  cit.,  p.  28-30. 

2.  Voici,  d'après  le  D^  Champion,  la  description  de  ses  blessures  : 
«  Raulx,  âgé  de  vingt-quatre  ans,  le  premier  mordu,  avait  deux  plaies 
profondes  et  étroites  à  la  partie  interne  et  postérieure  du  mollet  de  la 
jambe  gauche,  et  une  troisième  à  la  partie  inférieure  du  torse  du  même 
côté;  la  guêtre  de  toile  qui  recouvrait  la  jambe,  l'empeigne  et  le  quartier 
du  soulier,  quoique  de  cuir  de  vache,  étaient  déchirés,  avec  perte  de 
substance.  » 

3.  Avant  de  quitter  ce  sujet,  disons  que  le  D"^  Champion  a  terminé  sa 
relation  par  la  description  de  désordres  produits  par  la  peur  chez  plu- 
sieurs personnes  de  Bar,  notamment  une  dame  qui  avait  pour  nourrice 
de  son  enfant  la  femme  d'un  des  hommes  mordu?. 


SAINT  HUBERT  GUÉRISSEUR  DE  LA  RAGE  95 

la  plus  grande  gloire  de  Saint-Hubert  d'Ardenne.  Des  faits 
grossis  par  la  distance  ou  l'antiquité,  mal  compris  par 
suite  de  l'ignorance  des  lois  de  la  nature,  mal  interprétés 
par  suite  du  manque  de  critique,  racontés  souvent  avec 
plus  de  foi  que  de  bonne  foi^  arrivent,  avec  l'aide  du  temps 
qui  les  enveloppe  de  ses  reflets  chatoyants,  à  passer  pour 
des  miracles. 

Après  cela,  on  peut  juger  ce  que  vaut  l'assurance  du 
journal  le  Vèlerin^  qui,  à  l'occasion  de  la  mort  de  deux  des 
Russes  soignés  par  M.  Pasteur,  écrivait  :  «  Ajoutons,  sans 
attaquer  en  rien  la  trouvaille  de  M.  Pasteur,  que  le  remède 
et  les  prières  de  saint  Hubert,  expérimentés  sur  des  milliers 
de  sujets,  n'ont  pas  la  mésaventure  que  vient  d'avoir  le 
naissant  institut  de  M.  Pasteur  ^  » 

«  Ceux  qui  sont  tombés  en  hydrophobie ,  disait  déjà 
Ambroise  Paré,  jamais  ne  guérissent.  »  Admettons  cette 
proposition.  En  faut-il  conclure  que  toute  personne  mordue 
par  un  chien  contracte  le  virus  de  la  rage  ?  Le  chien  peut 
être  irrité,  sans  être  enragé  :  sa  morsure  donnera-t-elle  la 
rage?  L'animal  enragé  lui-même  donnera-t-il  toujours  la 
rage?  «  11  en  est  du  virus  rabbique(ditun  écrivain  qui  s'est 
occupé  de  la  rage)  comme  de  tous  les  virus  en  général  ; 
alors  même  qu'il  est  réellement  inoculé,  inséré  sous  l'épi- 
derme,  il  est  loin  d'engendrer  certainement  la  rage^»  Bien 
plus,  l'animal  réellement  enragé  peut  ne  pas  mordre  assez 
profondément,  ne  pas  assez  déchirer  les  chairs  pour  que  le 
virus  entre  dans  la  circulation.  Dans  ce  cas,  le  traitement, 
sacré  ou  profane,  ne  guérira  que  la  peur  ;  il  est  vrai  que 
dans  un  mal  tétanique  comme  celui-ci,   où  Timagination 


1.  Numéro  du  12  avril  1886,  p.  203. 

2.  Maygrier.  les  Remèdes  contre  la  Rage,  Paris  et  Lyon,  1866,  p.  4.  — 
L'auleur  cite  ensuite  des  expériences  pratiquées  sur  des  chiens  mordus 
par  d'autres  chiens  enragés  ou  supposés  tels  :  une  partie  seulement 
aurait  contracté  la  rage;  l'autre  serait  restée  indemne. 


96  CHAPITRE  TROISIÈME 

joue  un  grand  rôle,  la  guérison  de  la  peur  est  déjà  un 
résultat  utile  ^ . 

Mais  il  y  a  plus,  et  la  cautérisation,  surtout  au  fer  rouge, 
est  tellement  considérée  dans  notre  siècle  comme  le  remède 
le  plus  efficace  contre  la  rage ,  que  certains  pèlerins 
viennent  à  Saint-Hubert  après  avoir  fait  cautériser  leur 
morsQre>  «  Mais  (dit  M.  l'abbé  Bertrand)  il  y  a  des  per- 
sonnes qui  font  brûler  leurs  morsures  avant  d'aller  à  Saint- 
Hubert?  Effectivement,  mais  c'est  bien  rare;  j'en  ai  vu  deux 
en  l'espace  de  trois  années,  et  c'étaient  des  personnes  assez 
instruites,  me  paraît-il  ;  oui,  assez  pour  ne  pas  se  reposer 
sur  la  cautérisation.  Nous  sommes  loin  de  désapprouver  la 
cautérisation  ;  et  à  Saint-Hubert  on  ne  blâme  pas  les  per- 
sonnes mordues  d'avoir  fait  brûler  leurs  plaies  ou  d'avoir 
employé  quelque  autre  moyen  naturel,  au  contraire  !  On 
ne  taille  pas  pour  prouver  que  la  taille  seule  peut  guérir 
de  la  rage  ;  ce  qu'on  cherche,  c'est  le  salut  et  la  guérison 
des  personnes  ^.  » 

M.  l'abbé  Hallet,  qui  écrit  un  quart  de  siècle  plus  tard 
que  M.  l'abbé  Bertrand,  est  moins  dédaigneux  pour  la  cau- 
térisation. Il  a  un  chapitre  en  quelque  sorte  médical  (p.  126 
et  suiv.)  011  il  parle,  d'après  des  ouvrages  de  médecine,  des 
indices  de  la  rage  chez  les  animaux,  et  des  «  moyens  à 
employer  après  qu'une  personne  a  été  blessée  par  un  animal 
enragé  ».  Il  dit  nettement  :  «  Nous  ne  pouvons  donc  assez 
conseiller  de  se  servir,  en  pareil  cas,  des  moyens  indiqués 
par  les  médecins,  surtout  quand  les  blessures  reçues  sont 
graves,  et  que,  pour  Tune  ou  l'autre  cause,  le  voyage  à 
Saint-Hubert  ne  peut  s'effectuer  immédiatement.  »  M.  l'abbé 

1.  Les  chifires  delà  statistique,  dit  un  des  tiommes  les  plus  compé- i 
lents  en  matière  de  rage,  M.  Bouley,  «  témoignent  qu'une  blessure; 
rabique  n-'est  pas  fatalement  mortelle,  comme  beaucoup  sont  trop  portés 
à  le  croire;  qu'au  contraire,  dans  plus  de  la  moitié  des  cas,  elle  ne; 
donne  lieu  à  aucune  conséquence  funeste  «.  (Revue  Scientifique  dU| 
7  mai  1870,  p.  365.) 

2.  Bertrand,  p.  4.75. 


SAINT  HUBERT  GUÉRISSEUR  DE  LA  RAGE  97 

Hallet  donne  ensuite  en  détail,  et,  d'après  M.  Bouley,  les 
procédés  de  cautérisation  et  il  termine  en  ces  termes  : 

Qu'on  le  remarque  bien,  quand  une  personne  a  été  blessée  par 
un  animal  enragé,  la  prudence  exige  qu'avant  de  se  rendre  à  Saint- 
Hubert,  elle  ait  recours  aux  remèdes  prescrits  par  les  médecins. 
Ceci  ressort  clairement  des  paroles  déjà  citées  au  paragraphe  III 
section  2,  que  nous  rappellerons  ici  et  par  lesquelles  nous  termi- 
nerons cet  article  :  «  Les  dignes  Instituteurs  de  la  Neuvaine,  y  est-il 
dit,  savants  dans  la  connaissance  des  Saints  Pères  et  des  pratiques 
de  la  religion,  jugèrent  sagement  que,  pour  ne  pas  tenter  Dieu,  il 
était  nécessaire  d'ajouter  à  l'insertion  de  la  Sainte-Etole  des  moyens 
naturels  et  surnaturels  pour  guérir  et  arrêter  les  progrès  d'un 
mal  si  terrible.  » 

C'est  ainsi  qu'à  Paris  on  lit  de  temps  à  autre  dans  les 
journaux  qu'un  sergent  de  ville  a  été  mordu  en  abattant  un 
chien  enragé  oufurieux.  Lejournalnemanquepas d'ajouter 
que  l'agent  va  faire  cautériser  sa  blessure  dans  une  phar- 
macie ;  puis,  qu'il  se  rend  au  laboratoire  de  M.  Pasteur.  Ce 
n'est  pas  défiance  à  l'égard  de  M.  Pasteur,  c'est  parce  qu'on 
ne  saurait  prendre  trop  de  précautions  dans  des  cas  aussi 
graves. 

On  va  toujours  se  faire  tailler  et  obtenir  le  répit  à  Saint- 
Hubert;  mais  il  semble  qu'on  commence  à  y  venir  moins 
que  par  le  passé.  La  Belgique  est  maintenant  si  proche  de 
nous,  et  les  remèdes  de  la  médecine  scientifique  dispensent 
de  plus  en  plus  de  recourir  aux  remèdes  miraculeux. 
L'hôtesse  de  Y  Hôtel  du  Chemin  de  Fer  auquel  nous  deman- 
dions si  l'on  venait  toujours  beaucoup  se  faire  tailler,  nous 
répondit  qu'on  venait  surtout  des  pays  flamands,  qui  sont  en 
effet  bien  plus  croyants  que  le  pays  wallon*.  Quant  aux 
gens  de  Bruxelles,  ajouta-t-elle,  «  ils  vont  maintenant  au 

1.  Pendant  notre  passage  à  Saint-Hubert  (juin  1886),  ce  sont  en  efï'et 
1  des  personnes  du  pays  flamand  que  nous  avons  vu  venir  se  faire  tailler 
et  demander  le  répit.  C'est  rfe  msii  que  nous  avons   plus   haut   raconté 
;  et  décrit  ces  opérations. 

I.A   RAGE.  7 


98  CHAPITRE  TROISIEME 

Pasteur  à  Paris.  -  Cette  boiine  femme  prenait  sans  doute 
le  nom  de  M.  Pasteur  pour  un  nom  commun  ou  pour  le 
nomd'un  h'jpital.  <  Pourtant,  continua-t-elle,  il  y  en  a  dans 
le  nombre  qui  viennent  ensuite  à  Saint-Hubert.  Ainsi  ré- 
cemment nous  avons  eu  ici  une  darne  de  Bruselles  avec  son 
fils  qui  venaient  de  se  faire  soigner  à  Paris.  Cette  dame 
avait  sans  doute  pensé  que  deux  précautions  valent  mieux 
quune.  car  elle  avait  commencé  par  aller  au  Pasteur  à 
Paris,.'  C'est  cette  théorie  de  prudence  et  de  probabilité 
qu'on  appelle,  crovons-nous.  en  théologie,  le  ti'.tfO'rirme. 
Sans  doute  aussi  elle  avait  pensé  que  trois  précautions 
valent  mieux  que  deux,  et  elle  avait  subi  tout  d'abord  la 
cautésation.  avec  son  fils.  Mais,  alors,  à  qui  reviendra  le 
mérite  de  la  guérison?  Au  fer  rousTf  du  cautère  ?  au  vaccin 
de  M.  Pasteur?  à  l'étole  de  saint  Hubert?...  Et  puis,  le 
virus  avait-il  vraiment  pénétré  dans  le  sang?  Et,  t-ntin,  ce 
chien  était-il  réellement  enragé  ? 

Cette  dame  de  Bruxelles  était  prudente  autant  que  ( 
pieuse,  et  sa  conduite  n'est  nullement  à  blâmer  au  point 
de  vue  religieux  ;  car  c'est  un  cas  assez  fréquent  que  le 
mélans-e  de  remèdes  de  la  médecine  avec  les  pratiques  de 
dévotion  :  bun  aide  l'autre.  Nous  nous  bornerons  à  quelques 
exemples  caractéristiques  : 

En  1817.  le  8  septembre,  est  venu  en  dévotion  au  sanctuaire 
de  Myans.  M.  A.  d"A...,  chef  d'escadron  en  France,  chevalier  de 
la  Lé^'ion  d'honneur  et  de  Saint-Louis,  lequel  ayant  été  gravement 
blessé  dans  la  campagne  de  MoscO'U.  après  avoir  été  aljandonné 
de-  rn-i^deoinv.  lit  un  vc^'i  à.  la  sainte  A'ierre  pour  obtenir  sa  gué-   , 
ris  on.  Lcs  lors,  il  se  trouva  un  peu  soulagé  et  commença  à  rnar-   i 
cher  à  l'aide  de  béquilles.  Arrivé  dans  cet  état  à  Aix  en  Savoie 
pour  y  prendre  le-<  eaux,  il  se  vi.ua  de  nouveau  à  Notre-Dame 
de  Myans,  et  d^  suite  il  s'est  tro^uve  -uéri.  En  action  de  grâce,  il 
est  venu,  le  jour  de  la  Nativité,  rendre  ses  hommages  de  recon-   i 
naissance  à  la  Mère  de  Dieu,   dans  le  sanctuairn  du  Mvans.  et  a 


SAINT  HUBERT  GUÉRISSEUR  DE  LA  RAGE  99 

1  léposé  sa  béquille  devant  l'image  de  la  sainte  Vierge  :  elle  a  été 
;uspendue  au  mur  du  côté  de  l'épître...  *. 

1 

Dom  Guéranger,  dans  son  livre  sur  la  médaille  de 
saint-Benoît,  rapporte  plusieurs  faits  analogues  : 

En  la  même  année  1665,  un  homme  avait  une  plaie  au  bras, 
îi  grande  et  si  envenimée  qu'elle  n'avait  cédé  à  aucun  remède. 
3n  eut  ridée  de  placer  la  médaille  sur  le  bras  malade,  en  même 
;emps  que  l'appareil  destiné  au  pansement.  Le  lendemain,  à  la 
evée  de  l'appareil,  la  plaie  parut  saine,  et,  au  bout  de  quelques 
ours,  elle  était  cicatrisée  '. 

Mais  ce  qui,  par-dessus  tout,  rend  la  médaille  de  Saint-Benoit 
;hère  aux  Indiens,  —  il  s'agit  de  la  mission  de  Salem,  dans  le 
vicariat  apostolique  de  Pondichéry,  —  c'est  le  secours  puissant 
qu'elle  leur  apporte  contre  un  des  plus  grands  fléaux  du  pays,  la 
piqûre  des  insectes  ou  la  morsure  des  serpents,  Mariannen,  piqué 
m  soir  d'un  poùram,  insecte  très  venimeux,  passa  la  nuit  à  se 
ameuter  sous  le  coup  de  la  douleur;  il  avait  la  poitrine  oppressée, 
es  côtes  gonflées.  Les  endroits  souff"rants  ayant  été  frottés  le 
natin  d'eau  de  Cologne  pure,  dans  laquelle  on  avait  plongé  la 
nédaille,  il  fut  parfaitement  guéri,  à  la  minute  '. 


§  7.  —  l'imagination  et  la  rage  ;  les  aboyeuses  de  josselin. 

Les  écrivains  qui  se  sont  occupés  de  la  rage  ont  tous  re- 
narqué  le  rôle  que  l'imagination  joue  dans  cette  maladie, 
^ussi  les  traitements  qui,  soit  parleur  caractère  religieux, 
oit  parleur  infaillibilité  présumée,  agissent  sur  l'imagina- 
ion,  ont-ils  eu  et  ne  peuvent-ils  avoir  qu'un  grand  succès. 
Is  ont  le  mérite  de  guérir  la  rage  chez  les  gens  qui  ne  l'ont 

1.  Notre-Dam^.  de  Myans  {Diocèse  de  Chambéry),  Chambérv,  1856, 
.36. 

2.  Dom  Guéranger,  Essai  sur  l'origine,  la  signification  et  les  privi^ 
^ges  de  la  médaille  ou  croix  de  Saint-Benoit,  9"  éd.,  1885,  p.  38. 

3.  Dom  Guéranger,  op.  cit.,  p.  119. 


iOO  CHAPITRE  TROISIEME 

point...  mais  qui,  croyant  l'avoir,  éprouveraient  des  acci- 
dents presque  aussi  graves.  On  a  cité  des  exemples  de  per- 
sonnes mordueS;,  sans  suites  fâcheuses,  quand  on  leur  disait 
que  le  chien  n'était  pas  enragé.  Quelques  années  après,  on 
leur  dit  que  l'animal  était  enragé  :  elles  sont  prises  de  crisee 
tétaniques  et  meurent. 

La  façon  horrible  dont,,  presque  jusqu'à  notre  temps,  on 
se  débarrassait  des  personnes  atteintes  de  larage^  était  bien 
propre  à  aggraver  le  désordre  mental  de  ceux  qui  se  sen 
talent  ou  se  croyaient  atteints.  C'était  une  croyance  po- 
pulaire (et  on  la  trouverait  peut-être  encore  aujourd'hu: 
chez  quelques  personnes)  que  lorsqu'un  individu  mordi 
arrive  à  la  crise  nerveuse  dans  laquelle  il  s'agite  et  se  déba 
comme  un  furieux,  on  doit  l'étoutîer  entre  deux  matelas 
C'était  regardé  comme  usage  aussi  naturel  qu'il  l'est  che 
certains  peuples  sauvages  de  tuer  les  vieillards  devenu 
bouches  inutiles,  et  ceux-ci  ne  disent  rien  à  l'encontre 
c'est  l'usage.  L'usage  d'étouffer  les  enragés  s'est  continui 
presque  jusqu'à  notre  temps,  à  cela  près  qu'on  employai 
aussi  d'autres  procédés  analogues  pour  (juérir  ces  malheui 
reux.  De  véritables  crimes  même  se  sont  commis  sous  c 
prétexte,  pour  se  débarrasser  de  gens  dont  on  voulait  héri 
ter,  et  le  proverbe  : 

Qui  veut  noyer  son  chien,  l'accuse  de  la  rage 

s'est  quelquefois  appliqué  à  des  hommes. 

Au  xvn^  siècle,  Mme  de  La  Guette,  dans  ses  Mémoires, 
entendu  parler  de  personnes  mordues  par  un  loup  enragé 
«  qu'on  avoit  été  obligé  de  tuer  à  coupsde  fusil  »  ^  —  Parm 
les  observations  sur  la  rage  que  publie  Andry  s'en  trouv 
une  relative  à  <(  une  pauvre  fdle,  bergère  de  son  état  » 
ses  parents  et  ses  proches  «  s'occupoient  déjà  du  moye 
de  lui  ôter  la  vie  »  ;  l'intervention  d'un  magistrat  empêch 
seule  cet   homicide.  La  chose  se  passait  à  Vignon,   e 

1.  Mémoires,  éd.  Jannet,  p.  199. 


SAINT  HUBERT  GUÉRISSEUR  DE  LA  RAGE  101 

Berry,  au  siècle  dernier  \  Le  curé  du  village  écrivait  qu'il 
^'était  élevé  avec  force  contre  ce  projet,  mais  qu'il  n'était 
'aas  toujours  au  pouvoir  des  pasteurs  de  persuader.  Ail- 
'eurs,  à  Pavilly,  près  de  Rouen,  on  veut  faire  périr  une  per- 
sonne par  la  saignée".  «  J'ai  vu,  ajoute  Andry  en  1780,  bien 
les  gens  de  ville  et  au-dessus  du  commun,  imbus  de  ce 
'Dréjugé  et  d'histoires  qui  viennent  à  l'appui.  Une  personne 
'^rave,  revêtue   du  sacerdoce,   et  d'un   vrai   mérite,  m'a 
'issuré,  à  cette  occasion,  avoir  vu  fusiller  un  homme  qui 
•ouroit  dans  les  environs  d'une  grande  ville  ;  et  que  dans 
ine  autre  endroit  une  demoiselle  empoisonna  elle-même 
;on  père  par  un  bouillon,  en  vertu  d'une  espèce  d'arrêté  de 
amille,  et  qu'il  en  fit  des  reproches  à  sa  fille,  en  la  remer- 
iant  néanmoins  de  mettre  fin  à  son  tourment  \  » 
Nous  pourrions  multiplier  ces  témoignages  :  ils  se  ren- 
ontrent  partout  où  il  est  question  de  la  rage.  Larmerye, 
lans  son  Dictionnaire  françois-breton  (1744),  dit  à  l'article 
'\age  :  «  C'est  un  crime  qui  mérite  punition  corporelle  d'é- 
'ouffer  une  personne  enragée  ;  et  on  ne  dit  mot  a  un  beau 
;rand  livre  qui  le   conseille.   Comment  !  on  n'oserait  le 
lommer  !  »  Le  mot  de  cette  énigme  est  peut-être  résolu 
iar  un  autre  passage  du  même  dictionnaire  au  mot  siiffo- 
ation  :  «  Ganeau  répète  ici  qu'on  fait  périr  les  enragés  par 
uffocation  entre  deux  matelas.  » 
La  souffrance  des  malheureux  atteints  de  ce  mal  était 
ncore  accrue  par  d'aussi  cruels  usages.  Voici  des  faits 


I  1.  Andry,  Recherches  sur  la  rage,  p.  396. 

2.  Andry,  p.  327.  Ce  procédé  a  dû  être  employé  en  plusieurs  endroits, 
lotre  ami  M.  E.  Ernault  a  recueilli  en  Bretagne  une  tradition  qui  en 
^moigne  : 

«  On  dit  à  Trévérec  (Côtes-du-Nord),  qu'autrefois  les  médecins,  pour 
rocurer  une  mort  douce  aux  malheureux  mordus  par  des  chiens  enragés, 
'îur  ouvraient  une  veine  du  petit  doigt  de  pied  et  leur  faisaient  mettre 
;s  pieds  dans  l'eau  chaude,  pour  mourir  au  bout  de  leur  sang.  » 

3.  Andry,  p.  408. 


102  CHAPITRE  TROISIÈME 

que  Balzac  emprunte  aux  publications  de  l'École  Royale 
de  Médecine   : 

Une  jeune  fille  de  dix-huit  ans,  prise  de  rage,  ne  fut  sérieu- 
sement malade  qu'une  demi-journée,  et  mourut  à  l'Hôtel-Dieu  de 
Paris  le  8  mai  1780,  faisant  des  prières  pour  qu'on  ne  l'étouffât 
point...  Le  23  septembre  1781,  un  jeune  homme  attaqué  de  rage 
demanda  à  sa  famille  son  curé,  uniquement  pour  empêcher  qu'on 
l'étouffât  dans  le  cas  où  il  viendrait  à  perdre  la  raison.  Ce  sujet 
fut  guéri  ;  preuve  évidente  que  la  rage  était  purement  imaginaire. 
Ainsi  plusieurs  de  ces  malades  imaginaires  se  voient  étouffés  ou 
étranglés,  ou  noyés  dans  des  ruisseaux  de  sang  coulant  de  leurs 
quatre  membres  largement  ouverts  par  une  perfide  lancette  ^ 

Balzac,  qui  écrivait  en  J810,  remarque  là-dessus  : 

Il  y  a  des  exemples  où  l'avidité  de  succéder  a  fait  étouffer  comme 
enragés  des  individus  attaqués  de  simples  convulsions  que  la 
peur,  ou  la  crainte,  ou  l'effroi  leur  avaient  données,  ou  qui  étaient 
l'effet  de  quelque  violentes  passions,  de  quelque  transport  fiévreux 
dont  ils  auraient  été  guéris.  La  simple  idée  qu'il  a  pu  se  commettre 
de  pareils  assassinats  fait  frémir.  Une  loi  peut  seule  les  faire  cesser 

Et  Balzac  demande  que  le  gouvernement  adopte  ur 
«  projet  de  loi  »  ainsi  conçu  : 

Il  est  défendu,  sous  peine  de  mort,  d'étrangler,  d'étouffer,  di 
saigner  des  quatre  membres,  ou  autrement  faire  mourir  aucm 
individu  attaqué  de  rage,  d'hydrophobie,  ou  autre  maladit 
quelconque  donnant  des  accès,  des  convulsions  aux  personnes,  le 
rendant  folles,  furieuses,  et  dangereuses,  de  quelque  manière  qu 
ce  soit,  sauf  à  l'ordre  public  et  aux  familles  à  prendre  les  précau 
tions  qu'exigent  la  santé  publique  et  particulière  '. 

Pour  qu'un  philanthrope,  en  1810,  crût  utile  de  demande 
une  loi  sur  la  matière,  il  fallait  que  les  attentats  de  c 
genre  fussent  bien  fréquents. 

1.  Balzac,  Histoire  de  la  rage,  p.  20-21. 

2.  Balzac,  p.  24. 


SAINT  HUBERT  GUÉRISSEUR  DE  LA  RAGE  103 

Il  n'en  allait  pas  autrement  en  Angleterre.  A  la  fin  du 
xvni°  siècle,  un  des  felloios  (agrégés)  du  collège  de  la  Tri- 
nité, à  Cambridge  (un  homme  instruit  par  conséquent!), 
demandait  aux  juges  de  passage  pour  les  assises  s'il  était 
permis  et  légal  d'étouffer  entre  deux  matelas  un  homme 
ennigé.  «  Les  juges  répondent  que  c'est  un  meurtre  et 
prient  le  felloiv  de  le  dire  bien  hautement;  car  nombre  de 
personnes  considèrent  ce  procédé  non  seulement  comme 
légal,  mais  aussi  comme  un  acte  de  charité  vis-à-vis  de 
l'enragé  ^  »  Il  y  a  cinquante  ans,  dans  un  procès^  le  juge  dit 
aux  jurés  qu'un  fait  de  ce  genre  était  un  meurtre,  mais  les 
jurés  acquittèrent  les  prévenus,  pensant  que  c'était  un 
acte  d'humanité  d'abréger  des  souffrances  aussi  cruelles 
et  sans  espoir  ^  Il  y  a  quarante  ans,  à  York,  un  enragé  fut 
étouffé  dans  son  lit,  parce  qu'il  crachait  sur  ceux  qui  s'ap- 
prochaient de  lui,  et  que  l'on  croyait  sa  salive  dangereuse 
à  ceux  qu'elle  touchait  ^  Le  recueil  anglais  auquel  nous 
empruntons  ces  faits  en  cite  d'autres  exemples  et  de  notre 
siècle  même  *. 

Les  convulsions  et  les  fureurs  de  la  rage  ressemblent  à 
celles  de  diverses  maladies  nerveuses  et  mentales,  ces 
maladies  qu'on  expliquait  par  la  possession.  C'est  sans  doute 
par  suite  de  cette  confusion  que  la  Sainte-Etole  a  été  la 
relique  par  excellence  invoquée  contre  la  rage,  puisque 
l'imposition  de  l'étole  est  une  des  formes  de  l'exorcisme, 
un  des  moyens  de  chasser  le  démon  du  corps  du  possédé. 
L'aboiement  est  un  des  accidents  communs  à  certains  enra- 
gés (sans  doute  sous  l'influence  de  l'imagination),  et  aux 
personnes  atteintes  de  certaine  maladie  nerveuse  et  men- 
tale 011  l'imagination,  par  suite  d'influence  traditionnelle 
et  locale,  donne  sa  forme  particulière  à  la  maladie, 

1.  Notes  and  Queries,  5e  sér.,  t.  V  (1876),  p.  237. 

2.  Ihid.,  5e  sér.,  l.  IV  (1875),  p.  491. 

3.  Ibid.,  5^  sér.,  t.  V  (1876),  p.  237. 

4.  IMd.,  5»  sér.,  t.  IV  (1875),  p.  167,  358  et  491.  -  Un  de  nos  amis 
du  pays  de  Galles  nous  écrit  avoir  entendu  raconter  un  cas  de  ce  genre. 


104  CHAPITRE  TROISlÊzME 

Balzac  (qui  écrivait  en  1810)  donne  des  exemples  curieux 
de  cette  influence  de  l'imagination  dans  la  rage.  La  cons- 
triction  de  la  gorge  dans  la  dernière  période  de  la  maladie 
pouvait  du  reste  faciliter  l'illusion  chez  les  observateurs,  et 
faire  croire  que  l'homme  mordu  était  en  quelque  sorte 
enchienné  et  aboyait  comme  un  chien. 

Il  n'y  a  pas  jusqu'à  la  voix  qui  [ne]  se  transforme  en  aboiement, 
et  on  a  vu  des  sujets  enragés  ayant  absolument  perdu  la  parole 
jeter  l'effroi  dans  l'âme  de  tous  les  assistants,  en  faisant  entendre 
pour  tout  langage  les  lugubres  hurlements  des  chiens  et  des 
loups  ^ 

Et  Balzac  ajoute  : 

Sur  les  épouvantables  effets  de  la  rage,  voy.  p.  152,  2'^  part,  du 
tome  11^,  in-4,  année  1783  de  VHist.  de  la  Soc.  Roy.  de  médecine 
de  Paris  ;  ibid.,  p.  214  et  225,  on  trouve  les  circonstances  où  la 
voix  et  le  langage  des  hommes  enragés  se  sont  changés  en  aboie- 
ments et  en  hurlements  de  chiens  et  de  loups.  Même  volume, 
p.  145,  une  dame  ayant  eu  des  accès  de  rage  tous  les  sept  ans, 
pendant  plus  de  trente  ans,  commençant  toujours  parle  bras  mordu  ; 
même  page,  la  femme  Ricard  en  être  attaquée  pendant  les  quatre 
premiers  mois  de  onze  grossesses;  une  domestique  préservée 
aussi  de  la  rage,  prise  d'un  léger  délire  et  avoir  horreur  de  l'eau 
toutes  les  années  au  temps  où  elle  avait  été  mordue  d'un  chien 
enragé,  et  des  accès  de  sept  jours  en  sept  jours  pendant  tout  ce 
temps. 


Les  aboyeuses  de  Josseliti,  en  Bretagne,  nous  fournissent 
l'exemple  parallèle  d'une  maladie  nerveuse  où  certaines 
crises  ressemblent  aux  fureurs  de  la  rage.  Nombre  d'écri- 
vains sur  la  Bretagne  en  parlent,  et  il  en  est  aussi  question 
dans  les  Petits  Bollandistes ,  t.  V,  p.  151  ;  mais  nous  pren- 
drons pour  guide  un  professeur  de  philosophie  à  la  Faculté 

1.  Balzac,  Hisloirr  de  ht  rage.  p.  4. 


SAINT  HUBERT  GUÉRISSEUR  DE  LA  RAGE  105 

des  lettres  de  Rennes,  dans  un  écrit  publié  il  y  a  trente 
ans  ^ 

Au  pèlerinage  de  Notre-Dame  du  Roncier,  qui  a  lieu  à 
la  Pentecôte  et  à  l'Assomption^  on  amène  les  malades,  les 
femmes  qui  tombent  (comme  on  dit  dans  le  pays),  car  ce 
sont  seulement  des  femmes. 

Le  commencement  du  voyage  s'eftectue  paisiblement.  Mais 
quand  elle  arrive  sur  les  terres  de  la  sainte  Vierge,  c'est-à-dire 
dans  la  paroisse  de  Notre-Dame  du  Ptoncier,  elle  s'affaisse  tout  à 
coup;  elle  tombe.  Gela  arrive  plus  tôt  ou  plus  tard  ;  quelquefois  cette 
défaillance  n'a  lieu  que  sur  le  sol  de  l'église. 

Alors  les  hommes  ou  les  femmes  qui  l'accompagnent  s'em- 
parent d'elle  et  continuent  à  la  faire  marcher  en  la  soutenant  sous 
les  bras.  La  lutte  commence.  La  malade  repousse  convulsivement 
ses  gardiens  :  elle  cherche  à  leur  glisser  dans  les  mains  comme 
une  anguille.  Elle  se  laisse  tomber  de  tout  son  poids;  elle  lance 
ses  pieds  en  avant,  et  dès  qu'elle  se  trouve  un  point  d'appui  sur  le 
sol,  rejette  sa  tète  en  arrière  et  roidit  tout  son  corps  comme  un 
soliveau  butté  en  terre.  Mais  ce  sont  des  Bretons  qui  la  tiennent  et 
qui  ont  mis  dans  leur  tête  de  la  conduire  au  but;  ils  la  soulèvent, 
ils  la  traînent,  ils  font  ployer  de  vive  force  son  corps  roidi.  Elle 
avance  donc.  Cependant  sa  poitrine  se  gonfle,  sa  gorge  siffle,  une 
sorte  de  hoquet  ou  de  sanglot  s'en  échappe;  puis,  tout  à  coup, 
elle  jappe,  elle  aboie,  et  si  bien,  que  les  chiens  lui  répondent.  Ou 
bien  elle  hurle  à  pleine  poitrine. 

A  la  porte  de  l'église,  ces  scènes  pénibles  redoublent  de  vio- 
lence :  l'aboyeuse  fait  des  efforts  désespérés  pour  n'en  point  fran- 
chir le  seuil.  Elle  le  franchit  néanmoins.  La  foule  s'écarte  et  fait 
place.  L'église  retentit  du  choc  des  souliers  ferrés  sur  les  dalles  ; 
les  aboiements,  les  hurlements  se  mêlent  au  chant  de  l'office.  La 
i'oilà  traînée  jusqu'au  pied  du  trône,  en  forme  de  petit  autel,  sur 
equel  est  posée  la  relique.  Mais  il  faut  lui  faire  appliquer  les 
èvres  sur  la  vitre  du  reliquaire,  et  elle  déploie  une  énergie  diabo- 
ique  pour  échapper  à  se  baiser  fatal.  Deux  hommes  arc-boutent 
eurs  bras  sous  ses  épaules  afin  de  lui  abaisser  invinciblement  la 

1.  Lps  Aboyeuses  de  Josselin,  par  C.  Jeannel.  Rennes,  1855,  88  p. 
n-12. 


106  CHAPITRE  TROISIEME 

tête  avec  leurs  mains  :  d'autres  lui  ont  saisi  les  bras  et  les  jambes; 
les  cris  deviennent  plus  étouffés,  les  saccades  convulsives  de  ce 
corps  ,  enfin  dompté  ,  s'arrêtent.  Elle  a  baisé  !...  Non  ,  ce 
n'était  qu'une  ruse  !  Au  moment  décisif,  elle  a  vivement  détourné 
la  tête;  ses  lèvres  n'ont  point  touché  la  sainte  relique;  un  aboie- 
ment aigu,  un  burlement  vainqueur  sort  du  milieu  de  ce  groupe 
haletant.  La  lutte  recommence  avec  toute  son  énergie,  toute  son 
horreur.  La  sueur  ruisselle,  les  fronts  se  heurtent,  les  membres 
craquent.  Soudain  elle  tombe.  Elle  tombe  foudroyée.  Elle  a 
baisé  !  Moins  rapide  est  la  chute  de  l'oiseau  qu'une  balle  a  frappé 
dans  son  vol.  Le  mauvais  esprit  l'a  quittée,  il  n'y  a  plus  là  qu'une 
pauvre  femme  brisée,  la  tête  inclinée,  les  bras  pendants,  mais 
guérie;  et  ceux  qui  luttaient  contre  elle  n'ont  plus  qu'à  la  soutenir 
et  à  la  déposer  doucement  sur  une  chaise. 

Au  bout  de  quelques  minutes,  la  malade  se  relève;  elle  va  d'elle- 
même  donner  à  la  relique  un  second  baiser  volontaire;  elle  se  met 
à  genoux,  si  elle  en  a  la  force  ;  récite  une  courte  prière,  et  sort  en 
silence,  paisiblement  appuyée  sur  les  mêmes  bras  qui  la  secouaient 
si  rudement  quelques  instants  auparavant.  Au  sortir  de  l'église, 
on  la  conduit  à  la  fontaine  de  la  sainte  Vierge.  Elle  se  lave  les 
mains  et  la  figure,  dans  cette  eau  fraîche,  en  boit  une  ou  deux 
gorgées  et  le  pèlerinage  est  fini  ' . 

M.  Jeannel,  qui  a  assisté  au  pèlerinage  à  la  Pentecôte 
de  185o,  donne  les  détails  les  plus  saisissants  sur  les 
scènes  parfois  sauvages  auxquelles  il  a  assisté,  et  son  livre 
intéresserait  les  médecins.  C'est  après  la  messe  qu'on 
mène  les  malades  baiser  la  relique. 

Quand  la  sonnette  de  l'autel  se  fit  entendre  au  Sanctus  et  au 
moment  de  la  consécration,  il  semblait  que  son  bruit  excitât  une 
explosion  plus  furieuse  de  convulsions  et  d'aboiements.  — Enfin,  au 
moment  même  de  l'élévation,  cette  malheureuse  se  démenait  avec 
tant  de  rage,  que  deux  hommes  vinrent  pour  la  saisir,  en  faisant 
signe  à  un  troisième  de  leur  venir  en  aide.  Mais  les  deux  Basse» 
Brettes  (les  compagnes  de  la  malade)  s'y  opposèrent.  Il  y  eut  une 
discussion  vive  et  un  moment  de  lutte.  Les  deux  partis  tiraient, 

1.  Jeannel,  op.  cit.,  p.  10-12. 


SAINT  HUBERT  GUÉRISSEUR  DE  LA  RAGE  107 

chacun  de  leur  côté,  ce  corps  tout  frémissant.  Ce  n'est  pas  pour 
l'emmener,  disaient  les  hommes,  c'est  pour  la  faire  haiser.  —  Pas 
encore,  disaient  les  femmes,  il  faut  qu'elle  entende  la  messe  !  après 
la  messe  !  —  L'opinion  et  la  ténacité  des  femmes  triomphèrent  ; 
il  fut  décidé  que  ce  serait  après  la  messe... 

Le  paroxysme  de  la  convulsion  me  paraissait  être  arrivé  à  son 
comble,  et  cependant  une  crise,  dépassant  encore  toutes  les  autres 
en  violence  et  en  horreur,  se  produisit  aux  trois  coups  de  sonnette 
du  Domine  non  sum  dignus.  La  langue  n'a  plus  de  termes  pour 
exprimer  la  nature  de  ces  cris  mêlés  de  râle,  de  suffocation  et 
d'aboiement,  pour  peindre  ces  contorsions  furieuses  d'une  créature 
pâtissante,  rassemblant  en  désordre  toutes  les  dernières  ressources 
de  la  vie,  afin  de  chasser  un  mal  inconnu. 

Le  prêtre  donna  ensuite  la  bénédiction.  Aussitôt  les  trois 
hommes  vinrent  ensemble  prendre  l'aboyeuse  par-dessous  les  bras. 
Ils  l'enlevèrent  de  terre  pour  lui  faire  franchir  les  sept  ou  huit  pas 
qui  la  séparaient  du  tronc.  Cela  fut  exécuté  en  un  clin  d'œil.  Mais 
arrivés  là,  ils  avaient  à  la  mettre  à  genoux  et  à  lui  faire  baisser  le 
visage.  Ils  étaient  cinq  pour  la  forcer.  Elle  se  débattait,  hurlait, 
aboyait,  dérobait  sa  iête 

A  deux  reprises,  au  moment  où  l'on  croyait  l'avoir  réduite, 
elle  parvint  à  présenter  au  reliquaire  son  front  et  sa  tempe  au 
lieu  de  ses  lèvres,  et  un  aboiement  éclatant  annonça  que  rien 
n'était  fait.  Elle  secoua  d'un  coup  d'épaule  un  des  trois  hommes, 
qui  fut  renversé  sur  le  tronc  même,  broyant  en  miettes  les  ex-voto 
de  cire  et  quelques  paquets  de  petits  cierges.  Enfin  les  deux 
femmes  lui  saisirent  chacune  une  cuisse,  deux  des  hommes  chacun 
une  épaule,  et  le  troisième,  lui  prenant  la  tête  à  deux  mains  et  lui 
pesant  de  tout  son  poids  sur  la  nuque,  elle  poussa  un  rugissement 
étouffé....  Sa  bouche  toucha  le  reliquaire,  et  elle  s'affaissa  aussi 
soudainement  qu'un  jet  d'eau  dont  on  ferme  brusquement  le 
conduit.  Les  deux  femmes  la  recueillirent  dans  leurs  bras  et  la 
portèrent  à  reculons  sur  une  chaise.  Les  hommes  étaient  baignés 
de  sueur,  et  deux  d'entre  eux  avaient  fait  de  tels  efforts,  qu'ils  en 
avaient  blêmi.  Quelques  instants  suffirent  à  la  malade  pour  se 
remettre.  Elle  releva  ses  bras  pendants,  redressa  sa  tête  aban- 
donnée et  prit  une  attitude  naturelle,  les  yeux  baissés  et  les  mains 
jointes  K... 

1.  Jeanne!,  op.  cit.,  p.  36  et  suiv. 


108  CHAPITRE  TROISIEME 

Parmi  les  malades  que  M.  Jeannel  vit  défiler  devant  lui, 
il  s'en  trouvait  qu'on  avait  déjà  amenées  au  pèlerinage: 
«  celle  de  Plumélec,  voilà  plus  de  dix  ans  qu'elle  revient 
tous  les  ans  ;  elle  se  trouve  mieux  pendant  quelque  temps 
et  puis  ça  lui  revient...  »  On  voit  que  ces  femmes,  hysté- 
riques ou  convulsionnaires,  sont  en  proie  à  une  maladie 
nerveuse.  Cette  maladie  est  endémique  et  traditionnelle. 
Les  influences  héréditaires  sont  entretenues  par  l'opinion 
(générale),  habituée  à  voir  se  renouveler  ces  accès, 
par  une  croyance  profonde  aux  ruses  du  malin  esprit  et  à 
la  puissance  de  la  relique,  peut-être  par  l'esprit  de  contra- 
diction si  naturel  chez  les  femmes,  peut-être  encore  par 
l'instinct  inconscient  de  jouer  un  rôle  (sentiment  qu'on 
rencontre  si  souvent  dans  les  différentes  manies). 

Ce  délire  des  aboyeuses  s'explique  par  une  légende  qui 
a  germé  évidemment  plus  tard  pour  rendre  raison  de  ces 
fureurs  étranges.  Ce  devait  être  une  punition  du  ciel  après 
quelque  sacrilège ,  et  comme  le  culte  local  est  celui  de 
Notre-Dame  du  Roncier  \  ce  devait  être  pour  une  offense  àj 
la  Vierge.  On  raconte  qu'à  Josselin  un  jour  les  lavandières] 
réunies  près  de  la  fontaine  refusèrent  un  morceau  de  painj 
à  une  vieille  mendiante  et,  pour  s'en  débarrasser,  excitèrent 
même  leurs  chiens  contre  elle.  Cette  mendiante  inconnue  - 
était  la  sainte  Vierge.  Pour  punir  les  lavandières  de  leurj 
dureté,  la  Vierge  les  maudit,  et  leur  prédit  qu'en  punition' 
elles  et  leurs  descendantes  aboieraient  comme  leurs  chiens. 

1.  Ainsi  nommée  parce  qu'une  statue  mii'aculeuse  de  la  Vierge  aurait 
été  trouvée  parmi  les  ronces.  Celte  statue  a  été  brûlée  en  1793  ;  il  en  a 
survécu  un  éclat  de  bois,  précieusement  conservé  aujourd'hui  comme] 
relique  dans  le  tronc  qu'on  fait  baiser  aux  aboyeuses.  On  peut  voir  sur) 
ce  pèlerinage  un  petit  livre  publié  en  1666,  sous  ce  titre  :  Le  lys  fleuris-] 
sant  parmi  les  épines,   ou  Notre-Dame  du  Roncier,  triomphante   dans] 
la  ville  de  Josselin,  par  le  P.  Isaac    de   Jésus-Marie,    carme    et   pré- 
dicateur de  cette  ville,  et  deux  ouvrages  récents  :  Ancienneté  du  pèle- 
rinage de  JV.-D,  du  Roncier,  dans  la  ville   de  Josselin,  par  M*"^  V^ 
Brabant,  née  Le  Gai,  Vannes,  1871  ;    et  Notre-Dame  du  Roncier,  par 
Max  Nicol,  chanoine  honoraire,  Vannes,  1886. 


SAINT  HUBERT  GUÉRISSEUR  DE  LA  RAGE  109 

C'est  la  faute  que  depuis  des  générations  les  aboyeuses  du 
pays  de  Josselin  vont  expier  au  pèlerinage  de  Notre-Dame 
du  Roncier  *. 

M.  Jeannel  écrivait,,  il  y  a  plus  de  trente  ans  :  Aujour- 
jourd'hui  les  aboyeuses  et  les  aboyeurs  —  car  le  mal  prend 
aussi  quelquefois  les  hommes  —  sont  plus  rares  ;  il  s'en 
rencontre  encore  pourtant.  Voici  ce  que  nous  écrivait  de 
Josselin  même,  le  13  septembre  1886,  un  ami  qui  parcou- 
rait la  Bretagne  : 

Les  aboyeuses  prennent  leur  mal,  non  seulement  vers  la  Pen- 
tecôte, mais  à  toutes  les  principales  fêtes  de  la  Vierge.  Mercredi 
dernier,  8  septembre,  fête  de  Josselin  et  de  Notre-Dame  du  Ron- 
cier, il  y  a  eu  encore  un  cas,  et  cette  fois  celui  d'un  aboyeur, 
un  homme  d'une  trentaine  d'années,  des  environs,  mais  étranger 
à  la  localité  même.  Les  cas,  qui  deviennent  plus  rares  depuis 
quelque  temps,  continuent  donc,  comme  vous  voyez.  Il  n'y  a 
guère  de  grande  affluence  de  pèlerins  sans  qu'il  s'en  présente  un 
ou  plusieurs.  Sur  la  question  d'hérédité  du  mal,  on  n'insiste  pas 
beaucoup.  W  y  a,  ou  plutôt  il  y  avait,  dit-on,  des  familles  ainsi 
marquées.  Maintenant  on  ne  parle  plus  que  de  cas  individuels. 
Les  malades  tombent,  s'agitent  parfois  en  convulsions  et  aboyent 
TOUJOURS  COMME  DES  CHIENS.  On  les  conduit  ou  on  les  porte  de 
vive  force  devant  la  châsse,  qu'on  leur  fait  embrasser  malgré  leur 
vive  répugnance  et  les  efforts  qu'ils  font  pour  résister.  Aussitôt 
qu'ils  ont  touché  la  châsse  des  lèvres,  ils  se  calment.  On  les  con- 
duit ensuite  à  la  fontaine  miraculeuse,  qui  se  trouve  dans  le 
repli  d'un  joli  vallon,  à  environ  150  mètres  à  l'est  du  bourg. 
A  l'aide  d'une  écuelle,  on  leur  lave  les  mains  et  la  figure  avec 
l'eau,  qui  est  assez  fraîche.  On  leur  en  fait  aussi  boire  un  peu. 
Mais  la  lotion  est  l'essentiel.  Après  cela,  il  sont  guéris,  du  moins 
pour  cette  année-là,  car  il  y  a  très  souvent,  récidive. 

A  l'autel  de  la  châsse,  il  y  a  beaucoup  d'ex-voto,  dont  des  figu- 
rines creuses  en  cire  blanche  représentant  des  enfants,  des 
femmes  bretonnes  en  costume  et  coiffe,  des  bras,  des  jambes,  des 

1.  Jeannel,  op.  cit.,  p.  8  ;  DrFouquet,  Légendes  du  Movbihan,  p.  58  ; 
V*"'^  Brabant,  Ancienneté  du  pèlerinage,  etc.,  p.  60;  M.  Nicol,  N.  D.  du 
Roncier,  p.  100. 


110  CHAPITRE  TROISIÈME 

tètes,  et  enfin,  le  plus  caractéristique,  un  avant-bras  droit  avec 
sa  main  ouverte,  tout  à  fait  semblable  au  bras  droit  des  images  de 
Notre-Dame- du-Roncier,  représentée  d'ordinair  etenant  son  enfant 
du  bras  gauche  et  tendant  légèrement  le  bras  droit  en  avant, 
comme  pour  demander  l'aumône.  De  là,  peut-être,  la  légende  qui 
la  fait  apparaître  aux  lavandières  sous  la  figure  d'une  mendiante. 
Il  y  a  une  ou  deux  peintures  représentant  des  gens  en  prière 
devant  l'image  de  la  Vierge,  mais  rien  concernant  le  miracle  des 
aboyeuses.  L'intercession  de  Notre-Dame-du-Roncier  est,  du  reste, 
implorée  contre  toute  sorte  de  maux  et  pour  toute  sorte  de  grâces. 

Les  aboyeurs  ne  sont  pas  particuliers  au  territoire  et  au 
pèlerinag-e  de  Josselin.  «  Nous  en  avons  vu  ailleurs,  dit 
M.  Nicol ,  atteints  du  même  mal  et  trouvant  de  la  même 
manière  leur  guérison  ;  à  Sainte-Anne,  par  exemple,  et 
à  Notre-Dame  de  Kerdroguen,  en  Saint- Jean-Brevelay. 
C^étaient  des  exceptions  ;  la  plupart  d'entre  eux  s'empres- 
sait d'accourir  au  sanctuaire  de  Josselin  ^  » 

Le  délire  des  aboyeuses  tient^,  de  loin,  à  la  lycanthropie 
et  il  appartient  à  la  même  classe  de  maladies  mentales. 
La  lycanthropie  est  le  pouvoir  de  certains  hommes  de  se 
transformer,  en  loup  en  Europe^  en  d'autres  animaux  dans 
d'autres  parties  du  monde,  pour  aller,  sous  cette  forme, 
satisfaire  (surtout  la  nuit)  des  instincts  sanguinaires.  Au 
xvn"  siècle,  il  y  eut  encore  des  hommes  condamnés  pour 
ce  crime,  et  condamnés  de  leur  propre  aveu,  ce  qui  indique 
bien  une  maladie  mentale.  Une  croyance  de  ce  genre  ne 
peut  manquer  de  créer,  chez  les  hommes  atteints  de  cette 
illusion,  l'instinct  d'imiter  l'animal  dans  lequel  ils  se  croient 
transformés.  En  Abyssinie,  où  la  hyène  remplace  le  loup 
de  nos  climats,  voici  comment  un  voyageur  décrit  cette 
maladie  :  L'homme  atteint  commence  à  gronder,  à  rugir 
et  à  pousser  des  cris  qu'on  ne  peut  mieux  comparer  qu^'au 
hurlement  d'une  hyène.  Il  ne  marche  plus  droit,  mais  à 


1.  Max  Nicol,  Notre^Daine  du  Honcier,  p,  95. 


I 


SAINT  HUBERT  GUÉRISSEUR  DE  LA  RAGE  111 

quatre  pattes  :  personne  n'a  la  force  de  le  tenir,  et  si  on 
essaie  de  l'attacher,  il  brise  les  liens  avec  une  force  surna- 
turelle. La  médecine  n'y  peut  rien  ;  le  conjureur  seul  peut 
chasser  le  mauvais  esprit.  Que  doit  être  ta  nourriture  et  ta 
boisson?  dit-il  au  possédé.  —  Celui-ci  demande  des  excré- 
ments, de  l'urine,  du  charbon  enflammé  et  autre  chose  de 
ce  g-enre.  Et  le  voyageur  rapporte  qu'il  a  vu  l'individu 
avaler  de  semblables  choses  sans  accident.  C'est  le  conju- 
reur qui  guérit  le  mal,  et  une  fois  l'accès  passé,  le  malade 
ne  se  souvient  plus  de  rien \M.  Andrée  cite  un  exemple  de 
la  même  maladie  dans  les  monts  Garrow,  en  Assam  ; 
mais  là  le  malade  croit  être  transformé  en  tigre  ^  —  On 
remarquera  que,  chez  les  Abyssins,  c'est  le  conjureur,  c'est- 
à-dire  un  homme  revêtu  d'une  puissance  surnaturelle,  qui 
guérit  le  mal  ou  du  moins  en  arrête  l'accès. 

Les  sauvages  du  nord-ouest  du  Canada  sont  sujets  à  une 
maladie  du  même  genre,  et  là,  comme  en  Europe  pour  les 
enragés,  on  croit  faire  œuvre  pie  et  utile  en  débarrassant 
les  malades  de  la  vie. 

Les  sauvages  du  Nord-Ouest,  plus  ordinairement  les  femmes, 
sont  parfois  atteints  d'une  maladie  terrible  qui  semble  particulière 
à  ces  tribus. 

Les  premiers  symptômes  de  ce  mal  étrange  se  manifestent  par 
la  sensation  d'un  froid  intense  dans  l'estomac  ;  la  douleur  aug- 
mente graduellement,  au  point  de  devenir  insupportable.  Alors  le 
malheureux  sauvage,  arrivé  au  paroxysme  de  la  souffrance,  est 
en  proie  à  l'idée  fixe  que  rien  d'autre  que  la  chair  humaine  ne  peut 
lui  procurer  du  soulagement.  Il  est  alors  ce  qu'on  appelle  witigo 
ou,  comme  les  blancs  prononcent,  windigo.  Surexcité  par  sa 
funeste  passion,  puisant  dans  l'obsession  à  laquelle  il  est  livré 
une  force  extraordinaire,  il  n'est  pas  de  cruauté  que  le  witigo  ne 
puisse  accomplir,  pas  de  coups  d'audace  qu'il  n'ose  tenter.  Tantôt 
il  fondra  tout  à  coup  sur  son  voisin  pour  le  dévorer  sur  place  ;  tantôt, 

i    1.  Waldemaier,  cité  dans  R.  Andrée,  Ethnographische  Parallelen  und 
Yergleiche,  p.  79. 
2.  Andréa,  op,  cit.,  p.  80. 


112  CHAPITRE  TROISIÈME 

dans  l'ombre  de  la  nuit,  il  se  glissera  sous  les  tentes  endormies 
pour  égorger  une  femme,  un  enfant,  un  vieillard,  un  guerrier, 
un  frère,  n'importe. 

La  présence  d'un  witigo  dans  un  camp  répand  une  terreur  in-  ^ 
descriptible,  d'autant  plus  que  les  sauvages  attachent  à  cette  folie 
l'idée  d'une  obsession  ou  autre  intervention  diabolique.  Aussi  le 
îvitigo  est-il  considéré  comme  un  chien  enragé,  une  bête  veni- 
meuse qui  menace  toute  la  communauté  et  que  le  premier  venu 
peut  abattre  impunément. 

Au  reste,  le  malheureux  qui  se  sent  graduellement  envahi  par  la 
maladie,  en  prévient  souvent  lui-même  ses  compagnons  et  demande 
parfois  d'être  mis  à  mort,  et  les  membres  de  la  famille  regardent 
cette  extrémité  comme  une  mesure  de  nécessité  absolue. 

Nous  avons  donné  un  compte  rendu  du  procès  de  trois  sauvages 
dont  deux  ont  été  condamnés  à  mort  par  la  cour  de  Battleford 
pour  avoir  tué  un  witigo.  Nous  apprenons  que  ces  condamnations 
ont  soulevé  quelques  commentaires,  et  'l'on  nous  assure  qu'un 
jury  composé  de  Métis  ou  de  personnes  connaissant  les  mœurs  des 
sauvages  se  serait  contenté  d'envoyer  ces  malheureux  au  péniten- 
cier pour  la  vie. 

Sans  doute  leur  action  est  atroce;  mais  on  ne  peut  pourtant  se  :| 
dissimuler  que  ces  malheureux  ont  accompli  ce  qui  est  universel-  ' 
lement  regardé  parmi  eux  comme  un  acte  nécessaire  et  même 
méritoire  * . 

§    8.    —    LES     CHEVALIERS    DE    SAIM-HUBERT. 

La  rage  est  une  maladie  trop  cruelle  pour  que  les  gué-  i 
risseurs  ou  soi-disant  tels,  soient  laissés  dans  l'ombre.^ 
C'est  par  ce  sentiment  de  crédule  espérance  qu'il  faut  ex-  : 
pliquer  la  vogue  qu'un  prétendu  chevalier  de  Saint-Hubert  [ 
eut   pendant  quelque    temps    en   France    au    milieu  du 
xvu"^  siècle.  On  disait  qu'il  y  avait  une  famille  issue  du 
saint,  et,  en  vertu  de  son  origine,  cette  famille  avait  le  don, 
en  touchant  à  la  tête,  de  préserver  de  la  rage  et  de  guérir) 


1.  Le  Manitoba, pnrnoil  du  Canada,  cité  sur  la  couverture  du  Tour  du\ 
Monde  du  12  décembre  1885.  i 


SAINT  HUBERT  GUÉRISSEUR  DE  LA  RAGE  113 

par  ce  seul  attouchement,  ceux  qui  avaient  été  mordus 
par  des  animaux  enragés  ;  cette  famille  avait  aussi  le  pou- 
voir de  donner  le  répit,  et  de  toucher  les  animaux  avec  la 
clef  de  Saint-Hubert.  Ces  privilèges  se  trouvaient  relatés 
dans  une  billet  imprimé  »  ou  prospectus,  que  répandait 
«  Georges  Hubert,  chevalier,  issu  en  droite  ligne  de  la  race 
du  glorieux  saint  Hubert  d'Ardenne,  gentilhomme  de  la 
maison  du  Roy  ».  Tels  étaient  ses  titres,  ceux  du  moins 
qu'il  se  donnait  lui-même.  Il  opérait  avec  l'approbation  de 
l'autorité  civile  et  ecclésiastique. 

En  1649,  le  dernier  jour  de  Décembre,  ce  George  Hubert  obtint 
des  lettres-patentes,  pour  pouvoir  exercer  tranquillement  son 
merveilleux  talent...  Il  y  est  dit  que  LoQis  XIII  s'étoitfait  toucher, 
qu'il  avoit  ordonné  à  ce  chevalier  de  demeurer  à  sa  suite,  que 
Louis  XIV,  le  duc  d'Orléans,  son  oncle,  les  princes  de  Condé  et  de 
Conti,  tous  les  officiers  de  la  Couronne,  et  tous  ceux  de  la  maison 
du  Roy,  s'étoient  fait  toucher  et  que  par  le  seul  attouchement  ils 
avoient  été  préservez  de  toutes  sortes  de  bêtes  enragées.  Ces 
Lettres-Patentes  sont  datées  de  Paris  le  dernier  jour  de  décembre 
1649,  et  le  sept  du  règne  de  Louis  XIV.  Signées  Louis  et  plus 
bas  par  le  Roy,  la  Reine  Régente,  sa  mère,  présente...  Il  est  dit 
expressément  dans  les  Lettres-Patentes  que  ce  Chevalier  avait  le 
privilège  de  guérir  toutes  les  j^&rsonnes  mordues  de  loups  et  de 
chiens  enragés  et  autres  bestiaux  atteints  de  la  rage  en  tou- 
chant au  Chef  sans  aucune  application  de  remède  ni  médi- 
cament K 

Le  2  août  1652,  Georges  Hubert  eut  une  permission  spé- 
ciale de  Jean-François  de  Gondy^  archevêque  de  Paris, 
iquilui  accordait  la  chapelle  de  Saint-Joseph  (dans  la  pa- 
Iroisse  de  Saint-Eustache),  pour  y  toucher  les  personnes  qui 
''56  présenteraient.  Georges  Plubert  jeimait  la  veille  du  jour 
tju'il  devait  toucher,  et  le  jour  môme,  il  se  confessait  et 


1.  Le  Brun,  lUsL  cr'd.  des  pnit.  sup.,  2''  éd.,  t.  H,  p.  102  et  suiv. 

LA    K\0\i.  H 


114  CHAPITRE  TROISIÈME 

communiait.  La  permission  de  M.  de  Gondy  était  une  re- 
commandation d'autant  plus  précieuse,  qu'elle  mentionnait 
des  cas  de  guérison.  «  Il  est  arrivé,  il  y  a  quelques  années, 
qu'un  chien  enragé  avoit  mordu  tant  en  sa  maison  de 
Gondy  etSaint-Cloud,  qu'au  château  de  Moisy  et  es  fermes 
dudit  château,  quelques  chiens,  chevaux,  porcs  et  autres 
bestiaux;  il  avoit  convié  ledit  Sieur  Chevalier  de  s'y 
transporter  pour  toucher  tous  ses  domestiques,  qui  furent 
tous  garantis,  et  lesdits  bestiaux  guéris.  »  La  même  per- 
mission fut  renouvelée  à  Georges  Hubert  par  les  deux  suc- 
cesseurs de  M.  de  Gondy,  M.  ïïardoiiin  de  Perefixe,  le 
26  mai  1666,  et  M.  de  Harlay,  en  1689. 

Le  métier  devait  être  lucratif.  Le  chevalier  faisait  courir 
((  des  billets  imprimés,  où  il  marquoit  son  adresse  à  ceux 
qui  voudroient  se  faire  toucher.  »  Il  ne  se  bornait  pas  à 
opérer  à  Paris,  il  courait  la  province.  Les  États  de  Bre- 
tagne, par  une  décision  du  31  juillet  1633,  lui  votaient  une 
somme  de  quatre  cents  livres*.  Cette  délibération  se  réfé- 
rait à  une  requête  présentée  par  ledit  chevalier  «  tendant 
à  ce  qu'il  leur  plût  lui  faire  présent  de  quelque  somme  d'ar- 
gent pour  lui  donner  moyen  de  continuer  ses  soins  pour 
la  guérison  de  ceux  qui  sont  affligés  de  la  rage,  ou  qui  ont 
été  mordus  des  bêtes  enragées  ».  Le  chevalier  voulait  même 
davantage,  car  il  avait  demandé  «  une  pension  viagère... 
pour  le  désir  qu''il  a  de  servir  le  général  de  la  province,  et 
soulager  les  habitants  d'icelle...  » 

Des  évêques  de  province  lui  donnaient  également  leur 
approbation  :  l'évêque  d'Angers  se  fit  toucher  lui-même  et 
ses  domestiques,  et  il  dit  dans  sa  permission  que  les  per- 
sonnes touchées  par  Je  chevalier,  étaient  ainsi  dispensées 
de  «  faire  le  voïage  de  Saint-Hubert  ».  Le  P.  Lebrun  rap- 
porte qu'il  y  eut  plus  de  trente  évêques  et  archevêques  qui 
donnèrent  de  semblables  permissions. 

1.  Bulletin  du  comité  de  la  langue,  de  l'histoire  et  des  arts  de  la 
France,  t.  II  (1853-i855j,  p.  72. 


SAINT  HUBERT  GUÉRISSEUR  DE  LA  RAGE  H5 

Ce  chevalier  figure  dans  les  Mémoires  de  Madame  de 
La  Guette,  et  le  morceau  est  presque  aussi  amusant 
qu'une  scène  de  Molière.  Nous  l'abrégeons. 

C'était  vers  1662.  M"""  de  La  Guette  a  eu  ses  bestiaux 
mordus  par  un  chien  enragé,  et  elle-même  a  été  touchée 
de  sa  bave.  On  lui  parle  du  chevalier,  et  on  la  persuade 
d'aller  le  trouver  à  Paris.  «  Je  le  rencontrai  heureusement 
cl  lui  dis  ce  qui  m'étoit  arrivé.  Il  m'assura  que  si  j'avais 
été  encore  deux  fois  vingt-quatre  heures  sans  le  voir,  j'au- 
rois  enragé  indubitablement.  »  M""  de  La  Guette  le  mène 
ensuite  chez  elle  dans  son  carrosse.  II  touche  les  bestiaux 
et  aussi  nombre  de  gens.  «  Ce  bon  chevalier  toucha  le 
lendemain  plus  de  mille  personnes,  par  précaution,  car 
depuis  qu'on  a  été  touché,  on  est  hors  de  danger  des 
bêtes  enragés.  Le  roi  lui  a  dit  plusieurs  fois  qu'il  falloit 
^u'il  se  mariât,  pour  laisser  de  sa  race,  qui  étoit  néces- 
saire pour  le  public.  Il  jeta  les  yeux  sur  ma  fille,  qu'il 
rouva  à  son  gré.  Avant  que  de  m'en  parler,  il  prit  la 
iberté  de  dire  au  roi  :  «  Sire^  je  suis  résolu  de  me  marier  ; 
(  j'ai  vu  une  demoiselle  à  la  campagne  qui  m'agrée  fort, 
«  étant  sage  et  honnête.  Votre  Majesté  sait  qu'il  ne  m'en  faut 

point  d'autre.  J'espère,  Sire,  que  vous  aurez  la  bonté  de 

me  faire  quelque  grâce  en  faveur  de  mon  mariage.  »  Le 
oi  lui  dit  :  «  Faites.  Je  vous  ferai  un  présent  considérable 
;t  la  Reine  vous  en  fera  un  aussi...  »  Quelques  jours 
iprès,  il  vint  chez  moi  pour  m'en  faire  la  demande,  et  pour 
ae  déclarer  ses  sentiments.  Je  reçus  sa  déclaration  civi- 
ement,  et  le  priai  de  me  donner  quelque  temps  pour  y  son- 
ger, parce  que  je  savois  qu'il  n'étoit  pas  fort  riche.  Quant 

la  noblesse,  il  en  avoit  de  reste,  étant  de  la  race  de  saint 
lubert.  Il  me  dit  que  le  roi  avoit  promis  un  brevet  de 
emme  de  chambre  de  la  reine  pour  la  personne  qu'il 
pouseroit...  »  Le  mariage  pourtant  ne  se  fit  pas.  M""  de 
ua  Guette,  en  mère  prudente,  voulait  avoir  le  brevet  de 
a  fille  avant  le  mariage,  et  le  chevalier  n'avait  que  la  pro- 
lessG  de  la  première  place  vacante...   «  Il  s'en  retourna 


116  CHAPITRE  TROISIÈME 

là-dessus  ,  voyant  bien  qu'il  n'y  avoit  rien  à  pré- 
tendre ^  » 

Comme  il  est  aisé  de  le  penser,  le  chevalier  n'était  pas 
seul  de  sa  famille.  «  Outre  ce  George  Hubert,  il  y  a  eu  une 
religieuse  à  l'abbaïe  aux  Bois  qui  se  disoit  chevalière  de 
saint  Hubert^  et  qui  touchoit  plusieurs  personnes  ;  il  y  en 
avoit  une  autre  à  Gentilly,  aux  Hospitalières.  On  m'a  dit 
qu'il  y  en  avoit  une  actuellement  à  Lille,  Dans  le  Furete- 
riana,  il  est  parlé  d'une  prétendue  chevalière  de  saint 
Hubert  qui  touchoit,  dit-on,  avec  succès  ^..  »  Plus  tard 
encore,  on  trouve  des  descendants  du  saint.  «  Il  y  avait 
encore  en  France,  à  la  fm  du  siècle  dernier,  une  famille  de 
gentilshommes  de  l'Artois,  portant  le  nom  de  Reg-nier,  et  à 
laquelle  appartenait  le  château  de  La  Thure,  dans  le  Bou- 
lonnais, et  qui  avait  la  prétention  de  guérir  de  la  rage 
comme  descendants  de  saint  Hubert.  Cette  descendance 
s'établissait  par  Évronien,  cousin  de  Floribert,  fils  de 
saint  Hubert  ^  » 

Andry  cite  d'autres  personnes  de  la  lignée  de  saint  Hu- 
bert, mais  celles-là  ne  se  contentaient  pas  de  toucher;  elles 
faisaient  suivre  un  traitement  dont  elles  prétendaient  avoir 
le  secret,  par  une  tradition  «  conservée  dans  leur  lignée.  » 
Parmi  les  exemples  que  cite  Andry,  en  voici  deux  : 

En  1621  on  connaissoit  quelques  personnes  qui  étoient  de  la  | 
famille  de  saint  Hubert,  savoir,  Marie  Chressen,  d' Aire-en-Artois,  | 
où  elle  étoit  religieuse.  Elle  tiroit  un  peu  de  sang  de  la  langue  et 

1.  Mémoires  de  Madame  de  La  Guette,  nouv.  éd.  (Bibliothèque 
Elzévirienne).  Paris,  1856,  p.  200-205. 

2.  Le  Brun,  op.  cit.,  t.  Il,  p.  109.  —  A  ce  témoignage,  on  peut  en 
ajouter  d'autres.  Guillaume  Morin,  dans  son  Histoire  générale  du  Gati-\ 
nois,  publiée  en  1630,  parle  d'un  Jacques  du  Quesnay,  seigneur  dei 
Varennes,  qui  guérissait  de  la  morsure  des  bêtes  enragées  comme  issu| 
de  saint  Hubert  par  sa  mère,  Marie  Guillart.  Il  parle  aussi  d'une  reli-' 
gieuse  du  nom  de  Guillart,  qui  touchait  les  personnes  mordues. 

3.  De  Douhet,  Dictionnaire   des    Légendes   du   christianisme  (coll.j 
Migne),  col.  602, 


SAINT  HUBERT  GUÉKISSEUR  DE  LA  RAGE  117 

des  articulations  des  doigts  des  deux  mains,  faisoit  frotter  le  corps 
de  sel  et  d'ail,  et  le  faisoit  ensuite  envelopper  pendant  24  heures 
avec  un  drap  de  laine  ;  on  brûloit  ensuite  les  linges  et  les  enve- 
loppes qui  avoient  servi  ;  on  lavoit  les  mains  dans  de  l'eau  salée, 
et  on  se  plongeoit  trois  fois  dans  la  mer  en  l'honneur  de  saint 
Euron  et  de  saint  Hubert. 

Dans  le  même  temps,  vivoit  Guillaume  Couvreur,  gentilhomme 
delà  race  de  saint  Hubert,  de  Saint-Paul-en-Artois  ;  il  suivoit  le 
même  traitement  que  sa  cousine  d'Aire  ;  mais  il  avoit  une  messe 
particulière,  et  faisoit  faire  l'immersion  au  nom  de  saint  Hubert  et 
de  saint  Paul'. 

Andry  cite  aussi  la  recette  d'un  gentilhomme  de  ses 
amis,  appelé  M.  de  Canroses,  de  la  lignée  de  saint  Hubert. 
Ce  remède  se  composait  surtout  de  vomitifs-. 

Il  y  a  plus  encore  :  il  y  eut  des  guérisseurs  qui  guéris- 
saient à  titre  de  descendants  d'auditeurs  de  saint  Hubert^  ! 

Le  R.  P.  Le  Brun,  qui  discute  les  légendes,  et  est  un 
rationaliste  à  sa  manière,  s'inscrit  en  faux  contre  la  généalo- 
gie des  prétendus  chevaliers  de  Saint-Hubert,  et  il  conteste, 
pour  ce  motif,  leur  don  surnaturel.  Il  n'admet  pas  davan- 
tage l'analogie  avec  la  guérison  des  écrouelles  par  les  rois 
de  France,  qui  est  constante  et  très  ancienne,  tandis  qu'il 
n'en  est  pas  de  même  des  guérisons  des  prétendus  cheva- 
liers de  Saint-Hubert.  Le  clergé  de  Saint-Hubert  d'Ardenne 
paraît  aussi  avoir  toujours  protesté  contre  cette  concur- 
rence, et  il  l'avait  déclarée  sans  autorité  et  sans  vertu. 
C'est,  dit  M.  l'abbé  Bertrand,  une  grande  erreur  d'attribuer 
le  pouvoir  de  donner  le  répit  «  à  certains  personnages, 
prétendus  descendants  du  saint  ;  inutile  de  dire  que  leurs 
litres  généalogiques  ont  toujours  été  et  demeurent  fort 
suspects,  et  que  jamais  leur  intervention  n'a  guéri  per- 
sonne \  » 

1.  Andry,  Recherches  sur  la  rage,  p.  325. 

2.  Ibid.,  p.  326. 

3.  De  Douhet,  op.  cit.,  col.  6403. 

4.  Bertrand,  op.  cit.,  p.  169. 


H8  CHAPITRE  TROISIÈME 

La  créance  que  trouvaient  les  chevaliers  et  chevalières 
de  Saint-Hubert  n'est  pas  pour  nous  étonner  :  elle  était 
conforme  aux  idées  reçues  et  ne  manquait  pas  d'ana- 
logues. Du  moment  que  le  principe  de  guérison  surnatu- 
relle est  admis,  et  que  certaines  personnes  ont  ce  pouvoir, 
il  est  naturel  qu'elles  transmettent  ce  pouvoir  à  leurs  des- 
cendants. Sans  parler  du  don  que  les  rois  de  France  avaient 
de  guérir  les  écrouelles  ex  officio  ^  on  peut  rappeler  les 
exemples  de  la  race  de  saint  Paul,  de  la  race  de  sainte 
Catherine,  de  la  race  de  saint  Roch,  de  la  race  de  saint 
Martin.  Écoutons  encore  le  curé  Thiers  :  «  Les  sauveurs 
d'Italie  (ceux  qui  guérissent  des  piqûres  des  serpents)  se 
disent  parents  de  saint  Paul  et  portent  empreinte  sur  leur 
chair  la  figure  d'un  serpent,  qu'ils  veulent  faire  croire  leur 

être  naturelle,  quoiqu'elle  soit   artificielle C'est  pour 

cela  qu'ils  se  vantent  de  ne  pouvoir  être  blessés  par  les  ser- 
pents, ni  par  les  scorpions^  et  de  les  manier  sans  danger...  » 
En  effet,  saint  Paul,  à  son  passage  à  Malte,  avait  été  piqué 
par  une  vipère  sans  en  être  incommodé.  [Actes^  xxvni,  1-6. 
Cf.,  Evang.  Si  Marc,  xvi,  18.) 

Les  ((  parents  de  sainte  Catherine  »  portaient  de  même 
sur  leurs  corps  l'empreinte  d'une  roue.  «  Ils  assurent  qu'ils 
ont  apporté  du  ventre  de  leur  mère  cette  figure,  quoiqu'ils 
se  la  soient  faite  à  eux-mêmes...  Ils  se  vantent  que  le  feu 
ne  peut  leur  nuire,  et  qu'ils  le  peuvent  manier  sans  se 
brûler.  »  En  effet,  on  les  voyait  tenir  en  leurs  mains  des 
charbons  ardents,  plonger  les  bras  dans  l'huile  bouillante, 
faire  en  un  mot  tous  ces  tours  que  les  bateleurs  forains 
pratiquent  encore  dans  un  champ  de  foire,  mais  comme  un 
art  tout  à  fait  laïcisé.  La  roue  de  sainte  Catherine,  qui  a 
été  l'instrument  de  son  martyre,  est  l'emblème  avec  lequel 
cette  sainte  était  représentée. 

«  On  prétend  que  ceux  qui  sont  de  la  race  de  saint  Roch 
peuvent  demeurer  auprès  des  pestiférés,  les  gouverner,  les 
servir,  et  quelquefois  les  guérir  sans  être  affligés  d'aucune 


SAINT  HUBERT  GUÉRISSEUR  DE  LA  RAGE  119 

maladie  contagieuse.  »  En  effet,  saint  Roch  guérit  de  la 
peste  et  du  choléra. 

«  Ceux  qui  se  disent  de  la  race  de  saint  Martin  prétendent 
g-uérir  du  mal  caduc,  en  observant  les  cérémonies  sui- 
vantes... »  Et  le  curé  Thiers,  auquel  nous  empruntons  ces 
exemples  ^  cite  une  famille  du  Vendômois  qui  passait  pour 
avoir  un  don  analogue  :  «  Je  n'ai  jamais  cru  que  ce  que 
l'on  attribue  à  ceux  qui  sont  de  la  maison  de  Coutance, 
dans  le  Yendômois,  fût  véritable,  sçavoir  qu'ils  g-uérissent 
les  enfants  de  la  maladie  appelée  le  carreau  en  les  tou- 
chant. J'ai  toujours  été  persuadé,  au  contraire,  que  cette 
g-uérison  étoit  ou  imag-inaire  ou  superstitieuse.  » 

On  voit  par  là  que  l'avènement  et  le  règne  du  christia- 
nisme n'avaient  pas  changé  la  nature  humaine  et  que  la 
même  façon  de  comprendre  les  causes  et  les  effets  dans  la 
nature  amenaient  des  croyances  et  des  pratiques  du  même 
ordre.  Que  sont  ces  «  parentages  »  de  saint  Paul,  de  sainte 
Catherine,  de  saint  Hubert,  etc.,  sinon  le  pendant  de  ces 
familles  d'Asclêpiades  grecs,  qui  guérissaient  parce  qu'ils 
descendaient  d'Esculape,  le  dieu  de  la  médecine  ? 

§    9.    —    LES    COLPORTEURS    DE    SAINT-HUBERT 

Aujourd'hui  les  pèlerinages  attendent  les  pèlerins.  Il 
n'en  était  pas  de  même  autrefois,  surtout  au  moyen  âge. 
Les  pèlerinages  sollicitaient  les  pèlerins,  en  envoyant  dans 
tous  les  sens  des  colporteurs  qui  vendaient  à  bas  prix  des 
objets  de  piété,  des  images,  plus  tard  des  placards  et  des 
petits  livres.  C'était  la  «  publicité  »  religieuse  des  temps 
passés  :  les  colporteurs  étaient  comme  les  annonciers  et  les 
commis-voyageurs  des  miracles  qui  se  faisaient  et  des  ma- 
ladies qui  se  guérissaient  à  l'église  du  saint. 

Il  est  difficile  aujourd'hui  de  se  rendre  compte  de  cet  état 

1.  Thiers,  Traité  des  superstitions,  t.  I,  liv.  VI,  ch.  iv. 


120  CHAPITRE  TROISIÈME 

de  choses  :  des  allusions  isolées  dans  les  anciens  écrivains, 
ou  les  souvenirs  des  personnes  qui  ont  vu  circuler  dans 
nos  provinces  les  derniers  représentants  de  cette  industrie  | 
sacrée,  sont  nos  sources  uniques  de  renseignements.  Ainsi 
M.  Bladé  parlait  récemment,  en  passant,  des  Se?ît-Jacai?'e 
de  son  pays  (la  Gascogne).  «  On  nomme  ainsi  les  marchands, 
chaque  jour  plus  rares^  vêtus  d'une  houppelande  semée  de 
coquilles^  et  porteurs  d'un  bourdon,  qui  courent  les  foires, 
en  vendant  des  objets  de  piété.  Ils  disent  venir  de  Saint- 
Jacques  de  Compostelle  (de  là  leur  nom)  ;  mais  ils  sont 
généralement  Béarnais  ^  » 

Le  peuple  appelait  familièrement  un  Saint-Hubert  le  col- 
porteur ou  le  ménétrier  qu'il  voyait  fréquenter  les  foires  ou 
courir  les  grandes  routes  en  se  réclamant  du  saint  qui  guérit 
de  la  rage.  En  voit-on  encore?  nous  en  doutons  ;  mais  on 
nous  les  a  décrits  avant  qu'ils  aient  disparus.  «  Les  méné- 
triers ambulants,  disait  M.  Charles  Nisard',  qui  chantent 
encore  dans  les  foires  le  cantique  de  saint  Hubert,  portent 
son  image  et  celle  de  la  biche^  en  cire,  dans  un  tryptique, 
sur  lequel  on  bénit  des  bagues  et  des  chapelets  par  un 
simple  attouchement.  »  Laisnel  de  la  Salle  donne  plus  de 
détails  sur  les  Sai7it-Hubert,  du  Berry  : 

On  rencontre  dans  la  plupart  de  nos  foires  et  assemblées  des 
charlatans  que  nous  nommons  saint  Hubert  ou  Marchands  de 
saint  Hubert,  qui  promènent  dans  une  petite  boite  l'image  de 
saint,  à  laquelle  ils  font  toucher  des  bagues,  des  chapelets  bénits  ij 
qui  acquièrent  à  ce  contact  de  grandes  vertus  préservatrices,  " 
Lorsque  vous  êtes  muni  d'un  pareil  talisman  et  lors  que  vous  savez 
par  cœur  la  fameuse  oraison  de  saint  Hubert  qui  commence  par 
ces  mots  : 

Grand  saint  Hubert,  qu'êtez  glorieux, 

Du  fils  de  Guieu  (Dieu)  qu'êtez  amoureux  ; 

i.  Bladé,  Contes  populaires  de  la  Gascogne,  t.  I,  p.  16. 
2.  Histoire  des  limbes  popidaires,  2«  éd.,  t.  II,  p.  160. 


mu  Of  PiiiiUl  iîl^i 


SAINT  HUBERT  GUÉRISSEUR  DE  LA  RAGE  121 

Que  Guieu  nous  garde  en  ce  moument 

Et  de  l'aspic  et  d'Ia  sarpent, 

Du  eh'  ti  chin  et  du  loup  maufait, 

(C'est-à-dire  du  chien  enragé  [litt.  cliétif]  et  du  loup  méchant.) 
Etc.,  etc. 

Vous  pouvez  entreprendre,  sans  crainte  d'encombre,  les  plus 
lointains  voyages  et  braver  les  jaguars,  les  tigres  et  les  boas  de 
l'ancien  et  du  nouveau  monde  *. 

Voici  encore  un  témoignage  analogue;  il  me  vient  de 
M.  Henri  Déliez,  et  il  s'agit  de  Malmédy  (près  de  Spa), 
petite  ville  wallonne  englobée  depuis  18 IS  dans  la  Prusse 
Rhénane  : 

•le  me  rappelle  que  dans  mon  jeune  âge,  il  y  a  de  cela  une  qua- 
rantaine d'années,  il  arrivait  de  temps  à  autre,  en  été  surtout,  des 
colporteurs  venant  de  Saint- Hubert  des  Ardennes  et  qui  circu- 
laient d'une  maison  à  l'autre  dans  la  ville  et  ses  environs.  Ces  gens, 
ordinairement  des  vieillards  en  blouse  bleue,  étaient  porteurs 
d'une  case  s'ouvrant  à  deux  battants  et  contenant  la  représenta- 

1.  Laisnel  de  la  Salle,  Croyances  et  Légendes  du  centre  de  la  France, 
t.  l  p.  331. 

M.  Ribault  de  Laugardière,  dans  son  opuscule  Lettres  sur  quelques 
prières  populaires  du  Berry  (Bourges,  1856),  donne  (p.  7)  une  variante 
complète  de  cette  prière  : 

Grand  saint  Hubert  qu'  êt"s  glorieux, 

Du  fils  de  Dieu  qu'  èt's  amoureux. 

Que  Dieu  nous  garde  en  ce  moument 

Et  de  l'esprit  de  la  serpent. 

Du  chien  fou,  du  loup  enragé, 

Ni  pig'  (piège)  qui  peut  pas  s'approcher 

Ni  de  moi  ni  du  ma  compagnie, 

Pas  pus  que  l'étoil'  du  ciel  m'approche. 

Ne  trouvant  pas  ce  huitain  assez,  explicite,  certaines  personnes 
ajoutent  une  phrase  en  prose  dans  laquelle  se  rencontrent  (est-ce  par 
hasard?)  deux  rimes  et  quelque  soupçon  de  mesure  : 

Que  1'  bon  Dieu  me  garde  —  des  chiens,  des  chats,  —  des  loups,  des 
rats,  —  et  pis  des  p'tites  bêles  qu'y  a  dans  les  boissons,  qu'a  font 
pchiit  !... 


122  CHAPITRE  TROISIÈME  1 

tion  de  l'église  et  de  l'autel  de  Saint-Hubert  avec  toute  sorte  d'ac- 
cessoires pour  enjoliver  la  chose  et  la  rendre  plus  intéressante 
aux  femmes  et  aux  enfants  :  petits  cierges,  bouquets,  rubans,  etc. 

Ils  faisaient  le  commerce  d'images,  de  chapelets,  de  bagues,  de 
cornets,  peut-être  aussi  de  scapulaires,  le  tout  bénit  à  Saint-Hu- 
bert et  touché  aux  reliques. 

Ces  petits  objets  se  payaient  quelques  centimes  et  tout  le  monde 
en  faisait  l'acquisition.  Les  bagues  étaient  principalement  pour  les 
petites  filles,  tandis  que  les  cornets  (cors  de  chasse)  en  métal  blanc 
ou  jaune,  étaient  pour  les  petits  garçons;  on  leur  attachait  le  cor- 
net à  la  casquette,  au  bonnet  ou  au  chapeau,  ordinairement  sur 
le  côté.  On  croyait  généralement  que  porter  ces  objets  garantis- 
sait de  la  morsure  des  chiens  enragés. 

Les  colporteurs  vendaient  aussi  de  petites  brochures  contenant 
la  vie  et  les  miracles  de  Saint-Hubert. 

Depuis  bien  des  années,  depuis  quarante  ans  peut-être,  on  ne 
voit  plus  venir  ces  colporteurs  ;  j'ignore  pour  quel  motif  ils  ont 
cessé  leur  commerce. 

Sans  doute,  parmi  ces  marchands,  il  devait  y  avoir  de  la 
contrebande  et  tous  ne  venaient  pas  de  Saint-Hubert  d'Ar- 
denne.  Les  âmes  simples  ne  leur  demandaient  pas  toujours 
de  produire  leurs  papiers.  Pourtant  ils  devaient  en  avoir, 
car  voici,  d'après  M.  l'abbé  Hallet  (p.  148),  «  la  teneur  du 
certificat  imprimé  qu'on  délivre  à  Saint-Hubert  aux  col- 
porteurs d'objets  de  dévotion,  afin  de  donner  aux  fidèles 
l'assurance  que  les  objets  qu'on  leur  vend  sont  réellement 
bénits  ». 

ÉGLISE  DE  SAINT-HUBERT. 

Je  soussigné,  aumônier  de  V Église  de  Saint-Hubert,  certifie 
avoir  bénit  et  touché  de  Tétole  miraculeuse  du  glorieux  saint 
HUBERT,  Apôtre  et  Patron  des  Ardennes,  bagues,  croix, 

médailles,  chapelets,  etc.  dont  est  porteur  N. 

Saint-Hubert,  le  18 

N.  B.  —  Il  arrive  quelcjuefois  que  des  colporteurs  munis  du  présent 
certificat,  en  abusent  pour  vendre  des  objets  qui  n'ont  point  été  bénits. 

Les  personnes  qui  achètent  doivent  faire  attention  à  la  date  du  jour 
oîi  le  certificat  a  été  déli\Té  et  ù  la  quantité  des  objets  bénits,  désignée 
par  les  mots  :  f/raiide  quantité,  heaucovp.  plusieurs  et  quelques. 


SAINT  HUBERT  GUERISSEUR  DE  LA  RAGE  123 

Ces  colporteurs  avaient,  anciennement  du  moins,  un 
placard  imprimé  qu'on  leur  donnait  à  Saint-Hubert,  dont 
le  curé  Thiers  (liv.  V,  ch.  iv,  et  liv.  VI,  ch.  iv)  nous  a  con- 
servé des  extraits.  Il  était  intitulé  :  Sommaire  des  miracles 
continuels  qui  se  font  en  l'Eglise  ou  Monastère  de  M.  S. 
Hubert  en  Ardennes^  de  tordre  de  S.  Benoît,  au  diocèse  de 
Liège,  et  des  Grâces  et  Indulgences  concédées  à  perpétuité 
par  les  souverains  Pontifes  de  Ro7ne,  à  la  confrérie  dudit 
glorieux  S.  Hubert.  Le  curé  Thiers  nous  dit  que  «  les  quê- 
teurs de  la  confrérie  »  (étaient-ils  distincts  des  colporteurs?) 
distribuaient  ces  placards  dans  les  paroisses.  C'étaient  en 
somme  des  prospectus  destinés  à  amener  des  clients  au 
saint  et  à  son  monastère. 

C'est  qu'en  effet,  afin  de  se  préserver  de  la  rage,  on 
porte  dévotement  sur  soi  des  objets  bénits  et  touchés  à 
l'Etole  miraculeuse  de  saint  Hubert,  comme  des  croix,  des 
bagues,  des  chapelets,  médailles,  etc.  \  Et  M.  l'abbé  Hallet 
cite  (p.  170)  l'exemple  de  deux  Pères  Jésuites  qui  en  Italie, 
en  1863,  furent  préservés  des  morsures  d'un  chien  enragé, 
tandis  que  les  personnes  qui  les  précédaient  et  qui  les  sui- 
vaient furent  mordues.  «  Les  deux  religieux  attribuèrent 
cette  préservation  à  l'anneau  bénit  de  Saint-Hubert  qu'ils 
portaient.  Aussi  a-t-on  écrit  de  Rome  à  un  Père,  qui  devait 
s'y  rendre  de  Belgique,  au  mois  de  novembre,  pour  le  prier 
d'apporter  quelques  douzaines  d'anneaux  et  de  médailles 
bénits  au  célèbre  sanctuaire  des  Ardennes  qui  porte  son 
nom^  et  qui  est  si  connu  par  les  nombreuses  guérisons 
dues  à  son  intercession  puissante.  » 

Les  objets  de  piété  qui  exprimaient  le  culte  de  saint 
Hubert  étaient  innombrables,  et  il  s'en  fabriquait  non  pas 
seulement  en  Belgique,  à  Namur,  à  Liège  ou  à  Luxem- 
bourg, mais  dans  tous  les  pays  qui  connaissaient  ce  culte. 
Un  numismatiste  du  Pas-de-Calais,  M.  Dancoisne,  écrivait 
que  sa  collection  en  contient  plus  de  quarante  médailles 

1.  Bertrand,  op.  cit.,  p.  190. 


124  CHAPITRE  TROISIEME 

différentes,  fabriquées  dans  la  contrée  pour  cette  dévotion^ 
Le  commerce  de  tous  ces  objets  en  était  fait  par  tous  les 
marchands  d'objets  de  dévotion,  dans  les  fêtes,  dans  les 
foires,  dans  les  marchés,  mais  surtout  par  les  colporteurs 
spéciaux  de  Saint-Hubert.  On  les  achetait  moins  par  piété 
que  par  intérêt  ;  car  porter  une  de  ces  amulettes  équivalait 
à  un  brevet  d'assurance  contre  la  rage. 

Au  pèlerinage  de  Sainte-Clotilde  des  Andelys,  en  Nor- 
mandie^ on  vend  encore,  entre  autres  objets  de  piété,  «  des 
bagues  de  Saint-Hubert  contre  les  morsures  des  chiens 
enragés'  ». 

Le  sujet  est  partout  le  même  ou  peu  s'en  faut  :  saint 
Hubert  agenouillé  devant  le  cerf  miraculeux  ;  derrière  lui;, 
son  cheval;  quelquefois  près  de  lui,  son  chien  ;  en  haut,  un 
ange  qui  apporte  une  étole.  Il  y  a  les  cors  ou  cornets  :  ce 
sont  des  images  minuscules  d'un  cor  de  chasse,  quelquefois 
pleines,  plus  souvent  ajourées,  oii  la  scène  miraculeuse 
est  représentée  au  centre.  Il  y  a  les  sifflets  :  ce  sont  des 
sifflets  de  quelques  centimètres  auxquels  sont  attachés  une 
banderole  avec  légende.  Il  y  des  bagues  avec  les  mots  : 
((  S.  Hubert,  priez  pour  îsous.  »  Il  y  a  enfin  des  médailles  de 
toutes  les  formes  et  de  toutes  les  grandeurs,  rondes,  ovales, 
carrées,  losangées,  octogones,  estampées  ou  bien  à  deux 
faces  :  d'un  côté,  la  même  scène  de  l'apparition  ;  de  l'autre, 
tantôt  le  nom  du  saint,  tantôt  une  invocation,  tantôt  l'image 
de  l'étole,  de  la  clef  et  du  cornet,  plus  souvent  encore  une 
autre  image  de  dévotion,  le  Calvaire  d'Arras,  ou  Notre- 
Dame  de  Capulct,  ou  saint  Marcou,  ou  saint  Amable,  etc. 
Cette  double  image  avait  pour  objet  ou  bien  d'associer  une 
dévotion  locale  au  culte  plus  général  de  saint  Hubert  (par 
exemple  à  Arras  avec  son   calvaire,   dans  les  médailles  ] 

1.  Plusieurs  sont  figurées  dans  les  planches  qui  accompagnent  son 
livre  :  Les  médailles  religieuses  du  Pas-de-Calais,  Arras,  1880  (Extrait 
des  Mémoires  de  l'Académie  d'Arras). 

2.  Boue  (de  Villiers),  le  Pèlerinage  de  la  fontaine  de  sainte  Clotilde 
aux  Andelys,  p.  16. 


SAINT  HUBERT  GUÉRISSEUR  DE  LA  RAGE  125 

frappées  à  Arras),  ou  bien  de  permettre  aux  personnes 
pieuses  de  réunir  dans  une  même  médaille  deux  de  leurs 
dévotions  préférées,  ou  encore  de  joindre  un  préservatif 
contre  la  rage  à  la  dévotion  d'un  saint  particulier.  Tous 
ces  objets  étaient  faits  pour  être  portés,  au  cou  ou  aux 
vêtements,  comme  on  le  voit  par  les  bélières  ou  attaches 
dont  ils  sont  munis,  ils  sont  la  plupart  en  cuivre,  en  plomb, 
en  étain  ou  dans  de  vulgaires  alliages  ;  ils  étaient  de  la 
sorte  à  la  portée  des  bourses  les  plus  pauvres  ;  ce  n'est  pas 
qu'on  n'en  fabriquât  aussi  en  argent  et  en  or;  mais  de  tout 
temps  les  objets  sacrés  faits  d'un  métal  précieux  ont  été  de 
conservation  difficile,  et  bien  peu  traversent  les  siècles 
sous  la  forme  que  leur  a  donnée  la  piété.  Nous  avons  pu 
examiner  des  spécimens  de  ces  différents  objets  dans  le 
cabinet  de  M.  Maxe-Werly,  dont  la  belle  collection  de  mé- 
dailles relig'ieuses  a  une  véritable  valeur  scientifique  ; 
nous  y  avons  aussi  remarqué  la  scène  du  miracle  de  saint 
Hubert  sur  un  bouton  de  métal  blanc,  de  trois  centimètres 
de  diamètre,  et  qui  se  portait  sans  doute  au  chapeau.  Cet 
usage  était  fréquent  au  moyen  âge,  et  Ton  connaît  la  dévo- 
tion de  Louis  XI  à  cet  égard. 

Nous  ne  croyons  pas  que  le  commerce  de  ces  objets  se 
fasse  aujourd'hui  ailleurs  qu'à  Saint-Hubert  même  ;  mais 
aucun  des  pèlerins  ne  quitte  le  village  sans  en  être  ample- 
ment muni.  M.  l'abbé  Hallet,  qui  consacre  un  chapitre  à  ce 
sujet  (p.  166  et  suiv.),  ne  manque  pas  de  recommander  de 
les  porter  avec  respect  et  sans  les  mêler  à  des  objets  pro- 
fanes. Par  exemple,  «  un  petit  cor  ou  cornet  peut  être  atta- 
ché à  la  chaîne  ou  au  cordon  de  la  montre,  pourvu  qu'il  n'y 
soit  pas  en  compagnie  d'un  autre  objet  profane  ».  On 
fabrique  en  effet  de  jolis  cors  et  de  jolies  clefs  en  argent 
propres  à  être  portés  en  breloque. 

Les  marchands  de  la  ville  de  Saint-Hubert  se  montrent  d'ail- 
leurs d'une  extrême  complaisance  envers  les  pèlerins  qui  leur 
achètent  des  objets  de  piété,  et  ils  ne  manquent  jamais  d'ofh'ir 
leurs  services  pour  porter  à  l'église  les  objets  vendus;,  à  l'efTet  de 


126  CHAPITRE  TROISIÈME 

les  faire  bénir,  et  toucher  à  la  Sainte-Étole.  M.  l'aumônier  se  prête 
toujours  gracieusement  et  gratuitement  à  cette  fonction,  et  remet 
dans  le  tronc  de  l'église  les  petites  offrandes  que  les  pèlerins  ont 
la  louable  habitude  de  faire  à  cette  occasion.  Ces  offrandes  sont 
employées  à  l'entretien  de  l'église  de  Saint-Hubert,  dont  les 
ressources  ordinaires  seraient  insuffisantes,  si  la  piété  des  fidèles 
ne  lui  venait  en  aide.  K 

Ce  sont  les  mêmes  objets  que  nous  venons  de  décrire 
d'après  d^ anciennes  collections.  Le  type  de  la  médaille  a 
pourtant  subi  cette  modification  que  Fange  apportant 
l'étole  a  disparu  du  sommet  du  tableau.  De  plus,  l'autre 
sujet  figuré  au  revers  est  invariablement  saint  Roch,  avec 
la  légende  :  Sa{?ît  Roch,  préservez-nous  du  choléra^  ou 
simplement  :  Saint  Roch,  juriez  pour  nous.  Nous  étions 
étonné  de  ne  pas  trouver  plus  de  variété  et  nous  deman- 
dons au  marchand  s'il  n'avait  pas  saint  Hubert  en  com- 
pagnie d'un  autre  saint  :  «  Non,  monsieur,  nous  répondit- 
il  avec  emphase  ;  les  deux  vont  ensemble;  saint  Hubert  est 
pour  la  rage^  et  saint  Roch  pour  le  choléra.  »  Les  mêmes 
médailles  se  font  aussi  en  argent  et  en  or.  «  Il  vient  des 
pèlerins  de  partout,  monsieur!  De  Belgique,  du  Luxem- 
bourg, d'Allemagne,  de  France,  du  Pas-de-Calais  surtout; 
ceux-ci  nous  achètent  des  médailles,  des  cornets  et  des  clefs 
en  argent.  Les  Français  sont  les  meilleurs  pèlerins  de 
tous  !  »  Et  un  peu  après,  le  bonhomme,  avec  une  humilité 
et  une  bonne  foi  qui  arrêtaient  le  sourire,  ajoutait  :  a  Ah  ! 
monsieur  !  nous  devons  bien  de  la  reconnaissance  au  grand 
saint  Hubert,  car  c'est  lui  qui  nous  fait  vivre  !  » 


§  10.  —  LES  CLEFS  ou  CORNETS  DE  SALNT  HUBERT. 

Le   placard  des  «    quêteurs  de   la  Confrérie    de   Saint 
Hubert,  »  cité  par  le  curé  Thiers,  dit  entre  autres  choses  : 

1.  Hallet,  p.  169. 


i 


SAL\T  HUBERT  GUÉRISSEUR  DE  LA  RAGE  127 

«  Ne  faut  oublier  les  cors  ou  cornels  de  fer  (qu'on  appelle 
clefs  de  Saint- Hubert)  bénits  et  touchés  à  la  sainte  Étole  qui 
servent  aux  chiens  et  autres  animaux  qui  sont  marqués, 
d'un  préservatif  singulier  et  remède  assuré  contre  le  péril 
de  rage  et  toutes  mauvaises  morsures,  tant  insérés  qu'à 
insérer  ;  du  moins  s'il  arrive  qu'après  avoir  été  marqués  de 
cette  clef,  ils  soient  infectés  de  la  rage,  ils  meurent  paisi- 
blement sans  faire  aucun  mal.  » 

Il  est  assez  curieux  que  cet  instrument  qu'on  appelle 
clef  oVi  cornet  n'ait  la  forme  ni  d'une  clef  ni  d'un  cor  ou 
cornet  :  «  C'est,  nous  dit  M.  Plallet,  un  fer  en  forme  de 
cône,  d'une  longueur  d'environ  dix  centimètres,  terminé 
par  une  espèce  de  sceau  qui  représente  un  cornet^.  «  Cette 
image  du  cor,  juste  à  l'extrémité  avec  laquelle  on  marque, 
explique  le  nom  de  cornet  ;  quant  au  nom  de  clef,  il  vient 
d'un  emploi  analogue  de  «  clefs  de  saint  Pierre,  »  dont  nous 
parlerons  plus  loin,  et  du  souvenir  d'une  clef  donnée  par 
saint  Pierre  à  saint  Hubert. 

Le  cône  ou  la  tige  de  cet  instrument  sert  à  le  fixer  dans 
un  manche  en  bois  ou  en  métal  assez  long  pour  qu'on 
puisse  faire  rougir  au  feu  le  cornet  et  s'en  servir  plus  aisé- 
ment pour  marquer  les  animaux.  En  recevant  la  clef  des 
aumôniers  de  saint  Hubert,  on  reçoit  en  même  temps  la 
manière  de  s'en  servir.  En  voici  le  texte.  Il  est  intéressant 
en  ce  qu'il  nous  montre  la  cautérisation  appliquée  sinon 
aux  hommes,  du  moins  aux  animaux. 

Instruction  sur  l'usage  des  Cornets  de  fer,  nommés  ordinaire- 
ment Clefs  de  Saint-Hubert,  qui  sont  bénits  par  des  prières 
particulières,  et  ensuite  touchés  à  VEiole  de  ce  grand 
Saint. 

Iles  qu'on  s'aperçoit  qu'un  animal  a  été  mordu  ou  infecté  par 
un  autre,  il  faut  faire  rougir  le  cornet  ou  clef  au  feu  et  l'impri- 

I.  Hiillet,  p.  171.  —  On  le  trouve  figuré  dans  le  Bull.  Arch.   de  la 
Sor.  Arch.  de  Tarn-H-Garûiine,  t.  VI  (1878),  pi.  II,  fig.  5. 


128  CHAPITRE  TROISIÈME 

mer  sur  la  plaie  même,  si  cela  se  peut  commodément,  sinon  sur 
le  front  jusqu'à  la  chair  vive,  et  tenir  ledit  animal  enfermé  pen- 
dant neuf  jours,  afin  que  le  venin  ne  puisse  se  dilater  par  quelque 
agitation  immodérée. 

Les  animaux  sains  seront  aussi  marqués  au  front,  mais  il  ne 
sera  pas  nécessaire  de  les  tenir  enfermés. 

Cela  fait,  quelqu'un  de  la  famille,  soit  pour  un  ou  plusieurs 
bestiaux,  commencera  le  même  jour  à  réciter  pendant  neuf  jours 
consécutifs,  cinq  Pater  et  Ave  à  l'honneur  de  Dieu,  de  sa  glo- 
rieuse mère  et  de  saint  Hubert.  Pendant  tout  ce  temps,  on  don- 
nera tous  les  jours  au  dit  animal,  avant  toute  autre  nourriture,  un 
morceau  de  pain  ou  un  peu  d'avoine  bénits  par  un  prêtre^  à  l'hon- 
neur de  saint  Hubert. 

La  vertu  merveilleuse  de  ces  cornets  pour  les  bestiaux  est 
suffisamment  constatée  par  l'expérience  journalière,  et  quand 
même,  malgré  cette  précaution,  la  rage  se  communiquerait  à  un  tel 
animal,  on  voit  qu'il  crève  sans  nuire  aux  autres. 

Ce  serait  un  abus,  et  ces  clefs  seraient  profanées  si  l'on  s'en 
servait  pour  marquer  des  hommes  ou  si  on  les  imprimait  sur 
du  bois  ou  autre  chose  lorsqu'elles  sont  rougies  au  feu,  puis- 
qu'elles ne  sont  bénites  que  pour  marquer  les  animaux. 

Ce  serait  un  abus  de  croire  qu'elles  sont  profanées  lors- 
qu'on les  laisse  tomber  à  terre,  ou  qu'on  les  touche  avec  la 
main. 

C'est  un  abus  criminel  de  se  servir  des  cornets  ou  clefs  de 
saint  Hubert  pour  gagner  de  l'argent,  ou  tout  autre  présent.  La 
seule  intention  d'en  recevoir  rend  ces  cornets  inutiles  pour  obtenir 
l'effet  qu'on  espère,  et  par  conséquent,  ils  sont  profanés. 

[Signé  par  M.  V aumônier  K 

Quel  est  le  succès  de  ce  traitement?  M.  l'abbé  Hallet 
convient  «  qu'on  en  est  venu  se  plaindre  assez  souvent,  à 
Saint-Hubert,  de  ce  que  l'usage  de  la  clef  bénite  n'avait 
produit  aucun  effet  sur  les  animaux  marqués.  »  Mais, 
ajoute-t-il,  «  la  réponse  à  cette  objection  est  facile.  »  Cela 

\.  Hallet,  p.  171.  —  On  trouve  plus  loin,  dans  le  même  livre,  p.  189, 
le  texte  de  la  «  Prière  à  dire  neuf  jours  de  suite  quand  on  marque 
quelque  animal  avec  la  clef  de  saint  Hubert  ». 


SAINT  HUBERT  GUÉRISSEUR  DE  LA  RAGE  129 

tient  à  ce  qu'on  n'a  pas  suivi  les  règles  de  l'Instruction, 
et  il  se  trouve  toujours  quelque  manquement  ;  ou  bien 
celui  qui  a  marqué  a  reçu  de  l'argent  ;  ou  bien  on  s'est 
servi  de  la  clef  pour  cautériser  des  hommes  ;  ou  bien,  le 
plus  souvent,  la  clef  a  été  profanée,  d'une  façon  ou  d'une 
autre...  Il  faut  la  faire  bénir  à  nouveau  et  elle  reprendra 
toute  sa  vertu . 

Dans  le  fait  que  l'on  cautérise,  autant  que  possible,  la 
plaie  même  de  l'animal,  on  voit  un  traitement  d'ordre  na- 
turel. En  effet,  le  traitement  naturel  et  le  traitement  surna- 
turel se  confondent  ici.  Le  traitement  ne  devient  surnaturel 
que  lorsqu'on  se  borne  à  marquer  l'animal  au  front.  «  Ce 
n'est  donc  pas,  dit  M.  l'abbé  Bertrand,  en  vertu  de  la  brû- 
lure que  les  animaux  marqués  sont  rendus  impuissants  à 
nuire,  et  encore  moins  (comme  les  incrédules  ont  pré- 
tendu que  c'était  le  cas  chez  les  hommes),  par  la  vertu  de 
l'imagination  calmée  par  la  superstition '.  »  C'est  donc  bien 
la  vertu  miraculeuse  de  l'EtoIe  qui  s'opère  ici;  et  M.  l'abbé 
Bertrand  ajoute  :  «  Il  est  presque  inouï  qu'on  ait  vu  un 
seul  animal  marqué  de  la  clef  de  saint  Hubert,  tomber 
dans  la  rage...  »  On  a  vu  qu'un  des  successeurs  de  M,  l'abbé 
Bertrand,  M.  l'abbé  Hallet,  a  été  plus  sincère,  tout  en  ex- 
pliquant les  raisons  cachées  de  ces  insuccès  ,  raisons  accep- 
tées sans  la  moindre  idée  de  conteste  et  de  doute  par  la  foi 
des  fidèles. 

Les  théologiens  n'ont  pas  toujours  approuvé  ce  traite- 
ment. De  Saintebeuve^  qui  déjà  condamnait  comme 
«  superstition  »  de  «  faire  toucher  les  animaux  par  le 
prêtre  avec  un  fer  rouge  pour  la  rage  »,  trouve  que  c'est 
une  profanation  de  leur  donner  du  pain  bénit  : 

Il  est  permis  de  donner  du  pain  bénit  par  le  Prêtre  aux  hommes 
itlaqués  de  la  rage  ;  la  bénédiction  dont  l'Eglise  se  sert  pour  le 
win.  prouve  cela,  ut  omnes  ex  eo  gustantes  inde  corporis  et 
mimœ  percipiant  sanitatem.    Et  encore,  ut  sit  omnibus  su- 

1.  Bertrand,  p.  188. 

LA   RAGE.  9 


130  CHAPITRE  TROISIEME 

mentibus  sains  mentis  et  corporis,  atque  contra  omnes  morbos 
et  universas  inimicorum  insidias  tutamen.  Je  n'estime  pas 
qu'il  soit  permis  d'en  donner  à  des  bêtes  enragées,  ou  mordues  de 
quelques  autres  bêtes,  ni  d'en  bénir  exprès  pour  elles,  étant  une 
chose  qui  n'a  jamais  été  faite  ^ 

«  Une  chose  qui  n'a  jamais  été  faite ...»  dit  le  rigoriste  de 
Saintebeuve.  Mieux  informé,   il  aurait  appris  qu'il  existe 
toute  une  série  de  formules  rituelles  pour  cette  sorte    de 
bénédiction.  Nous  les  trouvons,  par  exemple,  dans  un  re- ; 
cueil  d'exorcismes,   de  bénédictions  et  de  prières,   publié 
à  Cologne,  en  1743,  par  le  P.  Vincent  de  Berg,  franciscain, 
((  avec  la  permission  de  ses  supérieurs  ^  »  Ces  formules  y, 
occupent  huit  pages  (p.  73-81).  Il  y  a  d'abord  la  Benedictio\ 
Panis  S.  Huberti  ;  puis  la  Beiiedictio  Aquse,  Salis  et  Panis,\ 
contra    morsum  rabidi    Canis    tam  pro  hominibus   quam] 
jumentis  ;  et  enfin  Alia  Beiiedictio   Panis  et  Aqiise  contra 
morbiun  rabidum.  Le  P.    de  Berg  reproduit  ensuite  (en 
latin)  les  inslructions  pour  l'emploi  des  clefs  et  les  règles 
de  la  neuvaine  de  la  taille. 

De  notre  temps,  Mgr  Barbier  de  Montault,  "  prélat  de  la' 
maison  de  S.  S.  le  Pape  Pie  IX  ^),  raisonnant  sur  la  pra- 
tique de  la  clef,  ne  peut  comprendre  qu'il  y  ait  profanation 
à  se  servir  de  la  clef  pour  cautériser  les  hommes. 

Qu'on  applique  la  clef  sur  un  liornrne  hydropliobe,  en  quoi  aura- 
t-elle  perdu  de  sa  vertu  ?  Si  elle  est  efficace  pour  les  animaux  ma- 
lades, à  plus  forte  raison,  ce  me  semble,  devrait-elle  opérer  si 
un  chrétien,  chez  qui  l'hydrophobie  a  des  conséquences  autremel 
affreuses  que  sur  une  bête  dépourvue  de  raison.  Il  est  vrai  qj 
ceux-ci  ont,  pour  les  préserver  et  les  guérir,  la  Taille  et  le  Répi 

En  effet,  car  si  la  clef  avait  la  même  vertu  pour  il 
hommes  que  pour  les  animaux,  on  n'aurait  plus  besoin 

1.  J.  de  SaiuLebeuve,  op.  cit.,  t.  II,  p.  40. 

2.  Enchiiidiuin  quadripartitum,  P.  Vincentii  Von  Berg,  francisca^ 
conventualis,  Coloniae,  1743,  in-18. 


SAINT  HUBERT  GUÉRISSEUR  DE  LA  RAGE  131 

venir  à  Saint-Hubert  demander  la  Taille  et  le  Répit.  Et  que 
deviendrait  le  pèlerinage  ? 

Que  le  prêtre  qui  fait  trafic  de  cette  clef  commette  une  action 
plus  ou  moins  blâmable,  c'est  possible,  en  vertu  de  ce  principe  que 
les  choses  saintes  ne  se  vendent  pas  ;  mais  que  la  faute  qu'il 
commet  rejaillisse  sur  la  clef  elle-même  qui  demeure  «  inutile  » 
et  sur  le  fidèle  dont  la  prière  reste  stérile,  je  ne  puis  l'admettre, 
car  une  telle  conséquence  serait  en  opposition  avec  toute  la  tra- 
dition ecclésiastique,  qui  ne  donne  pas  une  telle  portée  aux  actes, 
même  coupables,  des  ministres  sacrés.  Pourtant  la  brocliure  est 
((  approuvée  par  Mgr  l'Evèque  de  Namur.  » 

Mgr  Barbier  de  Montault  ne  pense  pas  que  ces  cas  diri- 
mants  aient  pour  utilité  d'expliquer  les  cas  d'insuccès  dans 
l'application  de  la  clef. 

11  faudrait  avoir  entre  les  mains  la  formule  de  bénédiction  de 
ces  clefs  pour  bien  se  rendre  compte  du  but  que  se  propose  l'Église, 
si  même  l'Église  y  est  pour  quelque  chose,  car  son  intervention 
n'est  certaine  qu'autant  que  le  Saint-Siège  s'est  prononcé  sur  la 
valeur  liturgique  des  oraisons  récitées  en  cette  circonstance. 
M.  Bertrand  m'écrit  à  ce  sujet,  en  réponse  à  ma  demande  : 

«  La  formule  de  bénédiction  de  la  clef  de  saint  Hubert  doit 
venir  des  anciens  abbés.  Elle  est  contenue  dans  un  rituel  parti- 
culier à  l'église  de  Saint-Hubert,  manuscrit  renfermant  des 
formules  tirées  du  rituel  romain  et  d'autres  formules  dont  l'au- 
teur est  inconnu.  Je  ne  crois  pas  que  ce  rituel  soit  formellement 
approuvé,  mais  les  évêques  de  Liège  et  de  Namur  ont  vu  ce  qui 
se  pratique  à  l'église  de  Saint-Hubert  et  ils  y  consentent^.  » 

Mgr  Barbier  de  Montault  avait  demandé  à  son  correspon- 
dant copie  de  ce  rituel  ;  mais,  tout  moimgnore  qu'il  fût.  on 
ne  lui  lit  pas  cette  confidence,  et  il  est  forcé  de  dire  :  «  Je 

I  1.  Mgr  Barbier  de  Montault,  Le  reliquaire  de  Lacour-Saint-Ficrrr 
(Tarn-et-Garonne)  et  les  clefs  de  Saint-Ficrre  et  de  Saint-Hubert,  dans 
le  Bull.  Archéol.  de  la  Soc.  Archéol.  de  Tarn-et-Garonne,  t.  V  (1878), 
p.  74-75.  —  Les  italiques  {consentent)  sont  dans  le  texte  que  nous 
reproduisons. 


132  CHAPITRE  TROISIÈME 

n'ai  pu  obtenir,  malgré  mes  instances,  copie  de  cette  for- 
mule de  bénédiction  qui  m'eût  intéressé  à  un  haut  degré.  » 

Mgr  Barbier  de  Montault  pense  que  «  la  forme  actuelle 
de  la  clef  de  saint  Hubert  doit  être  relativement  moderne, 
et  le  cornet  lui-même  dépasse  tout  au  plus  la  fin  du  moyen 
âge  ».  Et  quant  à  Topinion  qui  voudrait  faire  du  cor  figuré 
à  l'extrémité  la  représentation  du  sceau  même  du  saint,  il 
la  réfute  en  quelques  mots  :  «  Mais  il  reste  à  démontrer 
que  le  disque,  marqué  d'un  cornet,  est  fait  à  l'image  du 
sceau  de  saint  Hubert.  Qu'il  ait  eu  un  sceau,  je  n'en  doute 
pas  ;  que  ce  sceau  ait  représenté,  comme  meuble  héral- 
dique ou  autre,  un  cor  de  chasse,  là  est  la  question.  Pour 
un  évêque  de  ce  temps^,  il  serait  au  moins  singulier  et 
inouï  qu'en  souvenir  de  sa  vie  mondaine,  il  eût  gardé  un 
signe  aussi  peu  chrétien  !  Les  sceaux  publiés  par  le  com- 
mandeur de  Rossi  dans  le  Bulletin  d'archéologie  chrétienne 
ont  une  autre  tournure  et  d'autres  symboles  *.  » 

L'emploi  des  clefs  de  saint  Hubert  était  assez  fréquent  en 
France  et  en  Allemagne,  mais  il  ne  paraît  pas  qu'elles  pro- 
vinssent toujours  de  Saint-Hubert  d'Ardenne.  On  donnait 
le  nom  du  saint  de  la  rage  à  des  clefs  destinées  à  marquer 
les  animaux  ;  cela  est  évident  pour  celles  de  ces  clefs  qui 
ont  été  décrites  par  les  archéologues  et  qui  ont  bien  la 
forme  d'une  clef,  non  d'un  cône.  Tel  est  le  cas  de  la  clef  de 
saint  Hubert  à  Oyré  (Vienne),  dont  Mgr  Barbier  de  Mon- 
tault a  donné  le  dessin.  Elle  est  conservée  dans  la  chapelle 
de  Saint-Hubert,  à  quatre  kilomètres  du  bourg  d'Oyré,  et 
lieu  de  pèlerinage.  «  Chauffée  à  blanc,  cette  clef  servait  à 
cautériser  les  morsures  de  la  rage  dans  la  chapelle  du  pèle- 
rinage. »  —  Tel  est  aussi  le  cas  d'une  clef  de  saint  Hubert 
qui  est  en  usage  dans  la  ville  de  Loudun,  au  diocèse  de 
Poitiers.  C'est  dans  l'église  de  Saint-Hilaire  ;  un  petit  autel 
est  dédié  au  patron  des  chasseurs;  le  tableau  de  retable 
rappelle  sa  conversion,  «  Le  sacristain  de  l'église  était  en 

1.  Mgr  Barbier  de  MontaulL,  loc.  cit.,  p.  70. 


I 


i  SALXT  HUBERT  GUÉRISSEUR  DE  LA  RAGE  133 

[possession  de  donner  la  clef  de  saint  Hubert  aux  chiens, 

b'est-à-dire  de  la  leur  appliquer  aa  front,   après  l'avoir 

îhauffée  jusqu'au  rouget  y>  Loudun  a  même  vu  de  notre 

|:emps  une  concurrence  laïque  au  remède   du  sacristain. 

|(  Un  taillandier  s'est  avisé  d'entrer  en  concurrence  en  s'at- 

î.ribuant  le  droit  de  marquer  les  chiens.  11  s'est  donc  fabri- 

jjué  à  lui-même  une  clef,  et,  pour  cinquante  centimes,  il 

'applique  à  chaud  chaque  fois  qu"il  en  est  requis.  »  Pour 

le  public,  c'est  toujours  une  «  clef  de  saint  Hubert  »,  cl  il 

i[)arait  que  les  deux  clefs,  sacrée  et  profane,  ont  le  même 

|uccès.  —  C'est  encore  une  clef  en  forme  de  clef  que  l'on 

il  trouvée  à  Arrières  (Puy-de-Dôme).  «  Elle  a  été  trouvée 

liûurée  dans  un  vieux  bâtiment,  oii  l'on  pense  qu'elle  avait 

i  té  placée  en  1793.  Elle  ne  mesure  pas  moins  de  0",46  de 

ongueur,  sans  doute  afin  de  permettre  d'approcher  sans 

aneer  des  animaux  mordus  ^  » 

Nous  avons  vu  citer  d'autres  clefs  de  saint  Hubert,  mais 

ans  qu'on  en  dise  la  forme  ;  par  exemple,  dans  le  Berry  % 

n  Champagne  *,  en  Bavière  '\ 

A  Grœningen  en  Franconie  (Wurtemberg-),  (le  pays  est 

ourlant  protestant),  il  y  a  une  clef  de  saint  Hubert  célèbre 

ans  tout  le  pays  ^  On  ne  dit  pas  qu'elle  vienne  de  Saint- 

lubert  d'Ardenne,  car,   d'après  la  légende  locale,  elle  a 

ne  origine  miraculeuse.  11  y  a  longtemps,  bien  longtemps, 

n  la  trouva  dans  le  creux  d'un  chêne  avec  un  billet  où 

lait  écrit  en  lettres  d'or  la  manière  de  s'en  servir.  Ce  billet 

st  perdu  depuis  longtemps,  mais  cela  ne  fait  point  de  tort 

la  clef;  car,  si  on  doutait  de  sa  vertu,  on  serait  regardé 

1.  Mgr  Barbier  de  iMontault,  toc.  cit.,  p.  125. 

2.  Ambroise  Tardieu,  dans  le  Bulletin  monumental,  t.  XLA'III  (1882). 
.731. 

3.  Laisnel  de  la  Salle,  Croy.  et  Lég.  du  Centre  de  la  France,  t.  I,  p.  332. 

4.  Clef  de  Saint-Hubert  au  villagedeLa  Saussotte,  près  de  Villeneuve 
*^ube),  signalée  dans  Salverte,  Sciences  occidtes,  éd.  de  1856,  p.  326. 

5.  Panzer,  Beitrag  zur  deutschen  Mythologie,  t.  II,  p.  296. 

6.  Alemannia,  t.  X  (1882),  p.  268  et  suiv. 


I 


134  CHAPITRE  TROISIÈME 

comme  un  impie  et  comme  un  ennemi  de  la  religion. 
L'instrument  a  la  forme  d'une  gouge.  Il  y  a  environ  cin- 
quante ans,  l'autorité  civile  voulut  mettre  fin  à  l'emploi  de 
a  la  clef  de  saint  Hubert  »  et  elle  demanda  qu'on  lui  livrât 
la  clef.  On  lui  remit  une  fausse  clef,  faite  sur  le  modèle  dej 
la  vraie.  L'autorité  s'aperçut  de  la  fraude  et  emprisonna 
quelques  jours  plusieurs  habitants  de  Grœningen  ;  mais 
rien  n'y  fit  ;  la  clef  resta  cachée.  Plus  tard,  après  diverses 
aventures  dont  une  assez  comique  (la  clef  était  tombée 
dans  le  fumier),  la  clef  reparut  au  jour  et  on  recommença 
à  s'en  servir.  On  ne  cautérise  pas  la  morsure,  mais  on 
marque  à  la  main  gauche,  au-dessous  du  pouce,  Ja  per- 
sonne mordue,  et  les  assistants  disent  un  Pater.  C'est  le 
forgeron  qui  fait  l'opération  et  reçoit  pour  cela  un  bon 
pourboire.  On  vient,  ou  du  moins  on  venait  de  loin  à  Grœ- 
ningen  pour  se  faire  marquer  ;  autrefois  même  on  venait 
en  chaise  de  poste  chercher  la  clef  à  Grœningen  pour  mar- 
quer des  hommes  et  des  bestiaux. 

Dans  une  abbaye  du  Jura,  à  Rozières,  on  avait  deux 
croix  de  fer  avec  lesquelles,  de  temps  immémorial,  sans 
que  l'on  connût  l'origine  de  la  coutume,  on  marquait  bête)= 
et  gens  mordus.  Il  n'existe  plus  aujourd'hui  aucun  vestige 
de  ce  monastère  ;  mais  le  fait  nous  est  conservé  dans  ur 
inventaire  rédigé  en  1714  par  un  prieur  du  couvent.  le 
saint  Denis  est  associé  à  saint  Hubert. 

La  manière  de  marquer  soit  personnes,  soit  animaux  mordus 
est  telle  :  On  fait  chauffer  la  croix...  en  sorte  qu'elle  soit  tout* 
rouge  ;  après  quoi  le  prêtre  qui  doit  marquer  prend  une  étole 
qu'il  met  à  son  col  sur  ses  habits  propres,  prend  le  coin  convenabl( 
et  en  touche  et  brûle  assez  légèrement  l'endroit  où  la  personne  aurî 
été  mordue  et  blessée  en  quelque  part  que  ce  soit  (car  si  c'était  ei 
quelques  partie  honteuse,  comme  au  derrière,  la  modestie  veu 
qu'on  marque  telle  personne  en  quelque  place  et  lieu  écartés  ci 
personne  ne  le  voie).  Le  prêtre  en  marquant  dit  cette  petite  oraison 
per  mérita  S.  Dionisii  et  S.  Huberti  sanette  Dominus...Vom\ 
quoi  le  patient  mordu  fait  son  offrande  à  sa  dévotion,  et  va  dirt 


I 


SAINT  HUBERT  GUÉRISSEUR  DE  LA  RAGE  135 

devant  l'autel  de  saint  Denis  cinq  Pater  et  cinq  Ave  Maria  ou 
autres  prières. 

Si  le  prêtre  marque  des  animaux,  on  leur  bande  les  yeux  pour 
ne  pas  les  effaroucher  ;  il  prend  la  croix  simple  qui  n'a  qu'un  croi- 
son,  il  la  fait  bien  chauffer  et  rougir  pour  en  marquer  et  brûler 
non  seulement  le  poil  de  la  bête,  mais  même  un  peu  la  peau  des 
bêtes  mordues  en  disant  l'oraison  ci-dessus.  Après  quoi  celui  à 
qui  appartiennent  les  bêtes  fait  son  offrande  et  dira  cinq  Pater  et 
cinq  Ave  Maria,  à  l'honneur  des  glorieux  saint  Denis  et  saint 
Hubert, 

Si  des  troupeaux  de  bêtes  avaient  été  mordus  tous  ou  une  grande 
partie,  un  religieux  va  à  leur  village,  pour  marquer  leurs  bêtes 
l'une  après  l'autre,  ainsi  que  je  l'ai  vu  pratiquer  céans,  et  ensuite 
la  communauté  ou  les  échevins  donnent  en  offrande  quelque  chose 
pour  l'église  ou  donnent  pour  dire  quelques  messes  '. 

On  a  signalé  encore  d'autres  «  clefs  de  saint  Hubert  »  do 
formes  qui  ne  sont  ni  celles  d'une  clef  ni  même  celle  d'un 
cône.  A  Liège,  c'était  un  anneau  ;  à  Utrecht,  une  croix  do 
fer  ^ 


§    11.    —    LA    VÉRITABLE    CLEF    DE    SAINT    HUBERT 

II  est  vraisemblable  que  la  clef  en  forme  de  cône  (avec  le 
signe  du  cor)  a  remplacé  la  clef  en  forme  de  clef  à  une 
époque  relativement  moderne,  et  de  là  lui  est  resté  le  nom 
de  clef.  Cette  transformation  s'est  faite  sans  doute  à  l'époque 
011  a  triomphé  et  fait  irruption  dans  l'hagiographie  la 
légende  qui  faisait  du  saint  un  chasseur.  La  clef  dont  on  s'é- 
tait servi  jusque-là  devait  être  une  clef  de  saint  Pierre  ;  on 
verra  plus  loin  que  les  clefs  de  saint  Pierre  ont  en  maint 
endroit  le  don  de  guérison  et  de  préservation  que  nous 
avons  trouvé  aux  clefs  de  saint  Hubert.  Justement  saint 
Hubert  avait  reçu  de  saint  Pierre  une  clef  d'or.  D'après  la 

1.  Académie  des  Sciences,  etc.,  de  Besançon,  année  1880,  p.  122. 

2.  P.  Le  Brun,  Hist.  crit.,  etc.,  2^  éd.,  t.  I,  p.  431. 


136  CHAPITRE  TROISIÈME 

légende  que  nous  avons  rapportée  plus  haut,  cette  clef  lui 
aurait  été  apportée  du  paradis  par  saint  Pierre  lui-même. 
D'après  les  écrivains  qui  rationalisent  les  légendes,  c'est  en 
sig-ne  d'estime  que  l'évêque  de  Liège  aurait  reçu  du  Saint- 
Siège  cette  clef  qui  est  encore  conservée  dans  le  trésor  de 
l'église  de  Sainte-Croix  à  Liège. 

Le  don  le  plus  précieux,  dit  M.  Demarteau,  que  faisait  alors  le 
pape  aux  rois  ou  aux  grands  évèques  qu'il  tenait  à  honorer  d'une 
marque  suprême  d'estime,,  était  celui  d'une  clef- reliquaire ,  dans 
la  poignée  ouvragée  de  laquelle  on  renfermait  un  fragment  des 
chaînes  de  saint  Pierre.  Saint  Grégoire  le  Grand,  par  exemple, 
avait  envoyé  une  dizaine  de  clefs  de  cette  sorte  au  roi  des  Wisi- 
goths  Récarède,  au  roi  de  France  Childebert,  au  patriarche  Anas- 
thase,  à  l'évêque  Colombus,  etc.  Les  papes  Vitalien,  saint  Gré- 
goire III,  saint  Léon  III,  saint  Grégoire  VII  l'imitèrent....  ^ 

Ce  serait  donc  un  cadeau  analogue  à  celui  de  la  Rose 
d'or  que  le  pape  envoie  de  temps  à  autre  aux  princesses  de 
notre  temps. 

Ces  clefs  sont  originairement  les  clefs  qui  servaient  à 
fermer  les  grilles  ou  cataractse  de  la  confession^  de  saint 
Pierre  à  Rome.  On  les  donnait  d'abord  comme  souvenir  de 
pèlerinage  à  des  personnes  qui  naturellement  en  fournis- 
saient d'autres  ;  plus  tard,  on  en  envoya  en  cadeau  à  de 
grands  personnages,  comme  le  dit  M.  Demarteau.  Un  pas- 
sage des  lettres  de  saint  Grégoire  le  Grand  ^  nous  apprend 
qu'on  distribuait  aussi  de  la  limaille  des  chaînes  de  saint 
Pierre  dans  de  petites  clefs  d'or.  Des  textes  assez  nombreux 
de  cette  époque  parlent  de  clefs  de  saint  Pierre,  sans  qu'on 

1.  Demarteau,  dissert,  de  1877,  p.  20  ;  cf.  dissert,  de  1882,  p.  10.  — 
Voir  aussi  les  passages  des  œuvres  de  Grégoire  le  Grand  cités  à  la  table 
des  matières  (s.  v.  Claves)  du  tome  LXXVII  de  la  Patrologie  latine  de 
Migne. 

2.  La    langue    ecclésiastique  donne   le  nom  de  confession  à   l'autel    i 
élevé  sur  la  tombe  d'un  martyr. 

3.  Epist.  I,  vu,  26.  —  Cité  par  Mgr  Barbier  de  Montault,  loc.  cit, 
p.  50. 


SATNT  HUBERT  GUÉRISSEUR  DE  LA  RAGE  137 

puisse  distinguer  s'il  s'agit  de  clefs  de  grandeur  naturelle 
ou  de  clefs  minuscules  simplement  emblématiques.  «  On 
avait  donc  foi  (dit  Mgr  Barbier  de  Montault),  en  ces  clefs  qui 
provenaient  de  Rome,  soit  qu'elles  eussent  servi  à  ouvrir  et 
à  fermer  la  confession  de  saint  Pierre,  soit  qu'elles  eussent 
été  faites  à  l'imitation  de  celles-ci  et  remplies  de  limaille. 
Des  unes  et  des  autres  se  dégageait  une  vertu  secrète  qui 
motivait  la  confiance  et  augmentait  la  dévotion.  » 

La  clef  conservée  à  l'église  de  Sainte-Croix  de  Liège 

comme  ayant  appartenu  à  saint  Hubert  et  qui  donne  une 

!  base  matérielle  à  la  légende,  n'est  ni  une  clef  minuscule  ni 

une  clef  d'or.  Aussi,  au  xvn"  siècle,  le  R.  P.  Roberti,  un 

des  historiens  de  saint  Hubert,  ne  crut-il  pas  à  son  authen- 

i  ticité  :  elle  était  «  d'une  matière  et  d'un  travail  trop  gros- 

\  siers  pour  croire  qu'elle  fût  la  même  donnée  à  saint  Hubert 

par  le  prince  des  apôtres  ».  Et  le  P.  RoberLi    pensait  que 

la  véritable  clef  ayant  disparu  pendant  les  guerres  ou  les 

pillages,  on  l'aurait  remplacée  par  celle   que  l'on  montre 

■aujourd'hui.  Les  écrivains  modernes  sont  d'un  autre  avis  : 

"  ils  pensent,  il  est  vrai,  que  la  clef  provient,  non  de  saint 

Pierre,  mais  d'un  successeur  de  saint  Pierre,  c'est-à-dire 

de  '(  Pierre  vivant  en  ses  successeurs  ».  D'après  M.  Demar- 

teau,  «  les  archéologues  n'hésitent  pas  à  lui  reconnaître  le 

caractère  de  l'art  du  temps  ».  M.  Demarteau  en  donne  une 

image  dans  sa  dissertation  de  1877  ^ 

1.  M.  Demarteau  la  décrit  ainsi  :  «  La  clef  de  Saint-Hubert  offre,  de 
l'extrémité  du  manche  à  l'extrémité  du  panneton,  une  longueur  de 
37  centimètres.  Son  manche,  creux  et  de  forme  ovale,  en  mesure  un  peu 
plus  de  8  de  diamètre  ;  il  est  divisé,  au  milieu,  par  une  bande  horizon- 
laie  qui  en  fait  le  tour  et  qui  se  trouve  elle-même  coupée  verticalement 
oor  quatre  autres  bandes  allant  de  l'anneau  supérieur  àla  naissance  delà 

ij-e.  Des  huit  compartiments  ainsi  formés,  les  quatre  d'en  haut  repré- 
-'■ntent  chacun  saint  Pierre  un  livre  à  la  main  ;  les  quatre  d'en  bas,  la 
Majesté  de  Dieu  ;  sur  les  bandes,  des  figures  d'animaux  et  de  plantes, 

e  tout  grossièrement  ajouré.  Dans  l'intérieur  est  enfermé  un  fragment 
mobile  des  chaînes  du  premier  pape,  parcelle  de  quatre  millimètres  ;  on 
ne  connaît  plus  que  celle-là  dans  une  clef  de  cette  sorte.  Le  manche 


138  CHAPITRE  TROISIÈME 

Les  petites  clefs  d'argent  qu'on  vend  aux  pieux  pèlerins 
à  Saint-Hubert  d'Ardenne  et  qui  sont  faites  pour  être  por- 
tées en  breloques,  ont  aussi  la  forme  de  véritables  clefs.  On 
peut  donc  conclure  avec  Mgr  Barbier  de  Montault  :  «  La  clef 
de  saint  Hubert  dérive  directement  de  celle  de  saint  Pierre. 
A  l'origine,  le  nom  dut  être  le  même,  comme  l'effet  est 
identique,  mais  il  changea  par  suite  de  la  dévotion  popu- 
laire qui,  oubliant  cette  même  provenance,  ne  songea  plus 
qu'au  saint  qu'elle  venait  prier  sur  sa  tombe  *.  «  C'est  sans 
doute  une  clef  en  forme  de  clef  que  le  cône  en  fer  a  rem- 
placé à  une  époque  inconnue  de  nous  ;  peut-être  aussi  ce 
cône  était-il  un  instrument  de  cautérisation  inventé  par  un 
praticien  anonyme;  car  si  on  ignore  à  quelle  époque  la  cau- 
térisation au  fer  rouge  a  été  appliquée  aux  morsures,  cette 
époque  est  certainement  le  moyen  âge.  Le  cornet  terminal 
était  alors  une  garantie  d'authenticité,  une  marque  de  pro- 
venance :  il  témoignait  que  le  fer  provenait  de  saint  Hubert 
et  possédait  une  vertu  surnaturelle,  grâce  à  l'intercession 
spéciale  de  saint  Hubert,  patron  des  chasseurs. 

§  12.  —  EXCOMMUNICATION  DES  ENNEMIS  DE  SAINT  HUBERT 
ET  DE  SON  MONASTÈRE. 

Malgré  le  respect  dont  les  âges  de  foi  entouraient  saint 
Hubert,  son  couvent  et  son  intercession,  on  jugeait  utile 
d'ajouter  à  son  autorité  par  les  pénalités  morales  dont  dis-i 
pose  l'Eglise.   Et  quand  il  s'agissait  de  redevances  et  ren^ 

seul  accuse  par  sa  matière,  par  sa  couleur  jaune  vif  due  à  l'alliage  du 
laiton,  et  par  son  style  de  décadence ,  le  siècle  de  saint  Hubert  ;  la  tige 
et  le  panneton,  en  cuivre  pur,  appartiennent  à  des  réparations  postéJ 
rieures  ;  le  caractère  du  crucifix  placé  au  haut  de  cette  tige,  comme 
celui  des  figurines  de  la  Vierge  et  de  saint  Jean  derrière  ce  crucifix 
autorisent  à  reporter  la  restauration  de  cette  partie  au  xm^  siècle;  1( 
panneton  semble  avoir  été  renouvelé  à  une  date  encore  plus  rapproché 
de  nous.  » 

1.  Mgr  Barbier  de  Montault,  loc.  cit.,  p.  67, 


SAINT  HUBERT  GUERISSEUR  DE  LA  RAGE  139 

tes,  les  couvents  ne  négligeaient  pas  d'ajouter  les  sanctions 
spirituelles  aux  sanctions  temporelles.  L'auteur  de  l'an- 
cienne Vie  que  nous  avons  déjà  citée,  a  (p.  32  et  suiv.)  un 
chapitre  intitulé  :  Qu'il  est  dangereux  d'offenser  saint  Hu- 
bert et  ce  qui  lui  ap'partient.  Il  cite  à  ce  propos  l'excommu- 
nication «  qu'un  Doyen  de  Bastogne  fulmine  tous  les  ans  et 
solennellement  en  présence  d'un  grand  concours  de  peu- 
ples qui  se  rendent  processionnellement  le  premier  Diman- 
che de  juillet  en  l'Eglise  du  Saint  ».  En  voici  les  termes  : 

Par  l'autorité  du  Saint  Siège  apostolique  et  en  vertu  des  an- 
ciennes grâces,  privilèges  et  concessions  octroyées  à  l'Eglise  et 
Monastère  de  Monsieur  saint  Hubert  en  Ardenne,  Nous  excom- 
munions et  dénonçons  pour  excommuniez  tous  ceux  qui  donnent 
emipèchement  et  molestent  à  tous  bons  pèlerins  venant  en  l'Eglise 
de  Monsieur  saint  Hubert  pour  y  faire  leurs  dévotions  et  y  appor- 
ter leurs  offrandes. 

De  même  autorité  Nous  excommunions  tous  ceux  qui  font 
trouble  et  violence  aux  bons  marchands  qui  viennent  aux  foires 
et  marchés  de  ce  lieu  de  saint  Hubert  ;  car  tels  perturbateurs  du 
repos  public  empêchent  quantes  et  quantes  le  trafic,  commerce  et 
commoditéz  nécessaires  à  ce  dévot  lieu. 

En  après  Nous  excommunions  et  déclarons  excommuniez 
tous  ceux  et  celles  qui  font  fraude  au  payement  des  dîmes,  cens, 
rentes,  revenus,  offrandes,  fromages  de  Croix,  ban-Croix,  ou  quel- 
conques autres  redevances  de  ce  dévot  lieu  et  Monastère  de 
Monsieur  saint  Hubert. 

Et  généralement  tous  ceux  et  celles  qui  ne  s'acquittent  selon 
Dieu  et  conscience  du  payement  de  toutes  et  chacune  telles  rede- 
vabletez,  soient-elles  d'obhgation  ancienne,  ou  par  vœu  nouveau 
et  particulier. 

Tous  et  chacun  desquels  défraudateurs  Nous  excommunions, 
comme  sacrilègues  de  choses  saintes  ;  les  déclarons  privez  des  Sa- 
crifices, suffrages,  prières  et  bienfaits  qui  se  font  en  l'Eglise  de 
Dieu  par  tout  le  monde  universel,  et  par  spécial  en  l'Eglise  et 
Monastère  de  Monsieur  saint  Hubert. 

Lesquels  excommuniez  étant  ôtez  de  la  main  de  Dieu,  Com- 
munion des   Saints  et  conversation  des  fidèles,  sont  livrez  en  la 


140  CHAPITRE  TROISIEME 

main  du  diable  et  communion  des  reprouvez,  en  damnation  per- 
pétuelle, tant  et  si  longuement,  que  contrits  et  repentants  ils  ayent 
satisfait  et  prêté  restitution. 

En  ce  signe  d'anatheme  et  malédiction,  Nous  prononçons 
avec  le  prophète  David  :  Sicut  finit  cera  a  facie  ignis,  sic  pe- 
reant peccatores  a  facie  Dei,  amen,  amen,  amen.  C'est  à  dire  : 
Tout  comme  la  cire  s'écoule  en  la  présence  du  feu  :  que  les 
pécheurs peiHssent  de  même  devant  la  face  de  Dieu,  ainsi  soit-il, 
ainsi  soit-il,  ainsi  soit-il.  A  quoi  si  Ion  ajoute  ce  texte  du  Bil- 
let envoyé  du  Ciel  :  Hic  locus  a  Deo  electus  ad  sahitem  anima- 
rum  multarum  :  terra  sancta  est  valde  magnificanda,  servo- 
rumque  Dei  patrimonium  quod  augebitur,  et  a  Potestatibus 
protegetur ;  varie  tamen  tribulabitur ;  qui  vero  hune  locum 
vexaverit,  sic  in  radice  marcescat  ut  in  ramis  non  florescat,  aut 
ultrices  ultionis  leternsR pœnas  sustineat.  C'est  à  dire  :  Ce  lieu 
choisi  de  Dieu  pour  le  salut  de  beaucoup  d'âmes,  est  une  terre 
sainte,  laquelle  deDiendra  fort  célèbre,  c'est  le  patrimoine  des 
serviteurs  de  Dieu,  qui  sera  dans  la  suite  beaucoup  augmenté 
et  protégé  par  les  Puissances  ;  souffrira  néanmoins  plusieurs 
tribulations  ;  mais  que  celui  qui  molestera  ce  lieu,  sèche  tel- 
lement dans  sa  racine  que  les  branches  ne  produisent  pas  de 
fleurs  ou  qu'il  ressente  la  vengeance  des  pjeines  éternelles. 

Ensuite  duquel  le  Monastère  de  saint  Hubert  a  été  fondé,  on  y 
remarquera  un  autre  fondement  de  se  persuader  que  l'on  ne  le 
moleste  pas  impunément  et  que  tant  de  châtiments  visibles  arrivez 
en  divers  temps  à  des  personnes  même  de  la  première  qualité  qui 
avoient  fait  tort  audit  Monastère  où  à  ses  dépendances  en  justifient 
la  vérité.  Mais  ce  ne  sont  pas  les  châtiments  que  l'on  doit  recher- 
cher auprès  des  saints  :  il  faut  les  invoquer  dans  les  nécessitez,  et 
tâcher  de  se  rendre  digne  des  effets  de  leur  intercession  en  imitant 
leurs  vertus  pour  jouir  un  jour  de  leur  heureuse  compagnie. 

Ainsi-soit-il. 

On  remarquera  dans  ce  texte  la  mention  du  «  billet  envoyé 
directement  du  ciel  en  manière  de  brevet  au  Monastère  de 
Monsieur  saint  Hubert^;.  C'est  le  billet  trouvé  par  Plectrade 
et  expliqué  par  Bérégise  (voir  plus  haut,  p.  S2).  Ce  billet 
n'est-il  pas  une  de  ces  fictions  monastiques  imaginées  pour 


I 


SAINT  HUBERT  GUÉRISSEUR  DE  L.\  RAGE  iU 

augmenter  l'autorité  d'une  abbaye  ou  d'une  église  ?  Il  s'en 
rencontre  sans  doute  d'analogues  dans  l'histoire  du  moyen 
âçe. 


§  13.   —  LA  CONFRÉRIE  DE  SAIXT- HUBERT. 


«  Les  moyens  recommandé:,  à  la  piété  des  fidèles,    dit 
M.  Hallet,  pour  obtenir  la  préservation  de  la  rag-e,  sont  : 
1°  l'entrée  dans  la  confrérie  de  Saint-Hnbert  ;  2°  l'usage  des 
objets  bénis.    Nous  avons  vu  le  second,    disons  quelques 
mots  du  premier. 

Cette  confrérie  est  ancienne  et  elle  a  été  enrichie  de  privi- 
lèges et  d'indulg-encespar  plusieurs  papes.  Mais  elle  devait 
sans  doute  sa  vogue  moins  à  ses  privilèges  qu'à  la  faveur 
de  préserver  ses  membres  de  la  rage.  On  s'y  affiliait  par 
familles  et  par  paroisses  et  celles-ci,  pour  se  mettre  sous  la 
protection  du  saint  et  avoir  part  aux  prières  des  religieux, 
s'engageaient  à  payer  une  rente  à  Saint-Hubert.  «  De  là 
est  venue  l'expression  encore  usitée  se  faille  ar renier,  qui 
signifie  aujourd'hui  :  se  faire  inscrire  dans  la  confrérie  de 
Saint-Hubert  \  »  Et  M.  l'abbé  Hallet  dit  :  «Les  anciens  re- 
gistres conservés  à  la  Trésorerie,  font  foi  que  l'on  n'inscri- 
vait pas  seulement  les  familles,  mais  aussi  les  paroisses  et 
les  communautés  religieuses.  Il  est  bien  à  désirer  que  l'on 
revienne  à  ce  louable  usage  que  la  Révolution  française  a 
fait  disparaître  -.  »  L'inscription  pour  une  famille  entière, — 
et  elle  garde  son  efficacité  même  après  la  mort  du  chef  de 
la  famille,  —  ne  consiste  plus  aujourd'hui  nécessairement 
en  une  rente  annuelle  ;  elle  coûte  «  la  modique  somme  de 
trois  francs  »  une  fois  payée.  On  peut  l'envoyer  par  la  poste 
à  M.  l'aumônier  de  Saint-Hubert 


1.  Bertrand,  p.  68. 

2.  Hallet,  p.  163. 


142  CHAPITRE  TROISIEME 


§   14.  —  LE  PÈLERINAGE  DE  SAINT-HUBERT 

Outre  les  pèlerinages  individuels  pour  obtenir  la  Taille 
ou  le  Répit,  il  y  a  les  pèlerinages  collectifs  entrepris  dans  j| 
un  simple  but  d'édification  par  les  fidèles  de  telle  ou  telle 
paroisse.  Ces  pèlerinages  ont  lieu  dans  le  courant  de  l'été 
et  chaque  mois  en  voit  arriver  plusieurs.  Pour  qu'ils  s'es- 
pacent régulièrement  et  s'accomplissent  sans  cohue  ni 
presse,  les  curés  des  paroisses  qui  doivent  pèleriner  s'en- 
tendent avec  celui  de  Saint-Hubert.  On  combine  d'ordi- 
naire le  voyage  de  plusieurs  paroisses,  de  façon  à  former 
un  nombre  de  d.oOO  à  2,000  pèlerins  et  obtenir  des  trains 
spéciaux  de  l'administration  des  chemins  de  fer.  Ces  pèle- 
rinages se  ressemblent  sans  doute  tous  :  il  nous  suffira  de 
décrire  celui  auquel  nous  avons  assisté. 

Il  est  neuf  heures  du  matin  :  quelques  voitures  chargées 
dedans  et  dessus  débarquent  leurs  voyageurs  sur  la  place. 
Ce  sont,  parmi  les  pèlerins,  ceux  que  leur  état  de  santé  ou 
leur  fatigue  a  empêchés  de  faire  à  pied  le  trajet  depuis  la 
station  de  Poix  (il  y  a  7  kilomètres).  Bientôt  après,  un  cor- 
tège se  prépare  à  Saint-Hubert  :  en  tête,  le  suisse  en  uni- 
forme flambant  de  rouge;  six  prêtres  en  surplis,  puis  une 
fanfare,  composée  d'une  trentaine  de  cuivres.  On  va,  à 
l'entrée  de  la  ville,  recevoir  la  procession  des  pèlerins,  qui 
arrivent  groupés  par  paroisses  et  leur  curé  en  tête.  Des 
écriteaux  portés  au  bout  de  perches  indiquent  les  noms  des 
paroisses  :  c'est  une  revue  de  la  Belgique  catholique.  On 
se  rend  processionnellement  à  l'église  (l'église  abbatiale)- 
Là,  un  prêtre  monte  en  chaire  et  souhaite  la  bienvenue 
aux  pèlerins  :  «  Si  saint  Hubert  accorde  ses  bienfaits  à 
ceux  qui  ne  font  que  quelques  pas  pour  venir  le  prier  dans 
son  sanctuaire,  que  sera-ce  donc  de  vous,  qui  venez  de 
loin?  Ah  !  certes,  vous  obtiendrez  de  grandes  grâces  et  de 
grandes  bénédictions  après  un  voyage  long  et  dispendieux' 


p 


SAINT  HUBERT  GUÉRISSEUR  DE  LA  RAGE  143 


Mais  vous  êtes  fatigués;  vous  allez  vous  disperser  pour 
prendre  quelques  rafraîchissements;  nous  nous  retrouve- 
rons tout  à  l'heure  à  la  grand'messe.  Vous  vous  procurerez 
des  objets  de  piété  que  nous  vous  bénirons.  S'il  y  en  a 
parmi  vous  qui  veulent  s'approcher  de  la  sainte  table,  ils 
peuvent  recevoir  la  communion  dans  cette  chapelle...  » 

La  grand'messe  se  dit  avec  les  éclats  intermittents  de  la 
fanfare.  Des  âmes  délicatement  pieuses  pourraient  préférer 
une  musique  plus  discrète  et  des  morceaux  plus  doux  : 
une  marche  guerrière  au  moment  de  l'élévation  nous  paraît 
dire  peu  de  chose  à  l'âme.  Mais  ce  que  le  populaire  appré- 
cie dans  la  musique,  c'est  le  bruit,  c'est  l'excitation  et 
l'étourdissement  de  ses  nerfs  auditifs;  une  fanfare  est  le 
fil-en-quatre  de  la  musique  :  c'est  ce  qu'il  faut  à  son  g-oût. 
«  Il  y  a  un  âge^  dit  quelque  part  VeuilloL  [Çà  et  Là,, 
liv.  XYI),  oii  le  bruit  plaît  plus  que  la  musique,  et  l'acidité 
des  fruits  verts  plus  que  la  saveur  des  fruits  mûrs.  »  Le 
peuple,  qui  est  un  enfant,  est  toujours  à  cet  âg-e. 

Le  sermon  est  naturellement  en  l'honneur  de  saint 
Hubert,  et  l'orateur  termine  en  tirant  la  moralité  de  la 
célèbre  conversion  devant  le  cerf  miraculeux  :  «  Ce  doit 
être  là  notre  modèle.,.  Sans  doute,  nous  sommes  déjà  des 
chrétiens,  mais  que  n'avons-nous  pas  encore  à  faire  pour 
remplir  nos  devoirs  de  chrétien?  Convertissons-nous,  mon- 
trons-nous chrétiens  dans  notre  vie  et  dans  nos  actes...  » 
Puis,  levant  les  bras  au  ciel,  l'orateur  termine  par  une 
prosopopée  éloquente  au  saint,  et  à  ce  moment  les  pèlerins 
ont  dû  certainement  sentir  saint  Hubert  planer  au-dessus 
de  leurs  têtes  :  «  Grand  saint  Hubert,  voyez  cette  foule  de 
pèlerins...  Protég-ez-les  !  exaucez-les  dans  leurs  prières, 
non  pas  seulement  pour  leur  bien  spirituel,  mais  aussi 
pour  leur  bien  temporel!  Soyez  leur  interprète  et  leur 
intercesseur!,.  Grand  saint  Hubert,  laissez-vous  toucher 
par  nos  incessantes  prières;  permettez  que  nous  retrou- 
vions un  jour  vos  restes  g-lorieux  !  Ils  sont  ici.  nous 
le    savons;    guidez    une    main    chrélicrmo    vers  l'endroit 


144  CHAPITRE  TROISIÈME 

secrel...  Ah!  ce  jour-là,  nous  organiserons  un  grand  pèleri- 
nage... » 

La  messe  est  finie,  la  foule  se  disperse,  il  faut  déjeuner, 
car  la  nourriture  spirituelle  ne  suffit  pas  à  sustenter  le 
corps.  Mais  c'est  un  pèlerinage  sérieux,  un  pèlerinage  do 
croyants  sur  lesquels  la  religion  exerce  un  empire  moral; 
ils  sont  venus  pour  le  saint  sous  la  conduite  de  leurs  curés 
et  non  pour  une  fête  profane  :  ce  n'est  pas  chez  eux  qu'on 
trouverait  dos  excès  d'intempérance  comme   parfois    aux 
pardons  de  la  Basse-Bretagne.   L'après-midi,  après  le  dé- 
jeuner et  avant  le  départ,  l'église  est  encore  remplie  de 
pieux  visiteurs.  Tout  à  coup  un  grand  mouvement  se  fait. 
Quelques  hommes  se  fraient  avec  peine  un  passage  à  tra- 
vers la  foule  :  ils  portent  un  homme  garrotté.    —  Qu'est 
cela?  —  C'est  un  homme  qui  a  l'esprit  troublé  ;  on  va  lui 
lire  l'évangile  de  saint  Hubert.  —  On  le  porte  dans  la  sa- 
cristie ;    quelque    temps  après ,   on  voit  le  fou  sortir   de 
l'église   au  bras  de    ses   amis,   muet,   étonné,   le   regard 
étrange.  La  cérémonie  dont  il  a  été  l'objet  a  produit  son 
impression  sur  une  âme  restée  croyante  jusque  dans  les 
ténèbres  de  la  folie.  L'exorcisme  a  amené  quelque  calme. 

A  partir  de  trois  heures,  les  pèlerins  commencent  à 
s'acheminer  vers  Poix,  oii  leurs  trains  spéciaux  les  atten- 
dent. A  cinq  heures,  la  ville  de  Saint-Hubert  est  vide.  Les 
pèlerins  étaient  passés  I  Avec  les  facilités  que  donnent  les 
chemins  de  fer,  un  pèlerinage  peut  se  faire  aujourd'hui  en 
un  jour,  et  le  chemin  du  ciel  est  bien  aplani. 

Autrefois  une  confrérie  de  Liège  partait,  les  jours  de  la 
Pentecôte,  à  cinq  heures  du  matin,  de  l'église  de  Sainte- 
Croix  à  Liège,  pour  les  Ardennes.  «  Les  deux  maîtres  et 
les  autres  officiers  (disait  le  règlement  de  la  confrérie) 
devront  faire  le  voyage  à  leurs  frais;  ils  empêcheront  les 
désordres,  crieries,  clameurs  et  friponneries;  ils  auront 
soin  qu'on  se  comporte  chrétiennement  en  un  pèlerinage 
si  important...  Les  maîtres  auront  soin  de  faire  la  quête 
dans  la  ville  et  parmi  les  pays  pour  faire  une  offrande  au 


SAL\T  HUBERT  GUÉRISSEUR  DE  LA  RAGE  145 

grand  saint  Hubert,  aux  Ardennes  ^  Celte  procession  en 
pèlerinag-e  à  saint  Hubert  a  été  interdite  en  1783  par 
Joseph  H.  Mais  le  peuple  restait  fidèle  à  ses  vieilles  dé- 
votions; aussi,  nous  dit  le  même  écrivain,  M.  Hock,  «  en 
1793,  quand  les  apôtres  de  la  Raison  déclaraient  qu'ils  ne 
croyaient  ni  à  Dieu  ni  au  diable,  les  gens  du  peuple  les 
laissaient  dire;  mais  quand  ils  s'en  prirent  à  saint  Hubert, 
on  faillit  leur  faire  un  mauvais  parti.   » 


^14.    LA  FÈTlî  DE  SAINT   HUBliRT  ET  LA  MESSE  DES  CHIENS. 

La  fête  de  saint  Hubert  —  c'est  le  3  novembre  —  est 
depuis  longtemps  la  fête  des  chasseurs  des  Ardennes.  La 
vie  du  saint,  qui  date  du  xi^  siècle,  nous  montre  déjà  les 
chasseurs  ardennais  apportant  au  saint,  comme  prémices, 
la  chasse  de  leur  premier  jour,  et  lui  offrant  plus  tard  la 
dixième  partie  du  gibier  qu'ils  ont  pris  ^  De  pieuses  his- 
toires de  miracles  rappelaient  à  leur  devoir  envers  le  saint 
les  chasseurs  qui  eussent  été  tentés  de  l'oublier.  Deux  chas- 
seurs avaient  fait  vœu  de  lui  offrir  le  premier  animal  qu'ils 
prendraient.  «  Presque  aussitôt  leurs  chiens  lançaient  un 
ïanglier  d'une  taille  énorme.  Après  quelques-unes  des 
"uses  habituelles  à  ses  pareils,  le  sanglier  conduisit  la 
Tieute  auprès  du  monastère  et  s'arrêta  comme  s'il  avait 
/oulu  se  livrer  volontairement.  Le  chef  des  veneurs,  émer- 
veillé de  la  grosseur  de  l'animal,  au  lieu  d'exécuter  la  pro- 
uesse qui  avait  été  faite  de  l'offrir  à  saint  Hubert^,  donna  à 
laute  voix  Tordre  de  l'emporter.  On  vit  alors  le  sanglier, 
:orame  s'il  avait  été  indigné  d'être  soustrait  à  sa  pieuse 
Icstination,  se  relever,  passer  entre  les  chiens,  et  dispa- 
aîlre  aux  yeux  des  chasseurs  confus  ''.  » 

'    1.  A.  Hock,  Œuvres  complètes,  t.  III    (Croyances  et  remèdes  popu- 
[aires  du  pays  de  Liège),  p.  147. 

2.  Voir  plus  haut,  p.  41 . 

3.  Mabillon,  Acla  SS.  ord.  S.  Benedicti,  iv;  siècle,  Pe  partie,  p.  30!. 

I.A    r.AGE.  10 


l-i6  CHAPITRE  TROISIEME 

Le  3  novembre  n'est  plus  une  fèto  de  chasse  à  Sainl- 
Hubert-d'Ardenne,  ce  n'est  plus  qu'une  fête  de  dévotion. 
A  peine  y  a-t-il  plus  de  monde  qu'à  l'ordinaire  pour  suivre 
la  procession  qui  se  fait  ce  jour-là.  Mais  encore  dans  le  cou- 
rant de  ce  siècle,  quand  le  roi  Léopold  I'''  allait  à  son  châ- 
teau d'Ardenne  fêter  la  Saint-Hubert,  la  bénédiction  solen- 
nelle de  la  chasse  avait  encore  lieu  à  l'église  de  Saint- 
Hubert- d'Ardenne.  On  a  conservé  le  souvenir  des 
anciennes  fêtes  : 

A  Saint  Hubert,  la  belle  église  du  saint  patron  des  chasseui> 
était  autrefois  un  véritable  rendez-vous  des  chasseurs  de  tous  le: 
pays.  Dès  trois  heures  du  matin,  les  trompes  sonnaient  le  réveil  e 
à  l'instant  chasseurs  et  piqueurs ,  gardes  et  braconniers  se  mettaien 
en  route  avec  leurs  chiens  pour  assister  à  la  messe  solennelle  qii 
se  célébrait  aux  flambeaux.  Les  trompes  sonnaient  lors  de  la  con- 
sécration et  pendant  la  bénédiction  que  le  prêtre  donnait  après  1; 
messe,  à  la  porte  de  l'Église,  aux  seigneurs,  châtelains  en  grauf 
costume ,  aux  dames  en  toilette  de  Diane  chasseresse,  aux  piqueurs 
à  toute  la  haute  et  petite  vénerie  jusqu'aux  chiens.  Puis  le  plu 
jeune  chasseur  faisait  la  quête,  à  laquelle  ordinairement  ui 
nid  de  grives  placé  dans  le  pavillon  de  sa  trompe  lui  servait  dt 
plateau.  La  quête  faite,  tous  s'empressaient  d'entrer  en  chasse  *. 

Cette  invocation  à  saint  Hubert,  en  cette  circonstance 
rappelle  le  sacrifice  à  Diane  avant  la  chasse,  scène  qui  s( 
trouve  représentée  avec  une  des  plus  belles  mosaïque 
gallo-romaines  de  France,  celle  de  Lillebonne,  en  Nor 
mandie  ^ 

Nous  savons  par  les  écrivains  grecs  que  les  Gauloij 
étaient  de  grands  chasseurs  et  des  dévots  de  la  chasse 

1.  Reinsberg-Diiringsfeld,  Traditions  et  légendes  de  la  Belgique,  t.  Ij 
p.  253. 

2.  La  mosaïque  de  Lillebonne  a  été  reproduite  en  deux  endroitÈS 
1°  dans  les  Mém.  de  la  Soc.  des  Ant.  de  Nonnandie,  t.  XXVIII  (1873| 
avec  un  art' de  de  M.  Ctiàtel  ;  2°  dans  la  Gazette  Archéologique  de  188S| 
article  de  M.  Babelon.  —  M.  l'abbé  Cochet  en  avait  précédemmei| 
parlé  dans  la  Revue  Archéologique,  nouv.  sér.,  t.  XXI.  p.  332-338,  -jj^ 
Cette  mosaïque  se  trouve  aujourd'hui  au  musée  de  Rouen. 


I  SAL\T  HUBERT  GUÉRISSEUR  DE  LA  RAGE  147 

Arrien,  qui  dans  son  Cijnégétique,  parle  souvent  des  usages 
de  chasse  des  Gaulois  et  vante  les  qualités  de  leurs  chiens 
de  chasse,  donne  de  curieux  détails  à  cet  ésard  : 

Il  y  a  des  Gaulois  qui  ont  usage  d'oflVir  chaque  année  un  sa- 
crilice  à  Diane.  11  y  en  a  d'autres  qui  organisent  une  cagnotte  : 
pour  un  lièvre,  on  y  met  deux  oboles,  pour  un  renard,  une 
drachme  (car  c'est  un  animal  malfaisant  et  dangereux  pour  les 
lièvres,  et  on  paie  pour  lui  comme  pour  un  ennemi  tué),  pour  un 
chevreuil,  quatre  drachmes  (car  c'est  une  hète  plus  grande  et  elle 
fait  plus  d'honneur  à  celui  qui  l'a  prise).  Quand  l'année  est  finie 
et  qu'arrive  l'anniversaire  de  Diane,  on  ouvre  la  tirelire  et  avec 
l'argent  on  achète  une  victime  :  les  uns  un  mouton,  les  autres  une 
chèvre,  quelques-uns  même  un  veau,  quand  il  y  a  assez  d'argent 
pour  cela.  Alors,  après  avoir  accompli  la  cérémonie  religieuse  et 
avoir  offert  à  Diane  chasseresse  la  première  des  victimes,  les  chas-  ' 
îBurs  se  réunissent  dans  un  banquet,  eux  et  leurs  chiens,  et  ils 
mettent  ce  jour- là  des  colliers  de  fleurs  à  leurs  chiens  ^ 

Arrien  ajoute  que  lui  et  ses  amis  suivent  l'usage  des  chas- 

leurs  gaulois,  car  rien  ne  peut  réussir  aux  hommes  sans 

'appui  des  dieux.  «  Aussi,  ajoute-t-il,  ceux  qui  s'adonnent 

.  la  chasse  ne  doivent  nég^liger  Diane  chasseresse,  pas  plus 

lu'Apollon  et  Pan,  et  les  Nymphes,  et  Mercure  qui  règne 

l  veille  sur  les  chemins,  et  aussi  toutes  les  divinités  des 

lontag-nes  ;  car  si  on  ne  s'acquitte  pas  de  ces  dévotions,  on 

e  peut  espérer  bonne  chance  :  les  chiens  se  blessent,  les 

jhevauxsont fourbus etles  chasseurs  reviennentbredouille.  » 

j.énophon,  dans  son  Traité  sur  la  chasse  (VI,   11),   parle 

iussi  des  prières  qu'on  adresse  à  Apollon  et  à  Diane  et  de 

'usage  de  leur  offrir  les  prémices  de  la  chasse. 

L'Ardenne  connaissait  certainement  une  fête  de  ce  genre 

jur  l'inauguration  de  la  chasse,  et  cette  fête,  en  l'honneur 

j   Diane  —  ou    de    Dianus   —  est  celle-là  même  qui, 

-;  lArdenne,  s'est  répandue  dans  les  pays  voisins,  sous 

nom  de  «  Messe  de  Saint-Hubert,  »  ou  encore  d'un  nom 

1.  Arriijii.  Cjjneij.,  ch    xxx;iii. 


148    ,  CHAPITRE  TROISIEME 

plus  populaire  :  «  Messe  des  chiens.  »  La  «Messe  des  chiens  « 
de  Chantilly  est  restée  célèhre  : 

La  chapelle  était  parée  comme  aux  grands  jours  ;  des  fleurs 
étaient  répandues  sur  les  saiates  dalles  ;  des  fleurs  jonchaient  le 
chenil  du  château.  Le  plus  vieux  gentilhomme,  monté  sur  le  plus 
vieux  cheval,  suivi  du  plus  vieux  chien,  accompagné  du  plus  vieux 
piqueur,  ouvrait  la  marche  des  chiens  se  rendant  à  la  messe. 

Venaient  d'abord  les  grands  dignitaires  du  chenil,  le  Lan  et  l'ar- 
rière ban  des  bull-dogs  d'Allemagne,  à  la  tête  ronde,  aux  oreilles 
coupées,  au  collier  hérissé  de  pointes  de  fer  ; 

Suivaient  les  grands  lévriers  à  poil  ras,  aux  jambes  nerveuses, 
au  ventre  avalé,  au  museau  de  fouine  ; 

Puis  toutes  les  variétés  de  lévriers  :  à  poil  long  ;  métis  d'épa-  . 
gneuls  ;  charnaigres,  qui  bondissent  ;  harpes,  sans  ventre  ;  lévriers  il 
nobles,  aux  râbles  larges  ;  lévriers  œuvres,  au  palais  noir,  etc  ; 

En  sixième  ordre,  la  députation  des  braques,  grande  gravité 
d'oreilles  ; 

Puis  les  limiers,  puis  les  bassets,  la  terreur  des  blaireaux,  et  qui 
répondent  au  cri  de  :  «  Coule,  coule,  basset  !  » 

Après  se  pressaient  les  chiens  courants  de  race  royale,  ou  | 
chiens  français  ;  fi 

Puis  les  baubis,  bigles,  chiens  trouveurs,  batteurs,  babillants, 
corneaux,  clabauds,  chiens  de  tète  et  d'entreprise  ; 

Enfin,  la  populace  des  chiens. 

Introduits  dans  le  même  ordre  au  centre  de  la  chapelle,  on  les  , 
rangeait  devant  le  tableau  de  saint  Hubert,  et  la  messe  commen-  ; 
çait. 

Piien  n'était  omis  dans  la  liturgie  et,  la  sainte  cérémonie  ter-  ■ 
minée,  l'aumônier  montait  en  chaire  et  prononçait  un  panégyrique 
du  grand  saint  de  la  chasse. 

On  priait  le  ciel  d'éloigner  des  chiens  les  maladies,  les  morsures 
des  serpents,  les  piqûres  des  plantes  vénéneuses,  les  blessures  du 
sanglier,  et  surtout  de  les  préserver  de  la  rage  ' . 

Cette  messe  solennelle  était  celle  de  la  fête  de  saint 
Hubert.  Mais  on  pouvait,  à  d'autres  époques  de  l'année, 

1.  Bulletin  de  la  Société  prolectrice  des  animaux,  t.  X,  1864,  p.  358, 


SAINT  HUBERT  GUÉRISSEUR  DE  LA  RAGE  149 

faire  dire  des  messes  spéciales  pour  les  chiens.  Voici  deux 
passages  des  comptes  de  la  vénerie  du  roi  Charles  VI,  qui 
montrent  que  c'était  chose  ordinaire  au  moyen  âge  : 

A  Robijin  Rafl'on  pour  argent  à  lui  payé  et  baillé  dont  il  a  fait 
chanter  une  messe  pour  lesdits  chiens  limiers  et  lévriers  devant 
saint  Mesmin.  Et  pour  faire  offrende  de  cire  et  d'argents  pour  les- 
dits chiens,  pour  double  de  mal  de  rage,  le  28  de  novembre  1390, 
20  s.  p.  (20  sous  payés). 

Et  l'année  suivante  : 

Au  même...  pour  avoir  mené  tous  lesdits  chiens  estant  audit 
séjour,  en  pèlerinage  à  saint  Memet  et  illec  avoir  fait  chanter  une 
messe  pour  lesdits  chiens,  avances  pour  offrir  chandelles  devant 
ledit  saint,  pour  doubte  de  mal  de  rage,  le  22"  jour  de  mars  1391, 
20s.  p.'. 

La  «  Messe  des  chiens  »  n'est  pas  pour  nous  surprendre, 
lorsqu'en  de  nombreux  endroits  on  célébrait,  le  17  jan- 
vier, la  «  Messe  des  cochons,  »  en  l'honneur  de  saint  An- 
toine. «  On  représente  saint  Antoine  avec  un  cochon,  dit 
Molanus,  pour  que  le  peuple  sache  que  ces  animaux  sont 
préservés  de  tout  mal  par  l'intercession  du  sainte).  Ainsi 
on  invoquait  «  le  grand  saint  Antoine  »  en  châtrant  les 
chevaux,  les  ânes  et  les  porcs.  Le  rite  du  17  janvier  se  pra- 
tiquait à  Rome  même.  Cela  se  passait  à  l'église  de  Saint- 
Antoine-iVbbé  (ancien  chapitre  de  couvent  supprimé),  deve- 
nue, depuis  1873,  succursale  de  Sainte-Marie-Majeure. 
Cette  église  a  été  expropriée  en  1877  par  le  gouverne- 
ment italien  pour  être  démolie.  «  Un  détail  pittoresque  a 
rendu  célèbre  ce  petit  temple.  C'est  là  que,  sous  le  gou- 
vernement papal,  le  17  janvier,  fête  de  saint  Antoine,  on 
conduisait  les  chevaux,  les  ânes,  parfois  les  porcs,  pour 

1.  Textes  cités  dans  Victor   Gay,  Glossaire  archéologique  du  Moyen 
lAge  et  de  la  Renaissance  p.  370  (s.  v.  Chien). 

2.  Molanus,  de  Historia  SS.  imaginum   et  picturarum,  éd.   Paqtiot, 
p.  249. 


150  CHAPITRE  TROISIÈME 

les  faire  bénir.  Un  prêtre^  le  goupillon  à  la  main,  se  tenait 
sur  le  seuil,  et,  d'un  air  doux^  aspergeait  toutes  ces  bêtes 
innocentes  \  » 

Nous  nous  bornons  à  cet  exemple,  parce  qu'il  y  aurait 
trop  à  dire  sur  les  saints  patrons  d'animaux.  M.  l'abbé  Ber- 
trand nous  donne  l'explication  théologique  de  ces  pra- 
tiques :  «  Nous  ferons  observer  que  ce  n'est  pas  abuser  de 
la  prière  que  de  demander  à  Dieu  de  préserver  les  animaux 
de  la  rage,  afin  d'éloigner  aussi  ce  fléau  des  hommes.  11 
n'est  pas  indigne  de  Dieu  de  créer  des  animaux  et  de  les 
conserver  pour  le  service  des  hommes  :  pourquoi  serait-il 
indigne  de  lui  de  les  conserver  en  les  guérissant,  et  de  lui 
attribuer  cesguérisons  et  ces  préservations  merveilleuses? 
Et  si  Dieu  ne  trouve  pas  indigne  de  sa  majesté  de  bénir 
lui-même  les  animaux,  ape)'is  tu  mamun  tuam  et  hnples 
omne  animal  henedictione  (Ps.  CXLIY)  ;  pourquoi  ne  pou- 
vons-nous pas  bénir  en  son  nom  les  aliments  que  nous  leur 
donnons,  aussi  bien  que  ceux  que  nous  prenons  '  ?  » 

On  pourrait  sans  doute  citer  bien  des  exemples  de  messes 
de  Saint-Hubert,  dites  pour  préserver  les  animaux  de  la 
rage.  Deux  suffisent  à  établir  la  popularité  de  l'usage  :  «  A 
Altroff  (dans  une  partie  de  la  Lorraine  aujourd'hui  annexée 
à  l'Allemagne),  le  jour  de  Saint  Hubert,  fête  de  la  pa- 
roisse, les  habitants  font  bénir  l'avoine  dont  ils  donnent  à 
manger  à  leurs  bestiaux  pour  les  préserver  de  la  rage.  Des 
personnes  des  villages  voisins  viennent  y  faire  bénir  du 
pain  qu'elles  ont  soin  de  distribuer  à  tous  les  membres  de 
la  famille  ^  »  —  «  En  Bretagne,  le  jour  de  la  Saint-Hubert, 
après  la  messe,  le  prêtre  bénissait  le  pain  des  veneurs^ 
qui  devait  pendant  l'année  préserver  le  chenil  du  fléau  de 
la  rage  *.  » 

1.  Lettres  d'Italie  du  journal  le  Temps,  n"  du  29  octobre  1877. 

2.  Bertrand,  op.  cit  ,  p.  189. 

3.  A.  Lepage,  dans  \e  Bull,    de  la  Soc.  d'Archéol.  Lorraine,  Nancy»' 
1849.  —  Cité  dans  Rolland,  Faune  populaire,  t.  IV,  p.  80. 

4.  La  Chasse  illustrée  du  16  nov.  1872.  —  Cité  par  Rolland,  ibid. 


SAINT  HUBERT  GUÉRISSEUR  DE  LA  RAGE  151 


L'usage  des  pains  ou  des  gâteaux  bénits  le  3  novembre 
en  l'honneur  de  saint  Hubert,  sorte  de  communion  dont 
les  animaux  ont  leur  part  pour  être  préservés  de  la  rage, 
s'est  conservé  en  Belgique  plus  fidèlement  qu'ailleurs,  à 
la  fois  parce  que  saint  Hubert  est  un  saint  national  et 
parce  que  la  croyante  Belgique  reste  attachée  à  ses  usages. 

Une  coutume  très  répandue  en  Belgique  est  de  manger  le  jour 
de  saint  Hubert  du  pain  bénit,  afin  de  se  préserver  de  la  rage. 

Dans  les  villages  des  Flandres,  du  Brabant  et  de  la  Campine, 
chaque  famille  envoie  à  l'église  un  pain  ou  un  morceau  de  pain 
pour  le  faire  bénir  et  chacun  reste  à  jeun  jusqu'à  ce  que  la  per- 
sonne qui  est  allée  à  la  messe  soit  revenue  avec  le  pain  bénit. 
Alors  on  en  mange  un  petit  morceau  avant  de  déjeuner  et  après  un 
Pater-  et  un  Ave  dits  dévotement.  Les  animaux  en  reçoivent  éga- 
lement une  petite  portion  dans  leur  nourriture,  pour  participer 
ainsi  à  l'influence  salutaire  de  ce  pain. 

Dans  le  pays  de  Limbourg  on  achète,  la  messe  finie,  du  bedeau 
de  l'église,  de  petits  pains  noirs  bénits  que  l'on  appelle  Sint- 
Hiiberts  broodjens  (petits  pains  de  saint  Hubert),  que  l'on  donne 
à  manger  à  tous  les  animaux  domestiques.  Quelquefois  les  per- 
sonnes de  la  maison  en  mangent  aussi. 

Dans  les  villes,  on  achète  ce  jour  à  la  porte  de  l'église  de 
petits  pains  mollets  qui  s'appellent  aussi  Sint-Huberts  brood- 
jens et  qui  se  mangent  à  jeun.  A  Matines,  ces  pains  portent  l'em- 
preinte d'un  cor. 

Dans  les  pays  wallon,  chacun  apporte  un  pain  de  cuisine  à  l'é- 
glise, et  au  moment  que  se  donne  la  bénédiction,  tous  les  bras  se 
lèvent  en  tenant  haut  le  pain.  Puis,  même  pratique  qu'ail- 
leurs ^ 

Des  pratiques  de  ce  genre  se  font  même  dans  le  courant 
de  l'année  (en  dehors  de  la  fête  du  saint),  quand  on  veut 
préserver  ses  animaux  de  la  rage.  «  L'été  dernier,  une  de 
mes  connaissances  est  allée  à  Sainte-Croix  (l'église  de 
Liège)  avec  son  caniche,  on  y  brûlait  de  petits  ronds  sur  les 
têtes  des  chiens.  On  donne  cinquante  centimes,  on  fait  une 

1.  Reinsberg-Dûringsfeld,  t.  II,  p.  255. 


152  CHAPITRE  TROISIEME 

neuvaine  pour  sa  bêle,  puis  on  lui  fait  manger  du  pain 
qu'on  a  fait  bénir  \  »  On  voit  qu'ici  la  marque  au  front  de 
l'animal  avec  un  fer  rouge,  esl  remplacée  par  un  procédé 
moins  douloureux. 

Avant  de  quitter  les  pratiques  chrétiennes,  mentionnons 
ce  fait,  quoi  qu'il  soit  sans  rapport  avec  le  culte  de  saint 
Hubert,  qu'en  Allemagne,  dans  le  Lanenbourg,  pour 
garantir  les  jeunes  chiens  des  puces,  on  leur  suspend  au 
cou  une  croix  faite  en  bois  de  nerprun-. 

§   15.    LE  CULTE  DE  SAINT  HUBERT. 

Comme  on  peut  le  penser,  le  culte  de  saint  Hubert  est 
fort  répandu  en  Belgique.  «  Soixante  et  onze  églises  sont 
dédiées  à  cet  apùtre  des  Ardennes  ;  nombre  de  confréries 
sont  érigées  sous  son  invocation  ;  plusieurs  métiers  l'ho- 
norent comme  leur  patron  \  »  Nous  ignorons  si  un  relevé 
de  ce  genre  a  été  fait  pour  les  pays  voisins  ;  en  tout  cas, 
nous  avons  rencontré  dans  nos  lectures  plus  d'un  témoi- 
gnage de  la  vivacité  du  culte  de  saint  Hubert  dans  le  grand- 
duché  de  Luxembourg  et  dans  TAUemagne  rhénane.  Dans 
le  grand-duché  de  Luxembourg,  à  Hassel,  le  prêtre  bénit 
le  3  novembre  le  sel,  le  pain  et  l'avoine,  qui  préservent  de 
la  rage*.  —  Près  de  Junglinster,  il  y  avait  un  étang,  au- 
jourd'hui desséché,  qu'on  appelle  l'étang  de  Saint-Hubert 
(le  nom  est  resté  à  l'endroit)  ;  on  y  faisait  entrer  les  bes- 
tiaux mordus  et  ils  étaient  guéris  "  ;  —  A  Biirden,  une  cha- 
pelle est  élevée  à  saint  Hubert  parla  reconnaissance  d'une 
personne  sauvée  d'un  chien  enragé  par  l'invocation  de  son 
nom^  —  A  Cologne  et  en  quelques  autres  lieux  du  pays 

\ ,  A.  Hock.  op.  cit.,  p.  145. 

2.  Wuttke,  de  Deutscher  Volksaberglaub',  2'^  éd.,  p.  407. 

3.  Reinsberg-Dûringsfeld,  II,  240. 

4.  Ed.  de  la  Fontaine,  Liixemburger  Sitten  und  Brxuche,  p    78, 

5.  Gredt,  Sagenschatz  des  Liixemburger  Landes,  p.  21. 

6.  Gredt,  p.  504. 


SAINT  HUBERT  GUÉRISSEUR  DE  LA  RAGE  153 


rhénan,  le  jour  de  la  fête  du  saint  on  porte  de  petites  cour- 
roies de  cuir  blanc  moucheté  de  rouge,  et  même  certaines 
personnes  les  portent  (ou  du  moins  les  portaient)  d'une 
façon  permanente,  comme  les  préservant  des  animaux  enra- 
g'és'.Nous  ig-norons  l'histoire  et  la  raison  d'être  de  cet 
usag-e. 

Pour  la  France,  nous  n'avons  de  renseignements  que 
sur  la  Picardie,  grâce  à  un  livre  de  M.  l'abbé  Corblot  : 
((  Saint  Hubert  est  le  titulaire  des  églises  de  Brassy  et  d'Es- 
carbotin.  Chapelle  isolée  à  Vergy  ;  jadis,  à  Canaples.  On 
invoque  saint  Hubert  contre  la  rage  ;  il  est  spécialement 
honoré  dans  les  environs  de  la  forêt  de  Crécy.  La  confrérie 
de  Gamaches,  le  pèlerinage  à  Royaucourt  (ancien  doyenné 
de  Montdidier),  ont  disparu,  ainsi  que  diverses  pratiques 
superstitieuses  ;  mais  il  y  a  toujours  pèlerinage  et  confré- 
rie à  Vron  et  à  Couchy  :  «  Les  confrères,  m'écrit  le  curé 
((  de  cette  dernière  paroisse,  ont  une  très  grande  confiance 
«  en  saint  Hubert,  parce  qu'ils  remarquent  que  le  pays  a 
«  toujours  été  préservé  des  accidents  causés  par  la  rage.  » 
Une  dépendance  de  Sentelie  porte  le  nom  de  Saint-Hubert. 
On  conservait  à  la  cathédrale  (d'Amiens)  un  cornet  de  saint 
Hubert,  et  quelques-unes  de  ses  reliques  aux  Cordeliers  de 
Montdidier^.  »  H  y  a  en  France  plusieurs  localités  du  nom 
de  Saint-Hubert.  — Notons,  au  point  de  vue  de  la  distance 
à  laquelle  a  rayonné  le  culte  de  saint  Hubert,  que,  dans  un 
registre  du  xvi''  siècle,  provenant  de  la  famille  de  Bieune 
et  conservé  dans  l^s  archives  départementales  du  Cantal, 
se  trouve  un  Offlcium  sancti  Huberti.  Il  ne  contient,  du 
reste,  rien  de  caractéristique.  Le  même  registre  contient 
une  liste  de  reliques  en  la  possession  de  cette  famille  et 
elle  se  termine  ainsi  :  «  item  du  pain  saint  Hubert  ». 

La  dévotion  au  saint  est  propagée  et  entretenue  par  de 
nombreux  livres,  placards  et  images  que  le  colportage  ré- 


1.  J.  \V.  Wolf,  B^Urscrje  zvr  deiilschcn  Mijlhokxjie,  t.  I,  p.  146. 

2.  (;iorbIet,  Ikwiociraïjhic  du  diocêsp.  d'AmiPiis,  t.  IV,  p.  319. 


154  CHAPITRE  TROISIEME 

pandait  et  répand  encore  en  quelques  endroits  à  travers  la 
Belgique,  la  France  et  l'Allemag-ne.  Nous  avons  déjà  cité 
plus  haut  les  placards  distribués  par  les  «  quêteurs  »  de 
saint  Hubert  :  de  petits  livres  devaient  aussi  se  trouver  dans 
leur  balle.  M.  Charles  Nisard,  dans  son  Histoire  des  Livres 
populaires,  cite  (t.  II,  pag.  1 53-160)  plusieurs  vies  popu- 
laires de  saint  Hubert  ^  L'imprimerie  Pellerin,  à  Epinal, 
qui  travaille  spécialement  pour  le  colportage,  imprime 
encore  :  La  vie  du  grand  saisit  Hubert^  fondateur  et  patron 
de  la  ville  de  Liège  et  des  Ardennes^  suivie  de  plusieurs  can- 
tiques, 23  pag.  in-18.  Cette  brochure  donne  la  version 
ancienne  de  la  neuvaine  de  saint  Hubert,  caractérisée  par 
la  confession  et  la  communion  neuf  jours  consécutifs,  ce 
qui  montre  que  le  livre  est  réimprimé  par  tradition,  sans 
qu'on  se  préoccupe  de  le  tenir  au  courant,  et  ce  qui  fait 
voir  encore  que  les  relations  entre  la  France  et  le  pèleri- 
nage d'Ardenne  sont  bien  relâchées.  La  même  maison  pu- 
blie également  une  Clef  du  Paradis,  avec  les  révélations 
faites  par  la  bouche  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  à  sainte 
Elisabeth  ,  à  sai)ite  Melchide  et  à  sainte  Brigide  ;  sur  la 
couverture  est  représentée  une  clef  avec  ces  mots  :  «  La 
clef  d'or,  pour  ouvrir  infailliblement  le  ciel.  »  Eh  bien! 
cette  «  clef  »  contient,  à  la  dernière  page,  une  «  oraison 
jaculatoire  à  saint  Hubert,  patron  des  Ardennes.  »  Cette 
oraison  rappelle  Thistoire  de  l'étole  apportée  par  un  ange 
de  la  part  de  la  Vierge  Marie,  et  elle  est  accompagnée  de 
cette  mention  de  l'éditeur  :  «  Ceux  ou  celles  qui  réciteront 
dévotement  cette  oraison,  nul  mal  ne  leur  arrivera,  moyen- 
nant la  grâce  de  Dieu  "".  »  La  même  librairie  Pellerin  pu- 


1.  M.  Nisard  reproduit  une  image  provenant  d'une  de  ces  vies  popu- 
laires de  notre  saint.  On  en  trouvera  une  autre  dans  Champfleury, 
Histoire  de  l'imagei-ie  popuUtire,  p.  xxxix. 

2.  Par  une  citation  de  P.  Parfait,  l'Arsenal  de  la  dévotion,  p.  290, 
nous  voyons  qu'une  oraison  analogue  se  trouve  dans  une  Vie  du  grand 
saint  Hubert   publiée  autrefois   à  Paris    chez    Moronval.    La    formule 


SAINT  HUBERT  GUÉRISSEUR  DE  LA  RAGE  155 

blic  aussi  de  grandes  images  enluminées,  représentant 
saint  Hubert  (le  plus  souvent  c'est  le  miracle  du  cerf),  avec 
un  cantique  en  llionneur  du  saint.  Ces  images,  aux  cou- 
leurs éclatantes,  vont  décorer  les  murs  des  chaumières. 
Les  autres  imageries  populaires  d'Epinal,  de  Metz  et  de 
Wissembourg,,  produisent  aussi  des  images  du  saint.  —  Il 
existe  de  semblables  publications  dans  l'Allemagne  rhé- 
nane :  elles  doivent  être  encore  plus  nombreuses  en  Bel- 
gique \ 

Il  n'entre  pas  dans  notre  plan  de  traiter  l'iconographie 
historique  du  saint.  Le  saint  a  été  souvent  représenté  dans 
l'art  religieux,  et  il  nous  suffira  de  renvoyer  aux  ouvrages 
spéciaux  ^  Le  peintre  français  contemporain  Paul  Bau- 
dry,  a  fait  encore  du  miracle  du  cerf  le  sujet  d'un  tableau 
destiné  au  château  de  Chantilly.  Une  statue  du  saint  mérite 
pourtant  une  mention  particulière.  «  On  voit  au  fort  de  la 
Latte,  à  Plévenon  (département  des  Côtes-du-Nord),  une 
vieille  tour  surmontée  d'un  donjon,  et  à  côté  de  cette  tour 
une  petite  statue  de  saint  Hubert,  au  pied  de  laquelle  se 
rendent  les  chiens  enragés  de  tous  les  points  du  pays,  au 
dire  des  antiques  croyances  du  pays  ^  »  Cette  statue  pro- 
finale est  la  même,  sauf  que  «  moyennant  la  grâce  de  Dieu  »  est  rem- 
placé par:  «  s'il  plaît  à  Dieu  »,  ce  qui  est  aussi  modeste  et  aussi  pru- 
dent. 

1.  Nous  avons  enlre  les  mains  deux  éditions  difïérentes  d'une  vie  po- 
pulaire du  saint,  imprimée  à  Namur  ;  —  un  appel  à  la  prière  pour  re- 
trouver le  corps  de  saint  Hubert  avec  indulgence  et  imprimatur  épis- 
copal  ;  —  une  vie  en  allemand,  imprimée  à  Saint-Vith  (elle  contieni  la 
version  ancienne  de  la  neuvaine).  —  Les  philologues  de  l'avenir  s'amu- 

'  seront  peut-èLre  à  faire  des  études  sur  les  «  familles  »  et  les  «  variantes  » 
de  ces  différentes  vies. 

2.  Voir  notamment  :  Guénebault,  Dictionnaire  d'iconographie  (Coll. 
Migne),  col.  279;  De  Douhet,   Dictionnaire  des  légendes  du  christia- 

''  nisme  (coll.  Migne),  col.  583  ;  Bulletin  monumental,   t.  XX,  p.  183  ; 
<  Corblet,  Hagiographie  du  diocèse  d'Amiens,  t.  IV,  p.  320. 

3.  Ogée,  Dict.  hist.  et  géog.  de  la  province  de  Bretagne.  —  Rensei- 
gnement reproduit  pa.r  A.  Joanne,  dans  son  Itinéraire  de  la  Bretagne  et 

■■  dans  son  Dictionnaire  des  communes,  s,  v.  Plévenon. 


156  CHAPITRE  TROISIE.\Œ 

vient  de  l'ancienne  chapelle  du  château  de  La  Latte,  et 
voici  comment  M.  Ad.  Orain,  fort  versé  dans  les  légendes 
de  ce  pays,  nous  explique  cette  tradition  sur  les  chiens 
enragés  : 

Le  fort  de  La  Latte  se  trouve  sur  une  falaise,  dans  un  lieu  extrê- 
mement désert  au  coin  d'une  grande  lande.  Les  chiens  errants  ou 
égarés  qui  s'engagent  dans  le  cap  Frehel  ne  trouvant  pas  d'issue, 
se  rapprochent  naturellement  des  forts,  les  seules  habitations  de 
cet  endroit.  L'on  a  conclu  de  là  que  les  malheureux  animaux 
étaient  atteints  de  la  rage  et  venaient  demander  à  saint  Hubert  de 
les  guérir. —  Saint  Hubert  et  saint  Eustache,  célèbres  chasseurs, 
sont  en  très  grande  vénération  dans  la  haute  Bretagne,  pays  de 
chasse  par  excellence  ;  mais  je  n'ai  jamais  entendu  dire,  ailleurs 
qu'à  Plévenon,  que  saint  Hubert  fût  invoqué  contre  la  rage. 


§   16.  LES  ORDRES  ET  CONFRÉRIES  DE  SAINT-HUBERT. 

Plusieurs  ordres  de  chevalerie  et  de  nombreuses  «  con- 
fréries »  ou  sociétés  de  chasseurs  se  sont  placés  sous  l'in- 
vocation de  ce  saint,  et  ces  ordres  ne  sont  pas  tous  éteints. 
Récemment,  les  journaux,  en  racontant  les  obsèques  du 
roi  Louis  II  de  Bavière  et  en  décrivant  le  corps  du  mo- 
narque sur  son  lit  de  parade,  disaient  :  «  Il  est  revêtu  du 
riche  costume  espagnol,  noir  avec  garniture  de  dentelles, 
de  chevalier  de  Saint-Hubert.  Il  a  le  collier  de  grand-maître 
de  l'ordre  autour  du  cou.  » 

Cet  ordre,  qui  est  le  premier  du  royaume  de  Bavière,  ne 
se  confère  en  général qu''aux  souverains  etàleurs  parents; 
il  est  la  continuation  d'un  ordre  fondé  en  1444  par  Ger- 
hard V,  duc  de  Juliers  et  Berg,  en  mémoire  d'une  victoire 
remportée  le  jour  de  saint  Hubert  sur  Arnold  d'Egmont^ 


1.  Voir  l'ouvrage  illustré  de  Knussert  sur  les  décorations  bavaroises 
et  un  article  de  Wurdinger  dans  les  Abhand.  der  K.  Bayr .  Akad.  d. 
Wiss.,  m  Cl.,  t.  XV,  2'^  partie.  —  Dans  les  statuts  de  cet  ordre  {Cons- 


SAINT  HUBERT  GUÉRISSEUR  DE  LA  RAGE  157 

—  Un  autre  ordre  de  Saint-Hubert  est  une  association  de 
seigneurs  du  Barrois,  fondée  au  xv"  siècle  par  le  cardinal 
Louis  de  Bar  pour  maintenir  l'ordre  et  la  paix  dans  le 
duché,  et  mise  sous  la  prote^Aion  de  saint  Hubert  ;  et 
à  ce  litre,  ses  membres  avaient  le  privilège  de  chasser 
au  lévrier  la  veille  de  la  Saint-Hubert.  L'ordre  subsista 
jusqu'à  la  Révo![ution  ;  mais,  par  suite  de  la  transformation 
de  la  société,  l'ordre  avait  depuis  longtemps  perdu  son 
rôle  de  gardien  de  la  paix  publique,  et  n'était  plus  qu'une 
association  composée  de  personnes  choisies,  ce  qu'on 
appellerait  aujourd'hui  un  cercle  ou  un  club  ^ 

M.  l'abbé  Bertrand  ",  et  après  lui  M.  Reinsberg-Diirings- 
feld  ^,  parlent,  d'une  façon  peu  claire,  d'ordres  de  Saint- 
Hubert,  qui  sont  sans  doute  ceux  dont  nous  venons  de  résu- 
mer Fhistoire  et  la  destinée. 

Les  sociétés  mondaines  des  chasseurs  qui  s'intitulaient 
«  Confrères  de  saint  Hubert,  »  ont  dû  être  assez  nom- 
breuses. On  en  signale  une,  fondée  à  Louvainen  1701,  et 
dont  les  règlements  sont  une  véritable  constitution  de 
la  chasse  \  Nous  ignorons  s'il  y  en  a  encore:  la  chasse 
est  complètement  laïcisée  ;  cela  n'empêche  pas  que  bien 
des  gens  ne  croient  faire  du  beau  langage  en  appelant  un 
chasseur  «  un  disciple  de  saint  Hubert.  » 

Il  y  eut  aussi  des  confréries  de  Saint-Hubert,  fondées 
dans  une  intention  de  piété  sans  aucun  rapport  avec  la 
chasse.  Ainsi  dans  la  collection  des  estampes  de  la  Biblio- 
thèque Nationale  de  Paris,  se  trouvent  plusieurs  gravures 

fituliones  ordinis  equestris  Divo  Huberto  sacri  ,  denuo  editae  anno 
1800),  le  saint  est  curieusement  appelé  gloriosus  sacrosanctse  Ecclesix 
Mareschallus. 

1.  Voir  Notice  historique  sur  Vordre  de  Saint-Hubert  et  du  duché  de 
Bar  (anonyme),  12  p.  in-8,  Angers  (imp.  P.  Lachèse,  etc.)  18G8. 

2.  Op.  cit., p.  73. 

3.  Op.  cit.,  II,  248. 

4.  Reinsberg-Dùringsreld,  II,  251. 

5.  Livre  des  Confréries,  l.  VIII. 


158  CHAPITRE  TROISIÈME 

qui  paraissent  avoir  été  comme  les  diplômes  d'associations 
de  ce  genre  ^  L'une  rappelle  la  «  feste  et  Confrairie  de 
Saint-Hubert  et  Saint-Eloy.  »  Et  cette  confrérie  se  compose 
«  des  maîtres  Fondeurs  en  terre  et  sable,  Sonnetiers, 
Bonetiers,  Sizeleurs  et  faiseurs  d'instruments  de  mathéma- 
thique  de  la  ville  et  faubourg  de  Paris,  érigée  en  l'Église 
Saint-Julien  des  Ménétriers,  Riie  Saint-Martin,  en  1445.  » 
La  gravure,,  faite  en  1699,  «  du  denier  de  la  communauté,  » 
représente  d'un  côté  saint  Hubert  devant  le  cerf  et  de 
l'autre  saint  Eloi,  le  marteau  à  la  main.  Une  autre  gravure 
provient  de  «  la  Confrairie  de  saint  Hubert,  évêque  et  con- 
fesseur, érigée  en  sa  chapelle  fondée  en  l'église  paroissiale 
de  Saint-Rocb,  1723.  » 


CHAPITRE    QUATUIEMË 


LA  CAUTÉRISATION  SACRÉE 


CHAPITRE  QUATRIÈME 


LA  CAUTERISATION   SACREE. 


On  ignore  à  quelle  époque  la  cautérisation  au  fer  rouge 
a  été  appliquée  aux  morsures  faites  par  les  animaux  enra- 
gés. Les  médecins  de  l'antiquité  classique  n'en  parlent 
point  parmi  les  remèdes  de  la  rage  et,  pour  notre  compte, 
nous  ignorons  ce  que  disent  les  médecins  arabes.  C'est 
pendant  le  moyen  âge  que  ce  procédé  fait  son  apparition, 
non  pas  que  la  cautérisation  soit  employée  comme  un  re- 
mède par  elle-même  ;  elle  apparaît  mélangée  à  la  religion 
dans  l'emploi  de  fers  sacrés,  le  plus  souvent  des  clefs, 
dont  on  attribuait  la  vertu  à  un  saint  ou  à  une  autre  inter- 
vention surnaturelle.  Sans  doute,  à  l'origine,  on  appliquait 
à  la  blessure  même  le  fer  rougi  au  feu  ;  puis,  comme  on  ne 
se  rendait  pas  compte  généralement  de  la  vertu  naturelle 
du  fer  rouge,  on  se  contenta  de  marquer  une  autre  partie 
du  corps,  surtout  le  front  ;  enfin,  on  se  contenta  de  toucher 
avec  le  fer  sacré  non  chauffé.  Les  médecins  intelligents  ne 
se  trompaient  pas  en  distinguant  dans  ce  traitement  l'élé- 
ment naturel  et  l'élément  surnaturel.  Dans  les  premières 
années  du  xv!!*"  siècle,  un  médecin  allemand.  Go  Horst,  dit 
expressément  :  «  C'est  une  superstition  de  croire  que  la  gué- 
rison  vienne  de  la  vertu  de  la  clef;  elle  vient  de  la  cautéri- 
sation \  » 

1.  G.  HorsLii  Centw'ia  prohlematum  medicorum,  Wittabergoe.  1610, 
p.  306.  —Le  chapitre  est  intitulé  :«  An  morsus  canis  rabidi  Templo  Divo 

LA   R.\GE_  11 


162  CHAPITRE  QUATRIEME 

Quelques  années  plus  tard,  un  médecin  italien,  Joseph 
d'Aromatarii,  exprima  une  opinion  analog-ue  ^ 


L'instrument  de  la  cautérisation  est  le  plus  souvent  une 
clef,  et  comme  saint  Pierre  est  par  excellence  le  saint  à  la 
clef,  ce  sont  des  clefs  de  saint  Pierre  que  nous  trouverons 
en  maint  endroit  et,  en  plusieurs  même  ,  la  tradition  les 
met  en  rapport  avec  les  clefs  orig-inaires  de  Rome^  dont  il 
a  été  question  plus  haut. 

Le  petit  villag-e  de  Saint-Pé  (c'est-à-dire  de  Saint-Pierre), 
dans  les  Hautes-Pyrénées,  contient  une  clef  en  fer  forgé, 
autrefois  vénérée  dans  l'église  abbatiale  des  Bénédictins  de 
Saint-Pé-de-Générès  et^  suivant  la  tradition,  forgée  avec 
un  des  anneaux  de  la  chaîne  de  saint  Pierre.  On  prétend 
même  qu'elle  aurait  été  apportée  de  Rome  :  elle  est  d'un 
travail  grossier.  ((  Cette  clef  possédait  autrefois  de  grandes 
vertus  curatives,  reconnues  par  toutes  les  populations  de  la 
plaine  et  de  la  montagne,  à  trente  lieues  au  moins  autour 
de  Tabbaye.  De  nos  jours,  la  ferveur  des  pèlerins  est  bien 
moindre  ;  cependant,  le  jour  de  la  fête  patronale,  la  clef 
est  portée  processionnellement  par  les  rues  de  la  ville,  et 
elle  reste  exposée  pendant  plusieurs  jours  à  la  vénération 


Dononi,  vel  Sacello  Divi  Bellini  sanetur?  »  — II  sera  question  plas  loin 
de  l'église  de  Saint-Bellin  :  nous  ignorons  ce  que  peut  être  le  «  Templum 
Divo  Dononi  «  signalé  ici.  C'est  sans  doute  une  faute  d'impression,  car 
dans  le  Traité  de  la  canonisation  des  saints  par  le  pape  Benoît  XIV 
(Pr.  de  Lambertinis),  il  est  appelé  «  Templum  Divi  Domnini  »  (Ed.  de 
Bologne,  1738,  t.  IV,  p.  171).  —  Peut-être  est-ce  Borgo  San  Donnino 
(ainsi  nommé  de  saint  Domnin),  entre  Plaisance  et  Parme. 

1.  Aromalarius,  Bisputatio  de  rabie  contagiosa,  Venetias,  1625,  p.  85. 
Quae  dico,  quamvis  naturalia  sint ,  causamque  manifestam  habeant,  eo 
evadunt  meliora,  quo  Christianoe  pietati  sunt  proximiora.  —  D'Aroma- 
tarii dit  cela  à  propos  de  la  cautérisation  avec  les  clefs  de  Saint-Bellin,  et 
des  bains  de  mer  près  d'une  église  de  Saint-Hubert  en  France  que  nous 
n'avons  pas  retrouvée  :  "  sic  etiam  in  Gallia  apud  D.  Huberti  Templum 
juxta  mare  positum,  commorsi  mare  ingrediuntur  et  in  ipso  ambulant.  » 


L  LA  CAUTÉRISATION  SACRÉE  163 

des  fidèles.  Les  Béarnais  sont  plus  dévots  à  cette  relique 
que  leurs  voisins  du  Bigorre  ',   » 

C'est  de  l'hydrophobie  que  cette  clef  guérissait  hommes 
et  animaux,  et  un  grand  tableau  oiïert  en  ex-voto  à  la  fin 
du  xvn^  siècle  est  encore  suspendu  dans  l'ég-lise.  Le  tableau 
est  d'un  peintre  de  Toulouse,  F.  Fayet.  Les  personnag-es 
sont  de  g-randeur  naturelle.  Dans  la  scène  principale, 
Jésus-Christ  remet  à  saint  Pierre  la  clef  du  Paradis  ;  dans 
une  autre,  sur  la  droite  et  dans  une  demi-teinte,  un  moine 
bénédictin,  revêtu  d'une  étole  rouge,  présente  la  clef  au 
marquis  d'Angone  et  à  sa  femme  ;  près  d'eux  sont  age- 
nouillés les  deux  fils  du  marquis,  qui  avaient  été  guéris 
par  l'emploi  de  la  clef  ;  le  chien  de  la  maison,  qui  fut 
sauvé  avec  eux,  figure  aussi  près  d'eux.  On  ne  nous  dit 
pas  ici  le  mode  employé  pour  l'apposition  de  la  clef. 

Dans  deux  communes  du  diocèse  de  Montauban,  à 
La  Chapelle  et  à  Esparsac,  deux  clefs  de  saint  Pierre  ont 
été  signalées.  A  La  Chapelle,  la  clef  a  dispuru.  D'après  la 
tradition,  on  en  touchait  le  front  des  personnes  mordues, 
et  pendant  ce  temps  elles  priaient  ou  l'on  priait  pour  elles. 
Pour  les  animaux,  on  la  leur  mettait  sur  la  tête  et  on  réci- 
tait des  prières  en  l'honneur  de  saint  Pierre.  C'est  dans  les 
pillages  de  la  Révolution  Française  que  la  clef  a  disparu, 
mais  le  souvenir  en  est  resté  dans  le  pays,  car  le  curé  de 
La  Chapelle,  en  donnant  ces  détails  à  Mgr  Barbier  de  Mon- 
tault,  ajoutait  :  «  Depuis  que  je  suis  à  La  Chapelle,  deux 
jeunes  gens  sont  venus  me  demander  à  toucher  la  clef 
mystérieuse,  mais  inutilement,  car  nous  ne  l'avons  plus  -.  » 
A  Esparsac,  les  clefs  de  saint  Pierre  sont  conservées, 
3ar  il  y  en  a  deux,  l'une  pour  les  hommes,  l'autre  pour  les 
mimaux.  L'opération  est  différente  aussi  dans  les  deux 
ùas  : 

1.  A.  Dauvergne,  dans  la  Revue  des  sociétés  savantes,  3°  sér.,  t.  I, 
,1863),  p.  170-n2. 

2.  Bull.  arch.  ethist.  de  la  Soc.  Archéol.  de  Tarn-et'Garonne,t.Wl, 
).  55. 


1C4  CHAPITRE  QUATRIÈME 

Lorsqu'une  personne  est  mordue  par  un  chien  enragé  ou  consi- 
déré comme  tel,  disait  le  curé  de  l'endroit,  cette  personne  se  pré- 
sente à  l'église;  je  prends  mon  surplis  et  l'étole  violette,  je  faisj 
allumer  deux  cierges  sur  l'autel  de  saint  Pierre,  je  prends  la  sus- 
dite clef  et  la  dépose  sur  la  morsure,  ou  Tendroit  du  corps  visible!' 
le  plus  rapproché  de  la  plaie,  et  je  dis  l'oraison  de  la  messe  de 
saint  Pierre,  et  l'oraison  ad  sanitatem  recuperandam.  Dans  mes 
quarante -quatre  ans  de  ministère,  j'ai  eu  bien  des  fois  l'occasion 
de  faire  la  cérémonie  de  la  clef  :  les  résultats  ont  toujours  été  très 
heureux;  le  calme  qui  a  suivi  a  chassé  la  crainte,  et,  sans  autres 
remèdes,  les  morsures  n'ont  pas  eu  de  suites  fâcheuses. 

Le  patron  de  la  paroisse  est  saint  Pierre.  Nous  avons  pour  les 
animaux  mordus  une  seconde  clef  déposée  entre  les  mains  du 
carillonneur.  La  cérémonie  est  toute  autre,  car,  sans  prière 
aucune,  cet  homme  fait  chauffer  à  blanc  la  dite  clef  et  l'applique, 
non  sur  la  plaie,  mais  sur  la  têle  de  l'animal,  prétendant  que  la 
vive  sensation  éprouvée  fait  disparaître  le  virus.  Nos  paysans 
assurent  que  les  animaux  qui  ont  subi  cette  opération  ne  deviennent 
jamais  hydrophobes  *. 

A  Saint-Pierre-de-Roye,  en  Picardie,  «  les  villag-eois  des 
environs  faisaient  souvent  marquer  leurs  chiens  des  clefs 
de  saint  Pierre.  »  M.  l'abbé  Corblet  ^,  qui  signale  le  fait, 
n'indique  pas  la  façon  d'opérer. 

A  Lodi-Vecchio  (Yieux-Lodi),  en  Italie,  se  trouve  une 
clef  de  saint  Pierre  (elle  est  en  fer  et  longue  de  trois  centi- 
mètres), faite,  dit  une  légende,  «  sur  un  modèle  apporté 
du  ciel  par  un  ange.  »  Elle  a  la  vertu  de  guérir  les  démo- 
niaques et  les  enragés  et^  toujours  d'après  la  légende,  «  la 
révélation  de  ce  double  prodige  aurait  été  faite  par  le 
démon,  à  l'occasion  d'un  exorcisme.  «Il  y  a  encore  d'autres 
légendes  sur  son  origine.  «  En  1699,  le  curé  de  Lodi- 
Yecchio  écrivait  que  la  clef  de  saint  Pierre  était  toujours  en 
vénération,  qu'on  l'exposait  deux  fois  l'an,  qu'elle  guéris- 

1.  Mgr  Barbier  de   MonlaulL,  dans  le  Bull.  etc.  de  la  Soc.  Arch. 
Tarn-et-Garonne,  p.  56.  —  Une  planche  donne  la  j^ravure  de  ces  clefs 
qui  n'ont  rien  de  particulier. 

2.  Hagiographie  du  diocèse  d'Amiens,  t.  IV,  p.  565, 


i 


LA  CAUTÉRISATION  SACRÉE  165 

sait  presque  infailliblement  de  la  morsure  des  chiens  et 
des  serpents,  et  qu'on  l'appliquait  en  faisant  le  signe  de  la 
croix  :  quant  à  la  provenance,  il  l'ignorait  presque,  ou  du 
moins  y  croyait  peu  \ 

En  France,  à  Lacour-Saint-Pierre  (Tarn-et-Garonne),  on 
trouve  la  clef  employée  pour  les  animaux  par  cautérisation, 
tandis  qu'un  autre  rite  est  employé  pour  les  hommes.  Le 
nom  de  la  commune  indique  que  la  paroisse  est  sous  l'in- 
vocation de  saint  Pierre,  et  c'est  une  monstrance  ^  où  saint 
Pierre  est  figuré  en  relief^  sa  clef  dans  la  main  droite,  que 
vont  baiser  les  fidèles  mordus.  Il  y  a  pour  cela  un  cérémo- 
nial particulier,  avec  des  oraisons  pour  la  rage,  et  Mgr  Bar- 
bier de  Montault  a  donné  le  texte  liturgique  de  ce  cérémo- 
nial.  Après  avoir  dit  les  Oratïoiies  pro  rabie,  le  prêtre  pose 
sur  la  tête  du  malade  l'extrémité  de  son  étole:  il  récite 
l'évangile  de  saint  Marc  oii  pouvoir  est  donné  aux  apôtres 
de  guérir.  Puis  il  fait  baiser  au  fidèle  la  croix  de  son 
élole  et  la  monstrance,  invoquant  sur  lui  la  protection  de 
saint  Pierre  ;  enfin  il  l'exhorte  à  déposer  une  aumône  dans 
le  tronc  du  Saint-Sacrement.  L'  «  Ordinaire  consent»  [Ordi- 
dinarii pariterqueinlicentia),  dit  le  texte  \ 

1.  Mgr  Barbier  de  Montault,  loc.  cit.,  p.  91,  et  Bollandistes,  Acta, 
juin,  t.  V,  p.  455.  —  Les  Bollandistes  et,  après  eux,  Mgr  Barbier  de 
Montault,  citent  une  clef  de  saint  Pierre  dans  l'église  de  Saint-Servais  à 
Maëstricht,  clef  qui  aurait  été  donnée  à  saint  Servais  par  saint  Pierre 
lui-même;  sa  vertu  consistait  à  chasser  les  mulots  des  champs.  On  cite 
encore,  mais  sans  citer  la  localité,  une  clef  de  saint  Pierre  qui  servait  à 
'-uérirles  brebis  malades. 

2.  On  donne  ce  nom  à  un  reliquaire  que  sa  forme  permet  de  tenir  à  la 
nain  (de  montrer)  et  de  faire  baiser  aux  fidèles. 

3.  Loc.  cit.,  p,  47. 

4.  Malgré  ce  consentement  de  l'Ordinaire  (c'est-à-dire  de  l'autorité  diocé- 
saine), Mgr  Barbier  de  Montault  critique  ce  cérémonial.  Et  après  des 
jbservations  d'ordre  technique ,  il  ajoute  ;  «  L'exhortation  à  donner 
le  l'argent  est  de  trop.  Il  semble  qu'on  ne  puisse  mettre  les  pieds  à  l'é- 
jlise  et  demander  un  secours  spirituel  qu'en  payant,  c'est  un  abus.  Si  le 
idèle  offre  spontanément,  qu'on  accepte,  mais  qu'on  ne  prenne  pas  les 
levants.  —  Pourquoi   mettre  cette   aumône  spéciale  dans  le  tronc   du 


166  CHAPITRE  QUATRIÈME 

C'est  à  cela  que  se  borne  le  rite  curatif  aujourd'hui.  Nous 
disons  aujourd'hui^  parce  qu'autrefois,  le  forgeron  du  vil- 
lage, carillonneur  de  l'église,  posait  une  clef  rougie  sur  la 
blessure;  «  mais  cela  ne  se  pratique  plus  ».  Cette  désuétude 
est  caractéristique,  et  montre  bien  l'association  et  le  déve- 
loppement des  idées.  Un  procédé  curatif  d'ordre  naturel  est 
associé  à  une  pratique  hiératique  qui  évoque  une  puissance 
ou  une  vertu  surnaturelle;  on  attribue  la  guérison  à  l'élé- 
ment surnaturel,  et  on  réduit  peu  à  peu  le  traitement 
à  sa  partie  hiératique  et  surnaturelle. 

Aujourd'hui,  à  Lacour-Saint-Pierre,  on  n'applique  plus 
la  clef  rougie  au  feu  qu'aux  animaux  mordus  et  c'est, 
paraît-il,  le  forgeron  qui  détient  la  clef.  Mais  «  le  forgeron 
actuel  montre  si  peu  d'enthousiasme  pour  son  utile  fonc- 
tion (écrivait-on  à  Mgr  Barbier  de  Montault),  qu'il  parlait; 
même  de  ne  plus  la  continuer  ». 

L'emploi  de  clefs  dans  les  cas  de  ce  genre  est  probable-! 
ment  fort  ancien,  car  il  en  est  fait  mention  dans  le  livre  de', 
Grégoire  de  Tours  sur  les  miracles  de  saint  Martin  (III,  33). 
Au  pays  de  Bordeaux,  les  chevaux  étaient  attaqués  d'une! 
grave  maladie.  On  se  rendit  à  un  oratoire  de  Saint-Martin, 
faisant  des  vœux  pour  demander  leur  guérison  et  offrant' 
au  saint  la  dîme  de  ceux  qui  échapperaient  au  mal.  On 
s'avisa  alors  de  marquer  tous  les  chevaux  avec  la  clef  de 
l'oratoire.  Ceux  qui  furent  marqués  n'eurent  point  de  mal  ouj 
bien  guérirent. 

On  ne  manqua  pas  de  raisons  pour  expliquer  l'invoca- 
tion à  saint  Pierre  et  l'emploi  de  sa  clef  pour  la  guérison 
de  la  rage.  Mgr  Barbier  de  Montault  en  donne  trois  \  La 

Saint-Sacrement  ?  Ce  sont  deux  dévotions  différentes,  qui  ne  doivent 
pas  être  confondues.  Il  serait  donc  mieux  d'avoir  un  tronc  particulier 
pour  saint  Pierre,  et  l'argent  qu'on  en  retirerait  serait  affecté,  en  raison 
de  la  piété  des  donateurs,  à  l'entretien  de  l'autel  du  patron,  de  son 
luminaire  ou  encore  à  la  solennisation  de  sa  fête  :  telle  est  la  tradition 
romaine.  «  Loc.  cit.,  p.  48. 
1.  Lac.  cit.,  p.  49.  Sur  le  pouvoir  des  clefs  de  saint  Pierre,  voir  auss 


LA  CAUTÉRISATION  SACRÉE  167 

première  est  historique.  D'après  la  Légende  Dorée  ,  Simon 
le  magicien  avait  dressé  un  gros  chien  pour  harceler  et 
mordre  saint  Pierre  :  celui-ci  s'en  débarrassa  par  le  signe 
de  la  croix.  La  seconde  est  traditionnelle  :  c'est  l'envoi,  par 
le  pape,  de  clefs  provenant  de  la  confession  de  Saint-Pierre, 
et  ces  clefs  étaient  reg-ardées  comme  de  véritables  reliques. 
La  troisième  raison  est  symbolique  :  la  clef  représente  le 
pouvoir  absolu,  car  elle  a  été  remise  à  saint  Pierre  par 
Jésus-Christ  «  pour  lier  et  délier  ». 

Les  théolog-iens  n'ont  pas  tous  approuvé  ces  pratiques  ; 
elles  n'en  sont  pas  moins  restées  d'un  usage  assez  fréquent 
jusqu'à  notre  temps.  Voici  en  quels  termes  s^exprime 
Jacques  de  Saintebeuve  :  ses  paroles  montrent  qu'on  tou- 
chait bien  d'ordinaire  avec  un  fer  chaud.  C'est  par  atténua- 
tion —  et  toujours  dans  l'opinion  que  la  g-uérison  venait 
non  du  fer  chaud,  mais  du  rite  —  qu'on  a  remplacé  la 
marque  douloureuse  par  un  simple  attouchement. 

Il  y  a  de  la  superstition  d'amener  des  hommes  et  des  femmes 
dans  l'Église,  ou  des  bestiaux  à  la  porte  de  l'Église,  pour  les  faire 
toucher  par  le  Prêtre  avec  un  fer  chaud  pour  la  rage  :  car  cet 
attouchement  n'a  aucune  vertu  naturelle  ni  surnaturelle  pour  pro- 
duire l'effet  qu'on  en  attend.  Cela  se  pratique  dans  Avignon,  à  la 
vûë  du  Prélat  :  cela  se  pratique  aussi  en  France  en  beaucoup 
d'endroits,  et  on  ne  l'empêche  pas,  non  qu'on  estime  que  cela  ait 
une  vertu  infaillible,  mais  parce  que  l'on  considère  la  chose  comme 
un  acte  de  religion,  par  lequel  on  se  met  sous  la  protection  de 
saint  Pierre  (on  appelle  ce  fer  chaud  la  clef  de  saint  Pierre) 
duquel  on  espère  l'intercession  pour  être  préservé  de  la  rage. 

Et  après  avoir  cité  l'opinion  de  Cajetan  sur  les  pratiques 
de  ce  genre,  de  Saintebeuve  conclut  : 

Cela  est  en  pratique  dans  plusieurs  endroits,  on  ne  peut  Texcu- 
ser  en  soy  d'une  superstition  superflue,  quoiqu'on  puisse  peut- 
être  excuser  de  péché  ceux  qui  le  pratiquent  pour  les  raisons  cy- 

Guénebault,  Dictionnaire  iconographique  (Paris,  1843),  t.  II,  s.  v. 
Pouvoir  des  clefs. 


168  CHAPITRE    QUATRIEME 

dessus  exprimées.  Tout  considéré,  j'estime  qne  c'est  une  chose  à 
abroger  avec  prudence  par  les  Prêtres  et  par  les  Prélats,  à  cause 
que  la  chose  a  tout  l'air  de  superstition  ^ 

On  peut  penser  que  le  curé  Thiers  trouve  aussi  le  remède 
'<  superstitieux  »\  mais  il  est  intéressant  qu'il  cite  des 
«  Instructions  synodales  du  diocèse  de  Grenoble  /)  comme 
condamnant  l'usage  : 

«  Les  curés  auront  soin  d'abolir  la  coutume  profane  et 
superstitieuse  de  faire  appliquer  par  les  prêtres  les  clefs  de 
l'église,  ou  autres  clefs,  pour  guérir  les  chiens  qui  sont 
enragés  ou  pour  empêcher  qu'ils  ne  le  deviennent ,  surtout 
dans  les  paroisses  dédiées  sous  l'invocation  de  saint 
Pierre".  » 

Ces  rites  se  mêlaient  souvent  d'autres  pratiques  ;  celles-ci 
par  exemple,  que  rapporte  le  curé  Thiers  (t.  II,  l.IV,ch.  u), 
se  rattachent  au  culte  si  ancien  et  si  général  des  fontaines  : 

Ceux  qui  mènent  leur  chiens  malades  de  la  rage  aux  Eglises  ou 
Chapelles  de  Saint-Pierre,  de  Saint-Hubert  ou  de  Saint-Denys, 
les  plongent  dans  les  puits  ou  fontaines  voisines,  ou  leur  jettent  de 
l'eau  sur  le  corps,  ensuite  de  quoi  ils  leur  font  appliquer  à  la  tète 
les  Clefs  de  ces  églises  ou  chapelles,  ou  un  fer  chaud,  et  leur  font 
dire  des  Evangiles,  leur  faisant  mettre  le  bout  de  l'étole  sur 
la  tête  ;  ce  qui  est  une  Superstition  profane,  une  vaine  observance, 
un  faux  culte. 

Il  y  a  des  lieux  à  la  vérité  où  l'on  ne  dit  pas  des  évangiles  sur 
la  tête  des  chiens,  mais  sur  Ja  tête  de  ceux  qui  les  mènent,  en 
vue  néanmoins  de  la  guérison  des  chiens  ;  et,  en  cela,  il  y  a  moins 
de  Superstition,  mais  il  y  en  a  toujours,  parce  que  cet  usage  n'est 
pas  autorisé  de  l'Eglise,  et  que  l'application  de  ces  clefs,  ou  de  ce 
fer  chaud,  n'a  aucune  vertu  ni  naturelle,  ni  surnaturelle  pour  pro- 
duire les  effets  que  l'on  espère. 


1.  Jacques   de  Saiatebeuve,   Résol.   de   plusieurs  cas  de  conscience,    \ 
t.  II,  p.  49.  ;    ,  I 

2.  Thiers,  Traité  des  superstitions,  t.  I,  liv.  V,  ch.  m  et  t.  II,  liv.  IV, 
ch.  IX. 


LA  CAUTÉRISATION  SACRÉE  169 

Le  rite  de  la  clef  a  aussi  été  employé  bien  des  fois  sans  le 
nom  de  saint  Pierre.  Nous  pouvons  citer  : 

En  Wurtemberg,  à  Westhausen  en  Souabe,  on  conservait 
autrefois  un  fer  à  marquer  ,  long'  d'un  empan,  sur  lequel 
était  gravée  la  forme  d'une  croix.  Un  chevalier  du  nom  de 
Ruprecht  l'aurait  rapporté  de  Terre-Sainte.  On  le  faisait 
rougir  et  on  marquait  les  animaux  au  front  ^ 

La  clef  de  l'église  oii  est  enterré  Bellin,  évêque  de 
Padoue,  à  quinze  milles  de  Rovigo  ;  on  la  faisait  chauffera 

La  clef  du  tabernacle,  à  l'église  de  Gandoulës,  au  dio- 
cèse de  Montauban  :  Le  patron  de  cette  paroisse  est  saint 
Pierre.  On  «  signe  »  les  hommes  avec  cette  clef  qu'on  a 
fait  légèrement  chauffer.  Quant  aux  bestiaux,  on  les  marque 
au  front  avec  une  clef  qu'on  a  fait  préalablement  rougir. 
Mgr  Barbier  de  Montault  remarque  très  justement  à  cet 
égard  : 

Pourquoi  s'est-on  servi  de  la  clef  du  tabernacle,  qui  est  néces- 
sairement très  petite,  au  lieu  de  celle  de  la  porte  de  TEgUse  ?  Je 
n'en  vois  qu'une  raison,  à  savoir  qu'un  curé  a  bien  pu  persuader 
à  ses  paroissiens  qu'il  était  aussi  avantageux  et  plus  commode  de 
se  faire  traiter  chez  soi,  sans  être  obligé  d'aller  au  loin  demander 
le  secours  de  saint  Pierre  ou  de  saint  Hubert.  Puis  il  a  dû  ajouter 
mystiquement  :  Si  vous  avez  confiance  dans  la  vertu  des  clefs 
des  saints,  comment  n'en  auriez -vous  pas  à  fortiori  dans  la 
clef  qui  clôt  le  lieu  ou  réside,  dans  nos  églises,  le  saint  des 
saints ' ? 

Voici,  pour  finir,  un  exemple  qui  rentre  dans  la  catégorie 
des  fers  sacrés.  Au  début  de  ce  siècle,  un  voyageur  suisse 
rencontre  en  Toscane,  à  Costanco,  une  femme  qui  vient 
y  faire  soigner  ses  enfants  mordus.  «  Elle  me  dit  que 
l'on  gardait  dans  cette  ville  un  clou  de  la  vraie  croix,  dont 
l'attouchement  sur  les  blessures  de  la  rage  en   prévenait 

1.  Birlinger,  Aus  Schvxiben  ;  neue  Sammlung,  t.  I,  p.  106. 

2.  Voir  plus  haut,  p.  162,  n. 

3.  Loc,  cit.,  p.  128. 


170  CHAPITRE  QUATRIÈME 

l'effet.  Je  ne  pus  m'empêcher  de  lui  montrer  quelque  doute 
sur  cette  efficacité  ;  elle  m'assura  que  de  temps  immémorial 
ce  remède  était  pratiqué  en  Toscane.  Je  me  permis  de  lui 
apprendre  que  la  cautérisation  était  regardée  comme  un 
remède  plus  sûr  encore;  mais  elle  ajouta  alors  qu'avant 
d'appliquer  la  sainte  relique  sur  les  blessures,  on  la  chauf- 
fait jusqu'au  rouge.  Je  n'eus  plus  rien  à  répliquer  et  je  me 
rassurai  sur  le  sort  de  ces  enfants*.  » 

\.   Lullin  de  Châteauvieux ,    Lettres  écrites  d'Italie  en  1812  et  13, 
2e  éd.,  p.  127. 


CHAPITRE  CINQUIEME 

AUTRES   SAINTS  ANTI-RABIQUES 


CHAPITRE  CINQUIÈME 


AUTRES     SAINTS    ANTl-RABI  QUES 


Saint  Hubert  et  saint  Pierre  n'ont  pas  seuls  le  privilège 
de  g-uérir  de  la  rage.  D'autres  saints  ont  également  ce  pou- 
voir. Notre  liste  sera  peut-être  incomplète  :  nous  donnons 
ceux  que  nous  avons  rencontrés  dans  nos  lectures. 

Un  saint  Hubert,  moine  à  Bretigny,  au  diocèse  de  Sois- 
sons,  et  mort  vers  l'an  712,  était  invoqué  contre  la  rage  à 
Bretigny  même,  probablement  par  confusion  avec  son 
homonyme  des  Ardennes*.  L'abbaye  était  déjà  en  ruine 
au  temps  de  Mabillon.  A  quelque  distance  de  l'église,  qui 
est  encore  debout,  se  trouve  une  «  fontaine  de  Saint- 
Hubert  »  à  laquelle  on  attribue  la  vertu  de  guérir  de  la 
rage,  de  la  fièvre,  etc.  Le  pèlerinage  aux  reliques  du  saint 
conservées  dans  Téglise,  amène  tous  les  ans  environ  deux 
mille  personnes  pendant  la  neuvaine  ^ 

On  a  vu  saint  Denis  figurer  plus  haut  dans  une  citation 
du  curé  Thiers  :  celui-ci,  qui  habitait  le  pays  Chartrain, 
pensait  peut-être  à  Champhol.  En  effet,  sur  cette  localité  , 
qui  est  aujourd'hui  du  département  d'Eure-et-Loir,  M.  S. 

1.  P.  Guérin,  Petits  Bollandistes,  VI,  313. 

2.  Bollandistes,  Acta  SS.  Mai,  t.  Vil,  p.  271. 

La  piélé  a  plus  tard,  comme  il  arrive  souvent,  créé  une  légende  pour 
régulariser  en  quelque  sorte  cet  attribut  du  saint  Hubert  de  Bretigny.  11 
est  à  son  lit  de  mort  et  recommande  son  âme  à  Dieu.  En  même  temps 
«  il  le  conjurait  de  protéger  les  religieux,  de  préserver  Bretigny  et  ses 
environs  des  bêtes  méchantes,  de  la  grêle,  de  la  foudre,  des  illusions  de 


174  '        CHAPITRE  CINQUIÈME 

Morin  nous  donne  les  détails  suivants  :  «  Saint  Denis 
guérit  de  la  rage.  Le  saint  qui  est  le  patron  de  la  paroisse, 
est  représenté  sur  un  vitrail,  à  gauche  du  maître-autel;  il 
tient  sa  tête  dans  ses  mains^  suivant  la  tradition.  On  y 
amène  les  personnes  qu'on  dit  atteintes  de  la  rage;  on 
leur  fait  dire  un  évangile,  et  Ton  fait  bénir  un  pain  dont 
elles  mangent  pendant  neuf  jours  ^  » 

Au  siècle  dernier,  on  allait  auval  d'Ajol,  prèsPlombières, 
invoquer  saint  Benoit  pour  toutes  sortes  de  maladies,  y 
compris  la  rage  ^  —  «  A  Saint-Mammès  (Seine-et-Marne), 
il  y  avait  autrefois  une  chapelle  prieurale  ,  sous  l'invoca- 
tion de  saint  Mammès  et  de  saint  Julien,  où  l'on  venait  en 
pèlerinage  pour  se  guérir  de  la  rage.  Les  chiens,  assurait- 
on,  s'y  rendaient  d'eux-mêmes,  y  faisaient  trois  tours,  s'as- 
soupissaient quelques  instants,  puis  se  réveillaient  guéris^  » 
Il  est  probable  que  les  chiens  savaient  qu'il  y  avait  là  une 
fontaine.  Un  fait  d'ordre  naturel  (comme  au  Fort  de  la  Latte) 
a  été  mal  interprété  et  pris  pour  une  sorte  de  miracle. 

Saint  Marconi  guérit  un  jeune  homme  mordu  par  un 
loup  enragé,  en  faisant  sur  lui  le  signe  de  la  croix \  —  Saint 
Othon  de  Bamberg  est  invoqué  contre  la  morsure  des 
chiens  enragée,  et  l'on  boit  en  son  nom  du  vin  contre  ce 
péril'.  —  Saint  IJlric,  évêque  d'Augsbourg,  est  aussi  in- 


Salan,  et  de  guérir  du  mal  caduc  et  de  la  rage  tous  ceux  qui,  en  étant 
atteints,  se  rendraient  à  Brétigny  pour  en  être  soulagés.  «  Accordez- 
moi  enfin,  disait-il  à  Dieu,  ce  que  vous  avez  accordé  à  mon  patron 
(saint  Hubert  des  Ardennes),  que  ceux  qui  imploreront  le  patronage 
de  mon  nom,  soient  aussitôt  et  partout  guéris  de  la  rage.  ■>■'  P.  Gué- 
rin,  Petits  Bollanrlistes,  t.  VI,  p.  312.  Hubert  de  Brétigny,  qui  serait 
mort  en  712  ou  713,  aurait  eu  pour  patron  Hubert  de  Liège,  mort  en 
7271 

1.  A.. -S.  Morin,  Le  Prêtre  et  le  Sorcier,  p.  260. 

2.  Communication  de  M,  L.  Sauvé. 

3.  A,  Fourtier,  Les  Dictons  de  Seine-et-Marne,  p.  96. 

4.  P.  Guérin,  Les  petits  Bollandistes,  t.  V,  p.  191. 

5.  P.  Guérin,  ibid.,t.  VII,  p.  658. 


L  AUTRES  SAINTS  ANTI-RABIQUES  175 

voqué  contre  le  même  mal,  et  pour  se  préserver  ou  se 
g-uérir  «  on  a  coutume  de  boire  dans  le  calice  qui  fut  trouvé 
sur  sa  poitrine  à  l'ouverture  de  son  tombeau  \  » 

I 

Il  y  a  en  Gascogne,  en  Espagne  et  en  Portugal,  une  sainte 
dont  ces  trois  pays  se  disputent  la  naissance  et  dont  le  tom- 
beau se  trouve  à  Aire-sur-Adour  (Landes)  :  c'est  sainte 
Quitterie  qui,  dans  ces  régions,  est  spécialement  invoquée 
contre  la  rage.  Son  culte  paraît  y  avoir  autant  d'importance 
qu'en  Belgique  celui  de  saint  Hubert,  mais  nous  n'avons  pu 
réunir  que  peu  de  renseignements  à  cet  égard.  D'après  les 
Bollandistes -,  sainte  Quitterie  est  invoquée  en  Portugal 
pour  les  maladies  de  cœur  et  pour  la  rage,  et  dans  une  loca- 
lité, du  nom  d'Alenquer,  on  guérit  les  chiens  enragés  en 
leur  donnant  à  manger  du  pain  trempé  dans  l'huile  de  la 
lampe  qui  brûle  devant  sa  statue.  Suivant  un  usage  fré- 
quent, cette  statue  a  été  découverte  d'une  façon  miraculeuse 
et  a  marqué  elle-même  l'endroit  où  elle  voulait  avoir  un 
sanctuaire.  Grâce  à  cette  statue  miraculeuse;,  les  habitants 
d'Alenquer  ont  été  garantis  d'une  peste  qui  a  ravagé  tout 
le  Portugal.  On  la  représente  tenant  en  laisse  un  chien 
qui  tire  la  langue  \ 

Nous  pouvons  avoir  une  éclaircie  sur  son  culte  par  les 
détails  suivants  sur  les  saludadors  ou  guérisseurs  (littéra- 
lement sauveurs)  du  Roussillon,  notre  département  des 
Pyrénées-Orientales.  Le  culte  de  la  sainte  y  est  mêlé  à  la 
croyance  si  répandue  sur  le  don  accordé  au  septième  fils 
d'une  famille. 


Nul  ne  peut  être  saludador  s'il  n'est  le  septième  fils,  sans  inter- 
ruption de  filles,  du  même  père  et  de  la  même  mère  ;  on  les 
appelle  setés  [litt.  septièmes].  Le  vulgaire  assure  qu'ils  ont  une 


1.  P.  Guérin,  ihid.,  t.  VIII,  p.  33. 

2.  Acta  SS.,  mai  V,  175. 

3.  P.  Gaérin.  Les  petits  Bollandistes,  t.  VI,  p.  107. 


176  CHAPITRE  CINQUIÉiME 

marque  distinctive  au  palais  de  la  bouche,   comme  une  croix  ou 
une  fleur  de  lys... 

Les  setés  qui  tenaient  à  devenir  saludadors  se  rendaient  en 
Espagne.  Celui  de  Collioure  se  conforma  à  l'usage  :  c'est  à  Bezalu 
qu'il  fut  initié  et  reçut  le  pouvoir  de  guérir.  Des  moines  étaient 
spécialement  chargés  de  cette  réception  ;  ils  exigeaient  du  candi- 
dat, outre  quelques  aumônes  pour  le  couvent,  un  ceriificat  léga- 
lisé constatant  qu'il  était  seté.  Ils  lui  apprenaient  la  prière  qu'il 
doit  dire  lorsqu'il  salude  ;  ils  l'obligeaient  en  outre  à  ne  parler  à 
personne  pendant  un  temps  limité,  qui  ne  pouvait  être  moins  de 
quarante  jours...  Puis  ils  lui  remettaient  un  chapelet  à  grOs  grains, 
avec  la  croix  de  sainte  Quitérie,  le  tout  béni,  car  c'est  par  l'invo- 
cation de  cette  sainte  que  l'on  guérit  les  personnes  mordues  ou 
que  l'on  est  garanti  contre  l'h^^drophobie.  La  prière  consiste  dans 
ces  mots  :  «  Que  sainte  Quitérie  nous  préserve  du  mal  de  rage  !  » 
Il  se  trouve  des  gens  assez  simples  d'esprit  pour  croire  et  dire 
qu'un  saludador  a  la  puissance  de  marcher,  pieds  nus,  sur  un 
fer  rouge,  sur  un  brasier  ardent,  d'avaler  du  plomb  fondu,  sans  se 
brûlerie  moins  du  monde,  d'éteindre,  par  l'effet  de  sa  volonté,  un 
four  incandescent,  et  de  rendre  un  enragé,  homme  ou  bête,  doux 
comme  un  agneau. 

Le  Nestor  des  saludadores  du  département  des  Pyrénées- 
Orientales  (il  compte  plusieurs  adeptes)  a  encore  une  bonne  clien- 
tèle ;  il  est  souvent  appelé  chez  des  personnes  mordues  ;  il  a  aussi 
beaucoup  d'abonnés  qu'il  va  visiter  à  des  époques  fixes  et  qui  le 
payent  grassement  ;  il  se  fait  un  gros  revenu. 

Voici  comment  il  opère  pour  saluder  :  il  fait  baiser  d'abord  la 
croix  de  sainte  Quitérie  ;  il  souffle  trois  fois  sur  le  patient  ;  il  suce 
la  partie  mordue,  n'importe  laquelle,  et  y  applique  de  l'ail  ou  de 
la  rue.  Les  personnes  ainsi  traitées  doivent  observer  un  régime 
doux  pendant  quarante  jours,  et  fuir  l'eau,  surtout  ne  pas  en 
boire.  Cette  privation  n'est  pas  trop  rigoureuse  dans  un  pays  où 
le  bon  vin  abonde.  Il  est  expressément  défendu  au  mari  de  cou- 
cher avec  sa  femme,  et  à  la  femme  avec  son  mari. 

Il  salude  aussi  du  pain,  que  l'on  donne  aux  bestiaux.  Tout 
animal  qui  en  mange  ne  peut  pas  devenir  hydrophobe  ;  mais  cette 
propriété  du  pain  salude  n'est  valable  que  pendant  un  an.  On  doit 
donc  réitérer  l'opération  tous  les  douze  mois,  sinon  pour  le  bien  de 
l'opéré,  du  moins  pour  celui  de  l'opérant. 


AUTRES  SAINTS  ANTI-RABIQUES  177 

Le  saludador,  après  avoir  sucé  la  morsure,  mâche  lui-même 
un  mélange  d'ail  et  de  rue,  afin  de  se  préserver  du  virus 
rabique  '. 

Notre  Basse-Bretagne  est  trop  riche  en  saints  nationaux 
et  indigènes  pour  avoir  besoin  de  saint  Hubert  et  de  saint 
Pierre.  La  rage  s'appelle  bien  quelquefois  en  breton  Drouk 
Sant'Huber  «  mal  de  Saint-Hubert  »,  mais  elle  s'appelle 
bien  plus  souvent  Droiik  Sant-Weltas  «  mal  de  Saint- 
Gildas  »  ou  Drouk  Sant-Tujean  «  mal  de  Saint- Tujean  ». 
En  effet,  dans  l'hagiographie  populaire,  une  maladie  porte 
le  nom  du  saint  qui  la  guérit. 

Saint  Gildas  préserve  de  la  morsure  des  chiens,  quand 
on  lui  adresse  la  prière  suivante  : 

Ki  klan,  chanj  a  hent, 
Arru'r  baniel  liag  ar  zent  ; 
Arru'r  baniel  hag  ar  groaz, 
Hag  ann  aotro  sant  Weltas. 

«  Chien  enragé,  change  de  route  ;  —  voici  la  bannière  et  les 
'saints;  — voici  la  bannière  et  la  croix,  —  ainsi  que  Monsieur  saint 
Gildas  2. 

Saint  Tujean  ressemble  davantage  à  un  saint  Hubert 
breton.  Comme  le  saint  belge,  il  a  donné  son  nom  à  un 
village_,  Saint-Tujean,  hameau  dépendant  de  Primelin,près 
d'Audierne.  «  Sa  statue  le  représente  tenant  une  clef  à  la 
main;  et  une  clef  de  fer,  terminée  en  pointe,  qui  passe  pour 
lui  avoir  appartenu,  se  conserve  à  l'église.  Le  jour  du 
pardon  (fête  du  saint),  on  pique  avec  cette  clef  une  énorme 
quantité  de  petits  pains,  qui  ne  peuvent  plus  moisir  et  dont 
un  seul  morceau,  jeté  à  un  chien  enragé,  le  met  en  fuite... 
Les  habitants  de  Primelin  sont  désignés  sous  le  nom  de 

1.  ,1.  Sirven,  Les  Saludadores  (1830).  dans  les  mémoires  de  la  Société 
agricole,  acienlifique  et  littéraire  des  Pyrénées-Orientales,  t.  XIV  (1866), 
p.  117  et  suiv. 

2.  L.  Sauvé,  dans  ia  Revue  Celtique,  t.  III,  p.  200-201. 

LA    RAGE.  12 


178  CHAPITRb  CINQUIÈME 

paotret  an  clahouez  ce  les  garçons  de  la  clef  »,  parce  que  en 
mémoire  de  saint  ïujean,  ils  portent  une  petite  clef  brodée 
sur  leurs  habits  ^  ». 

Il  est  probable  que  c'est  par  suite  de  ce  culte  (où  la  clef 
joue  un  rôle  que  nous  connaissons  déjà)  que  la  statue 
représente  le  saint  avec  une  clef.  «  Le  jour  de  la  fête  du 
saint,  nous  écrit  M.  L.  Sauvé ^  les  pèlerins  font  bénir  de 
petites  clefs  de  plomb  exactement  semblables  à  celles  que 
j'ai  vu  vendre  dans  différentes  provinces  sous  le  nom  do 
clefs  de  Saint-Hubert;  etilsles  emportent  chez  eux  avec  la 
persuasion  de  n'avoir  rien  à  redouter  de  la  rag-e  tant  qu'ils 
les  garderont  en  leur  possession.  Quand  une  personne  ne 
possédant  pas  en  bien  propre  une  clef  de  Saint-Tujean  est 
mordue  par  un  chien  soupçonné  d'être  enragé,  elle  s'em- 
presse de  se  rendre  en  pèlerinage  à  la  chapelle  que  le  saint 
habite  à  Primelin.  Il  est  à  remarquer,  en  effet,  que  dans  ses 
autres  demeures  (et  elles  sont  nombreuses  en  Bretagne),  le 
saint  n'a  aucun  pouvoir  sur  la  rage.  » 

Une  légende  populaire  explique  pourquoi  saint  Tujean  a 
ce  pouvoir  sur  la  rage.  La  voici  telle  que  Ta  entendu  racon- 
ter JM.  L.  Sauvé  : 

Monsieur  saint  Tujean  ne  se  doutait  guère,  au  temps  de  sa 
prime  jeunesse,  quil  serait  un  jour  chargé  de  défendre  les  Bre- 
tons de  la  morsure  des  chiens  enragés.  Si  le  ciel  eut  exaucé 
ses  premiers  vœux,  il  serait  devenu  le  patron  des  jeunes 
fdles,  le  gardien  de  leur  innocence  ;  il  a  dû  se  résigner  à 
accepter  une  tâche  moins  lourde,  et  voici  comment  il  y  fut  amené. 

Saint  Tujean  avait  une  sœur  que  sa  mère,  en  mourant,  lui  avait 
léguée  pour  tout  bien.  Il  l'avait  élevée,  entourée  de  soins  et  de 
tendresse,  et  lui  avait  enseigné  de  bonne  heure  la  pratique  de 
toutes  les  vertus.  Comme  il  ne  la  quittait  des  yeux  ni  le  jour,  ni 
la  nuit,  il  espérait  bien  la  préserver  à  jamais  de  toute  souillure. 
Douce  à  entendre,  plus  belle  encore  à  voir,  la  fdletle  entrait  dans 
ses  quinze  ans,   quand,  un  matin,    la  solitude   profonde  où  ils 

1.  Jeanne,  liinêraire  de  la  France.  Bretagne,  éd.  de  1873,  p.  603. 


I 


AUTRES  SAINTS  ANTI-RABIQUES  170 


vivaient  l'un  et  l'autre,  fut  troublée  par  des  bruits  de  guerre.  Des 
voiles  ennemies  étaient  signalées,  l'alarme  était  dans  tout  le  pays. 
Le  saint  n'hésita  pas  à  fuir,  afin  de  mettre  sa  sœur  en  sûreté,  dût- 
il  pour  cela  aller  au  bout  du  monde. 

L'enfant  n'était  pas,  comme  lui,  endurcie  à  la  fatigue  ;  les 
ronces  et  les  cailloux  déchiraient  ses  pieds  délicats,  elle  n'avan- 
çait qu'avec  peine.  Saint  Tujean  la  fit  monter  sur  son  dos  et 
marcha  ainsi  plusieurs  heures  sans  s'arrêter.  De  cette  façon, 
pensait-il,  nous  irons  plus  vite  et  je  la  surveillerai  mieux. 

A  l'entrée  d'un  bois,  la  fillette  le  pria  de  la  laisser  passer  un 
instant  derrière  un  buisson  d'aubépines  ;  le  saint,  croyant  com- 
prendre le  motif  de  cette  demande,  la  déposa  à  terre,  sans  mot  dire, 
et  attendit. 

Il  attendit  longtemps.  Inquiet  de  voir  la  halte  se  prolonger  plus 
que  de  raison,  il  appela  sa  sœur.  Hélas!  il  n'eut  pas  plus  tôt  fait 
deux  pas  dans  la  direction  du  buisson  où  elle  s'était  attardée  qu'il 
lui  fallut  reconnaître  combien  il  avait  été  vain  et  présomptueux 
en  se  flattant  de  la  mettre  à  l'abri  de  toute  tentation  et  de  tout 
danger.  La  pauvrette  était  empêchée  d'accourir  par  un  grand 
et  beau  garçon,  dans  les  bras  duquel  elle  s'était  laissée  enfermer 
sans  résistance.  Il  n'y  avait  pas  à  en  douter,  —  elle  paraissait  plus 
joyeuse  que  confuse  —  le  malheur  était  complet. 

—  Ah!  s'écria  saint  Tujean  avec  un  mouvement  de  colère,  il  est 
plus  aisé  d'empêcher  un  chien  enragé  de  mordre  qu'une  fille  de 
mal  faire. 

—  En  es-tu  bien  sûr?  lui  demanda  le  bon  Dieu  qui  l'écou- 
tait.  Pour  ta  peine  d'avoir  parlé  trop  vife,  tu  en  feras  l'expé- 
rience. Donc,  puisque  tu  te  reconnais  impuissant  à  garder  la 
vertu  des  jeunes  filles,  veille  désormais  sur  les  chiens  fous  de  la 
Bretagne,  et  prends  soin  démettre  hors  de  l'atteinte  de  leurs  dents 
les  bons  chrétiens  qui  t'en  prieront  en  mon  nom. 

On  assure  que  le  saint  y  consentit  volontiers  et  que,  depuis  ce 
jour,  sa  vigilance  n'a  amais  été  mise  en  défaut. 


Enfin,  dans  le  Morbihan,  au  village  qui  porte  son  nom, 
un  iroisième  saint,  saint  Bieuzy,  défend  des  chiens  enragés. 
Après  avoir  prié  dans  Fég-lise  devant  la  statue  du  saint,  on 
va  à  la  fontaine  voisine  de  l'église  et  on  trempe  dans  Teau 


I 


180  CHAPITRE  CINQUIÈME 

un  petit  morceau  de  pain  que  l'on  mange  avec  dévotion, 
comme  si  c'était  du  pain  bénit.  La  fontaine  a  trois  bassins, 
dont  les  deux  plus  petits  sont  appelés  futann  er  chass  clan 
«  fontaine  des  chiens  enragés  ».  M.  J.  Dréanic,  de  Bieuzy, 
de  qui  nous  avons  reçu  ces  renseignements  (par  l'intermé- 
diaire de  M.  J.  Lolh),  ajoute  :  «  Devant  la  maison  de  mon 
père  passe  un  petit  sentier  qui  traverse  le  verger  et  se 
dirige  vers  la  fontaine  du  saint  :  on  prétend  qu'à  cette  fon- 
taine les  chiens  enragés  vont  boire.  Un  fait  certain,  c'est 
que  plus  d'une  fois  il  en  est  passé  devant  notre  maison 
allant  vers  la  fontaine;  et  mes  parents  ont  vu  un  de  leurs 
chiens,  qui  venait  d'être  mordu  par  un  chien  enragé,  se 
diriger  vers  la  même  fontaine.  »  C'est  ce  que  nous  avons 
vu  raconter  de  la  fontaine  de  Saint-Mammès,  et  il  est  assez 
naturel  que,  lorsqu'un  chien  a  soif,  il  se  dirige  vers  une  fon- 
taine à  lui  connue.  D'après  une  tradition  du  pays,  les  chré- 
tiens baptisés  dans  l'église  de  Bieuzy  sont,  par  privilège 
spécial,  préservés  delà  rage. 

A  propos  de  cette  fontaine  on  peut  citer  une  autre  fon- 
taine bretonne  que  l'on  va  consulter  pour  la  rage  : 

«  Toute  personne  mordue  par  un  chien  enragé,  qui  veut 
être  fixée  sur  son  sort,  n'a  qu'à  se  rendre  à  la  fontaine  de 
Saint-Segal,  dans  la  commune  de  ce  nom,  arrondissement 
de  Chàteaulin.  Voit-elle  dans  les  eaux  limpides  de  la  piscine 
le  chien  qui  l'a  mordue,  elle  n'a  rien  à  redouter  ;  ne  le  voit- 
elle  pas,  elle  mourra  à  bref  délai  de  la  rage  ^  ». 

Les  images  en  plomb  que  les  pèlerins  rapportent  du 
pardon  de  Saint-Mathurin,  à  Moncontour  (Côtes-du-Nord), 
préservent  de  toutes  sortes  sortes  de  maux  y  compris  les 
morsures  de  chiens  enragés.  C'est  en  effet  un  bien  grand 
saint,  et  on  raconte  dans  le  pays  que  si  le  saint  l'avait 
voulu,  il  eut  été  le  bon  Dieu  ;  mais  il  trouva  que  c'eût  été 
trop  d'embarras  -. 

1.  Sauvé,  cité  dans  Rolland,  Faune  po^mlaire,  t.  IV,  p.  75. 

2.  Joanne,  Itinéraire  de  la  Bretagne  (éd.  de  1873),  p.  509.  Tous  les 
livres  sur  la  Bretagne  en  parlent  également. 


AUTRES   SAINTS  ANTI-RABIQUES  181 

Dans  Qiie  autre  partie  de  la  Haute-Bretagne,  à  Gaël, 
(Ille-et- Vilaine),  se  trouve  une  source  appelée  «  fontaine  de 
Saint-Symphorien  »  dont  l'eau  a,  dit-on,  le  privilège  de 
guérir  de  la  rage  \ 

Le  bourg  de  Gaël  a  été  jadis  la  capitale  du  petit  royaume 
de  la  Domnonée  et  Hoël  III,  qui  y  régna  au  vi''  siècle,  a 
laissé  des  souvenirs  qui,  par  l'église,  son  culte  et  sa  prédi- 
cation, se  sont  maintenus  dans  le  pays.  «  Gaël,  nous  écrit 
M.  Orain,  est  situé  près  de  l'immense  et  ancienne  forêt  de 
Brocéliande,  appelée  aujourd'hui  forêt  de  Paimpont,  et 
tous  les  paysans  de  la  contrée  savent  qu'autrefois  ce  pays 
était  couvert  de  bois  et  qu'il  y  avait  à  Gaël  un  vieux  roi 
Hoël  III,  appelé  aussi  le  roi  des  bois.  Son  fils,  saint  Judi- 
caël,  est  encore  en  grande  vénération  dans  le  pays.  Sa  fille, 
sainte  Ouenna,  est  la  patronne  de  la  petite  paroisse  de 
Tréhorenteuc,  dans  le  Morbihan.  Leurs  statues  se  trouvent 
dans  plusieurs  églises.  Les  prêtres  parlent  souvent  en 
chaire  des  vertus  de  saint  Judicaël,  fils  d'Hoël,  de  saint 
Méen,  de  sainte  Ouenna,  et  il  n'est  pas  étonnant  que  les 
miracles  des  temps  passés  aient  été,  aux  veillées,  transfor- 
més en  légendes.  » 

Or,  voici  la  légende  que  M.  Orain  a  recueillie  dans  le 
pays  : 

«  Hoël  avait  perdu  un  enfant  de  la  rage  et  il  en  ressentait 
une  vive  affliction,  lorsqu'un  pieux  ermite,  cachant  son 
nom  royal  de  Conan  sous  celui  de  saint  Méen,  vint  lui 
demander  l'autorisation  de  fonder  un  monastère  dans  son 
royaume.  Il  reçut  un  bienveillant  accueil  et  obtint  ce  qu'il 
désirait.  Pour  remercier  le  roi,  saint  Méen  le  pria  de 
formuler  un  vœu.  Hoël  lui  dit  :  «  Je  désirerais  pouvoir 
guérir  de  la  rage  tous  les  malheureux  qui  en  seront 
atteints.  »  Aussitôt  le  vertueux  cénobite  fit  jaillir  de  la 
terre  la  source  miraculeuse  que  l'on  voit  encore  aujourd'hui 

1.  Ad.  Orain,  Géographie  pUloresquc  du  département  d'Ille-et-Vi- 
/«mcs  (Rennes,  1882),  p.  /t07. 


182  ^CHAPITRE  CINQUIÈME 

près  de  régliso  de  Gaël,  et  dont  l'eau  guérit  de  l'hydro- 
phobie.  » 

A  celle  fontaine  et  à  colles  qui  ont  été  mentionnées  pré- 
cédemment, il  faut  ajouter  une  fontaine  de  la  Provence. 
Sous  l'église  des  Saintes-Maries-de-la-Mer,  près  de  l'em- 
bouchure du  Petit-Rhône,  se  trouve  une  fontaine  dont  l'eau 
passe  pour  guérir  de  la  rage^ 

D'après  Mgr  Barbier  de  Monlault,  à  Rome  on  invoqua 
saint  Guy  (S.  Yilus),  contre  la  rage  ^  ;  mais  ce  prélat  n'ajoute 
pas  de  détails.  Saint  Guy  élait  invoqué  pour  le  mal  nerveux 
auquel  son  nom  est  resté  (danse  de  Saint-Guy),  et  qui 
était  regardé  comme  une  sorte  de  possession  ;  on  trouve  ici 
la  possession  et  la  rage  mises  en  rapport,  ainsi  que  nous 
l'avons  déjà  vu  plus  haut.  C'est  sans  doute  à  saint  Guy  que 
s'adresse  la  prière  suivante  que  nous  trouvons  citée  d'une 
façon  corrompue  et  sans  détails  précis  : 

Aime  vithe  pellicane, 

Oràm  qui  tenes  apulam 

Littusqiie  polyganicum 

Qui  morsus  rabidos  levas, 

Irasque  canum  mitigas, 

Tu,  sancte,  rabiem  asperam 

Riclusque  canis  luridos, 

Tu  sœvam  prohibe  luem, 

I  procul  bine,  rabies, 

Procul  bine  furor  omnis  abesto. 

El  dans  la  ville  d'Apulie  d'oii  provient  cette  oraison,  on 
faisait  neuf  fois  le  tour  de  la  ville  avec  des  prières,  pour 
obtenir  la  guérison  d^une  personne  mordue  ^ 

1.  Joanne,  Bict.  géogr.  de  la  France,  s.  v.  Maries-de-la-Mer 
(Saintes-). 

2.  Loc.  cit.,  p.  76. 

3.  W.  G.  Bhc\i,Folk-Medicinc,  p.  120,  121,  134. 


AUTRES  SAINTS  ANTI-RABIQUES  183 

Nous  terminerons  cette  revue  des  pratiques  chrétiennes 
par  celle-ci  où  ne  paraît  figurer  aucun  saint,  et  que  raconte 
d'Aromatarii.  A  Lucques,  les  membres  d'une  famille  ont  un 
secret  :  celui  qui  opère  prend  un  pot  de  terre  et  écrit  au  fond 
certains  caractères.  On  fait  bénir  le  pot  par  un  prêtre.  Puis 
celui  qui  a  fait  l'inscription,  la  gratte  de  la  surface  du  pot, 
met  le  fruit  de  ce  raclage  dans  du  vin  que  boit  la  personne 
mordue  \  Ce  fait  se  rattache  à  la  série  nombreuse  des 
charmes  ou  incantations  que  l'on  dissout  dans  un  liquide 
quelconque  pour  le  faire  boire  à  un  malade  ou  à  celui  que 
le  charme  doit  pénétrer  d'une  vertu  surnaturelle^ 

1.  Aromataiius,  DispiUaiio  de  rabie  contagiosa.  Venetils,  1625,  p.  85. 

2.  Voir  noire  article  «  Les  gâteaux  alphabétiques,  m  dans  les  Mélanges 
Bcnicr  (Bibliothèque  de  l'Iicole  des  hautes  études).  Paris,  1887,  p.  1  et 
suiv. 


CHAPITRE  SIXIEME 

RECETTES  ET  REMÈDES   PROFANES 


§  1.  Comment  on  se  préserve  de  la  rage.  —  §  2.  Comment  on  guérit 
la  morsure  du  chien  enragé. 


■ 


CHAI^ITRE  VI 


RECETTES    ET    REMEDES     PROFANES 


f 


§  1 .   —  COMMENT  ON  SE  PRÉSERVE  DE  LA  RAGE 

Rappelons  d'abord  qu'il  n'y  a  pas  encore  longtemps 
c'était  une  croyance  générale  —  Balzac  la  partng-e  encore 
en  1810  —  que  les  chiens  qui  viennent  de  lieux  infestés, 
transmettent  les  maladies  dont  ils  ne  sont  pas  atteints 
eux-mêmes.  Pour  cette  raison,  c'était  l'usag-e  en  temps  de 
peste  de  tuer  tous  les  chiens  :  ainsi  la  mesure  a  été  appli- 
quée, par  ordre  de  l'autorité  publique,  lors  de  la  peste  de 
Marseille,  en  1721,  et  de  celle  de  Dijon,  en  1722  \ 

Les  pratiques  que  nous  allons  énumérer  sont  d'ordres 
bien  divers,  et  il  est  difficile  de  les  rapporter  à  une  idée 
g-énérale,  sinon  celle-ci  :  qu'on  domine  la  nature,  les  objets 
animés  et  inanimés,  par  l'emploi  de  paroles  ou  d'objets 
sacrés,  doués  de  vertus  particulières. 

Voici  d'abord,  d'après  un  de  nos  vieux  livres,  les  recettes 
de  commères  du  xv*  siècle  ; 

Qui  veult  affranchir  son  chien  de  devenir  enragié,  si  lui  donne 
à  mengier,  tous  les  jours  au  matin,  un  morseau  ou  deux  qui  aura 
esté  porté  à  l'offrende  le  dimance  derrain  (dernier)  passé,  et,  si  le 
refTuse,  sachiez  pour  vray  qu'il  est  mal  disposé... 

Quant  on  craint  que  son  chien  ne  soit  mors  de  chien  enragié, 
faites-le  mengier  et  boire  parmi  un  trépié,  et  il  sera  ce  jour 
asseuré  de  la  rage  *. 

1.  Balzac,  Histoire  de  la  rarjc,  p.  27. 

2.  Evangile  des  Quenouilles,  écl,  Jannet,  p.  43  et  73.. 


188  CHAPITRE  SIXIÈME 

Pour  se  garanlir  soi-même  des  chiens,  une  de  ces  com- 
mères donnait  celte  autre  recette  : 

Marolte  Pelée  rjist  que  qui  ne  veult  estre  assailli  ni  aboyé  des 
chiens,  de  jour  ne  de  nuit,  n'ait  du  bon  fromage  rosti,  et  leur 
donne  en  disant  :  In  chamao  et  freno,  tout  au  long,  et  pour  cer- 
tain ilz  le  laisseront  en  paix,  voire  et  se  fussent-ilz  rabis. 

On  a  vu  plus  haut  la  formule,  nous  dirions  presque 
l'exorcisme,  par  lequel,  en  Bretagne,  on  met  en  fuite  le 
chien  enragé.  Voici  des  formules  analogues  allemandes 
et  autres  : 

En  Souabe,  on  presse  les  deux  pouces  contre  l'intérieur 
de  la  main  et  l'on  dit  : 

Hund,  Hund,  Hund, 
Leg'  du  deinen  Mund 
Auf  die  Erden  ! 
Mich  hat  Gott  erschaflen 
Und  dich  werden  lassen. 
Im  Namen  Gottes  u.  s,  w.  *, 

Chien,  chien,  chien,  —  Pose  ton  museau  sur  la  terre  !  —  Moi, 
Dieu  m'a  créé,  —  Et  toi,  il  t'a  laissé  naître  !  —  Au  nom  de 
Dieu,  etc. 

Il  existe  dans  l'ancienne  littérature  allemande  des  conju- 
rations contre  les  chiens^  Hundesegen^. 

Chez  les  Masures,  branche  de  la  famille  polonaise  qui 
habite  la  province  de  Prusse,  on  garantit  les  bestiaux  avec 
cette  prière  : 

Je  vais  bénir  contre  le  chien  enragé  l'étable  du  chrétien  baptisé 
N.  N.  Il  passait  sept  apôtres,  tous  frères  les  uns  des  autres.  — 
Où  allez-vous,  vous  sept  apôtres,  tous  frères  les  uns  des  autres? 
—  Nous  allons  bénir  contre  le  chien  enragé  l'étable  du  chrétien 
baptisé  N.    N.  —  Allez  et  bénissez  en  mon  nom.  Que  font  les 

1.  E.  Meier,  Sagen  aus  Schivaben,  p.  518. 

2.  On  en  trouvera  quelques-unes  dans  la  Zeitschrift  fur  das  deutsche 
AUerthim.,  l.  XI  (1859),  p.  260  et  suiv. 


RECETTES  ET  REMÈDES  PROFANES  189 

enragés? —  Ils  dorment.  —  Laissez-les  dormir.  Prenez  de  la  laine 
et  du  coton,  et  bouchez  leurs  blessures  pour  que  cela  ne  crie  pas 
et  que  cela  ne  beugle  pas  et  que  cela  ne  veuille  pas  grimper  aux 
murs,  mais  que  cela  se  calme,  de  même  que  l'eau  dans  le  Jour- 
dain lorsque  saint  Jean  baptisa  le  Seigneur  Jésus.  Non  par  mon 
aide,  mais  par  celle  du  Seigneur  Jésus  et  de  tous  les  saints.  —  Un 
Paler  sans  amen  '. 

Il  existe  de  même  un  grand  nombre  de  formules  pour 
éloig-ner  le  loup  des  bergeries.  C'est  ce  qu'on  appelait 
autrefois  en  français  la  «  patcnôtre  du  loup  ■.  » 

Dans  certains  pays,  porter  sur  soi  une  peau  de  loup  est 
un  préservatif,  en  vertu  du  principe  de  la  sympathie  ^ 

Les  bag'ues  étaient  originairement  des  amulettes,  sur- 
tout quand  elles  tenaient  enchâssée  une  pierre  précieuse 
et  magique.  Certaines  qui  portaient  une  figure  d'animal 
gravée  sur  le  chaton  protégeait  contre  cet  animal  :  nous 
n'en  avons  pas  trouvé  d'exemple  pour  le  chien  ou  le  loup  ; 
mais  il  en  a  sans  doute  existé. 

En  Bohème,  quand  on  rencontre  un  chien  enragé,  si  on 
le  voit  avant  qu'il  ne  vous  ait  vu,  et  qu'on  se  morde  le 
pouce  de  la  main  droite,  le  chien  ne  peut  rien  contre  vous  \ 
Cela  se  rattache  à  une  croyance  très  répandue  relativement 
au  loup.  En  Berry,  si  la  bergère  voit  le  loup  la  première, 
celui-ci  perd  tout  pouvoir  sur  elle  et  son  troupeau;  mais 
si  le  loup  voit  la  bergère  avant  d'en  être  vu,  celle-ci  perd 
aussitôt  la  voix'. 

De  là  l'expression  proverbiale  sur  un  homme  enroué  :  «  il 
a  vu  le  loup  ^  »  «  Les  loups  ont  vu  Mœris  les  premiers  n, 

1.  Toeppen,  Aberglauben  ans  Masurcn,  2'^  édit.,  p.  48. 

2.  M.  Rolland  en  a  réuni  un  certain  nombre  d'exemples  dans  la 
Faune  populaire  df.  la  France,  t.  I,  p.  124  et  suiv. 

3.  Bhck,  Folk- Medicine,  p.  154. 

4.  Grohmann,  Aberglauben  aus  Bœhmen,  p.  54. 

5.  Laisnel  de  la  Salle,  Croyances  du  centre  de  la  France,  t.  II,  p.  129. 

6.  «  Perdant  la  parole  comme  ceux  qui  ont  vu  le  loup  sans  v  penser  .>i 
Ecrivain  du  xvi°  siècle,  cité  par  Littré,  Dictionnaire,  s.  v.  Loup, 
p.  349,  col.  3. 


190  CHAPITRE  SIXIEME 

c'est-à-dire  Mœris  est  mueLle,  dit  unpersonnag-e  deVirg-ile*; 
et  d'autres  passages  des  écrivains  classiques  témoignent  de 
la  même  croyance.  L'Orient  la  connaissait  aussi,  comme 
on  voit  par  ce  passage  de  VAvesta  des  anciens  Perses  : 
«  Puissions-nous  voir  le  loup  les  premiers  et  qu'il  ne  nous 
voie  pas  le  premier^  »  Cette  croyance  a  sans  doute  sa  racine 
dans  ce  fait  que  quand  on  voit  le  loup  le  premier,  on  peut 
se  mettre  en  étal  de  défense,  et,  par  là,  souvent  effrayer  le 
loup  ;  tandis  que  si  on  est  surpris  par  lui,  on  est  sans 
défense.  C'est  un  simple  principe  de  stratégie,  tous  les 
^ours  appliqué  à  la  guerre. 


§  2.  —  COMMENT  ON  GUÉRIT  LA  MORSURE  DU  CHIEN  ENRAGÉ 

Pour  savoir  si  la  morsure  d'un  chien  est  venimeuse,  on 
prend  un  morceau  de  pain  que  l'on  frotte  à  la  blessure,  et 
on  le  jette  à  une  poule.  Si  elle  le  mange  et  ne  meurt  pas, 
la  morsure  est  sans  venin.  —  Ce  diagno:tic  est  donné 
comme  infaillible  à  la  suite  de  l'instruction  sur  les  clefs  de 
saint  Hubert  et  des  formules  de  la  bénédiction  du  pain  pour 
la  rage  dans  le  recueil  d'exorcismes  et  de  prières  du  fran- 
ciscain Vincent  de  Berg  ^  Nous  retrouvons  encore  la  même 
recette  dans  un  petit  livre  populaire  de  notre  pays*.  On 
peut  aussi  jeter  ce  pain  à  un  autre  chien  :  s'il  devient  enragé, 
c'est  que  la  blessure  a  du  venin  ;  s'il  ne  le  devient  pas,  la 
morsure  est  inoffensive  ^ 


1.  Egloque,  IX,  54. 

2.  Sur  celle  croyance  et  les  textes  qui  's'y  rapportent,'  voir  :  Rolland, 
Faune  pi qmlaire,  t.  I,  p.  117;  Liebrecljl,  Zur  Volkskiinde,  p.  335; 
J.  Darmesteler,  dans  \a.Romania,  t.  X  (1881),  p.  289.  — Aux  textes  cités 
par  ces  divers  écrivains,  ajouter  le  chap.  ii  de  Solin. 

3.  Colo-ne,  1743,  p.  82. 

4.  La  Médecine  et  la  chirurgie  des  pauvres,  TB*^  édit.  Avignon.  1858, 
p.  284. 

5.  Ibid. 


RECETTliS  ET  REMÈDES  PROFANES  191 

Selon  une  croyance  populaire  rapporléo  par  M.  l'abbé 
Hallet,  la  morsure  est  incurable  quand  on  est  blessé  au 
sommet  de  la  tète'.  La  croyance  s'explique  peut-être  par 
le  fait  que  les  blessures  où  la  dent  du  chien  ou  du  loup 
pénètre  dans  le  crâne  sont  bien  plus  dangereuses  que  les 
autres.  —  En  Beauce,  raconte  M.  Rolland  %  les  femmes 
s'abstiennent  de  couler  la  lessive  le  vendredi,  parce  que  si 
elles  étaient  mordues  ce  jour-là  par  un  «  chien  fou  »,  le  mal 
serait  incurable.  —  Cela  peut  s'expliquer  par  le  fait  que  le 
vendredi  est  un  jour  néfaste. 

Mais  les  pratiques  curativcs  sont  innombrables  ! 
C'est  encore  une  pratique  usitée  dans  beaucoup  d'autres 
cas,  en  Occident,  que  nous  trouvons  à  Bassora  sur  le  golfe 
Persiquc.  Un  mollah  descendant  du  prophète  monte  sur 
deux  piliers  situés  l'un  près  de  l'autre.  Il  s'y  installe 
dans  la  posture  du  colosse  de  Rhodes:  les  personnes  mor- 
dues passent  entre  ses  jambes  et  elles  sont  guéries  ^  C'est 
le  procédé  si  fréquent  dans  nos  pays  qui  consiste  à  passer 
sous  une  châsse,  ou  dans  le  trou  d'une  pierre,  ou  entre  les 
branches  recourbées  d'un  arbre;  on  croit  qu'on  laisse  le 
mal  au  passage. 

Chez  les  Arabes,  le  sang  royal  avait  le  privilège  de  guérir 
de  la  rage.  Dans  la  Hamâsa,  recueil  de  poésies  compilé  vers 
223  de  l'hégire  (840  de  notre  ère),  un  poète  voulant  faire 
l'éloge  d'une  tribu  (les  Banoù  Sinân)  dit  :  «  Ils  construi- 
sent les  édifices  des  actions  généreuses  et  guérissent  les  bles- 
sures. Leur  sang  est  le  remède  souverain  contre  la  rage  '*.  » 
Le  scholiaste  arabe  ajoute  à  propos  de  ce  vers  :  cela  veut 

1.  Hallet,  op.  cit.,  p.  57,  n. 

2.  Vaune 'populaire,  t.  IV,  p.  76. 

3.  M.  G.  Black,  Folk-Medicine,  p.  69. 

4.  Fr.  Riickert,  Hamdsa  t.  II,  p.  280  ;  Cf.  Freylag,  Hamasœ  car^ 
?n/Ha,  pars  posterior,  II,  p.  583  et  584.  Un  proverbe  arabe  rnpporlé  dans 
Fre\[ag{Arabum  Proverbia,  t.  I,  p.  488),  dit  :  lesnng  des  rois  guérit  l'hy- 
drophobie.  Voir  aussi  Lane,  An  Aridàc-EnijUsli  Lexicon,  VU,  fasc.  2^ 
p.  2026,  col.  2  et  3. 


192  CHAPITRE  SIXIÈME 

dire  que  c'étaient  de  vrais  rois,  et  que  pour  cette  raison  leur 
sang  guérissait  delà  morsure  du  chien  enragé.  On  dit,  en 
effet,  qu'il  n'y  a  pour  cela  de  remède  plus  sur  que  de  boire 
du  sang  d'un  prince.  Voici,  raconte-t-on,  comment  on  s'y 
prenait:  Au  pied  gauche  d'un  prince,  on  piquait  la  veine 
du  troisième  orteil,  et  on  laissait  tomber  une  goutte  de 
sang  sur  une  datte  qu'on  donnait  à  manger  au  mordu,  qui 
guérissait  par  ce  moyen  :  d'après  d'autres  récits,  on  tirait  le 
sang  du  nez.  » 

M.  Hartwig  Dercnbourg,  qui  me  communique  ce  texte, 
veut  bien  ajouter  les  renseignements  suivants:  «  Un  autre 
procédé  curatif  auxquels  les  Arabes  avaient  recours,  était 
l'absorption  de  l'eau  puisée  dans  certains  puits,  qui  avaient 
la  réputation  de  guérir  la  rage.  Dans  la  Cosmographie  d'Al- 
Kazwînî  (Ed.  Wùstenfeld,  II,  p.  123),  l'auteur,  qui  écrivait 
en  1276  de  notre  ère,  cite  parmi  les  merveilles  d'Alep  «  un 
puits  situé  dans  un  village  de  la  banlieue,  qui  avait  la  vertu 
de  guérir  celui  qui  buvait  de  son  eau  ».  Puis  il  ajoute  : 
«  C'est  bien  connu.  Un  des  habitants  de  ce  village  a  dit: 
la  condition  du  succès,  c'est  que  la  morsure  remonte  au 
plus  à  quarante  jours.  Si  le  mal  est  plus  ancien,  il  est  incu- 
rable. ))  Dans  la  Vie  des  animaux^  par  Ad-Damîrî,  mort  en 
1403  de  notre  ère  (Ed.  de  Boulak,  II,  p.  337),  les  symp- 
tômes de  la  rage  sont  décrits  ;  et,  dans  la  citation  du  passage 
d'Al-Kazwînî,  il  est  seulement  ajouté  que  ce  village  voisin 
d'Alep  était  appelé  lui-même  «  le  puits  de  la  rage  ». 

Chez  les  Masures  fprovince  de  Prusse),  on  tourne  trois  fois 
autour  de  la  personne  mordue,  les  mains  croisées  et  en 
récitant  cette  formule  : 

Dis  la  prière  du  Seigneur  !  Comme  Notre-Seigneur  Jésus- 
Christ  se  promenait  avec  ses  disciples  et  que  ceux-ci  lui  deman- 
daient de  les  guérir  de  la  morsure  du  chien  enragé  et  de  la 
chienne,  il  leur  dit  :  Guérissez  avec  la  puissance  de  Dieu  et  l'aide 
du  Fils  de  Dieu  et  de  l'Esprit-Saint.  L'eau  de  la  mer  resta  tran- 
quille quand  la  Mère  de  Dieu  baigna  son  Fils  :  ainsi  puisse  Fani- 


RECETTIiS  ET  REMÈDES  PROFANES  193 

niai  rester  tranquille...  et  rendre  le  poison  par  l'aide  de  Dieu  et 
du  Saint-Esprit,  au  nom  de  Dieu  le  Père,  du  Fils  et  du  Saint- 
Esprit'. 

Les  charmes  ou  incantations  doivent  naturellement  pro- 
duire un  plus  sur  effet,  quand  on  les  avale  et  que,  par  ce 
moyen,  on  s'assimile  leur  vertu.  Ainsi  un  écrivain  du  xvi" 
siècle,  Jacques  du  Fouilloux,  dans  sa  Veiierie,  donne  une 
recette  oii  la  formule  curative  est  enroulée  dans  une  ome- 
lette. ))  J'ay  appris  une  recette  d'un  gentilhomme,  en  Bre- 
taigne,  lequel  faisoit  de  petits  escriteaux,  oii  il  n'y  avoit 
seulement  que  deux  lignes,  lesquels  il  mettoit  en  une  ome- 
lette d'œufs,  puis  les  faisoit  avaller  aux  chiens  qui  avoicnt 
esté  mordus  de  chiens  enragez,  et  y  avoit  dedansTescriteau^, 
Yran,  quiran,  cafram  ^  cafratreni  cafratrosque.  Lesquels 
mots  disoit  estre  singuliers  pour  empescherles  chiens  de  la 
rage,  mais  quant  à  moy,  je  n'y  adjoutepas  defoy.^  »  D'après 
Conrad  de  Wiltenberg,  auxvn''  siècle,  on  faisait  avaler  aux 
personnes  mordues    une   beurrée  où  l'on  avait  écrit  les 
«  sept  paroles  du  Christ,  »  ou  «  l'Évangile  de  saint  Jean'  ». 
«  L'Évangile  de  saint  Jean  »  était  considéré  comme   un 
amulette  ou  phylactère  des  plus  puissants.  On  le  portait 
souvent  au  cou  dans  une  bulle,  ou  un  cylindre,  ou  dans  un 
tuyau  de  plume  d'oie.  L'usage   est  presque  aussi  ancien 
que  le  christianisme,  car  il  est  mentionné  dans  saint  Au- 
gustin"^ et,  d'après  Yiollet-le-Duc%  il  existait  encore  au 
siècle  dernier. 

En  Angleterre,  dans  le  Lincolnshirc,  on  écrivait  sur  une 
pomme  ou  sur  un  morceau  de  pain  blanc,  un  charme  ainsi 

1.  Tœppen,  Aberglauben  aus  Masiiren,  2"  édit.  p.  46. 

2.  Réimpression  de  1864  (Niort)  f.  61,  verso. 

.3.    Conrad   de  Wiltenberg,    Doctrina  de  Magia.  Wittebergct,  1661, 
§  XIX  ;  cilé  dans  Black,  Folh-Medicine,  p.  167. 

4.  Dans  son  7<=  Traité  sur  saint  Jeun.  —  Cité  dans  Thiers,  Traite  des 
superstitions,  t,  II,  1.  IV,  chap.  ix. 

5.  Dictionnaire  du  mobilier  français,  t.  III,  p.  85. 

l..\  RAGE  13i 


194  CHAPITRE  SIXIEME 

conçu.  «  0  roi  de  gloire,  viens  en  paix!  Pax.  Max.  D.  inax  \  » 
Dans  la  partie  allemande  de  la  province  de  Prusse ,  on  avale 
diverses  formules  écrites  sur  du  papier  ou  sur  une  beur- 
rée ".Une  d'entre  elles  est  une  formule  magique  qui  a  une 
bien  vieille  histoire  et  une  longue  célébrité,  car  on  la  trouve 
déjà  dans  les  derniers  temps  de  l'antiquité,  et  elle  s'est 
depuis  répandue  sur  le  monde  entier^.  C'est  la  formule 
rétrograde  : 

S  A  TOR 

A  R  E  F  0 

TENET 

OPERA 

ROTAS 

La  formule  doit  être  employée  depuis  longtemps  contre 
le  rage,  car  on  la  trouve  écrite  au-dessous  d'un  chien  dans 
une  mosaïque  du  xi''-  siècle  de  notre  ère,  conservée  dans 
l'église  de  Pieve-Terzagni,  près  de  Vérone.  Le  chien  est 
figuré  la  tête  basse  et  la  queue  entre  les  jambes,  comme 
vaincu  par  l'exorcisme.  A  peu  de  distance,  on  voit  un  per- 
sonnage tonsuré  dans  une  niche  en  arcade  faisant  partie 
d'un  bâtiment  :  peut-être  est-ce  l'image  d'un  saint  ou  d'un 
thaumaturge  qui  guérissait  de  la  rage  \ 

La  croyance  aux  vertus  des  pierres-amulettes  a  égale- 
ment survécu  dans  le  traitement  populaire  de  la  rage.  Dans 
le  sud  du  pays  de  Galles,  on  guérit  la  morsure  avec  une 
pierre  qu'on  appelle  selon  les  endroits  Llaethfaen  «  pierre 
à  lait  »  ou  caireglas  «  pierre  bleuâtre  (ou  grisâtre).  »  Des 
pierres  de  ce  genre  sont  conservées  de  génération  en  gêné- 

1.  '2>\d.ck,'Folli-medicine,  p.  201;  et  Dyer,  EiiglishPolk-lore,  p.  144. 

2.  Frischbier,  Hexempruch  und  Zauherhann,  p.  66. 

3.  Voir,  sur  ce  charme,  un  article  de  M.  Reintiold  Ivoehier  dans  les 
Verhandlungen  der  Berliner  Gesellschaft  fur  Anthropologie,  etc. 
t.  XII  (1881),  p.  301-306). 

4.  Ernst  aus'm  Weerlh.  JDer  Mosaikboden  in  S^-Gcreon  zu  Coeln, 
etc.  1873,  in-folio,  p.  19-20  et  pi.  VII.  " 


RECETTES  ET  REMÈDES  PROFANES  195 

ration  dans  plusieurs  familles.  On  gratte  la  pierre,  et  la 
poudre  qu'on  obtient  est  mise  dans  du  lait  qu'on  donne  à 
boire  au  malade.  Mais  la  pierre  perdrait  sa  vertu,  si  celui 
qui  la  possède  faisait  payer  ce  service,  et  la  nature  merveil- 
leuse de  la  pierre  se  montre  en  ce  que  malgré  ce  grattage, 
elle  ne  diminue  pas  '.  Cette  croyance  a  été  transportée  jus- 
qu'en Amérique,  La  pierre  venait  de  Suisse;  un  Italien  qui 
l'avait  apportée,  l'avait  vendue  à  un  fermier  du  Kentucky 
et  en  vingt-trois  ans,  ce  fermier  a  guéri  cinquante-neuf 
personnes  avec  cette  pierre.  Quand  une  personne  avait  été 
mordue,  on  appliquait  la  pierre  h  la  morsure  ;  puis  quand  la 
pierre  avait  absorbé  le  poison  de  la  blessure,  on  la  baignait 
dans  du  lait  froid  et  de  l'eau  —  pour  la  faire  dégorger  — 
et  après  cela  (comme  la  pierre  de  la  «  soupe  au  caillou  »), 
elle  pouvait  servir  de  nouveau.  M.  Black,  qui  rapporte 
cette  histoire_,  ajoute  qu'on  voit  de  temps  à  autre  dans  les 
journaux  (probablement  anglais  ou  américains)  des  articles 
sur  des  pierres  merveilleuses  de  ce  genre  ^ 

La  vertu  qui  s'attache  à  ce  qui  vient  d'une  personne 
exécutée  par  arrêt  de  justice  (corde  de  pendu,  sang  de  guil- 
lotiné, etc.)  donnait  sans  doute  sa  valeur  à  la  recette  sui- 
vante :  «  Se  faire  des  pilules  du  test  (crâne)  d'un  pendu, 
pour  se  guérir  des  morsures  d'un  chien  enragé  ^  .  » 

Pour  terminer  avec  les  remèdes  purement  superstitieux, 
ajoutons  que  manger  le  gazon  du  cimetière  de  l'église  de 
Saint-Edren,  à  Llanedeyrn  en  Pembrokeshire  (pays  de 
Galles),  passait  pour  guérir  de  la  rage  :  Black  cite  un 
exemple  d'une  cure  de  1848  '. 

Un  des  remèdes  les  plus  fréquents  en  France,  dans  les 
derniers  siècles  (il  est  mentionné  plusieurs  fois  dans  les 
observations  d'Andry),  et  conservé  encore  dans  le  peuple, 
est  une  omelette  dans  laquelle  on  mélange  des  substances 

i.  Communication  de  M.  Lly warcli  Reynolds,  de  Merthyr-Tydvil. 
'J.  Blaclî,  Folk-Medicine,  p.  144. 

3.  Tliiers,  Trailédes  superstiiiuns,  l.  I,  livre  V,  chap.  iv. 

4.  Black,  ï'olk-Medicinc,  p.  96. 


196  CHAPITRE  SIXIÈME 

parliculièrcs,  et  dont  certaines  personnes  ont  le  secret  ^  Un 
écrivain  assure  que  ces  empiriques  sont  d'ordinaire  des 
maréchaux  ferrants':  serait-ce  parce  qu'ils  joindraient  à 
l'omelette  quelque  cautérisation  de  la  blessure  ? 

Les  remèdes  d'ordre  naturel,  proposés  contre  la  rage, 
sont  innombrables.  On  peut  en  voir  la  liste  dans  l'article 
Rage,  de  M.  Brouardel  ^  On  peut  en  voir  aussi  un  grand 

1.  Cf.  Rolland,  Faime  populaire,  t.  IV,  p.  76.  Sur  ces  omeleltes,  cf. 
Andry,  op.  cit.,  p.  333.  Comme  exemple  de  ces  recettes  d'omelettes  et 
des  pratiques  qui  en  accompagnaient  la  préparation,  nous  donnons  la 
suivante  d'après  A.  de  Garsault,  Le  Nouveau  parfait  maréchal.  Paris, 
1781,  in-4,  p.  229. 

«  Vous  prendrez  trois  œufs,  dont  vous  ôterez  soigneusementles  germes; 
vous  aurez  de  la  racine  d'pglantier  ou  rosier  de  haies,   que  vous  ferez 
arracher  du  côté  où  le  soleil  donne;  faites-la  râper  le  plus   menu  que 
faire  se  pourra,   après    en   avoir  ôté  la   première  peau  :   cassez  un  de 
vos  œufs  par  le  petit  bout,  pour  en  faire  sortir  le  jaune,  sans  qu'il  y  ait 
une  grande  ouverture  à  Tœuf  ;  vous  l'emplirez  trois  fois  d'huile  de  noix 
de  la  meilleure,  tirée  sans  feu  ;  jetez  cette  huile  avec  vos  œufs  ;  ajoutez 
une  bonne  pincée  de  poudre  d'églantier,  c'est-à-dire  autant  que  les  cinq 
doigts,  à  demi  écartés,  pourront  en  prendre;  mêlez  bien  le  tout  ensemble, 
après  quoi  vous  la  mettrez  dans  une  poêle  que  vous  aurez  eu  le  soin  de 
faire  rougir  sur  le  feu  :  vous  ferez  bien  cuire  cette   omelette,   en  sorte 
qu'elle  soit  sèche  ;  après  qu'elle  sera  faite,  vous  la  ferez  manger  au  ma- 
lade ;  s'il  est   blessé  et  qu'il  y  ait  une  galle  dessus  la  morsure,  vous 
frotterez  la  plaie  avec  un  linge  et  du  vin  chaud,  jusqu'à  ce  que  le  sang 
y  vienne  ;  quand  la  plaie  sera  saignante,    vous  y  mettrez  un    morceau 
d'omelette  qui  doit  être  brûlante  pour  bien  faire  son  effet.  Le  malade 
mangera  le  reste  ;  il  faut  qu'il  soit  à  jeun,  pour  prendre  ledit  remède,  et 
si,  par  hasard,  après  l'avoir  avalé,  l'envie  de  dormir  lui  prenait,  il  fau- 
drait qu'il  y  cédât  sur-le-champ  partout  où  lise  trouverait;   neuf  jours 
après  qu'on  aura  pris  le  remède,  il  faudra  avaler  de  la  thériaque  délayée 
dans  du  vin. 

ce  Nota,  — Qu'il  ne  faut  point  mettre  de  sel  dans  ladite  omelette,  ne 
point  boire  en  la  mangeant,  et  ne  manger  de  deux  heures  après  l'avoir 
prise.  » 

2.  De  Chesnel,  Dictionnaire  des  superstitions  (Coll.  Aligne), 
col.  977. 

3.  Dictionnaire  encyclopédique  des  sciences  médicales,  3^  sér.,  t.  II. 
(1874),  p.  240. 


RECETTES  ET  REMÈDES  PROFANES  197 

nombre  dans  les  observations  d'Andry  \  Un  des  remèdes 
qui,  au  siècle  dernier  (en  17o0),  fut  un  moment  en  vogue 
en  France,  était  une  «  poudre  de  Tunkin  »,  dont  le  secret 
avait  été  apporté  de  l'Indo  -  Chine -.  Quelques-uns  des 
remèdes  qui,  par  tradition,  s'emploient  encore  dans  nos 
campagnes,  par  exemple  les  écailles  d'huître  calcinées  ^ 
sont  simplement  des  survivances  de  l'ancienne  médecine  \ 
De  même  pour  les  hannetons  séchés  et  pilés^  pour  les 
décoctions  d'écrevisses,  etc.  —  Plusieurs  de  ces  remèdes 
anciens  doivent  encore  leur  autorité  aux  petits  livres  que 
le  colportage  répand  encore  dans  les  campagnes  "\ 

Certaines  familles ,  on  dehors  même  du  prétendu 
«  parentage  »  de  saint  Hubert,  avaient  des  recettes  con- 
servées par  tradition.  Ainsi,  près  de  Brioude  (Haute-Loire), 
au  village  de  Bournoncle-Saint-Julien  (commune  de  Beau- 
mont),  la  famille  Pialoux  administre  un  remède  aux 
personnes  mordues  par  des  chiens  enragés  (ou  supposés 

[ 

1.  On  en  trouvera  aussi  une  liste  dans  A.  de  Garsault,  Le  Nouveau 
parfait  maréchal.  Paris,  Bailly,  1781,  in-4,  p.  481. 

2.  Andry,  p.  361,  et  Leneld'Ivoiry,  Manuel  des  Enragés  (Lyon,  1782), 
p.  14. 

3.  Voir,  par  exemple,  La  Médecine  et  la  Chirurgie  des  païa-res,  12® 
édition,  Avignon  1868,  qui  donne  de  longs  détails  sur  les  diverses  pré- 
parations faites  avec  ce  remède. 

4.  Sur  l'emploi  d'écaillés  d'huîlres  pilées  ou  calcinées,  voir  Andry, 
op.  cit,  p.  62  et  330  ;  et  cf.  L'Armerye,  Dictionnaire  francois-breton, 
p.  321. 

5.  Par  exemple  :  Le  secret  des  secrets  de  nature.  Épinal,  Pellerin, 
p.  4:  «  Pour  guérir  les  chiens  enragés.  Il  faut  enfermer  les  chiens  enra- 
gés et  ne  leur  rien  donner  à  manger  l'espace  d'un  jour,  puis  il  faut 
mêler  en  leur  breuvage  un  peu  d'ellébore  ;  et  lorsqu'ils  seront  purgés, 
il  les  faut  nourrir  avec  du  pain  d'orge  ;  on  guérira  ainsi  ceux  qui  seront 
mcrdus  par  des  chiens  enragés.  »  —  La  nouvelle  science  des  gens  de 
campagne,  Épinal,  Pellerin,  p.  48  :  «  Remède  fort  facile  contre  la  rage  : 
Prenez  un  hareng  salé  et  nouveau,  tout  cru,  pilez-le  dans  un  morlier 

"jusqu'à  ce  qu'il  soit  comme  de  la  pâte,  que  vous  appliquerez  en  forme 
de  cataplasme  sur  la  morsure,  continuant  cette  application  pendant  trois 
jours.» 


198  CHAPITRE    SIXIKME 

tels),  et  ce  remède  inspire  la  plus  grande  confiance  dans  la' 
contrée.  La  famille  Pialoux  tient  ce  remède  de  Marc  de 
Gouzel,  seig'neur  de  Lauriac,  qui  le  lui  donna  au  moment 
d'émigrer,  an  temps  de  la  Révolution  \  Une  particularité 
de  ce  traitement  consiste  en  ce  qu'après  avoir  pris  le 
breuvage,  dont  la  famille  Pialoux  a  le  secret,  il  ne  faut  pas 
dormir  de  vingt-quatre  heures.  M.  Paul  Le  Blanc,  qui  me 
communique  ces  renseignements,  y  ajoute  ce  souvenir 
personnel  : 

Mon  grand  -père  habitait  alors  sa  propriété  de  Bournoncle,  et 
j'avais  neuf  à  dix  ans,  lorsqu'on  nous  dit  qu'un  médecin  de  la 
Haute-Loire  avait  conduit  au  père  Pialoux  son  fils,  qui  venait 
d'être  mordu  par  un  chien  enragé.  Je  me  souviens,  comme  si 
c'était  hier,  de  l'arrivée  de  ce  docteur  et  de  son  enfant  ;  il  était 
de  mon  âge  et  tout  pâlot  comme  moi.  Comme  il  ne  faut  pas  dor- 
mir après  avoir  pris  le  breuvage,  des  femmes  le  promenaient  dans 
les  rues  de  Bournoncleen  le  tenant  sous  les  bras.  Lorsque  je  ferme 
les  yeux,  je  le  vois  encore,...  et  ce  souvenir  me  glace,  car  j'ai  toujours  ■ 
eu  la  peur  de  la  rage  et  des  chiens  enragés.  Les  bonnes  femmes . 
de  Bournoncle  ne  contribuaient  pas  peu  à  me  terrifier  avec  leurs 
histoires.  Je  me  souviens  surtout  qu'elles  racontaient  qu'on  ache- 
vait les  personnes  enragées  en  les  étouffant  entre  deux  matelas. 

Une  famille  de  Tullins,  en  Dauphiné,  avait  aussi  un 
remède  contre  la  rage  ,  que  l'on  disait  conservé  depuis 
plusieurs  centaines  d'années.    Cette   famille    s'en   faisait | 

1.  Voici  en  quels  termes  I^egrandd'Aussy  dans  son  Voyage  fait  en  ■1787 
et  nSS  dans  les  ci-devant  haute  et  basse  Auvergne.  Paris,  an  III,  in-8, 
t.  m,  p.  316,  parle  de  ce  remède  et  de  son  possesseur  :  «  Près 
de  Brioude,  un  de  ces  hommes  qu'on  désignait  sous  le  nom  de  nobles, 
s'est  dévoué  à  guérir  les  personnes  mordues  par  des  chiens  ou  des  loups 
enragés.  Ces  accidents  sont  très  communs  en  Auvergne,  soit  pendant 
l'été  quand  les  ruisseaux  sont  à  sec,  soit  pendant  l'hiver  quand  ils  sont 
gelés.  Le  citoyen  de  Lauriac  (ainsi  s'appelle  l'homme  bienfaisant  dont  je 
parle)  a  trouvé  son  spécifique  contre  la  rage;  et  de  toutes  les  parties 
de  l'Auvergne,  on  accourt  à  lui  ;  il  reçoit  les  malades  dans  son  manoir, 
les  nourrit,  les  loge,  les  guérit.  C'est,  pour  la  contrée,  un  dieu  bienfai- 
teur. » 


RECETTES  ET  REMÈDES   PROFANES  199 

g-loire  et  l'adminislrait  gratuitement  aux  personnes  mor- 
dues, et  on  se  rendait  à  Tullins  de  plus  de  ving"t  lieues  à  la 
ronde*.  Andry  mentionne  aussi,  plusieurs  fois,  des  re- 
mèdes de  paysans.  Un  grand  nombre  de  remèdes  des  siècles 
passés  contenaient  de  la  rue  ;  la  rue  est  une  plante  à 
propriétés  acres  et  irritantes,  au  goût  aromatique,  et  que 
la  médecine  n'emploie  aujourd'hui  qu'avec  prudence. 
En  Haute-Bretagne,  m'apprend  M.  Orain,  les  paysans 
considèrent  le  plantain  d'eau  [Alisma plajitago  L.)  comme 
un  remède  souverain  contre  la  rag'e. 

On  trouve  aussi,  dans  les  pays  de  l'Orient,  des  gens  qui 
prétendent  avoir  un  remède  secret.  «  Ils  ont  aussi  (il  s'agit 
de  nos  Arabes  d'Algérie)  leurs  jongleurs  et  leurs  charlatans 
pour  se  prétendre  guérisseurs.  A  quelques  lieues  d'Orléans- 
villc.  il  existe  un  Arabe^  très  connu  dans  le  pays  comme 
possédant  un  secret,  qu'il  fait  payer  très  cher,  à  l'aide 
duquel  il  prétend,  non  pas  seulement  guérir  de  la  rage, 
mais  encore  en  préserver".  » 

Comme  dernier  remède,  nous  signalerons  celui  que 
Balzac  préconisait,  en  1810,  dans  son  Histoire  de  la  rage. 
C'était  de  supprimer  «  les  chiens  libres  »,  parce  que  la 
plupart  des  accidents  viennent  des  chiens  errants.  Des 
ordonnances  de  police  avaient  essayé  de  mettre  fm  au 
vagabondage  des  chiens  à  Paris,  en  13c6,  1725  et  1741  ^; 
mais  la  menace  des  plus  fortes  amendes  avait  été  inutile, 
et  les  chiens  continuaient  à  sortir  autrement  que  tenus  en 
laisse.  Balzac  croyait  qu'en  établissant  une  capitation  et 
une  sorte  d'état  civil  de  la  population  canine,  on  suppri- 
merait tous  les  accidents  dans  leur  racine,  et  son  livre  se 
termine  par  un  «  projet  de  loi  pour  la  taxe  canine,  et 
observations  sur  le  mode  d'exécution  )>.   Une  proposition 

1.  Abbé  Rozier,  Coun  complet  d'affriculfure.  Paris,  1789,  in-4,  t.  VIII, 
p.  513. 

2.  Dussourt,  Observations  sur  la  rage,  dans  les  Mémoires  de  méde- 
cine militaire,  2«  série,  t.  XVII  (1856),  p.  161. 

3.  Voir  Balzac,  op.  cit.,  p.  38  et  les  documents  qu'il  cite. 


200  CHAPITRE    SIXIÈME 

semblable  avait  déjà  été  faite  en  1789,  et  l'on  présentait 
cette  taxe  sous  le  titre  d'  «  impôt  c anino-patrio tique ,  afin 
que  les  chiens,  qui  sont  le  symbole  de  la  fidélité  et  de  la 
franchise,  puissent  manifester  leur  philanthropie,  et  con- 
tribuer aux  charges  de  l'Etat,  comme  à  la  félicité  de  l'Em- 
pire des  Lis  ^  »  On  sait  que,  depuis,  la  taxe  a  été 
établie  en  France,  et  qu'elle  n'a  pas  arrêté  les  accidents  ni 
supprimé  les  chiens  errants.  C'est,  en  effet,  par  suite  de 
l'incubation  de  la  rage  que  le  chien  fou  quitte  la  demeure 
de  son  maître  et  se  met  à  vaguer,  portant  souvent  au  loin 
cette  contagion  dont  la  science  ignore  encore  l'origine  et 
la  genèse. 

1.  La  Caninomanie,  ou  l'impôt  favorable  clans  toutes  les  circonstances, 
et  surtout  dans  les  conjonctures  présentes.  Traduit  et  donné  au  Public 
patriote,  par  très  politique  et  très  preux  César,  chien  de  liaute  Jignée  et 
de  grand  parentage  ;  secrétaire  interprète  de  l'Aréopage  des  Chiens, 
pour  la  Langue  Franque,  et  Serviteur  de  M.  le  Chevalier  de  Trévigny, 
fils,  de  Falaise.  A  Caninopolis,  et  se  trouve  à  Paris, chez  Leroy,  libraire... 
1789,  142  p.  in-24.  — Leprojet  de  règlement  se  trouve  p.  76  et  suiv. 


APPENDICE 


DE    L'EMPLOI   THÉRAPEUTIQUE    DES    RELIQUES 
A    L'INTÉRIEUR 


APPENDICE 


DE    L  EMPLOI    THÉRA.PEL'TinUE    DES    RELIQUES,    A    L  LXTÉRIEUR 


L'insertion,  sous  la  peau  du  front,  d'un  fragment  de  la 
Sainte-Etole  n'est  qu'un  exemple  de  plus  de  l'introduction 
d'un  objet  sacré  ou  miraculeux  dans  le  corps  qui  doit  s'en 
assimiler  la  vertu.  On  pourrait  citer  de  nombreux  exemples 
de  ces  pratiques  qui  sont  l'expression  matérielle  d'une  foi 
matérialiste.  C'est  ainsi  qu'on  avale  l'eau  sur  laquelle  on  a 
prononcé  des  incantations,  le  papier  ou  le  pain  sur  lequel 
on  les  a  écrites  '.  Les  accusés  qui  allaient  subir  la  torture 
avaient  quelquefois  recours  à  des  pratiques  de  ce  genre. 
On  a  conservé  dans  la  bibliothèque  de  Ferrare  un  cahier 
de  recettes  qui  a  appartenu  au  médecin  Michel  Savonarole, 
père  du  fameux  religieux  de  ce  nom.  Ce  manuscrit  contient 
un  charme  ou  brevet  (en  latin ,  brève)  contre  la  tor- 
ture, ainsi  conçu  :  Et  ne  au  feras  de  ore  nieo  verbum  veri- 
tatis,  quia  usquequaque  in  juditiis  tiiis  semper  speravi. 
Domine,  vim  patior ;  responde  pro  me.  Quid  dicam,  quid 
respondebo  tibi  cum  apiid  te  fuero  ?  On  devait  avaler  le 
charme,  comme  dit  la  recommandation  :  Facutistud  brève 
comedas  anteaquam  vadas  ad  torturam.  Et  comme  les  juges 
croyaient,  eux  aussi,  à  la  vertu   du  charme,  ils  faisaient 

l.La  bienheureuse  ^larie  Alacoque  sauva  son  frère,  l'abbé  Alacoque, 
gravement  malade,  en  lui  faisant  prendre  une  boisson  dans  laquelle 
elle  avait  trempé  une  prière  formée  d'une  invocation  au  Cœur  Sacré  de 
Notre-Seigneur.  La  dévoiion  au  Sacré-Cœur  de  Jcsus  en  exemples,  etc., 
p.  83,  cité  dans  Parfait,  L'Arsenal  de  la  dévotiOM^  p.  344. 


204  APPENDICE 

souvent  donner  une  forte  purgation  à  celui  qu'on  devait 
torturer.  Raison  de  plus  pour  le  populaire  de  croire  que  le 
charme  aurait  produit  sou  effet  anesthésique  s'il  n'avait  été 
évacué  avec  la  purge  \  Nous  pouvons  encore  citer,  comme 
exprimant  la  même  croyance,  l'histoire  d'un  saint  irlandais, 
saint  Colomba  :  on  raconte  de  lui  qu'étant  enfant,  il  apprit 
Talphabet  rien  qu'en  avalant  un  gâteau  sur  lequel  son 
maître  avait  écrit  les  lettres  de  l'alphabet^. 

Mais  ici  nous  voulons  nous  borner  à  donner  quelques 
exemples  de  reliques  prises  à  l iiitérieiir ^  c'est-à-dire  agis- 
sant par  absorption  et  par  assimilation. 

Ce  procédé  était  pratiqué  en  grand  au  moyen  âge  dans 
plusieurs  pèlerinages  célèbres  et  il  donnait  lieu  à  un  com- 
merce lucratif  pour  le  saint  et  ceux  qui  le  représentaient. 
Ainsi  à  La  Fère,  où  le  culte  de  saint  Firmin  était  très 
accrédité,  —  une  partie  des  reliques  du  saint  était  conservée 
à  la  maladrerie  de  cette  ville^  —  les  pèlerins  n'achetaient 
pas  seulement,  comme  ailleurs,  des  «  enseignes  ^  »  à  l'image 
du  saint,  mais  souvent  aussi  des  fioles  contenant  l'eau  dans 
laquelle  ses  ossements  avaient  été  plongés.  Cette  eau  ser- 
vait à  guérir  de  nombreuses  maladies,  et  l'on  appelait  cela 
«  les  lavages  (ou  lavements)  de  M.  saint  Firmin''.    »    Au 

1.  G.  YevvdsOjSiqterstizioni,  e<c.,Mo?i/emnî(Palerme,1886),p.ll,  elc. 
—  De  même  un  accusé  qui  avait  sur  lui  des  cheveux  de  sainte  Colette, 
supporta  la  torture  avec  tant  de  force  qu'il  fut  déclaré  innocent.  Roskoff. 
Gesddchte  des  Teufels,  II,  170.  —  La  même  croyance  paraît  exister 
au  Tonkin  ;  car,  comme  trois  indigènes  chrétiens  avaient  supporté  la 
torture  avec  un  grand  courage,  on  leur  disait  :  «  N'auriez-vous  pas 
quelque  recelte,  quelque  charme  qui  émousse  les  douleurs,  puisque, 
frappés  avec  plus  de  force  que  les  autres  accusés,  vous  ne  criez  pas 
comme  eux?»  {Annales  de  la  Propagation  de  la  Foi,  t.  XIII,  p.  286.) 

2.  Voir  notre  article,  Les  Gâteaux  alphabétiques  dans  les  Mélanges 
Renier  (Bibliothèque  de  l'École  des  Hautes  Etudes),  p.  1  et  suiv. 

3.  On  donnait  le  nom  d'enseignes  de  pèlerinage  à  de  petites  images 
du  saint,  le  plus  souvent  en  plomb  ou  en  étain,  que  l'on  mettait  au 
bonnet  ou  au  cou. 

4.  Matton,  Les  enseignes  et  les  lavages  de  saint  Firmin  de  la  Fère  dans 
le  Bulletin  de  la  Société  académique  du  Mans,  t.  XVIIl,  p.  115. 


EMPLOI  THÉRAPEUTIQUE  DES  RELIQUES  205 

moyen  âge,  on  invoquait  saint  Firmin  surtout  pour  Téré- 
sypèle  et  le  scorbut  ^  De  même  au  pèlerinage  de  Saint- 
Quentin,  dans  la  ville  qui  porte  son  nom,  on  trempait 
des  reliques  du  saint  dans  de  l'eau  qu'on  donnait  à  boire 
aux  malades  ou  dont  ils  lavaient  les  parties  malades  de  leur 
corps".  Saint  Quentin  étaits  urtout  invoqué  pour  l'hydro- 
pisie. 

L'hagiographie  et  l'histoire  nous  fournissent  plus  d'un 
exemple  analogue.  L^eau  dans  laquelle  saint  Sulpice  s'est  lavé 
les  mains  sert  à  guérir  les  maladies  et  surtout  les  fièvres  ^. 

On  fait  boire  à  un  possédé  le  vin  dans  lequel  on  a  lavé 
les  reliques  de  saint  Genulphus  et  le  démon  lui  sort  de  la 
bouche  avec  du  sang*. 

Les  reliques  de  saint  Ours  servirent  à  un  exorcisme  de  ce 
genre.  «  C'est  un  démoniaque  délivré  par  l'intercession  de 
saint  Ours.  Ce  malheureux,  se  tenant  à  la  porte  de  l'église, 
criait  à  haute  voix  :  priez  pour  moi  afin  que  je  puisse  prier 
pour  vous.  Ces  paroles  attirèrent  naturellement  l'attention 
de  tous  les  assistants,  du  clergé  comme  du  peuple,  et, 
après  qu'on  se  fût  assuré  de  l'état  anormal  de  l'individu 
qui  criait,  il  fut  résolu  qu'on  célébrerait  une  messe  pour 
lui  et  qu'on  lui  ferait  boire  du  vin  bénit  en  l'honneur  de 
saint  Ours.  Ce  fut  le  prieur  de  la  Collégiale  qui  célébra 
cette  messe  et  fit  ensuite  la  bénédiction  du  vin  dans  lequel 
on  fit  tremper  le  chef  de  saint  Ours.  Cela  fait,  on  amena  le 
démoniaque  et,  à  grand'peine,  on  lui  fit  avaler  du  vin  ainsi 


1.  Corblet,  Hagiographie  du  diocèse  d'Amienj,  t.  II,  p.  175. 

2.  G.  Lecoq,  Étude  iconographique  sur  le  culte  et  le  pèlerinage  de 
Saint-Quentin,  p.  10.  CL  Corblet,  Hagiographie  du  diocèse  d'Amiens, 
t.  III,  p.  387. 

3.  Bollandistes  Acia  SS.,  janvier,  t.  II,  p.  173,  38.  —  Des  amoureux 
fort  amoureux  en  ont  quelquefois  agi  de  la  sorte  avec  les  dames  de  leurs 
pensées.  Un  minnesinger  qui  fut  une  sorte  de  Don  Quichotte  avant 
Cervantes,  Ulrich  de  Lichlenstein,  but  l'eau  où  sa  dame  avait  trempé  ses 
mains  à  table.  Bossert,  La  Littérature  allemande  au  moyen  âge,  p.  298. 

4.  Bollandistes,  janvier,  t.  II,  p.  106,  43. 


206  APPENDICE 

bénit.  Il  n'en  eut  pas  plus  tôt  avalé  que  les  démons,  après 
l'avoir  jeté  à  terre,  furent  contraints  de  se  retirer  de  son 
corps,  à  la  g-rande  satisfaction  de  cet  homme  et  de  tous 
ceux  qui  avaient  prié  pour  lui  \  » 

Brunon,  évêque  de  Toul,  guérit  ses  compagnons  de  la 
peste  en  leur  donnant  du  vin  dans  lequel  il  avait  préalable- 
ment trempé  des  reliques  ^ 

Un  roi  de  France  aurait  recouvré  de  la  sorte  la  santé 
par  l'intermédiaire  de  saint  Josse.  «  Le  roi  Philippe  I^"", 
atteint  depuis  deux  ans  de  la  fièvre,  vint  à  Parnes-en- 
Vexin  invoquer  le  Saint.  Après  avoir  bu  de  l'eau  sanctifiée 
par  le  contact  de  ses  reliques,  et  prié  plusieurs  nuits  devant 
la  châsse,  le  monarque  recouvra  la  santé.  Comme  témoi- 
gnage de  ce  miracle  et  de  sa  gratitude^,  Philippe  laissa  à 
l'église  de  Parues  des  marques  de  sa  magnificence  ^  » 

A  Arras^  on  guérissait  le  mal  des  ardents,  —  c'est  la 
même  maladie  de  peau  qu'on  appelait  aussi  feu  sacré  ou 
feu  Saint-Antoine,  parce  que  saint  Antoine  la  guérissait 
aussi,  —  avec  de  l'eau  dans  laquelle  on  faisait  distiller 
quelques  gouttes  de  la  Sainte-Chandelle  *.  Cette  eau  s'em- 
ployait plus  souvent  à  l'extérieur,  mais  on  l'employait 
aussi  quelquefois  à  l'intérieur.  A  Courtrai  (où  l'on  possédait 
un  fragment  de  la  Sainte-Chandelle),  pendant  la  peste  de 
1643,  les  fidèles  burent  ou  emportèrent  de  cette  eau  la 
valeur  de  quatorze  tonnes  ^  Cette  eau,  qu'on  appelle  «  eau 
médicale  »,  se  fabrique  encore  en  plusieurs  sanctuaires  où 


1.  Vie  de  saint  Ours,  archidiacre  d^Aoste.  Aoste.  1868,  p.  92. 

2.  D.  Calmet,  Histoire   de  Lorraine,  t.  II,  p.  159,  cité  dans  Raoul 
Rosières,  Recherches  critiques  sur   Vhistoire  religieuse  de  la  France, 

p.  342. 

3.  Abbé  Robitaille.  Vie  de  saint  Josse.  Arras,  1867,  p.  105. 

4.  Abbé  Proyart,  Sanctuaires  de  Notre-Dame  des  Ardents,  p.  24,  cité 
dans  P.  Parfait,  La  foire  aux  relic/ues,  p.  81.  La  sainte  chandelle  d'Ar- 
ras  est  un  cierge  apporté  au  xiie  siècle,  par  la  Vierge  elle-même,  à  la 
cathe'drale  d'Arras. 

5.  Abbé  Proyait,  cité  par  P.  Parlait,  of.  cit.,  p.  87. 


EMPLOI  THÉRAPEUTIQUE  DES  RELIQUES  207 

l'on  a  des  fragments  de  la  Sainte-Chandelle.  Tout  récem- 
ment encore,  dans  un  pèlerinage  de  1878,  une  religieuse 
ursuline  a  été  guérie  d'une  extinction  de  voix  par  la  vertu 
de  cette  eau.  «  Le  soir  même,  racontait  le  journal  fUnivers^ 
la  religieuse,  après  avoir  bu  de  l'eau  dans  laquelle  on  avait 
distillé  quelques  gouttes  du  Saint-Cierge,  retrouvait  la 
parole  ^  » 

Le  Saint-Suaire  conservé  à  Gadouin,  dans  le  Périgord, 
est  u  celui  des  linges  qui  dans  le  tombeau,  enveloppait  la 
tête  de  Jésus  ».  Yoici  un  cas  de  guérison  opéré  par  cette 
relique  ;  ici  ce  que  l'on  infuse,  ce  n'est  pas  la  relique  elle- 
même,  mais  des  objets  qui  l'ont  touchée.  «  Un  des  procu- 
reurs de  la  confrérie  du  Saint-Suaire  lui  conseilla  de  se 
vouer  au  Saint-Suaire  et  de  faire  une  neuvaine  en  son  hon- 
neur, en  prenant  chaque  jour  un  peu  de  vinaigre  qu'il  lui 
donna  (au  malade),  et  dans  lequel  on  avait  fait  tremper  un 
anneau  d'argent  et  un  cordon  de  soie  qui  avaient  touché  la 
relique.  Le  malade  exécuta  de  point  en  point  ce  qu'on  lui 
avait  conseillé,  et,  avant  la  fin  de  la  neuvaine^  le  serpent 
qui  était  dans  son  corps  mourut  et  il  en  fut  tout  à  fait 
délivré  ^  »  Ce  qu'on  appelle  ici  «  serpent  »  était  sans  doute 
un  ver,  le  ver  solitaire. 

On  fait  ainsi,  par  ce  procédé,  des  eaux  bénites  particu- 
lières qui  ont  des  vertus  curatives.  Ainsi  «  l'eau  bénite  de 
saint  Ignace  ;  »  mais  «  la  relique  qu'on  plonge  dans  l'eau 
est  renfermée  dans  un  tube  de  verre,  afin  qu'elle  ne  se 
gâte  pas  par  l'humidité  ".  »  Elle  sert  contre  le  choléra;,  les' 
maladies  contagieuses  et  autres  infirmités.  C'est  par  le 
même  procédé,  c'est-à-dire  en  plongeant  dans  l'eau,  non 
la  relique ,  mais  le  reliquaire,,  qu'on  obtient  «  l'eau  de  la 
Sainte -Larme.  »  La  relique  dont  il  s'agit  ici  est  une 
larme   de  Jésus-Christ  conservée  à  Allouagne  (Pas-de-Ca- 

1.  Cité  dans  P.  Parfait,  op.  cit.,  p.  91. 

2.  Le  R.  P.  Caries,  Histoire  du  Saint-Suaire  de  Noire- Seigneur  Jésus- 
Christ,  p.  277,  cité  dans  P.  Parfait,  op.  cit.,  p.  200. 

3.  Le  P.  Terwecoren,  La  Dévotion  à  saint  Ignace  de  Loyola,  p.  129. 


•208  APPENDICE 

lais)  et  qui  passe  pour  avoir  été  recueillie  par  Marie-Made- 
leine sur  le  tombeau  de  Lazare  '.  L'eau  dans  laquelle  on  a 
trempé  la  médaille  de  saint  Benoît,  une  dos  plus  puissantes 
amulettes  chrétiennes,  a  les  plus  grandes  vertus,  et  son  effiT 
cacité  s'étend  jusqu'aux  animaux.  Voici,  entre  autres  gué- 
risons  d'animaux,  celle  d'un  chat  malade  de  la  gale. 

Le  visiteur  lui  conseilla  de  plonger  chaque  jour  la  médaille  de 
Saint-Benoît  dans  le  vase  d'eau  qu'elle  avait  coutume  de  mettre  à 
la  portée  du  chat  pour  qu'il  allât  s'y  désaltérer.  La  dame  lui 
objecta  qu'elle  y  avait  déjà  pensé,  mais  que,  dans  la  crainte  de 
profaner  une  chose  sainte  en  l'employant  à  un  usage  vulgaire, 
elle  s'en  était  abstenue.  Le  visiteur  lui  répondit  que  la  vertu  de 
la  Croix  ayant  réhabilité  la  création  tout  entière,  elle  pouvait  être 
appliquée  à  tous  les  êtres  qui  sont  utiles  à  l'homme.  «  Au  reste, 
ajouia-t-il,  Dieu  sait  bien  que  notre  intention  est  pure,  et  que 
nous  ne  voulons  que  sa  gloire  ;  s'il  nous  approuve,  il  guérira  la 
pauvre  bête  ;  sinon,  elle  restera  malade  et  il  n'en  sera  que  cela.  » 
Là-dessus,  il  plongea  la  médaille  dans  l'écuelle  d'eau  et  engagea 
la  personne  à  continuer  de  le  faire  jusqu'à  parfaite  guérison  de 
l'animal.  Peu  de  jours  après,  la  gale  avait  complètement  disparu  ; 
le  poil  était  devenu  parfaitement  propre  et  l'on  put  constater  une 
fois  de  plus  que  la  bonté  de  Dieu  s'étend  à  toutes  ses  créatures'. 

C'est  par  un  procédé  analogue  que  dans  des  centaines 
d'églises  de  France  —  et  sans  doute  aussi  des  autres  pays 
catholiques  —  on  gratte  la  statue  ou  la  châsse  du  saint  et 
on  boit  l'eau  dans  laquelle  on  fait  dissoudre  cette  poussière. 
Le  raisonnement  des  fidèles  est  celui-ci.  Il  y  a  un  person- 
nage surnaturel,  saint  X...  qui  guérit  ceux  qui  l'invoquent 
et  surtout  de  telle  maladie  ;  tout  ce  qui  vient  de  lui  parti- 
cipe de  sa  puissance,  —  en  vertu  du  principe  matérialiste 

1.  Pèlerinage  d'Allouagne  près  BéUaine,  p.  17,  cité  dans  Parfait, 
L'Arsenal  de  la  dévotion,  p.  348. 

2.  Dom  Guéranger  (abbé  de  Solesmes),  Essai  sur  l'origine,  la  signifi 
cation  et  le  privilège  de  la  médaille  ou  croix  de  saint  Beiïoit,  9'^  éà. 
(1885),  p.  105. 


EMPLOI  THÉRAPEUTIQUE  DES  RELIQUES  209 

que  nous  avons  déjà  signalé  ;  —  à  défaut  de  ses  reliques, 
la  châsse  oii  sont  ses  reliques  aura  cette  vertu;  de  même 
aussi  son  image,  sa  statue.  Et  pour  beaucoup  de  fidèles 
à  l'âme  obscure,  la  statue  n'est-elle  pas  le  saint  lui-même 
et  un  fétiche  plus  qu'une  image?  C'est  cet  instinct  maté- 
rialiste des  foules  qui  a  donné  son  importance  au  culte  des 
imag'es,  qui  l'a  imposé  à  l'Eglise^  si  bien  quel'Eg'lise  a  dû 
l'accepter,  quitte  à  le  lég-itimer  par  des  théories  et  des 
distinctions  théologiques,  lettre  morte  et  incompréhensible 
pour  la  foule. 

Ici  nous  sommes  forcé  de  nous  borner  à  quelques 
exemples  caractéristiques  : 

Statue  du  Saint.  —  Au  Petit  Andely,  en  Normandie, 
saint  Mamet  est  invoqué  pour  les  coliques  et  les  convul- 
sions, surtout  chez  les  petits  enfants.  Suivant  le  principe  de 
la  sympathie  —  qui  est  des  plus  importantes  de  la  médecine 
populaire  —  comme  c'est  du  ventre  que  l'on  souffre,  c'est 
au  ventre  du  saint  qu'on  a  recours.  Après  avoir  fait  dire  un 
évang'ile,  ce  qui  ne  coûtait  autrefois  qu'un  patard  (deux 
sous),  on  appelle  le  sacristain. 

Celui-ci  gratte  avec  un  couteau  le  ventre  du  bon  saint  Mamet  : 
on  recueille  soigneusement  sa  raclure  et  on  l'avale  dans  sa  soupe. 
Une  seule  pincée  de  la  précieuse  poussière,  mise  dans  la  bouillie 
d'un  enfant,  lui  ôte  ses  convulsions  comme  par  enchantement. 

A  force  de  gratter  le  nombril  de  ce  pauvre  saint  Mamet,  on  le 
lui  a  usé  passablement...  Aussi,  pour  cacher  ce  trou  béant  à  son 
abdomen,  on  y  a  placé  un  petit  tablier  de  soie  verte  qui  lui  donne 
l'air  dlm  cuisinier  ou  d'un  garçon  de  salle  de  dissection.  Puis  de 
temps  en  temps,  l'honnête  sacristain  lui  remet  un  peu  de  baume 
au  cœur  au  moyen  d'une  poignée  de  plâtre...  La  foi  est  aveugle 
et  le  pèlerin  gratte  de  confiance  le  ventre  toujours  nouveau  d'un 
saint  qui  est  toujours  le  mème^ 

1 

1.  Boue  (de  Villiers),  Le  Pèlerinage  de  la  fontaine  Saintc-Clolilde  aux 
Andelys,  p.  39. 

LA  RAOE  14 


210  APPENDICE 

A  Aubazinc,  dans  le  département  de  la  Gorrëze,  c'est  la 
lête  du  saint,  patron  de  l'église,  que  l'on  gratte;  «  car  on 
attribue  à  cette  poussière  la  vertu  de  guérir  certaines 
maladies  ^  ». 

Saint  Guénolé,  en  latin,  Winwalœus  ou  Guengualocus,  et 
en  français  Guingalois,  est  le  saint  dont  le  nom  est  devenu 
dans  la  bouche  du  peuple  saint  Guig-nolet.  C'est  un  des 
saints  que  les  femmes  invoquent  contre  la  stérilité.  Or,  voici 
comment,  au  commencement  du  siècle,  les  choses  se  pas- 
saient dans  un  sanctuaire  des  environs  de  Brest. 

Je  ne  veux  pas  sortir  de  Brest  sans  faire  part  encore  d'une 
anecdote  assez  singulière.  Il  s'agit  d'un  saint.  Mon  intention  n'est 
pas  de  scandaliser  les  uns  ni  de  fournir  aux  autres  des  réflexions 
impies.  Il  fallait  donc  vous  taire,  me  dira-t-on  peut-être;  pour- 
quoi parler  d'un  saint  qui  est  l'objet  d'un  culte? 

Eh  bien  !  j'aurai  le  courage  de  le  dire  ;  le  culte  de  ce  saint  est 
un  outrage  à  l'honnêteté,  à  la  pureté  évangélique  ;  il  n'est  donc 
pas  de  la  religion  ;  c'est  une  superstition  monstrueuse. 

Quel  est  donc  ce  saint?  ce  n'est  ni  dans  Fréret  ni  dans  Vol- 
taire que  j'en  ai  lu  le  nom  et  les  attributs  ;  je  l'ai  vu  de  mes  yeux, 
je  l'ai  touché  de  mes  mains,  ainsi  que  cinq  ou  six  personnes  pré- 
sentes avec  moi. 

Au  fond  du  port  de  Brest,  au  delà  des  fortifications,  en  re- 
montant la  rivière,  il  existait  une  chapelle,  auprès  d'une  fontaine 
et  d'un  petit  bois  qui  couvre  la  colline,  et  dans  cette  chapelle  était 
une  statue  en  pierre,  honorée  du  nom  de  saint.  Si  la  décence  per- 
mettait de  décrire  Priape,  avec  ses  indécents  attributs,  je  peindrais 
cette  statue. 

Lorsque  je  l'ai  vue,  la  chapelle  était  à  moitié  démolie  et  décou- 
verte, la  statue  en  dehors,  étendue  par  terre  et  sans  être  brisée  ; 
de  sorte  qu'elle  existait  en  entier,  et  même  avec  des  réparations 
modernes  qui  me  la  firent  paraître  encore  plus  scandaleuse. 

Les  femmes  stériles,  ou  qui  craignaient  de  l'être,  allaient  à 
cette  statue,  et,  après  avoir  gratté  ou  raclé  ce  que  je  n'ose  nom- 

1.  Dictionnaire  des  Pèlerinages  (coll.  Migne),  t.  l,  col.  246. 


EMPLOI  THÉRAPEUTIQUE  DES  RELIQUES  211 

me}'  et  bu  celte  poudre,  infusée  dans  un  verre  d'eau  de  la  fon- 
taine, ces  femmes  s'en  retournaient  avec  l'espoir  d'être  fer- 
tiles K 

La  chapelle  est  aujourd'hui  détruite  et  la  statue  disparue. 
Notre  ami  M.  Luzel  nous  écrit  à  ce  sujet  :  «  J'ai  fait,  il  y 
a  quelques  années,  une  excursion  au  fond  du  port  de  Brest, 
le  long-  de  la  Penfeld,  à  la  recherche  de  la  chapelle  et  de 
la  statue  dont  parle  Harmand  de  la  Meuse.  J'ai  bien  trou- 
vé l'emplacement  de  la  chapelle,  aujourd'hui  disparue, 
mais  aucune  trace  de  la  statue.  Pourtant,  son  souvenir  et 
celui  des  pratiques  dont  elle  était  l'objet  vivent  encore  dans 
la  tradition  orale  du  pays.  » 

Ce  n'est  pas  ici  un  cas  isolé  du  culte  du  saint  de  la  fé- 
condité, véritable  Priape  chrétien  :  on  en  connaît  d'autres 
exemples  ailleurs,  quel  que  soit  le  nom  du  saint,  et  sans 
doute,  si  on  avait  plus  de  détails  sur  le  culte  populaire  du 
Priape  antique  ,  lui  trouverait-on  une  origine  pré-chré- 
tienne. En  effet  la  plupart  des  pratiques  de  la  dévotion 
populaire  qui  scandalisaient  les  théologiens  philosophes,  ou 
égayaient  les  esprits  forts  et  les  railleurs,  ne  sont  que  la 
continuation  de  pratiques  antérieures  au  christianisme.  — 
Henri  Estienne  parle  de  la  statue  d'un  saint  appelé  populai- 
rement saint  Greluchon,  qui  se  trouvait  en  une  abbaye  des 
environs  de  Romorantin,  qu'on  invoquait  pour  le  même 
objet  et  qu'on  grattait  au  même  endroit  ^ 

On  connaît  encore  d'autres  exemples  du  même  remède 
contre  la  stérilité  des  femmes  ^ 

Le  tombeau  du  saint.  —  La  pratique  de  gratter  les  tom- 
beaux des  saints,  d'en  mettre  la  poussière  dans  l'eau  et  de 
boire  cette  infusion  pour  se  guérir  d'une  maladie,  est 
presque  aussi  ancienne  que  le  christianisme  lui-même,  car 

1.  J.-B.  Ilarmand  (de  la  Meuse),  Anecdotes  relatives  à  la  dévolution. 
Paris,  1820,  p.  118. 

2.  Apologie  jjour  Ilcrodoti',  ch.  xxxvni. 

3.  Cûllin  de  Plancy,  Biclionnuire  critique  des  reliques,   t.  1,  p.  383. 


212  APPENDICE 

il  on  est  fait  mention  dans  de  vieux  écrivains  comme  Gré- 
goire de  Tours.  Celui-ci  mentionne,  dans  l'église  de  Saint- 
Vénérand,  à  Clermont-Ferrand,  le  tombeau  d'un  religieux 
du  nom  d'Alexandre,  tellement  gratté  qu''il  en  est  tout 
troué  ^  Le  tombeau  de  l'évêque  Tliaumastus,  à  Poitiers, 
est  également  percé  par  la  même  pratique  ^  A  Saint- 
Martin  de  Tours,  lors  d'une  épidémie  de  dysenterie,  on 
eut  recours  au  même  traitement  avec  la  poussière  du  tom- 
beau du  saint  :  Grégoire  vit  lui-même  un  dysentérique 
dont  l'état  était  désespéré,  amené  à  la  basilique  après  une 
nuit  sans  sommeil.  Après  avoir  bu  du  vin  où  l'on  avait  mis 
de  la  poussière  du  tombeau  du  saint,  il  s'en  retourna 
guéri  •\  Gréo-oire  raconte  bien  d'autres  miracles  de  ce 
genre,  et  il  n'y  a  pas  à  s'étonner  qu'aux  époques  de  foi,  et 
de  foi  agissante,  les  tombeaux  des  saints  aient  été  usés  et 
troués  par  la  piété  des  malades. 

Grégoire  de  Tours  avait  une  telle  confiance  dans  cette 
poussière,  que  partant  en  voyage  pour  aller  voir  sa  mère, 
et  craignant  d'être  malade  en  route,  il  emporta  de  la  pous- 
sière du  tombeau  de  saint  Martin.  Comme  il  était  chez  sa 
mère,  on  lui  apprend  qu'un  enfant  du  voisinage  est  malade 
de  la  dysenterie  et  de  fièvre,  au  point  de  ne  pouvoir  rien 
manger.  Grégoire  fait  dissoudre  un  peu  de  cette  poudre  et 
la  fait  boire  au  «  moribond  »  ;  celui-ci  guérit  aussitôt. 
Avec  le  même  remède,  il  guérit  encore  plusieurs  fiévreux 
et  se  guérit  lui-même  d'un  violent  mal  de  dents  qui  lui 
avait  fait  enfler  toute  la  têle;  et  dans  la  joie  de  cette  gué- 
rison,  il  s'écrie  :  «  0  thériaque  inénarrable  I  0  drogue  inef- 
fable! 0  antidote  louable  1  0  purgatif  que  j'appellerai 
céleste,  quivaincles  inventions  des  médecins,  qui  dépasse 
les  suavités  des  parfums,  et  qui  l'emporte  sur  la  puissance 
de  tous  les  onguents  I  qui  nettoie  le  ventre  comme  Yagri- 

i.  De  Gloria  confessorum,  xxxvi. 

2.  Ibid.,  LUI. 

3.  De  miruculisS.  Marlini-  II,  5i.  —  Voir  aussi,  ilid.,  111,34. 


EMPLOI  THÉRAPEUTIQUE  DES  RELIQUES  213 

dhmi  ',  1g  poumon  comme  l'hysope,  et  purge  même  la  lète 
comme  le  pyrèlhrc  !  Et  non  seulement  elle  fortifie  les 
membres  débiles,  mais  ce  qui  est  bien  plus  important,  elle 
nettoie  et  aplanit  les  souillures  des  consciences'.  »  La 
poudre  d'un  tombeau  guérissant  Tàme  aussi  bien  que  le 
corps,  est-il  possible  de  pousser  plus  loin  le  fétichisme? 
Grégoire  de  Tours  était  un  des  hommes  les  plus  instruits 
et  peut-être  un  des  plus  éclairés  de  son  temps  :  on  peut 
juger  par  là  de  l'état  intellectuel  de  ses  contemporains. 

11  n'y  a  pas  de  province  de  France  où  il  n'y  ait  de  nom- 
breux exemples  de  tombeaux  grattés  de  la  même  façon.  Ce 
que  nous  disons  de  la  France  est  aussi  vrai  des  autres 
pays  chrétiens,  et  nous  gagerions,  sans  l'avoir  vérifié, 
qu'il  en  est  de  même  dans  les  pays  musulmans,  auprès  des 
tombeaux  des  marabouts  vénérés  et  des  saints  de  l'Islam. 
La  pratique  n'est  pas  confinée  aux  classes  strictement 
populaires,  car  on  la  voit  mentionnée  dans  des  ouvrages  de 
piété,  comme  on  peut  juger  par  ce  passage  :  «  Le  20  oc- 
tobre, raconte  un  malade  d^'une  communauté  de  Grenoble, 
mon  état  était  toujours  le  même.  Ce  jour-là,  une  de  nos 
sœurs  arrivée  de  La  Louvesc,  avait  apporté  de  la  poussière 
du  tombeau  de  saint  François-Régis.  La  sœur  infirmière  en 
mit  quelques  grains  dans  une  cuillerée  qu'elle  me  fit 
prendre;  je  commençai  à  me  trouver  un  peu  mieux ^  .» 

Monuments  divers  de  l'Eglise.  —  Dans  l'église  paroissiale 
de  Poissy,  se  trouvent  (ou  du  moins  se  trouvaient)  dans 
une  chapelle  à  gauche  de  la  nef,  les  fonts  baptismaux  oi!i 
l'on  a  baptisé  saint  Louis.  «  On  raconte,  dit  Expilly  en  1768, 
que,  par  le  moyen  de  la  raclure  de  ces  fonts,  avalée  dans 
un  verre  d'eau,  Dieu  a  bien  voulu  opérer  plusieurs  fois  la 

1.  Nous  ignorons  quelle  est  celle  plante,  dont  le  nom  dérive  sans 
doute  du  mol  latin  ceger. 

2.  De  miraculis  S.  Martini,  111,  GO. 

3.  Histoire  de  ISotre-Bame  de  Laus,  par  le  P.  Maurel,  S.  J.,  2^  éd., 
p.  83,  cité  dans  Parfait,  La  Foire  aux  reliques,  p.  388. 


214  APPENDICE 

g-aérison  de  la  fièvre'.  »  Et  Espilly  cite  à  cet  ég-ard  l'ex- 
voto  en  vers  latins  d'un  docteur  es  arts,  gravé  tout  auprès 
sur  une  plaque  de  marbre  : 

Fons  hic  quem  cernis,  nuUas  licet  egerat  undas, 
Ardentem  mira  comprimit  arte  sitim. 

Si  quem  urit  febris,  raso  de  pulvere  sumat 
Pocula,  preesentem  sentiet  aeges  opem. 

0  natura,  stupe  !  rerum  pervertitur  ordo, 

Exstinguit  flammas  nunc,  valut  unda,  lapis. 

Dans  la  chapelle  de  Sainte-Barbe ,  à  un  kilomètre  de 
l'église  paroissiale  de  Marolles-les-Buis  (Eure-et-Loir), 
«  les  pèlerins  grattent  avec  un  couteau  le  mur  de  la  cha- 
pelle, mêlent  dans  un  verre  d'eau  la  poussière  ainsi  obtenue, 
et  avalent  cette  potion  pour  se  guérir  de  la  fièvre.  Ce 
remède  n'agit  qu'autant  qu'on  se  fait  dire  au  moins  un 
évangile  ^  » 

Faut-il  rappeler  les  vertus  merveilleuses  des  «  saintes 
poussières  »  de  Lorette?  «  A  certains  jours,  on  époussète 
les  murs  de  la  Santa  Casa;\3.  poussière,  recueillie  sur  des 
linges  gommés,  est  ensuite  renfermée  dans  de  petits  reli- 
quaires que  les  pèlerins  peuvent  conserver  sans  crainte, 
parce  qu'ils  sont  donnés  par  l'autorité  légitime  ^  » 

Autres  monuments.  —  Des  monuments  mégalithiques  ou 
des  objets  de  pierre  sont  souvent  mis  en  rapport  avec  les 
saints  par  la  tradition  populaire.  Dans  ce  cas,  on  a  encore 
recours  au  grattage  ou  au  lavage. 

En  Ecosse,  sur  les  bords  de  la  Clydc,  dans  une  localité 
qu'on  ne  nomme  pas,  se  trouve  (ou  au  moins  se  trouvait) 
une  pierre  appelée  le  char  de  saint  Convall.  D'après  la  tra- 
dition, ce  saint  serait  venu  d'Irlande  par  mer,  sur  cette 

1.  P^xpilly,  Dictionnaire  géographique  des  Gaules  et  de  la  Vrance, 
t.  V,  p.  716. 

2.  A.  S.  Morin,  Le  prêtre  et  le  sorcier,  p.  270. 

3.  Abbé  Milochau,  La  sainte  Maison  de  Lorette,  p,  126,  cité  dans 
Parfait,  La  Foire  aux  reliques,  p.  387. 


EMPLOI  THÉRAPEUTIQUE  DES  RELIQUES  215 

pierre.  —  Cette  façon  de  Iraverser  Ja  mer,  sur  des  pierres 
ou  dans  des  auges  en  pierre,  était  familière  aux  saints 
celtiques  et,  dans  plusieurs  églises  de  Bretagne,  on  a  con- 
servé, comme  preuve  authentique,  l'auge  miraculeuse  du 
saint.  —  Le  char  de  saint  Convall  servait  à  guérir  bêtes  et 
gens,  grâce  à  l'eau  dont  on  l'avait  lavé  '. 

Dans  le  voisinage  de  Saint-Léonard-des-Bois  (Sarthe), 
se  trouve  une  sorte  de  dolmen  connu  sous  le  nom  de  «  lit  » 
ou  «  tombeau  de  saint  Léonard.  »  Un  grand  nombre  de 
pierres  mégalithiques  passent  pour  avoir  servi  de  lit  à  des 
anachorètes  et  c'est  par  la  trace  de  leur  corps  que  l'on 
explique  le  creux  ou  le  poli  ou  telle  autre  particularité  de 
la  pierre.  —  L'une  des  extrémités  de  la  pierre  de  saint 
Léonard  est  bombée  et  a  un  peu  la  forme  d'un  oreiller  ; 
l'autre  est  creusée  et  l'on  a  cru  y  voir  des  traces  de  pieds 
humains.  De  là  est  venu  naturellement  la  légende.  Or,  du 
moment  que  le  saint  a  couché  là,  la  pierre  doit  être  fétiche, 
par  la  raison  que  tout  ce  qui  a  touché  aux  personnages 
surnaturels  participe  de  leur  puissance.  On  gratte  la 
mousse  qui  pousse  sur  cette  pierre  et  elle  guérit  la  fièvre  ^ 
Donner  plus  d'exemples  serait  fastidieux  et  n'ajouterait 
rien  au  principe  de  médecine  religieuse  que  nous  avons 
énoncé  et  démontré  par  les  faits  ^  Une  pratique  différente 
par  le  procédé,  mais  identique  par  l'esprit,  nous  servira  de 
conclusion. 

Puisque  l'on  boit  l'eau  des  reliques,  on  peut  aussi  les 
prendre  d'une  autre  manière,  car  si  elles  ont  de  la  vertu, 
elles  l'ont  certainement  par  un  bout  comme  par  l'autre. 
Nous  n'avons  pourtant,  dans  nos  lectures,  rencontré  qu'un 

1.  Dalyell,  DarA'er  SMpers<(7io?is  of  Scotland,  p.  152. 

2.  Joanne,  Itini^raire  de  la  Bretagne,  éd.  de  1873,  p.  337. 

3.  C'est  d'après  le  même  principe  que  l'on  attribue  des  vertus  cura- 
tives  à  l'eau  dans  laquelle  on  a  fait  tremper  ou  bouillir  des  pierres  amu- 
lettes, telles  que  les  pierres  de  tonnerre  et  autres;  mais  cela  est  en 
dehors  de  notre  sujet. 


216  APPENDICE 

seul  exemple  de  reliques  prises  en  clystère.  Ce  mode  d'ab- 
sorption est  en  effet  moins  agréable  ;  il  est  aussi  moins 
respectueux  et  de  grands  personnages  seuls  ont  pu  se  le 
permettre.  L'exemple  que  nous  avons  trouvé  est  celui  d'un 
duc  d'Albe  dont  parle  Saint-Simon,  et  cela  nous  rappelle 
les  vers  de  La  Fontaine  racontant  un  trait 

D'une  âme  espagnole, 

Plus  grande  encore  que  folle. 

Le  duc  et  la  duchesse  d'Albe  étaient  à  Paris  avec  leur 
fils  unique  qui  avait  de  sept  ou  huit  ans....  «  Tous  les  vœux 
elles  dévotions  singulières  que  fit  la  duchesse  d'Albe  pour 
obtenir  la  guérison  de  son  fils  surprirent  fort  ici,  jusqu'à 
lui  faire  prendre  des  reliques  en  poudre  par  la  bouche  et 
en  lavement.  Enfin  il  mourut,  et  son  corps  fut  renvoyé  en 
Espagne  en  habit  de  cordelier,  autre  dévotion  espagnole. 
Ils  furent  fort  affligés,  surtout  la  duchesse  d'Albe^,  avec  des 
éclats  étranges.  Le  roi  leur  envoya  faire  compliment,  et 
les  fils  de  France  et  toute  la  cour  y  fut  ^  « 

Ce  sont  là  des  pratiques  qui  se  rencontrent  dans  d'autres 
parties  du  globe,  car  la  façon  dont  l'homme  sans  culture 
intellectuelle  comprend  le  monde  extérieur  est  toujours  et 
partout  la  même  ;  les  noms  seuls  diffèrent.  Yoici,  par 
exemple,  des  pratiques  de  l'Inde  que  nous  fait  connaître 
M.  Barth  : 

Dans  les  sanctuaires  de  l'Inde,  l'eau  qui  a  servi  à  faire  les 
ablutions  journalières  de  l'image  du  dieu,  qui  est  souvent  de 
l'eau  du  Gange,  apportée  de  fort  loin  à  grands  frais,  est  consi- 
dérée comme  de  1'  «  eau  bénite  j.  Dans  plusieurs,  quand  l'image 
a  un  renom  particulier  de  sainteté,  cette  eau  est  pieusement  re- 
cueillie et  bue  par  les  fidèles.  Il  en  est  de  même  de  celle  qui  a 
servi  à  laver  le  linga  (phallus),  symbole  de  Çiva.  Comme  la  cella 
où  se  trouve  le  linga  est  toujours  fort  étroite,  même  dans  les 

1.  Mémoires  de  Saint-Simon,  éd.  Chéruel,  t.  VII,  p.  333. 


EMPLOI  THÉRAPEUTIQUE  DES  RELIQUES  217 

temples  les  plus  vastes^  et  que  l'entrée  en  est  parfois  interdite  au 
public,  cette  eau  est  recueillie  et  conduite  au  dehors,  pour  être 
ainsi  utilisée,  dans  une  gouttière  qui  traverse  les  parois  de  Tédifice, 
Chez  la  plupart  des  sectes,  le  premier  gourou  (le  fondateur  de 
la  secte),  est  regardé  comme  une  incarnation  de  la  divinité  et, 
très  souvent,  ce  privilège  a  passé  par  héritage  à  ses  descendants 
directs,  les  gourous  d^cXviûs.  L'eau  dont  ces  hommes  dieux  se  sont 
servis  pour  se  laver  les  pieds  ou  pour  se  rincer  la  bouche,  jusqu'à 
la  salive  qu'ils  rejettent  en  mâchant  le  bétel,  sont  de  même  re- 
cueillies et  absorbées  par  les  dévots. 

Chez  les  Hovas  de  Madagascar  il  se  passe  quelque  chose 
de  ce  genre,  le  jour  de  la  «  fête  du  bain  »  [fandroàna),  qui 
a  lieu  le  22  novembre,  une  des  plus  grandes  fêtes  du  pays, 
car  toutes  les  affaires  chôment  pour  quelque  temps  après 
ce  jour.  «  Le  jour  de  la  fête,  la  reine  prend  un  bain,  le  seul 
de  l'année,  dit-on  ;  et,  lorsqu'elle  a  regagné  ses  apparte- 
ments, on  asperge  les  personnes  admises  dans  la  salle  de 
bain  avec  l'eau  ayant  servi  aux  ablutions  royales.  Heureux 
sera  celui  qui  aura  été  le  plus  trempé  *  !  » 

Il  ne  serait  pas  difficile  de  trouver  des  procédés  de  ce 
genre  chez  les  sauvages  Pour  se  procurer  de  la  chance  à 
la  chasse  à  la  baleine,  les  habitants  de  l'île  Kadjak,  près  de 
l'Alaska,  emploient  le  rite  suivant.  «  Ils  gardent  les  corps 
de  leurs  hommes  célèbres  —  on  pourrait  dire  :  de  leurs 
saints  —  dans  des  cavernes  éloignées,  où  ils  se  réunissent 
avant  la  chasse.  Le  corps  est  placé  dans  un  ruisseau  voisin, 
et  ils  en  boivent  l'eau  dans  la  pensée  de  s'assimiler  de  la 
sorte  les  qualités  du  mort'.   »  C'esl  ici   simplement    un 

1.  Lettre  de  Madagascar,  du  journal  £e  Temps,  n°  du  17  décembre  1886. 
—  D'après  le  récit  d'un  missionnaire,  le  R.  P.  Jouen,  c'est  la  reine  qui, 
après  avoir  pris  son  bain  dans  une  tente  dressée  au  fond  de  la  grande 
salle  du  palais,  asperge  elle-même  l'assistance.  «  Au  sortir  du  bain  elle 
s'écrie  par  trois  fois  :  Masina  aho  !  «  Je  suis  purifiée!  »  Puis,  avec  une 
corne  de  bœuf  préparée  à  cet  effet,  elle  puise  de  l'eau  dans  le  bain  et  en 
asperge  l'assistance.  »  Ann.  de  la  Propag.  de  laFoi,{.  XLI,  18G9,  p.61. 

2.  Holmberg,  Vœlker  des  russischen  Amerika,  Helsingfors,  1855,  t.  I, 
p.  111.  —  Cité  dans  Mélusine,  t.  III,  col.  245. 


218  APPENDICE 

exemple  sauvage    de    la   pratique    de  l'infusion   des   re- 
liques. 

L'identité  psychologique  du  genre  humain  répète  souvent, 
comme  on  voit,  les  mêmes  croyances  et,  par  suite,  les 
mêmes  pratiques.  Arlequin  était  plus  philosophe  qu'il  ne 
pensait,  quand  il  disait  dans  une  comédie  italienne  :  Tutto'l 
mondo  e  fatto  corne  la  nostra  casa,  «  le  monde  entier  est 
fait  comme  notre  maison  !  » 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS 


Page  8.  —  Une  variante  de  la  croyance  rapportée  par  Bur- 
ton  se  trouve  dans  Lane,  An  Arahic-English  Lexlcon,  VII, 
fasc.  2,  p.  2626,  col.  3  :  «  Un  chien  qui  a  mangé  de  la  chair 
humaine  est,  par  suite,  saisi  de  ce  qui  ressemble  à  de  la 
folie  ou  à  de  la  possession  démoniaque,  de  sorte  que,  s'il 
mord  un  homme,  celui-ci  est  saisi  du  même  mal,  déchire  ses 
vêtements,  en  blesse  d'autres,  et  à  la  fin  meurt  de  soif  en 
refusant  de  boire,  i  Les  mots  arabes  que  Lane  donne  pour 
«  rage  »  et  «  enragé,  ^  dérivent  du  nom  du  chien.  De  même, 
chez  nos  Arabes  d'Algérie,  le  mot  pour  enragé,  mkloub, 
signifie  littéralement  quelque  chose  comme  «  enchienné.  » 
(Dussourt,  cité  plus  haut,  p.  199,  no  2.) 

Pages  61  et  103.  —  Un  autre  exemple  de  démoniaque  qui 
aboie,  se  trouve  dans  la  vie  de  saint  Paul  le  Simple,  anacho- 
rète de  la  Thébaïde.  On  avait  amené  à  son  maître,  saint 
Antoine,  un  jeune  homme  possédé  du  plus  mauvais  démon, 
et  qui  aboyait  comme  un  chien.  Saint  Antoine,  ne  réussissant 
pas  à  le  guérir,  Pamène  à  saint  Paul,  comme  plus  puissant 
thaumaturge.  Saint  Paul  l'exorcise  avec  de  grandes  peines 
et  fait  sortir  le  démon  de  son  corps,  sous  la  forme  d'un  dra- 
gon long  de  soixanle-dix  aunes ,  qui  va  se  jeter  dans  la- 
mer  Rouge.  Cilé  dans  Weingarten,  De?'  Ursprung  des  Mœnch- 
tums,  p.  40. 

Page  87.  —  Voici  un  nouvel  exemple  d'insuccès  mis  sur  le 
compte,  non  du  saint,  mais  des  malades.  En  1682,  à  Fresnes- 
sur-Apance  (aujourd'hui  département  de  la  Haute- Marne), 


220  ADDITIONS  ET  CORRECTIONS 

Nicolas  Mongin,  maréchal- taillandier,  et  Claude  Méquien, 
houcher,  sont  mordus  par  un  loup  enragé.  Ils  allèrent  se 
faire  tailler  à  Saint -Hubert-d'Ardennes  ,  et  n'en  moururent- 
pas  moins  après  leur  retour.  On  attribua  cela  à  ce  «  qu'ils 
avoient  manqué,  en  retournant,  à  l'observation  de  leur  règle- 
ment, ce  qui  causa  leur  mort.  ^  Ils  en  tirèrent  pourtant  un 
certain  profit  :  «  Et  parce  qu'ils  avoient  été  taillez,  ils  mou- 
rurent assez  paisiblement,  sans  pouvoir  nuire  à  aucune  per- 
sonne, s  (Arcliives  municipales  de  Fresnes-sur-Apance  ;  re- 
gistres de  la  paroisse.)  Cet  accident  ne  diminua  pas  la  foi  à 
saint  Hubert  dans  le  pays  ;  car,  ajoute  M.  Jules  Viard  (de  qui 
je  tiens  ce  texte)  :  »  Il  y  a  quinze  ans  encore,  on  voyait  à 
Fresnesdes  médailles  fabriquées  par  des  ferblantiers  du  pays, 
représentant,  au  droit,  un  cerf  surmonté  d'une  croix,  et 
saint  Hubert  à  genoux  devant  lui.  ^ 

Pages  99-103.  —  C'est,  du  reste,  un  usage  traditionnel  d'a- 
bréger les  souffrances  de  ceux  que  l'on  voit  lutter  contre  une 
mort  inévitable.  Ainsi  on  croit  qa'un  moribond,  couclié  sur  de 
la  plume  de  pigeon,  râle  indéfiniment  sans  pouvoir  mourir  ;  et 
par  suite  de  cette  croyance,  sans  avoir  égard  aux  souffrances 
de  ses  derniers  moments,  on  ôte  les  oreillers  de  dessous  sa 
tête  ;  quelquefois  même  on  le  retire  du  lit  pour  le  mettre  par 
terre.  La  croyance  est  si  forte  en  Angleterre  que,  pour  cette 
raison,  il  est  dangereux  de  laisser  un  mourant  seul  avec  des 
domestiques.  (Rolland,  Faune  populaire^  t.  VI,  p.  137,  et 
Nation  de  New-York,  23  décembre  I086,  p.  S24.)  — -  A  Mal- 
médy,  on  vient  dans  le  même  but  à  une  chapelle  de  Notre- 
Dame-des-Malades  :  7îei^/ jeunes  filles  viennent  offrir  chacune 
un  cierge  avec  leur  prière,  ce  qui  constitue  une  neuvaine 
instantanée,  dans  le  but  d'abréger  l'agonie  du  malade. 

Page  102.  —  Balzac,  l'auteur  du  livre  sur  la  rage,  publié  à 
Tours  en  1810,  était  le  père  du  romancier  qui  a  rendu  ce 
nom  célèbre. 

Page  103.  —  11  y  a  quelques  mois,  dit  un  journal  de  méde- 
cine américain,  un  enfant,  atteint  d'hydrophobie,  dans  FÉtaL 
d'illinois,  a  été  étouffé  sous  un  oreiller  ;  et  à  celte  occasion 
on  citait  un  autre  exemple  d'  «  assassinat  thérapeutique,  » 
accompli  un  peu  auparavant  dans  le  même  État,  et  pour  la 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS  221 

même  cause.  [New-York  Médical  Journal,  article  cité  dans  la 
Nation  de  New- York,  du  25  novembre  1886,  p.  433.) 

Page  105,  ligne  6,  au  lieu  de  :  seulement —  lire  :  surtout 

Pages  HO-111.  —  Sur  cette  croyance  qui  se  trouve  chez  les 
Gallas,  on  peut  voir  aussi  un  passage  des  Annales  de  la 
Propagation  de  la  Foi,  t.  XXX  (1858),  p.  51. 

Page  112.  —  Sur  le  windigo  et  un  cas  de  cannibalisme 
chez  une  femme  furieuse,  on  peut  voir  aussi  quelques  mots 
du  R.-P.  Laverlochère,  des  missions  de  la  Baie-d'Hudson, 
dans  les  Annales  de  la  Propagation  de  la  Foi,  t.  XXIII  (1831), 
p.  209. 

Page  135.  —  La  marque  des  chiens  avec  la  clef  de  saint 
Hubert  a  encore  été  appliquée  à  la  fin  du  siècle  dernier  par 
ordre  d'une  autorité  municipale.  «  Je  viens  de  lire  dans  les 
feuilles  publiques  que  les  autorités  de  Mannheim  ont  ordonné 
de  brûler  les  chiens  au  front  avec  la  clef  de  Saint-Hubert, 
pour  les  empêcher  d'enrager.  »  G.  Ch.  Voigt,  GemeinnïUzige 
Abhandlungen,  Leipzig,  1792,  p.  14.  —  Note  communiquée 
par  M.  Reinhold  Kœhler. 

Page  147,  ligne  15^  au  lieu  de  :  première  —  lire  :  prémice 

Page  152,  ligne  7,  lire  :  Lauenbourg 

Page  153,  ligne  26,  lire  :  Dienne.  —  M.  Paul  Le  Blanc  m'ap- 
prend aussi  que  dans  un  inventaire  du  château  de  Uienne 
(Haute- Auvergne),  dressé  en  1580,  parmi  les  chambres  du 
château,  désignées  toutes  par  des  noms  divers  (chambre  des 
Neuf-Preux,  chambre  de  Saint- Jean,  etc.),  se  trouve  une 
<t  chambre  de  Saint-Ubert  i>  (sic). 

Page  178,  ligne  d,  lire  :  Paotret  ann  alc'houez 

Page  182,  ligne  8,  lire  :  invoque 

Pages  196-197.  —  On  peut  voir  aussi  une  longue  liste  de 
remèdes  contre  la  rage  dans  A.  de  Garsault,  Le  nouveau 
parfait  maréchal;  Paris,  1781,  p.  481.  Cette  liste  commence 
ainsi  :  Le  bain  de  mer  —  le  bain  d'eau  salée  —  la  saumure 
avalée 

Page  204,  n.  1.  —  Voici  un  autre  exemple  de  la  même 


222  APPENDICE 

croyance;  proveuanl  de  la  Corée.  Deux  jeunes  filles  chré- 
tiennes sont  torturées  pour  leur  foi.  «  Au  milieu  de  leur  sup- 
plice, elles  étaient  comme  inondées  d'une  joie  toute  céleste, 
elles  ne  jetaient  ni  cris  ni  soupirs...  Le  juge,  attribuant  à  la 
vertu  d'un  charme  une  aussi  admirable  constance,  leur  fit 
écrire  sur  l'épine  dorsale  des  caractères  antimagiques  ;  puis 
on  les  transperça,  par  son  ordre,  de  treize  coups  d'alênes 
rougies  au  feu.  Elles  demeurèrent  comme  impassibles....  » 
{Annales  de  la  Propagation  de  la  Foi,  t.  XVI,  1844,  p.  155.) 
Les  mandarins  et  les  indigènes  non  chrétiens  attribuaient 
souvent  cette  apparence  d'insensibihté  à  l'eucharistie,  pre- 
nant ainsi  pour  un  effet  physique  ce  qui  était  un  effet  moral 
et  spirituel.  ^  Là  [dans  les  prétoires  du  Tonkin]  était  procla- 
mée la  divine  vertu  de  l'Eucharistie,  et  c'étaient  les  manda- 
rins qui  en  faisaient  l'aveu,  en  se  disant  pour  expliquer  leur 
défaite  :  Celuici  a  sans  doute  mangé  de  ce  pain  enchanté  qui 
ensorcelle  les  âmes.  »  (Ann.  Prop .  de  la  Foi,  t.  XXVII,  1855, 
p.  267.)  —  De  même  en  Chine  :  «  Aussi,  bien  des  payens 
blâmaient-ils  la  constance  de  ces  chrétiens  et  la  traitaient-ils 
d'obstinatiû?i  insensée.  D'autres  croyaient  en  trouver  le 
secret  dans  certaines  pilules  que  les  chefs  de  religion  distri- 
buent aux  fidèles  dans  les  assemblées  religieuses,  i  [Ibid., 
t.  XXX,  1858,  p.  465.) 


L'auteur  fait  appel  à  la  bienveillance  du  lecteur  pour  cor- 
riger de  grossières  fautes  d'impressions  comme  cusinier 
pour  cuisinier  (p.  16,  1.  18),  auquel  pour  à  laquelle  (p.  97, 
1.  27),  etc.  —  Le  nom  du  théologien   cité  p.  82,  doit  être 

écrit  :  Jacques  de  Saintebeuve. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


Pjges 

I.NTRODUCTIOX .  1 

Chapitre  premier  :  L.\  rage  dans   l'antiquité  classique  ;    ses 

CAUSES  ;    SURVIVAXCES  THÉRAPEUTIQUES 5 

§     1.  Causes  de  la  rage .    6 

§    2.  Remèdes  sympathiques.    ..     8 

§     3.  Croyances  diverses. 12 

§     4.   Fontaine;  terre  sacrée;  lemple  d'Artémis 14 

§    5,   L"àne  est-il  enragé? ,.,..,. 16 

§     6.    La  mer  et  la  rage 18 

§     7 .    La  caulérisation 20 

Chapitre  deuxième  :  Salnt  Hubert  et  sa  lége.nds 25 

§    1 .  La  légende 25 

§    2,  L'histoire 30 

§     3.   Le  mythe .    .    ,.  35 

§     4.   Le  miracle  du  cerf .....  .      .    ....    42 

Chapitre  troisième   :   Sai.nt-Hubert    guérisseur    de   jla   rage  ; 

SON  pèlerinage  et  son  culte  , 51 

§     1 .  L'abbaye  et  le  village 51 

§     2.   Le  corps  du  saint. ........  56 

§    3.   Les  reliques;  la  Sainte-Llole, ..  .    ..      59 

§     4.   La  taille  et  le  répit 67 

§     b.  Le  point  de  vue  religieux;  opinion  de  docteurs  graves; 
que  faut-il  penser  de  ces  pratiques  et  de  leur  efficacité 

au  point  de  vue  religieux? 76 

§     6.  Le  point  de  vue  humain ,,    .  87 

,ï;     7.  L'imagination  et  la  rage  ;  les  aboyeuses  de  Josselin  ...  99 

§    8.  Les  chevaliers  de  Saint-Hubert 112 

§    9.  Les  colporteurs  de  Saint-Hubert ....  119 

.i;  10.  Les  clefs  ou  cornets  de  Sainl-Hubeit 126 


224  TABLE  DES  MATIERES 

Pages. 

§  11.  La  véritable  clef  de  Saint-Hubert - 133 

§  12.  Excommunication  des  ennemis  de  saint  Hubert  et  de  son 

monastère 138 

§  13.  La  conTrérie  de  Saint-Hubert ■  .  .  140 

§  14.  Le  pèlerinage  de  Saint-Hubert 142 

§  14  bis.  La  fête  de  saint  Hubert  et  la  messe  des  chiens.  . .  .  145 

§  15 .  Le  culte  de  saint  Hubert 152 

§  16.   Les  ordres  et  confréries  de  saint  Hubert 156 

Chapitre  quatrième  :  La  cautérisation  sacrée . .  161 

Chapitre  CINQUIÈME  :  Autres  SAINTS  ANTIRABIQUES    .    ..    ...    ...  173 

Chapitre  sixième  :  Recettes  et  remèdes  profanes   187 

§  1 .  Comment  on  se  préserve  de  la  rage , 187 

§  2.   Comment  on  guérit  la  morsure  du  chien  enragé 190 

Appendice 203 

De  l'emploi  thérapeutique  des  reliques,  à  l'intérieur 203 

Additions  et  corrections ,    . 219 


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^age  à  St.  Hubert 


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